cOMPRENDRE LA CONTROVERSE

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Bien accessible à tous ou produit Financier?

L’un des enjeux de la controverse sur les prix du médicament est la définition même du médicament, c’est-à-dire la perception qu’ont les acteurs du médicament. Ainsi, on a d’une part, des acteurs pour qui le médicament est un bien accessible à tous comme la Ligue contre le cancer, Médecins du monde, la Haute Autorité de la santé et son ancienne Présidente aujourd’hui ministre Agnès Buzyn, ainsi que des chercheurs tels que Margaret Kyle ou encore Andrew Hill. De l’autre, il y a des acteurs qui considèrent le médicament comme un produit financier, ce qui est notamment le cas du Leem, principal représentant des industries pharmaceutiques en France.

LE MEDICAMENT : UN BIEN ACCESSIBLE A TOUS ?

 

Cette volonté de faire du médicament un bien accessible à tous est partagée par tous les acteurs y compris les industries pharmaceutiques. Toutefois, certains acteurs ont fait de cette volonté leur objectif principal, c’est le cas d’associations telles que la Ligue contre le cancer ou encore Médecins du monde. En effet, on peut voir  sur le site web de la Ligue contre le cancer que  les rubriques sont centrées autour de l’aide aux malades, autour des aides pour rendre les médicaments accessibles à tous, par exemple il y a une rubrique « aide aux malades » et une rubrique « prévention / dépistage » (Ligue contre le cancer, site, 2017). De plus, le site web de Médecins du monde  affiche clairement cette vison du médicament comme bien accessible à tous, en indiquant que le but de cette association est de « garantir l’accès aux soins pour tous » et en ayant comme slogan "la santé pour tous"  ou encore  "des droits pour chacun " (Médecins du monde, site, 2017) .

 

Par ailleurs, le terme « bien accessible » est employé par les acteurs avec qui nous avons eu des entretiens. C’est le cas d'un économiste de la santé qui est chercheur à l’université de Paris Dauphine qui souligne que le médicament :

« n’est pas un bien comme les autres » mais « un bien essentiel et qui a une vertu morale » et que par conséquent c’est un bien où on veut une égalité de consommation ». ( Le Pen, entretien 2 , 2017)

 

Cette vision est également partagée par les pouvoirs publics qui, dans un souci de santé publique, veulent s’assurer que tous les citoyens puissent se soigner correctement. Or, cela passe par la possibilité de pouvoir avoir accès aux différents médicaments pour se soigner. D’où le fait que l’Etat prenne en charge une grande partie des dépenses en achat de médicaments par le biais du remboursement et s’assure que les prix des médicaments ne soient pas trop élevés, notamment lors des négociations avec les industries pharmaceutiques.

Ce qui explique également que dans un rapport d’information sur la politique du médicament datant de 2016, le Sénat rappelle que :

« L’accès de tous les malades aux traitements est un des fondements de notre politique d’assurance maladie » (Sénat, rapport, 2016)

Le précédent Président de la République l'a aussi rappelé lors de son allocution au côté du Président Jacob Zuma le 23 mars 2016 :

« Dans une démocratie, il ne peut pas être dit à une personne, quels que soient son niveau de revenus, ses origines, son parcours : vous ne pourrez pas être soigné et guéri parce que c’est trop cher. » (Le Monde, 2016)

 

Les industries pharmaceutiques ont également une volonté de rendre accessible le médicament au plus grand nombre. C’est d’ailleurs pourquoi, le Leem indique sur son site que: 

« les industriels se sont engagés début 2008 dans un accord de bonnes pratiques de gestion des prix des médicaments en libre accès en officine, qui prévoit deux engagements : prendre en compte dans les niveaux de prix l'accessibilité pour tous à ces médicaments et offrir des conditions commerciales transparentes, dans le sens des principes de la loi Chatel. » (Leem, site,  2017)

Ainsi, il semble que tous les acteurs s’accordent sur le fait que le médicament doit être un bien accessible à tous, et qu’il faut donc prendre en compte les logiques des associations comme celles des industries pharmaceutiques et de leurs représentants.

 

Toutefois, les associations comme Médecins du monde et la Ligue contre le cancer accusent les industries pharmaceutiques d’augmenter les prix des médicaments afin de faire du profit lors de leurs ventes. C’est ce qu’illustre le lancement de la campagne de de Médecins du monde en juin 2016 et la tribune des 110 médecins cancérologues menés par Dominique Maraninchi et Jean-Paul Vernant, afin de dénoncer les prix exorbitants de certains médicaments.

Pour autant les industries pharmaceutiques cherchent-elle réellement à faire du profit pour s’enrichir, ou est-ce un moyen de répondre à certaines contraintes lors de la fabrication du médicament ?

LE MÉDICAMENT : UN PRODUIT FINANCIER?

 

Cette facette du médicament comme produit financier est reconnue par tous les acteurs y compris les associations telles que la Ligue contre le cancer et Médecins du monde. Toutefois, cette vision du médicament est surtout employée par les industries pharmaceutiques. En effet, sur le site web du Leem, lorsqu'on va sur la rubrique « connaître le médicament », on retrouve des termes tels que « exportation et importation », « économie du médicament », « recherche et développement », « emploi et localisation ». On voit donc bien ici qu’on retrouve des notions propres au monde de l’entreprise et de la finance. En outre, lors de notre entretien avec l’un des responsables du Leem, celui-ci a employé  le terme de « produit financier » et d’autres termes qui en découlent tels que « amortissement », « profit », « action », « dividendes ». Des chercheurs comme Magaret Kyle analysent le médicament comme un produit financier, notamment, en ce qui la concerne, lorsqu’elle parle de dépense en R&D et de coûts de production.

Par ailleurs, lorsqu’on parle d’un produit financier on s’attend à voir apparaître la notion de profit, qu’en est-il dans le cas du médicament, à quoi sert ce profit ?

Le médicament comme moyen de faire du profit ?

  • Selon Jean-Paul Vernant et les 110 médecins cancérologues signataires de la tribune, les industries pharmaceutiques cherchent à maximiser leur profit. D'après ces médecins cancérologues, les principales recherches réalisées aujourd'hui par les entreprises pharmaceutiques consistent à :

« développer des médicaments me-too c’est-à-dire des médicaments qui modifient à la marge un produit déjà existant. Et cela leur permet simplement de contourner les génériques et maintenir par conséquent les profits des labos. » (Jean-Paul Vernant, L'Humanité, 2016)

Cela se voit dans le fait que la part de la R&D dans le chiffre d’affaires est relativement faible :

« Les dix plus gros labos mondiaux ont un chiffre d'affaires de 395 milliards de dollars (environ 353 milliards d'euros - NDLR) et leur budget Recherche et Développement atteint péniblement 14,2% de ce montant ». (Jean-Paul Vernant, L'Humanité, 2016)

 

  • Médecins du monde prend l’exemple du Solvadi pour montrer que les industries pharmaceutiques sont intéressées par le profit. L’association utilise un rapport du Sénat américain de 2015 sur ce médicament qui met en évidence selon M. Maguet :

 « la logique de maximisation du profit » (La Correspondance économique, 2016)

L’association développe des exemples de médicaments qui permettent aux industries pharmaceutiques, selon leurs chiffres, de faire du profit sur leur vente.

« Les traitements contre le cancer sont aussi devenus un marché particulièrement juteux pour les firmes pharmaceutiques. Le Glivec, un traitement contre la leucémie, est aujourd’hui vendu 40 000 euros par an et par patient pour un coût de production estimé à seulement 200 euros. Le Keytruda, un traitement contre le mélanome, est annoncé à un prix de 100 000€ par an et par patient. » (La Correspondance économique, 2016)

Selon une estimation de Fierce Pharma, utilisée par Médecins du monde, le Keytruda pourrait générer 4,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires pour le laboratoire Merck qui le commercialise.

Dans sa campagne pour dénoncer le prix des médicaments, Médecins du monde a utilisé des slogans pour dénoncer cette recherche de profits dont font preuve selon eux les industriels :

« Une leucémie c’est en moyenne 20 000% de marge brute », « Bien placé, un cancer peut rapporter jusqu’à 120 000 euros. », « Le mélanome c’est quoi exactement ? C’est 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires. » (Médecins du monde, site, 2017)

Ces affiches n’ont pas été placardées, les principales sociétés d’affichage françaises les ayant jugées trop polémiques.

 

Coûts de production et marges des grandes entreprises pharmaceutiques, en % du chiffre d'affaires

En outre, dans  un article de France Inter (France  inter, site, 2016), Médecins du monde accuse les entreprises pharmaceutiques d’avoir

« une préoccupation de court terme qui est la maximisation du profit »

et dénonce

« une dérive systémique dans laquelle l’optique financière dans l’industrie pharmaceutique a pris le pas sur les préoccupations de santé publique ».

 

Source du graphique: Conseil économique, social et environnemental, Big Pharma 2015 operating costs and margins, Updated by K. Pennente, June 2016, LATAM Word Review 0516, IMS Health, company annual reports.

 

Ensuite, si on se penche sur les articles de presse on voit justement qu’il y a une opposition entre deux perceptions du médicament. En outre, le Leem n'est pas le seul à utiliser une logique financière pour expliquer le prix du médicament. En effet, des chercheurs comme Claude Le Pen ou encore Andrew Hill savent pertinemment que derrière le prix du médicament il y a toute une logique financière . Ainsi, le but de ces chercheurs n'est pas de nier le caractère financier du médicament mais plutôt de se demander si les industries pharmaceutiques ne se cachent pas derrière cela pour augmenter leurs profits. Le but n'est pas de fustiger les industries pharmaceutiques, qui ont un rôle important pour le bon fonctionnement d'un système de santé.

 

Le médicament doit être un produit financier pour être accessible à tous ?

Le Leem et les entreprises pharmaceutiques considèrent comme tous les autres acteurs que le médicament est un bien accessible, mais mettent en avant qu'il ne peut être accessible à tous que si on prend en compte la logique financière qui existe pour toutes entreprises. Ainsi, à la campagne de Médecins du monde, à ses slogans et à ses reproches faites notamment sur leur logique de profit,  le Leem a

« réagi avec la plus grande fermeté aux propos caricaturaux et outranciers tenus par Médecins du Monde ».

Le Leem rappelle que :

« Le prix de ces médicaments est fixé par le Comité économique des produits de santé (organisme dépendant de l'Etat, ndlr) à l'issue de négociations avec les industriels ».

Le président du Leem, Patrick Errard fait de plus remarquer que

« Ces bénéfices sont indispensables pour attirer les capitaux qui financeront les investissements de demain ».

 

En effet, le médicament, pour être un bien accessible à tous, doit être produit par les industries pharmaceutiques. Celles-ci sont nécessaires pour l’accessibilité de tous à des médicaments innovants et efficaces dans le traitement de maladies. La logique financière développée par les industries et le Leem est donc complétée par cette logique de fournir un bien accessible à tous. Il y a bien une interdépendance entre tous les acteurs se confrontant sur la conception du médicament.

 

En outre, lors de notre entretien avec un représentant du Leem nous avons pu voir que les responsables du Leem raisonnent dans une logique financière. En effet, pour nous expliquer les modalités de fixation des prix du médicament, le responsable en question a déployé une véritable argumentation financière, ainsi il disait que le médicament était un « produit financier », et que de ce fait, derrière le prix d’un médicament il y a toute une logique financière, telle que la nécessité de dégager des fonds pour financer les médicaments de demain :

« Et avec le prix de ce médicament, le laboratoire n’a pas pour objectif d’amortir les coûts de ses R&D passés mais de financer son portefeuille en développement actuel. » (Lamoureux, entretien 1, 2017) 

 

En outre, un des représentants du Leem avec qui nous avons eu un entretien nous a expliqué à travers l’exemple de la télémédecine, qu’un médicament avant de devenir un bien accessible à tous, doit d’abord être un produit financier. En effet, avant d’être mis sur le marché et pris en charge par la sécurité sociale, le médicament doit être financé à l’aide de fonds divers comme ceux délivrés par exemple par des actionnaires. Ainsi, en contrepartie les actionnaires et les chercheurs qui ont permis la mise au point du médicament veulent un revenu en échange. À travers cet exemple, on aperçoit les tensions et liens qui existent entre un médicament vu comme bien accessible à tous et un médicament vu comme produit financier.

Sur quoi est fondé le prix du médicament ?

La controverse sur le prix du médicament concerne entre autre les fondements du prix du médicament : qu’est-ce qui entre en compte dans le prix du médicament, qui explique le niveau de ce prix et qui est l’objet de débat entre les acteurs ? Cela peut être le coût de Recherche & Développement, le Service Médical Rendu (SMR) et l'amélioration du SMR (ASMR). De plus, aujourd'hui de nouveaux fondements au prix des médicaments sont proposés par différents acteurs. Pour chacun de ces enjeux, les acteurs présentent des désaccords sur l’importance qu’il faut leur accorder, sur leur place, qui justifierait le prix du médicament.

Le coût de Recherche et Développement

Une des manières de fixer le prix d'un médicament est de se baser sur le coût de Recherche et Développement (R&D) du médicament. Or la place de ce coût dans le prix même du médicament est controversée.

La R&D a une place très importante dans la mise au point des médicaments : elle est nécessaire à la création des médicaments, et notamment des médicaments innovants, et son coût représente un budget conséquent et un investissement risqué pour les industries pharmaceutiques – c’est du moins ce qu’elles mettent en évidence. Mais les associations comme Médecins du Monde et la Ligue contre le cancer sont en désaccord sur ces points.

 

Les coûts de R&D sont-ils importants, relativement au cout total du médicament ? Ont-ils augmenté ou diminué depuis quelques années ?

Les acteurs ne sont pas d’accord sur l’évolution des coûts des médicaments. Selon les industries pharmaceutiques, représentées par le Leem, ces coûts ont augmenté, alors que selon les associations comme Médecins du monde, la Ligue contre le cancer, ainsi que des chercheurs comme le collectif des 110 cancérologues ou encore le chercheur Andrew Hill, les coûts de R&D des médicaments ont diminué. La baisse ou la hausse des coûts de R&D est un argument développé par chaque acteur respectivement pour expliquer pourquoi le prix du médicament est élevé (en ce qui concerne le Leem) ou pourquoi il l’est trop.

Selon le Leem, les coûts de R&D ont augmenté, ce qui explique en partie le prix élevé des médicaments, car le médicament arrivant sur le marché doit permettre de rémunérer son propre coût de R&D. Ainsi d’après le Leem

« Le coût de développement d’un médicament s’est accru ces dernières années : il aurait augmenté de 60 % entre 2000 et 2005, principalement à cause de l’explosion des coûts des essais cliniques, "la partie D de la R&D."»
LEEM, site

De plus, « entre 1999 et 2009, les dépenses de R&D des industriels du médicament ont augmenté de 175 %, tandis que le nombre de molécules approuvées chaque année a diminué de près de moitié. » (Leem, site, 2017)

Les coûts de R&D ont donc fortement augmenté selon le Leem, et cette augmentation a plusieurs causes : la durée de recherche qui est très longue, entre 10 et 12 ans, et le nombre de médicaments que cette recherche permet de mettre sur le marché qui diminue. Ainsi, un des responsables du Leem avec qui nous avons eu un entretien nous a dit :

« Premier élément (...) les coûts sont des coûts importants avec une durée d’immobilisation, une durée de mise au point très longue. Deuxième élément, il y a un taux d’attrition qui est très fort. (...) Sur 100 molécules qui rentrent en essais cliniques, vous savez combien il y en a qui vont arriver au marché ? 7. Et sur ces 7, la plupart vont se gauler des SMR5, des SMR insuffisance, c’est-à-dire qu’ils n’auront accès soit pas au remboursement, soit à des prix très bas. »
responsable du LEEM
entretien

Il y a donc moins de médicaments pour financer plus de R&D. Dans cette logique, le prix des médicaments innovants qui est fixé par les industries pharmaceutiques sera élevé pour amortir les coûts de R&D.

Au contraire, certains acteurs mettent en évidence une baisse des coûts en termes de R&D, alors que les prix des médicaments ne cessent d'augmenter.

  • C'est par exemple la position tenue par le Docteur Jean-Paul Vernant, du collectif des 110 cancérologues:

« Avant, les nouvelles molécules coûtaient très cher à produire. On en expérimentait beaucoup, il y avait un temps de développement très long. Maintenant, cela va vite. Des laboratoires, bien souvent publics, font des séquençages de la tumeur, puis pointent des anomalies moléculaires et définissent des cibles. La firme arrive alors, et peut vite construire chimiquement une molécule. » (Libération, 2016)

 

  • Les associations telles que Médecins du monde considèrent que le prix de certains médicaments comme le sofosbuvir ou le glivec « sont exorbitants » à la vue des coûts de production (et notamment du coût des principaux principes actifs de ces médicaments).

Pour énoncé ce constat, Médecins du monde s’appuie sur une étude d’Andrew Hill. L’association prend l’exemple du Sofosbuvir, médicament contre l’hépatite C. Elle écrit sur son site :

 « Le traitement [Le sofosbuvir] de 12 semaines est en effet vendu 41 000 € par patient alors qu’il ne coûterait que 100 euros à produire, selon une étude du chercheur Andrew Hill » (Médecins du monde, site, 2017)

Dans son article « Minimum Costs for Producing Hepatitis C Direct-Acting Antivirals for Use in Large-Scale Treatment Access Programs in Developing Countries », Andrew Hill, pharmacologue et chercheur à l’université de Liverpool, réalise des calculs lui permettant de constater un écart important entre le coût de production du médicament (marges et coût de transport compris) et le prix de vente. En effet, d’après ses calculs, ce médicament pourrait être vendu au prix de 200 euros, puisque le coût de production du principe actif (imanitib) de ce médicament est de l’ordre de 300 à 700 euros dollars le kilo. Pour avancer ces chiffres, Andrew Hill crée des molécules de substances ayant des effets similaires à celle de l’imanitib (le principe actif du Glivec). Ces substituts auraient couté moins de 200 dollars à produire, ce qui pousse Andrew Hill à considérer que le prix du Glivec pourrait être beaucoup moins coûteux.

À l’inverse, le responsable du Leem avec qui nous avons eu un entretien affirme que ces méthodes de chiffrage du prix du médicament ne sont pas « souhaitables » puisque d’après lui:

« les produits sont recherchés à l'échelle mondiale, vous avez dans le processus de recherche très souvent 10, 12, 15, 20 pays avec des structures de coûts qui dépendent de la taille de l'entreprise, de la pathologie » (Leem, entretien, 2017)

De plus, celui-ci note durant l’entretien que cette méthode de chiffrage ne peut convenir puisque, le laboratoire doit effectuer plusieurs essais avant de trouver la bonne molécule. 

  • Un autre argument qui a partie liée avec le coût de R&D est le coût marketing. Celui-ci est dénoncé comme trop important, relativement au coût de R&D. Il expliquerait donc un prix élevé du médicament, qui pourrait être diminué si ce coût marketing diminuait aussi. Ainsi, la Ligue contre le cancer dénonce le fait que le marketing représente une proportion plus importante que la recherche et développement dans le chiffre d’affaires des laboratoires pharmaceutiques. Selon Jacqueline Godet, présidente nationale de l’association, le coût de la recherche et du développement des molécules ne représente que 15 à 20 % du chiffre d'affaires des laboratoires pharmaceutiques quand le marketing, pour promouvoir ces médicaments, équivaut à 30 % du chiffre d'affaires.

« Notre système de santé n'a pas à supporter le coût de la promotion des médicaments » (Sciences et avenir, site, 2017)

A quel point l’investissement dans la R&D d’un médicament est-il risqué ?

La R&D suppose un certain investissement, considéré comme risqué pour les investisseurs puisque beaucoup d’argent peut être dépensé pour produire des médicaments qui peuvent ne jamais arrivés sur le marché, comme l’argumente le Leem. En réponse, les associations mettent en avant le fait que les frais engagés sont remboursés en quelques années et que les industries pharmaceutiques font des profits – considérés comme considérables – sur leurs investissements.

  • Selon le Leem, le prix des médicaments innovants doit être assez élevé pour rémunérer les investisseurs qui prennent le risque d’investir dans la R&D d’un médicament.

« Ce prix doit prendre en compte non seulement les coûts de recherche des nouveaux médicaments, mais également leur durée de mise au point (11,5 ans en moyenne) ainsi que les risques qui s'attachent à leur développement (seuls 7 % des médicaments entrant dans un essai clinique de phase 1 accèderont au marché) » (La Correspondance économique, 2016)

Dans cette logique, le prix des médicaments est donc élevé car il doit permettre de financer la recherche et développement de ces médicaments mais également d’amortir les coûts des échecs qui ont eu lieu dans cette recherche.

« Le développement de médicaments est considéré comme une activité économique à haut risque, ce qui tend à éloigner les investisseurs du capital des compagnies de biotechnologies santé émergentes. Aujourd’hui, seul 1 médicament sur 13 sera couronné de succès, contre 1 sur 8, il y a dix ans. » (Leem, site, 2017)

Par exemple, en décembre 2006, la firme Pfizer, qui avait investi plus de 800 millions de dollars dans son médicament Torcetrapib, un anticholestérol, a dû interrompre le développement de celui-ci suite à 82 décès dans la population test. Ce médicament avait pour but de remplacer le Lipitor, médicament représentant 24% du chiffre d’affaires de la firme.

  • Le docteur Vernant, représentant le collectif des 110 cancérologues, reconnaît cet argument. Avec les 110 cancérologues, il propose même d'envisager un prix

« basé sur les sommes investies par les industriels pour la R & D du produit (en tenant compte des apports fournis par la recherche académique), auquel s'ajouterait un retour sur investissement raisonnable, éventuellement défini a priori » (Le Figaro, 2016)

Mais selon lui, cela n’explique pas les prix élevés des médicaments :

« Nous défendons l'idée qu'il faut payer le juste prix du médicament, mais aujourd'hui les industriels ne calculent plus leur prix sur la base de la recherche et développement engagée, et d'ailleurs moins de 15 % du chiffre d'affaires va dans la R & D (recherche et développement).» ( Le Figaro, 2016)

  • Cette idée a été rejetée par le Leem. Le Docteur Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques du Leem explique que :

« La prédétermination d'un taux de marge pour l'industriel aurait un effet désincitatif pour les investisseurs ». (Le Figaro, 2016)

Recherche publique ou privée ?

 

« Les coûts de recherche et développement (R&D) correspondent aux frais engagés par les laboratoires pour mettre au point un médicament innovant et efficace. L’industrie pharmaceutique justifie le prix très élevé des médicaments par ces coûts. Mais ils sont surestimés et les montants réels sont classés confidentiels. En réalité, une grande partie de la recherche médicale se fait dans le secteur public (universités, instituts) et est financée par l’argent public (bourses, crédit d’impôt de recherche). La recherche publique a été essentielle pour le développement des médicaments contre l'hépatite C tels que le sofosbuvir. » (Médecins du Monde, site, 2017)

L’association développe cet argument contre celui des firmes selon lequel « les prix sont élevés car la recherche coûte cher ». Selon elle, ces prix élevés ne sont pas justifiés notamment car la recherche qui a permis le développement d’un médicament est en partie prise en charge par l’Etat.

 

  • Le Leem réfute cet argument, car s’il est vrai qu’il y a une partie de recherche publique dans la R&D d’un médicament, l’autofinancement des industries pharmaceutiques est très important, et même sans équivalent dans les autres branches économiques selon le syndicat. Ainsi selon le président du Leem Hervé Gisserot :

« Il ne faut pas oublier que 98,6 % de l'investissement en recherche provient de la recherche privée.» (Le Figaro, 2013)

 

« Non, la recherche n'est pas purement académique, loin de là. Les industriels ne font pas que produire les molécules découvertes par les chercheurs des organismes publics. Vous passez sous silence les contrats multiples signés entre les laboratoires universitaires ou publics et l'industrie dès les premiers pas de la genèse d'un médicament. Vous omettez aussi les coûts du développement d'une molécule qui prend de plus en plus de temps et d'argent : il faut attendre la treizième année pour commencer à les amortir. Dois-je vous apprendre que Johnson & Johnson emploie plus de 1.000 personnes pour gérer son département de « contrôle de sécurité », montrant le sérieux des essais thérapeutiques. Enfin, confondre le coût de fabrication d'une pilule et le coût de développement d'une molécule est au mieux navrant, au pire accablant ! » (Les Echos, 2016)

SMR/ASMR

 

Comment est fixé le prix du médicament ?

 

Le médicament, avant d’arriver dans les pharmacies, a déjà parcouru toute une chaîne de production.

Tout d’abord, le médicament a été élaboré au sein d’un laboratoire pharmaceutique. Le développement d’un médicament nécessite plusieurs années de recherche. Une fois que la molécule est prête, il faut la testée. Dès lors, de nombreux essais cliniques sont mis en place pour vérifier la viabilité de la molécule. Tous ces essais sont obligatoires et encadrés par la loi.

Suite à cela, le médicament est enfin prêt. Le laboratoire, pour pouvoir vendre le médicament, doit demander une autorisation de mise sur le marché (AMM).

Si le médicament a pour objectif d’être vendu seulement en France, alors c’est l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) qui délivre l’autorisation.

Si le médicament est destiné à être vendu en Europe, alors l’autorisation est délivrée par la Commission européenne.

Après avoir été mis sur le marché, le laboratoire a le choix :

 

  • Soit il demande à ce que son médicament ne soit pas remboursé par la Sécurité sociale. Dans ce cas-là, c’est lui et lui-seul qui fixe le prix du médicament. Le médicament sera commercialisé avec un prix libre. Le prix du médicament n’est donc pas encadré par les pouvoirs publics.  Il est choisi et fixé par le laboratoire. Par conséquent, le prix libre peut être élevé et donc désavantageux pour le patient et non accessible à tous.

 

  • Soit il demande à ce que son médicament soit remboursé par la sécurité sociale. Le Laboratoire doit, dès lors, soumettre son dossier à l’HAS (Haute Autorité de Santé). 

 

Imaginons que le laboratoire souhaite que son médicament soit remboursé par les pouvoirs publics. Il doit soumettre son dossier à l’HAS. Comment cette autorité évalue le médicament ?

 

Tout d’abord, l’HAS évalue le service médical rendu (SMR). C’est un critère qui permet de classer les médicaments en fonction de leur utilité d’un point de vue thérapeutique ou diagnostique. Le SMR prend en compte d'une part l’efficacité mais aussi les effets indésirables du médicament, d'autre part le caractère préventif, curatif ou symptomatique du médicament, et l’affectation à laquelle il est destiné. Enfin le SMR prend aussi en compte l’importance de ce médicament vis-à-vis des traitements déjà disponibles et l’intérêt qu’il représente pour la santé publique. Après cette longue étude, le médicament obtient une note. Cette note détermine le taux de remboursement du médicament. Il y a quatre niveaux possibles. Ces quatre niveaux renvoient aux différents taux de remboursement possibles.

  • Le premier niveau : taux de remboursement à 100% : le service médical rendu est considéré comme irremplaçable et coûteux.
  • Le deuxième niveau : taux de remboursement à 65% : le service médical rendu est considéré comme majeur ou important.
  • Le troisième niveau :  taux de remboursement à 30% : le service médical rendu est considéré comme modéré.
  • Le quatrième niveau : taux de remboursement à 15% : le service médical rendu est considéré comme faible.

Les autres médicaments ayant un service médical rendu insuffisant ne sont pas remboursables.

 

Ensuite, l’HAS évalue l’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR). Il s’agit d’évaluer l’aspect innovant du médicament, de savoir par exemple s’il existe déjà des traitements permettant de soigner une maladie et en quoi ce nouveau traitement est efficace. La procédure consiste à évaluer l’efficacité du nouveau traitement en le comparant avec d’autres traitements déjà mis sur le marché dans la même classe médicamenteuse. En somme, c’est la valeur ajoutée du médicament. Ici aussi l’HAS met une note. Il y a cinq notes possibles :

  • I : progrès thérapeutique majeur
  • II : progrès thérapeutique important
  • III : progrès thérapeutique modéré
  • IV : progrès thérapeutique mineur
  • V : absence de progrès thérapeutique

 

Ainsi, le médicament a deux notes : le SMR et l’ASMR. Ces deux notes vont être prises en compte lors de la fixation de son prix. Intéressons-nous alors à la fixation du prix.

C’est le Comité économique des produits de santé (CEPS) qui fixe le prix du médicament suite à des négociations entre industriels, mutuelles, le ministère de la santé et l’assurance-maladie. Le comité prend en compte la population concernée par le médicament. Par exemple, un médicament n’aura pas le même prix s’il est destiné à 10 ou 100 000 patients. Les prévisions de vente du médicament sont donc importantes et influent sur la fixation de son prix. Il prend aussi en compte le prix des autres médicaments du même type. De plus, il prend en compte les notes délivrés par l’HAS. Le prix doit refléter le service médical rendu et l’aspect innovant du médicament. Si le traitement, de plus, est très innovant et a obtenu une note en ASMR supérieure ou égale à III (I, II ou III), alors il fait l’objet d’une nouvelle procédure. Le CEPS compare les prix pratiqués pour ce type de traitement dans d’autres prix européens et fixe un prix proche de la moyenne de ces prix recensés.

Suite à cela, l’UNCAM (Union nationale des caisses d’assurance maladie) fixe le taux de remboursement.

Enfin, le ministre de la santé inscrit le médicament au Journal officiel. 

 

 

 

 

De nouveaux fondements ?

 

Pour rappel, lors de la fixation du prix du médicament par le CEPS, celui-ci prend en compte le SMR (service médical rendu) et l’ASMR (amélioration du service médical rendu). Ces deux modes d’évaluation permettent d’estimer à quel point le traitement étudié est efficace sur le patient et à quel point il est innovant. 

Cependant, ces deux critères présentent des faiblesses et par conséquent, le prix d’un médicament ne reflète pas assez les effets du traitement sur le patient. C’est pour cela que Marisol Touraine, ancienne ministre de la santé disait :

                « À cette date, je demanderai à toutes les institutions publiques compétentes sur le médicament – je pense à la Haute Autorité de santé, au CEPS, dont nous venons de parler, ainsi qu’à l’assurance maladie – de faire des propositions concrètes pour rénover les critères d’évaluation des produits de santé. » (Touraine, Rapport du Sénat,  2015)

Sur quoi reposent ces faiblesses ?

Ces lacunes portent principalement sur le manque de prise en compte du caractère innovant du médicament. Tous les économistes de la santé interrogés dans le cadre de ce projet, ainsi que les autorités de santé, les industries pharmaceutiques et leurs représentants et les associations s’accordent sur le fait que les prix des médicaments et plus particulièrement celui des médicaments innovants ne reflètent pas les effets de celui-ci sur le patient.

De nombreux économistes de la santé telle que Margaret Kyle, considèrent que ces deux critères ne sont pas pertinents quant à la prise en compte du caractère innovant et des effets sur le patient des nouveaux médicaments entrant sur le marché. Selon Margaret Kyle,

« il y a encore trop de médicaments entrant sur le marché, qui sont considérés comme innovants, alors qu’ils ont obtenu un « V » en ASMR qui est une note correspondant à une absence de progrès thérapeutique. » (Margaret Kyle, entretien 3, 2017)

 

De même, la Commission de la Transparence rattachée à la HAS, souligne que sur la totalité des médicaments entrant sur le marché, seulement un tiers présente une avancée thérapeutique :

« l'évaluation du progrès thérapeutique, via l'ASMR (amélioration du service médical rendu), dont l'objectif est de répondre à la question : le médicament apporte-t-il un progrès par rapport à des traitements existants ? 18 % des 99 produits à SMR suffisant ont reçu une ASMR I (progrès majeur : médicament sauvant des vies), II (progrès important) ou III (progrès modéré). Si l'on prend en compte les ASMR IV (progrès mineur), 38 % des médicaments ont apporté un progrès thérapeutique. »

Cela revient à dire que sur la totalité des médicaments mis sur le marché, 42% des médicaments présentent un ASMR V (Pharmaceutiques, site, 2017)

 

Les associations, telle que la Ligue contre le cancer, dénoncent le prix exorbitant des médicaments innovants et soulignent qu’il ne reflète pas les effets sur le patient. Au sein de la pétition lancée par la Ligue contre le cancer, cette dernière demandait à ce que le prix reflète réellement les effets sur le patient :

« La Ligue demande la mise en place de MÉCANISMES D’ADAPTATION DU PRIX. Il doit être tenu compte de critères liés à l’utilisation des médicaments innovants en situation réelle (nombre de patients, nombre de prescripteurs, efficacité, etc.). Des outils de mesure garantissant cette pertinence des prix doivent être mis en place. »( Ligue contre le cancer, site, 2017).

 

Les industries pharmaceutiques et leurs syndicats tel que le LEEM, quant à eux, considèrent que le système de fixation du prix des médicaments doit être réorganisés.

« Le système de fixation du prix du médicament doit plus prendre en compte la place de l’innovation. »

« La fixation du prix du médicament et l’innovation doivent être réfléchies de manière plus sereine et dans un cadre plus vaste. Le système de santé doit être réorganisé car il laisse de côté les risques importants d’échec dans la recherche ». (LEEM, site, 2017)  

Cependant, même si les différents acteurs de cette controverse reconnaissent les faiblesses de ce système, ils ne sont pas d’accord quant à la forme qu’il devrait prendre. Il y a un véritable débat actuellement concernant la réforme du système de prix des médicaments. L'un des objectifs est que ce dernier reflète plus les effets sur les patients et l’aspect innovant des médicaments, cependant, le système à mettre en place est encore en discussion.

 

  • Une première proposition consiste à mettre en place un système de prix par indication. Il s’agit de fixer les prix des médicaments en fonction des notes que ces derniers ont obtenu en SMR et ASMR. Certains économistes telle que Margaret Kyle que nous avons pu interroger dans le cadre de ce projet, proposent de mettre en place un nouveau système de prix par indication pour les médicaments innovants.

« Il faudrait fixer les prix des médicaments selon les notes qu’ils ont obtenues en SMR et ASMR. Les médicaments ayant obtenu V en ASMR, aussi appelés les « me-too », devraient voir, avec ce système par indication, leur prix baisser. De plus, je pense que le système de brevets devrait être transformé. La durée des brevets devrait être fixée en fonction des notes obtenues en SMR et ASMR. » (Margaret Kyle, entretien 3, 2017).

    De même, Agnès Buzyn, ministre de la santé et ancienne directrice de la HAS, souhaite la mise en place d’un système de prix par indication.

« Plutôt qu'une réduction globale des prix, il faut réfléchir à des prix par indication. Devons-nous payer le même prix un médicament qui entraîne trois ans de survie et deux mois de survie supplémentaire ? Le système de fixation des prix doit être différencié selon l’indication des médicaments. »

« Le système est capable de fixer une note d'amélioration du service médical rendu (ASMR) et d'évaluer l'efficience indication par indication. Il faut donc qu'on travaille sur l'efficience de chaque produit dans l'indication qui est la sienne, c'est une première piste » (Buzyn, Apmnews, 2016)

   Cependant, ce système peut présenter des limites. Pour que ce système soit efficace, il nécessite un réel        encadrement des prescriptions, veiller à ce que les prescripteurs ne gonflent pas les indications et donc vérifier     l’adéquation des indications au taux de remboursement. Comme l’explique Margaret Kyle :

« Ce système malheureusement présente des limites car les prescripteurs ont intérêt à dévier et à ne pas faire coïncider le taux de remboursement à leur indication. » (Margaret Kyle, entretien 3,  2017)

 

  • Dans leur rapport nommé Le médicament : à quel prix, les rapporteurs Gilbert BARBIER et Yves DAUDIGNY s'interrogent sur de nouveaux mécanismes de fixations du prix des médicaments. Ainsi s'appuyant sur les différentes auditions, les deux rapporteurs considèrent qu'une nouvelle méthode de fixation du prix du médicament consisterait à fixer le prix du médicament « en fonction de l’apport en années de vie et en qualité de vie ». Le conseil d’analyse économique, qui est une instance regroupant un ensemble d’économistes (notamment Jean Tirole, prix Nobel d'économie) use dans cette approche de la notion Qaly qu’il définit dans sa note Pour un système de santé plus efficace :

    « L’approche coût-efficacité utilise le concept de Qaly pour fonder des arbitrages entre différents traitements permettant d’améliorer la santé. Les gains de santé sont quantifiés en termes d’années de vie gagnées, pondérées par leur qualité : chaque année de vie est pondérée par un coefficient compris entre 0 et 1 exprimant, depuis l’état de parfaite santé correspondant au coefficient 1, toutes les gradations de mal-être croissant jusqu’à la mort correspondant au 0 ».

    Cette approche paraît pertinente pour le Leem. En effet, l'un des responsables du LEEM note durant notre entretien :

« il y a un mécanisme qui marche très bien c’est le pay for performance. Le prix du médicament en fonction de son efficacité constatée en vie réelle. Je ne finance que la partie du traitement qui s’est avérée efficace sur les patients, je ne paye plus l’inefficience du produit » (Philippe Lamoureux, entretien 1,  2017)

 

Ce type de système est défendu par les industries pharmaceutiques et par leurs syndicats tel que le LEEM car il permet de mettre en évidence que la création et la mise sur le marché d’un médicament est le résultat d’un parcours long, risqué et coûteux. Comme l’explique, Gérard de Pouvourville, professeur titulaire à la chaire de santé de l'ESSEC :

 

« L'apparition des produits biotechs a introduit une incertitude notoire sur des produits plus coûteux. Les effets de ces nouveaux remèdes ne sont pas encore bien connus dans le temps. Les laboratoires, agissant au niveau moléculaire, n'ont pas de modèles prédictifs très fiables sur la réussite et la sécurité à long terme. De plus, certains “patients répondants” sont réceptifs aux médicaments, d'autres ne le sont pas. Pour faire accepter rapidement aux organismes payeurs – souvent l'assurance publique – le prix plus élevé de leurs molécules malgré les aléas possibles, les industriels de la pharmacie se plient donc au “risk sharing” et au “paying for performance”, initiés il y a 10 ans en Grande-Bretagne pour des médicaments traitant la sclérose en plaque. »(Lenouvelécononmiste.fr, site,2017

 Selon les industries pharmaceutiques, de plus, les contrats de performance permettraient d’inciter plus fortement ces dernières à produire des médicaments encore plus innovants et performants. 

 

  • Une troisième proposition consiste à proposer un indicateur unique et donc de délaisser le SMR et l’ASMR. Cette proposition est le résultat de la mission Polton, menée en 2015 par Dominique Polton dont l’objectif était de formuler des propositions concrètes afin de rendre plus lisibles le système de santé et les critères d’évaluation des médicaments. Cette mission préconise de mettre en place un indicateur unique d’évaluation comparative du médicament, appelé également « indice de valeur thérapeutique relative ».

  Cependant, ce projet a été jugé comme incomplet par Marisol Touraine, ancienne ministre de la santé :

 

« D’abord, l’ITR ne s’applique pas à tous les produits de santé ; en particulier, il ne s’applique pas aux dispositifs médicaux. Or il ne paraît pas opportun de changer de mode d’évaluation seulement pour une partie des produits de santé, en utilisant un nouvel outil pour les médicaments tout en en gardant un autre pour les dispositifs médicaux. […] En outre, l’ITR ne permet ni de fixer un taux de remboursement ni de prendre en compte l’évaluation médico-économique. »  (Touraine, Rapport du Sénat, 2015) 

 

À quelles contraintes le prix du médicament doit-il répondre?

Fruit d’une négociation entre plusieurs acteurs, la fixation du prix du médicament répond à plusieurs contraintes. Chaque acteur a interêt à ce que le médicament soit commercialisé ; la rupture de la négociation n’est bénéfique pour aucun des acteurs. D’une part, les pouvoirs publics ont pour objectif de fournir des services publics afin d’accroitre le bien-être de la collectivité française ; celui-ci se définit par « la satisfaction éprouvée par les individus du fait de leur niveau de vie et de leur qualité de vie » (Alain Beitone et al., 2016). La commercialisation du médicament vient, ici, augmenter le niveau de vie de la collectivité. D’autre part, les entreprises pharmaceutiques ou leurs représentants, à l’instar de la fédération européenne l’EFPIA (European Federation of Pharmaceutical Industries and Association) (Hauray, 2007), n’ont pas interêt à rompre la négociation dans la mesure où ce sont avant tout des entreprises économiques qui répondent à des logiques financières et qui veulent un retour sur leur investissement en recherche et développement. Enfin, les associations, comme Médecins du Monde, n’ont pas interêt à ce que certains médicaments ne soient pas mis sur le marché dans la mesure où cela serait en désaccord avec leur représentation du médicament en tant que bien accessible à tous (Le Pen, entretien 2, 2017). Aucun des acteurs ne tire bénéfice de la rupture de la négociation. C’est ainsi que chacun des acteurs doit faire en sorte que la négociation préserve au maximum ses propres intérêts sans pour autant sortir de la négociation, ni faire sortir son interlocuteur. Chaque acteur doit répondre à des contraintes factuelles afin de préserver ses intérêts. Quelles sont alors les différentes contraintes rencontrées par les différents acteurs ?

La fixation du prix : un enjeu pour le budget de la sécurité sociale

Dans le processus de négociation, le coût budgétaire des médicaments est une contrainte majeure pour les pouvoirs publics dans la mesure où ils remboursent certains traitements. La variation des prix des médicaments a un impact direct sur cette contrainte budgétaire, qui peut soit être desserrée, soit être restreinte.

Les différents représentants des pouvoir publics (Comité Economique des Produits de Santé, Haute autorité de la santé) sont des acteurs clefs dans la négociation des prix des médicaments pour certaines spécialités. Il existe, en effet, des « spécialités non remboursables » (Grandfils, 2007) dont les prix ne sont pas régulés. Il s’agit des produits « hors liste », que l’on « peut acquérir sans ordonnance » (Over the counter, OTC), des produits sur liste dont les spécialités ne sont pas remboursées (Viagra®) et enfin des versions OTC de produits sur liste et remboursables. Tous les autres produits ont des prix administrés (Grandfils, 2007).  C’est ainsi que les laboratoires négocient le prix de leurs produits totalement ou en partie remboursé avec les pouvoirs publics.

C’est dans la mesure où les médicaments sont remboursés que l’État intervient dans la fixation des prix. D’après un économiste de le santé de l’université Paris-Dauphine, c’est l’État qui « accorde le prix (…) c’est lui qui donne le prix » des médicaments en France. Mais,

« Pour qu’il soit remboursable par la Sécurité Sociale, une entreprise pharmaceutique doit déposer une demande à la Haute autorité de santé (HAS). L’avis rendu par la Commission de la Transparence de la HAS est ensuite transmis au Comité économique des produits de santé (CEPS) et à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM). La décision finale de remboursement relève de la compétence des ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale. » (Ministère des affaires sociales et de la santé, site, 2017).

Dans la mesure où la plupart des médicaments nécessaires sont remboursés, le coût budgétaire est élevé en France. Non seulement les pouvoirs publics doivent répondre à une exigence d’accessibilité mais aussi assurer la pérennité de l’équilibre des budgets de la sécurité sociale pour permettre sa continuité sur le long terme. Dans la négociation des prix des médicaments, les représentants de la sécurité sociale et des pouvoirs publics, comme la commission de transparence de la HAS, essayent d’éviter le creusement du déficit budgétaire de la sécurité sociale. Ce déficit est notamment creusé par la branche maladie, c’est-à-dire celle qui permet le remboursement des médicaments. Ainsi, les efforts pour réduire le déficit de cette branche se font notamment sur les prix des médicament (Le monde, site, 2016) Pour réduire le déficit, les ministères de la santé successifs et les autorités publiques avaient pour moyen la baisse du prix des médicaments les plus coûteux ou même leur déremboursement.

Le déficit de la sécurité sociale est un thème politique récurrent en France ; on peut remarquer que les articles à ce sujet sur Europress ont connu une augmentation exponentielle à partir des années 2000, pour arriver à un pic en 2016 avec 750 documents sur le sujet. Quand Médecins du monde proteste contre la hausse des prix, c’est par crainte que la sécurité sociale ne puisse plus rembourser certains médicaments. Comme le rappelle Claude Le Pen, économiste de la santé spécialiste sur ces questions (Le Pen, entretien, 2017), l’opposition entre les différents acteurs ne se fait plus sur les prix mais plutôt sur le financement des médicaments.  L’enjeu principal est de procurer les financements nécessaires aux nouveaux médicaments innovants en attendant que leurs brevets tombent dans le domaine public ; ce qui entraînera la commercialisation de ce médicament par plusieurs entreprises et fera baisser son prix. La baisse des prix des anciens médicaments innovants permettra alors, selon Claude le Pen, de financer les nouveaux entrants:



Si vous voulez, c’est un transfert intergénarationnel. La génération des produits 2000-2010, qui aujourd’hui tombe dans le domaine public, et comme ils représentent beaucoup d’argent, aide au financement des produits des générations suivantes. De même que ces produits, dont je parle, des années 2000-2010, ont étaient eux-mêmes financés grâce aux économies réalisées par rapport aux produits des années 1980 qui ont été génériqué au moment où ces produits sont arrivés. Il y'a une espèce de transmission inter-générationnelle qui fait que au moment où arrive les innovations, arrive aussi la chute des brevets des années précédentes.(Le Pen , entretien 1, 2017)

 Si le prix est élevé et que le remboursement peut s’effectuer d’une manière pérenne, l’accès démocratique aux soins n’est plus remis en question. La question du financement aurait remplacé la question du prix. Si la société française sait comment soutenir le remboursement de l’ensemble des médicaments sur le long terme, le prix élevé de certains médicaments ne serait plus un frein pour les plus défavorisés. 

À la fin des années 1990, Martine Aubry, alors ministre de l’emploi et de la solidarité, avait annoncé des mesures transitoires (avant un déremboursement total) consistant à baisser le prix de 658 médicaments. L’intérêt d’une telle mesure est selon elle, de réduire les dépenses de santé. Cette mesure aurait donc permis de diminuer le déficit de la Sécurité sociale : « en année pleine, l'opération rapportera 650 millions de francs à la Sécurité sociale », estimait-elle.

Les entreprises pharmaceutiques (EP) prennent donc en considération le remboursement de leur médicament dans la fixation de leur prix, qui est l’aboutissement d’une négociation complexe en les pouvoirs publics représentés par le CEPS et les entreprises pharmaceutiques. En effet, le fait que les administrations publiques dé-remboursent certains médicaments entraîne la rupture des négociations entre les EP et le CEPS pour trouver un prix « juste » pour les deux partis. S’ensuit alors une certaine liberté dans la fixation des prix de certains médicaments essentiels, ce qui peut se traduire par une augmentation des prix. 

 

Cependant, la volonté de diminuer les coûts budgétaires peut s’opposer aux logiques de la diminution des prix, selon l’Association française de lutte anti rhumatisme (Aflar, association de patients et de professionnels de santé) a lancé une pétition en ligne en juillet 2014 pour le « Non au déremboursement des traitements de l’arthrose ». Les laboratoires ont également saisi la presse pour relayer les positions de l’Aflar. Ainsi, le laboratoire Expanscience a publié le 8 septembre 2015 un communiqué de presse intitulé « Six mois après le déremboursement des antiarthrosiques symptomatiques d’action lente : des patients en attente d’une forte mobilisation ». Il comporte notamment la citation suivante attribuée au Pr Pascal Richette, chef de service de rhumatologie à l’hôpital Lariboisière :

« les patients qui prennent ces antiarthrosiques, même s’ils ont une efficacité modeste, pourraient consommer moins d’anti-inflammatoires et moins d’antalgiques ». » (Rapport du Sénat, 2016-2017).

La Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) dénonce les hausses de prix des médicaments déremboursés. Le prix devient alors libre pour les fabricants/laboratoires qui commercialisent les produits, les distributeurs, d’autant plus que le taux de TVA augmente.

" Dans certains cas, on n'est pas loin d'un doublement du prix ", affirme aux  Echos, Philippe Gaertner, président du syndicat des pharmaciens. Celui -ci " refuse de cautionner de telles pratique" (Les Echos, site, 2008)

Ainsi la volonté d’une baisse des coûts budgétaires peut se traduire par une augmentation des prix des médicaments (Collen, 2008). Ce qui a pour conséquence de réduire la consommation de médicaments essentiels au traitement de certaines maladies ; ce qui provoque alors une perte de bien-être pour une partie de la population. La fixation des prix du médicament doit prendre en considération le coût du remboursement pour la sécurité sociale. La contrainte budgétaire devient alors une priorité, qui est essentielle dans la négociation avec les acteurs privés.

 

Le prix : un obstacle ou une incitation à l’innovation ?

  

Toujours dans le processus de négociation, les entreprises pharmaceutiques se doivent de respecter deux intérêts majeurs : la profitabilité et l’innovation future, qui est étroitement liée a premier intérêt. La fixation du prix du médicament répond alors à deux nouvelles contraintes.

 

La variation du prix des médicament, et de ce fait l’évolution de la marge des entreprises pharmaceutiques, est corrélée avec la recherche et le développement. Il existe une réelle attente sociale envers les laboratoires pharmaceutiques dans le développement de traitements médicaux innovants. Les laboratoires, dans la fixation de leur prix, prennent en compte les investissements futures, et donc le développement des innovations futures.

 

Le directeur du Leem voit aussi un obstacle dans la baisse du prix des médicaments. Le prix, qui est considéré comme exorbitant par Médecins du Monde, ne permet pas juste de recouvrir les coûts de production et de rémunérer les actionnaires. L’augmentation du prix du médicaments serait là pour compenser les nombreuses années (entre dix et douze ans) de recherche et développement nécessaire à l’essor du médicament. La baisse du prix aurait donc un coût social pour l’ensemble de la collectivité.

 

D’une part, les bénéfices étant réduits, les fonds consacrés aux recherches futures ne seront plus aussi conséquents. Le prix ne reflète pas seulement les coûts industriels de fabrication du médicament, qui sont assez complexes à évaluer, mais aussi les coûts d’insertion dans les nombreuses révolutions biotechnologiques, dont l’avènement est attendu (Lamoureux, entretien 1, 2017). Selon un des représentants du Leem avec qui nous avons eu un entretien, le médicament est sur le point d’aboutir à un niveau de progrès sans précédent. Ce ne sera plus la prescription des médicaments qui sera personnalisée mais plutôt sa fabrication :

« Ce qui va se passer dans les 5 années à venir, dans les 10 années à venir est hors de l’imagination humaine » d’après toujours le responsable du Leem avec qui nous avons eu un entretien (Lamoureux , entretien 1, 2017).

Les entreprises pharmaceutiques doivent alors anticiper ces coûts de recherches futures. Si le prix du médicament s’enfermait dans des considérations purement actuelles et « présentistes » , c'est -à-dire sans une vision  vers l'avenir, la collectivité ne bénéficierait pas d’innovations majeures dans un futur assez proche. Cela représente donc une perte du bien-être global de la société. Il faudrait donc que le prix anticipe les investissements futurs que l'entreprise va réaliser. Plus le prix sera élevé, plus les entreprises pharmaceutiques auront les moyens de mettre en place des innovations majeures. La fixation du prix, qui se fait par négociation entre le CEPS et les entreprises pharmaceutiques, devrait alors, toujours selon le représentant du Leem, prendre en considération cette variable dans les coûts que peut supporter  la collectivité.

 

D’autre part, avec l'essor des nouvelles technologies de l'information et de la communication, certains acteurs comme le LEEM montrent la nécessité de développer la télémédecine, c’est-à-dire un ensemble de pratiques médicales permises ou facilitées par les télécommunications. Les médicaments pourront être prescrit à distance par les médecins ; et un développement minutieux des médicaments sera donc indispensable pour pouvoir traiter les maladies d’une manière très précise. La journaliste économique au Figaro, Marie-Cécile Renault (Renault, 2017), affirme que cet objectif est une priorité pour la nouvelle ministre de la santé, Agnès Buzyn.

 

Avant de pouvoir guérir d’autres maladies, Médecins du Monde demande le traitement des maladies que les entreprises pharmaceutiques connaissent déjà. D’après l’association, il y a une inégalité à l’accès aux soins les plus coûteux. Leur remboursement, pour l’ensemble des personnes touchées par certaines pathologies, implique la baisse des prix, qui peut notamment être atteinte par les licences d’office. Ceux-ci permettent la mise en place du générique d’un médicament essentiel à la guérison de certaines maladies, sous la condition que celui-ci ne répond pas à la demande quantitative des patients, avant l’échéance de son brevet. Cependant, cela reste un frein majeur à l’innovation dans le fait que les entreprises pharmaceutiques ne soient plus incitées à innover. Cela rejoint de nouveau le coût social proposé par le responsable du Leem (Les Échos, 2001). Jean-Jacques Martin, membre du Conseil supérieur de la propriété industrielle (Présidé par le ministre chargé de la propriété industrielle, ce conseil à un rôle consultatif sur les questions qui lui sont soumises par ce même ministre. Composé de 21 membres, le conseil siège deux fois par an), voit dans les brevets une forte incitation à la recherche. Cependant, selon lui, il faut avoir une vision large des exceptions qui touchent les grandes maladies de santé publique, telles que le virus du sida.  Le coût de non-guérison du sida serait plus important pour le droit français que le coût de désincitation à la recherche (Les Échos, 2001).

Le prix : une contrainte à l’accessibilité.

Enfin, les associations de médecins, dont la contrainte majeure est de fournir une accessibilité universelle au médicament, n'ont pas intérêt à ce que les prix augmentent. 

La question du prix des médicaments a plusieurs effets sur la collectivité, qui se restreint dans notre travail à la population française. La fixation du prix du médicament, qui répond à plusieurs logiques, est déterminante dans le bien-être de la collectivité française ; celui-ci se définit par

« la satisfaction éprouvée par les individus du fait de leur niveau de vie et de leur qualité de vie » (Alain Beitone et al., 2016).

Le médicament permet aux individus d'accroître la qualité de leur vie en améliorant leurs conditions d’existence voire en augmentant leur espérance de vie.  Selon plusieurs acteurs, comme les associations spécialisées dans l'accessibilité des soins au plus grand nombre , le prix, qui peut être discriminatoire, peut être un facteur d’exclusion de certains individus et ainsi être la cause d’une diminution du bien-être de certaines personnes. 

Médecins du Monde (MdM) dénonce l’augmentation du prix des médicaments notamment en tant qu’elle serait défavorable à la démocratisation des soins de santé. Il y aurait une diminution majeure du bien-être des individus les plus défavorisés économiquement et même culturellement. Le rationnement des plus défavorisés ne serait pas, d’après l’association, contradictoire avec la rentabilité économique des entreprises pharmaceutiques. Ce serait les médicaments les plus coûteux qui remporteraient le plus. MdM dénonce notamment le prix du Sovaldi, un traitement contre l’hépatite C, qui rapporterait plus « d'un milliard d’euros de bénéfice ». (Delozier, Le Figaro, 2016). L’ONG a dans cette perspective lancé une campagne pour ce qu’elle appelle le « prix de la vie ». Elle dénonce ainsi la prééminence des logiques financières sur les logiques plus altruistes (renvoie vers partie de Pierre). Pour le directeur de la campagne de sensibilisation, Olivier Maguet, notamment auditionné au Sénat, la France se rapproche de « la situation du Mozambique » (Delozier, Le Figaro, 2016) où le médicament n’est accessible qu’aux plus favorisés économiquement et cela malgré la prise en charge des médicaments nécessaires au traitement des maladies préoccupantes par la sécurité sociale.

Cette « situation hallucinante », toujours selon le porte-parole de Médecins du Monde, est due à l’incapacité de la sécurité sociale de pouvoir prendre en charge l’ensemble des malades, à l’instar des victimes de l’hépatite C, qui sont aujourd’hui plus de 230 000. Le Docteur Chantal Guyénot rejoint cette position dans la mesure où il y a eu des

« restrictions de remboursements des nouvelles molécules, qui rendent l’accès au traitement problématique pour les patients aux stades F2 » (Rapport du Sénat, 2016-2017, p.38).

En effet, certaines instances impliquées dans le remboursement des médicaments, notamment la Haute autorité de santé (HAS), préconisent que :

« la mise sous traitement de certaines populations infectées par le virus de l’hépatite C pourrait être différée » « du fait de l’évolution lente de la pathologie » (Rapport du Sénat, 2016-2017, p.38).

Dans la continuité de MdM, Aides, dans son rapport « VIH/Hépatites, la face cachée des discrimination », voit dans les restrictions préconisées par la HAS, un facteur discriminatoire. Seuls les gens dont les revenus sont les plus conséquents pourraient contourner cet obstacle de non-remboursement de la sécurité sociale.

Les politiques publiques en matière de santé, depuis le Conseil national de la résistance de 1944, ont été construites en opposition à toutes formes de discriminations. Les médicaments doivent servir la collectivité sans discrimination à leur accès. Les femmes et hommes politiques se sont positionnés aussi sur cette problématique pour l’intégrer dans leurs discours. C’est ainsi que le précédent Président de la République, François Hollande, dans un discours prononcé dans un hôpital de Lyon, affirmait :

« Dans une démocratie, il ne peut pas être dit à une personne, quels que soient son niveau de revenus, ses origines, son parcours : vous ne pourrez pas être soigné et guéri parce que c’est trop cher. » (Rapport du Sénat, 2016-2017).

En dépit de ces allusions symboliques, le deuxième gouvernement de Manuel Valls rappelle que la prise en charge des patients est plus importante que dans les autres pays européens. Même si elle est incomplète, elle est relativement plus volumineuse que nos voisins européens (Rapport du Sénat, p.40). Selon ce gouvernement, l’effet sur la communauté est relativement bénéfique.

Dans la mesure où les prix des médicaments sont élaborés par une négociation entre chaque entreprise pharmaceutique et les représentants des institutions de sécurité sociale, comme le CEPS, le rôle du médicament en tant que moyen d’accroissement du bien-être rentre dans l’élaboration du prix. Même si de vifs débats se sont enclenchés sur les discriminations que pouvaient entraîner le prix du médicament, Claude Le Pen, économiste de la santé, déplace le débat sur les discriminations sociales. L’accès aux médicaments se fait selon les catégories sociales et les niveaux d’instruction. Les plus favorisés économiquement et socialement ont une plus grande tendance à se soigner que les moins nantis. Du fait d’un remboursement presque général des médicaments, il faudrait plutôt, toujours d’après M. Le Pen, se focaliser les discriminations dues aux aspects culturels. Ainsi le prix du médicament n’aurait ni un effet positif, ni négatif sur la population.