TRANSPARENCE
Les algorithmes chargés de la répartition des élèves sont codés selon plusieurs critères et divers paramètres. Ils apparaissent ainsi comme des outils utiles mais très complexes. Les critères sont élaborés par le ministère de l’Education Nationale et choisis par les académies. Mise à part leur complexité, le code de ces algorithmes est très souvent opaque, puisque ni les citoyens, ni les politiques, ni même les ingénieurs de l’administration ne peuvent y avoir accès[1]. Une plus grande transparence est ainsi prônée, aussi bien par les étudiants et leurs parents, que par des chercheurs, associations ou journalistes. Dans certains cas, ces algorithmes, notamment APB, peuvent procéder à des tirages aléatoires dont les candidats n’ont pas toujours conscience.
Les algorithmes souffrent d'un manque de transparence du fait que les critères qui les régissent ne sont pas explicitement détaillés. Terra Nova s'est attaché à soulever une incohérence dans la gestion des algorithmes : les parlementaires, qui définissent les objectifs généraux du mode de répartition des candidats (par exemple selon l'objectif de mixité sociale), n'ont pas les moyens de les appliquer et de s'assurer qu'ils sont opérationnels, puisqu'ils n'ont eux-mêmes pas accès au code source régissant les algorithmes. La notion de transparence relativement aux algorithmes de réparation des étudiants se pose donc également à ce niveau pour ce think tank.
En outre, bien qu'ils soient les principaux intéressés, les codes sources demeurent méconnus des étudiants et des parents alors que la façon dont ces algorithmes sont conçus peut avoir un impact déterminant sur la vie professionnelle des candidats. Ce paradoxe a été relevé par Julien Grenet[2], Thomas Piketty et Clément Baillon [3]. Ainsi le 12 juillet 2016, Thomas Piketty a publié dans le journal le Monde son article "Le scandale APB" [4] où il y expose le problème crucial que représente pour lui cet algorithme : personne ne sait comment cela fonctionne, alors même que, selon le rapport de Terra Nova sur la question, les caractéristiques à l’égard de l’algorithme doivent être exprimées de façon simple et compréhensible pour ses utilisateurs. Partageant cette position, le rapporteur du Sénat Guy Dominique Kennel dénonce le manque de transparence de l’algorithme APB et le fait que cela gène les élèves dans la formulation de leurs choix d’orientation. Il considère que la transparence d’APB est un “impératif”[5].
Une crise de légitimité
Sans cette transparence, ni les parents d’élèves, ni les élèves eux-mêmes ne peuvent pleinement se fier aux algorithmes. C’est ce que dénoncent de nombreux élèves, comme par exemple Anna, élève de terminale en Picardie, qui ne comprend pas pourquoi elle a été refusée en classe préparatoire à Louis le Grand alors que son dossier avait toutes les caractéristiques nécessaires à son affectation selon tous ses enseignants. Cette transparence donc, qui ne va pas de soi, engendre de nombreux débats. La question qui se pose alors est de savoir si oui ou non la transparence de ces algorithmes permettrait une meilleure répartition des élèves. Si Thomas Piketty et Julien Grenet s’accordent à dire que oui, ce n’est pas forcément le cas de Luc Pham[6], qui voit l’opacité des algorithmes comme un moyen d’éviter les stratégies parentales.
A l’inverse donc, Thomas Piketty et Julien Grenet voient la transparence comme étant une condition nécessaire pour que les élèves mais aussi leurs parents gardent confiance en l’institution scolaire au moment où l’on s’adresse à elle. En effet, dès lors que les élèves - collégiens ou lycéens - ne sont pas assez informés sur ces algorithmes, ils ne peuvent pas en faire bon usage. Thomas Piketty et Julien Grenet considèrent, contrairement à Luc Pham, qu’alors même que les possibilités d’évitement sont limitées pour les élèves issus de PCS défavorisées, le manque d’information qui les touche ne leur permet pas même de considérer ces stratégies, réservées aux connaisseurs du système. Aussi, les élèves issus de classes défavorisées vont, selon le rapport de Terra Nova [7], s’auto-censurer. L’opacité du système ne permet donc pas aux élèves d’effectuer leurs choix en toute connaissance de cause. C’est alors un sentiment d’injustice qui s’empare des étudiants.
La mise en oeuvre de recours
La non-transparence des algorithmes engendre ainsi une réelle méfiance, et donc des protestations, des débats et même des procès. En effet, au printemps 2016, l’association Droit des lycéens a entamé une action en justice, considérant APB comme illégal. Clément Baillon, fondateur de l’association Droits des lycéens considère en effet que le manque de transparence des algorithmes de répartition des élèves constitue, au-delà d’une injustice, une illégalité. Ainsi, si la loi pour la République numérique va dans le sens de la transparence, il regrette que les dispositions de la loi n'aillent pas assez loin. Le fondateur de l’association considère que ce n’est qu’au prix d’une transparence totale sur les vœux émis que les élèves pourront être tout à fait sincères, et donc que les stratégies pourront être évitées. L’opacité pousse Clément Baillon à spéculer sur les différents motifs de la non-transparence : serait-ce juste de la fainéantise ou plutôt des éléments à cacher ?
La transparence amène alors deux questions principales en ce qui concerne ces algorithmes. Premièrement, comme l'association Droits des Lycéens l’a dénoncé, la légalité de ces algorithmes pourraient être remise en jeu. Deuxièmement, c’est l’opacité de ces critères qui créé les disparités évoquées ci-dessus, ce qui amène alors tout le questionnement relatif au choix de ces paramètres d’affectation et donc de la sélection faite.
[1] TERRA NOVA [2016], L’école sous algorithmes, 15 pages. Disponible sur http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/142/original/10032016_-_L%27_cole_sous_algorithmes.pdf?1457608969 [Consulté le 13 avril 2016 ]
[2] GRENET Julien, Chargé de recherche au CNRS, Professeur associé à l’École d’Économie de Paris, Directeur de l’Institut des Politiques Publiques. Entretien réalisé le 6 avril 2017 à Paris
[3] BAILLON Clément, cofondateur et ancien président de l'association Droits des Lycéens. Entretien réalisé le 9 avril 2017 à Paris
[4] PIKETTY, T., (2016 juillet 12) Le scandale APB, Le Monde
[5] KENNEL, Guy-Dominique [2016], Rapport d’information du Sénat n°737, 106 pages. Disponible sur http://www.senat.fr/rap/r15-737/r15-7371.pdf [Consulté le 16 avril 2016 ]
[6] PHAM Luc, Directeur académique adjoint du second degré de l’Académie de Paris. Entretien réalisé à Paris, le 20 avril 2017.
[7] TERRA NOVA [2016], L’école sous algorithmes, 15 pages. Disponible sur http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/142/original/10032016_-_L%27_cole_sous_algorithmes.pdf?1457608969 [Consulté le 13 avril 2016 ]