SÉLÉCTION
Faut-il introduire la sélection à l'université pour les filières non sélectives sous tension ?
La situation française
En mars 2015, l’association Droits des Lycéens a demandé à obtenir le code source d’APB, pensant notamment que le mode de sélection à l’entrée des filières universitaires non sélectives en tension (c’est-à-dire pour lesquelles la demande excède l’offre), à savoir le tirage au sort, était illégal d’après l’interprétation qu’on devrait faire des textes législatifs du Code de l’Education. Leur action a effectivement permis de mettre au jour ce mode de sélection et de révéler son illégalité.
En conséquence, en juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux[1] a jugé illégal cette méthode à l’entrée à l’université en filière non sélective en tension (STAPS en l’espèce), c’est-à-dire pour laquelle la demande excède l’offre. Le juge administratif a en effet estimé que “l'absence de réglementation permettant de fonder la procédure de tirage au sort est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige”. Le refus d’inscription d’un étudiant écarté par tirage au sort à l’entrée en STAPS est ainsi jugé comme une “erreur de droit”.
Mais la question reste posée : faut-il néanmoins introduire la sélection à l’université ? En effet, une problématique est à résoudre : il faut réussir à concilier le caractère non sélectif de filières universitaires avec l’excès de demande qui les caractérise.
Ce graphique tiré d’Educpros, site gratuit d’actualité dédié aux professionnels de l’éducation et de l’enseignement supérieur qui émane du magazine l’Etudiant, nous montre les licences les plus demandées après le Bac en 2017. Quatre disciplines seulement recueillent presque la moitié (44 %) des « premiers vœux » : droit, sport dit STAPS pour Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, psychologie, et PACES (première année commune aux études de santé). Autrement dit, ce graphique présente les licences en tension en France. La capacité de ce type de licence (en général liée à la capacité physique d’accueil des universités) est souvent bien limitée par rapport à la demande très importante à laquelle elles font face. Par exemple, en 2016, ce sont près de 29 000 candidats qui ont postulé en STAPS pour seulement 22 000 places dans les universités. Traditionnellement, l'université française, réputée pour être une source d'égalité des chances au vu de son accessibilité pour tous bacheliers, se voit donc face à un dilemme de plus en plus grand avec l'augmentation chaque année du nombre de néo-bacheliers. En 2017, ce sont 39 700 candidats de plus qu’en 2016, qui ont ainsi formulé au moins un voeu sur APB, soit une augmentation d'environ 5% d'après les chiffres du ministère de l'Éducation Nationale.[2]
Source : “APB : près de 40.000 candidats supplémentaires pour la session 2017”, Educpros in L'Etudiant. Disponible sur www.letudiant.fr/educpros/. [Consulté le 26/05/2017]
Ces licences non sélectives à l’entrée - il suffit d’y être affecté par l'algorithme d'APB - sont sujettes à cette augmentation, et le ministère ne cesse alors d'alterner entre une autorisation ou non du tirage au sort, qui reste pour beaucoup la solution la plus constitutionnelle, même si ce système est critiqué pour le fait d'être peu méritocratique.
Des avis qui s'opposent
Julien Grenet, lors de notre entretien [3], nous a fait part du problème que cela posait par la suite : en effet, ces filières, bien que non sélectives à l’entrée, le sont par le niveau exigé par la suite. On constate ainsi un taux d’échec en première année très important dans les filières comme médecine, STAPS ou droit. Selon lui, le tirage au sort ne peut donc pas être la solution, car des élèves qui auraient pu réussir n’ont pas pu y accéder en raison du mode de sélection choisi. Il faut donc bien selon lui trouver un moyen de réguler les admissions, mais différent.
Pour pallier l’utilisation de la méthode du tirage au sort dans le supérieur, il propose de s’inspirer du modèle indien d’« equality of opportunity» en pondérant différemment les critères en favorisant le critère social. Cette manière de procéder peut être qualifiée de discrimination positive qui est d’ores et déjà effective avec le dispositif « meilleur bachelier » sur APB.
Une solution contre ce tirage au sort serait donc effectivement d'introduire une sélection à l'université, qui demeure à l'heure d'aujourd'hui illégale d'après le Code de l'Education. Julien Grenet propose néanmoins d’effectuer une sélection par les notes ou d’élargir le nombre de places pour pallier à la situation actuelle qu'il qualifie "d'absurde".
Du coté du ministère de l'Education Nationale, le point de vue n'est pas exposé explicitement.
"La question "sélection ou pas sélection" est simpliste et réductrice"
Najat Vallaud-Belkacem
Le nombre de procédures judiciaires d'étudiants contre la sélection qu'ils qualifient d'illégale ne cesse de croitre. En effet, l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) a dénoncé en juillet 2015 54 universités pratiquant "une sélection illégale"[4]. Le syndicat étudiant a recensé 334 licences sélectives, contre 331 l’année précédente, et pointe particulièrement trois universités : Paris IV Sorbonne (46 formations concernées), Paris I (23) et l’université de Cergy (22). Pour William Martinet, président de l'UNEF :
"Plus la sélection intervient de manière précoce dans les cursus, plus elle renforce la reproduction sociale. Car alors elle repose non pas sur le travail des étudiants, sur leurs connaissances et compétences, mais sur leur capital culturel, sur l’héritage familial dont ils bénéficient – ou pas" William Martinet
De leur coté les présidents d'université ont demandé lors de la dernière CPU, à savoir conférence des présidents d'université, de pouvoir exiger des pré-requis en licence dans la mesure où les universités vont accueillir "170.000 étudiants de plus" au cours des cinq prochaines années [5]. De plus, la mauvaise orientation des étudiants coûte 5 milliards d’euros par an à l’Etat : introduire une sélection à l'université permettrait sans doute de réduire cette somme. Emmanuel Macron semble avoir entendu le message des présidents d'université puisque dans son programme il proposait d'"afficher des prérequis" à l'entrée de toutes les formations universitaires, autrement dit de rompre avec l'accès de droit de tous les titulaires du baccalauréat en licence. A voir maintenant s'il exécutera ses promesses de campagne.
LA CIRCULAIRE DU 24 AVRIL 2017 : UN TOURNANT MAJEUR
Plus précisément, dans une circulaire du 24 avril 2017[6], le ministère de l’Éducation nationale a autorisé en dernier ressort le tirage au sort à l’université pour les filières non sélectives dont le nombre de candidats excède le nombre de places. L’organisation étudiante Promotion Défense des Etudiants (PDE) et l’association SOS Éducation ont alors saisi en urgence le juge des référés pour la suspension de cette circulaire, considérant que cette dernière était contraire aux dispositions de l’article L. 612-3 du Code de l’Education[7]. Le directeur de PDE a d’ailleurs déclaré dans un communiqué de presse[8] que la circulaire « ne constitue aucunement la réglementation qu’exige le code de l’éducation, et ne précise même pas comment ce tirage au sort sera mis en œuvre ». Leur requête a finalement été rejetée par le Conseil d’Etat, considérant qu’il existait notamment « un intérêt public à l’exécution des dispositions en litige » puisqu’il fallait départager ces candidats, et conclut en disant :
« Il n’est pas établi qu’à quelques jours du début de la procédure de choix des inscriptions, une suspension de leur exécution préviendrait les atteintes aux intérêts que les associations requérantes défendent ». Le Conseil d'Etat
La validation du tirage au sort fait ainsi ressurgir la question de la sélection à l’université, pourtant reconnue comme un symbole français de l’égalité des chances pour sa gratuité et son accessibilité. Pour l’Etat cependant, comme est venu le rappeler le Conseil d’Etat, le tirage au sort reste la seule modalité juridiquement compatible avec le principe de non-sélection édicté à l’article L.612-3 du Code de l’éducation.
Source : LEGOUT, B. "Sélection en master, ce qu’en pensent les étudiants", Educpros in L'Etudiant, mars 2016. Disponible sur http://www.letudiant.fr/educpros/actualite/exclusif-selection-en-master-ce-qu-en-pensent-les-etudiants.html. [Consulté le 24/04/2017]
Et l'avis des candidats ?
Appréhension, colère et stress... sont souvent les maitres mots des élèves de terminales qui par ce système ne pourront pas toujours accéder à la formation de leurs choix.
Ainsi pour Louise, lycéenne parisienne postulant en première année commune aux études de santé (PACES),
« Le tirage au sort n’est pas forcément égalitaire car pour médecine, par exemple, des élèves de niveau médiocre ne réussiront jamais PACES et prennent alors la place d'élèves meilleurs et peut-être plus motivés»
Louise, lycéenne en terminale Scientifique
De même pour Maé, étudiante en terminale scientifique et postulant en "pharma", qui pense que
« C'est totalement injuste parce que ça laisse moins de chances à ceux qui ont vraiment la vocation »
Maé, lycéenne en terminale scientifique
Le tirages au sort, pour les filières dites « sous-tension » - alors que le taux de réussite n’est pas forcément élevé- est donc fortement critiqué, que ce soit par les parents, les étudiants ou mêmes des chercheurs. Julien Grenet qualifie même la situation actuelle « d’absurde », car en tirant au sort :
« On en refuse certains pouvant réussir, alors même qu’on constate qu’on a 80% de taux d’échec en PACES».
Pour Ulysse, au contraire, candidat en STAPS, le tirage au sort lui :
« donne des chance d'aller la où [il veut], parce que avec [ses] notes si c'était sélectif [il n'aurait] jamais pu y aller »
Ulysse, 18 ans
Par son coté pratique et en donnant l’opportunité à certains élèves moins bons de tenter quand même leur chance, certains peuvent donc trouver des points positifs à ce système de répartition et ce, même si la communauté universitaire a tendance à s’y opposer. La conférence des présidents d’université (CPU) est par exemple venue réaffirmer son opposition constante au procédé de tirage au sort, au motif que ce dernier va à l’encontre du travail mené par les services d’orientation des universités, qu’il décrédibilise l’université et qu’il entraîne de surcroît un surcoût financier du système et un gâchis humain.
Alors, quelle solution faut-il adopter ?
L’UNEF (Union Nationale des Etudiants de France) a demandé au nouveau président d’augmenter les capacités d’accueil des établissements, tandis que l’une des propositions de campagne d’Emmanuel Macron était d’établir des « prérequis » à l’entrée de chaque filière universitaire, ce que beaucoup considèrent comme une forme de sélection cachée. La nouvelle ministre de l’Education supérieure, Frédérique Vidal, semble s’aligner avec cette politique puisqu’elle a déclaré dans son discours de passation que :
« Envoyer des étudiants [à l’université] sans avoir vérifié s’ils sont en capacité de réussir, c’est les mettre dans une situation d’échec »
Frédérique Vidal
La nouvelle ministre compte donc mettre en place très rapidement de nouvelles mesures, autres que le tirage au sort [9]. La promotion du baccalauréat 2017 apparaît comme l’année sacrifiée et d’expérimentation. Comme l’avait dit le Conseil d’Etat dans sa décision du 2 juin 2017 : « Dans l’hypothèse de la suspension de la circulaire, le ministre de l’Enseignement Supérieur serait dans l’impossibilité d’édicter en temps utile une réglementation différente. » Il semble donc bien que le manque de temps, d’investissement et de moyens de la part du gouvernement a permis l’utilisation du tirage au sort au détriment des futurs bacheliers de cette année.
Malgré de fortes critiques, il n'en reste pas moins que la sélection apparait comme une des solutions pour contrer le tirage au sort, lui jugé à plusieurs reprises comme illégal. Cette sélection se pose notamment à l'entrée en licence, mais aussi à l'entrée en Master 1 ou Master 2. Le risque reste néanmoins de se retrouver avec des modèles du type de l'université Paris Dauphine, qui malgré son caractère d'établissement public, possède une dérogation pour opérer une sélection à l'entrée en ne se trouvant pas sur le logiciel APB. Malgré des avantages financiers et sans doute pratiques, la sélection à l'université pose néanmoins problème en ce qui concerne l'égalité, laissant ainsi sur le côté les élèves ayant le moins de facilités.
[1] Tribunal Administratif de Bordeaux, jugement n° 1504236 (16/06/2016). Disponible sur : http://bordeaux.tribunal-administratif.fr/content/download/64378/581019/version/2/file/1504236.pdf, sur l’illégalité du tirage au sort
[2] Graveleau, S., « Hausse du nombre de candidats en première année d’études supérieures ». Le Monde.fr, 28 mars 2017
[3] GRENET Julien, Chargé de recherche au CNRS, Professeur associé à l’École d’Économie de Paris, Directeur de l’Institut des Politiques Publiques. Entretien réalisé le 6 avril 2017 à Paris.
[4] Beyer C. (2015, juillet 15). L’Unef dénonce une « sélection illégale à l’université », Le Figaro Étudiant
[5] Site de la Conférence des présidents d’université (CPU), une association Loi de 1901, http://www.cpu.fr/actualite/position-relative-aux-modalites-de-recours-au-tirage-au-sort/, [Consulté le 15/05/17]
[6] Circulaire du gouvernement autorisant le tirage au sort en dernier recours (27 avril 2017). Disponible sur : http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=115792, [Consulté le 10/04/17]
[7] Article L-612-3 du Code de l'Education. Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do dateTexte=&idArticle=LEGIARTI000006525182&categorieLien=cid&cidTexte=LEGITEXT000006071191, [Consulté le 11/05/17]
[8] Promotion et défense des étudiants (2017, 2 juin) Communiqué de presse "PDE poursuit son action contre le tirage au sort". Disponible sur : http://www.pde.fr/pde-poursuit-son-action-contre-le-tirage-au-sort, [Consulté le 02/06/17]
[9] Corbier, M-C. (2017, mai 22). L’exécutif prêt à tester la sélection à l’université. Les Echos