LÉGALITÉ

Le flou juridique autour d'une automatisation

du secteur éducatif

Le flou juridique dû à la nature d'APB

L’article L311-1 du Code des relations entre le public et l’administration prévoit que "les administrations […] sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre." Toutefois, le flou juridique s’explique parce qu' « un algorithme n’est pas un document administratif : il faut l’écrire. »[1]. C'est ce qu'expliquait Axelle Lemaire au cours d'une séance parlementaire. C’est également ce qu’affirme Clément Baillon[2], qui explique, que de facto, la communication du code source des algorithmes n’est pas obligatoire. De plus, malgré l'importance cruciale de l'algorithme qui permet l'affectation de plusieurs centaines milliers de lycéens chaque année, il n'existe aujourd’hui aucun texte précis sur le fonctionnement de ces algorithmes, mis à part la loi pour la République Numérique.

Codes. Source : site d'Alain Bensoussan, avocat. Disponible sur https://www.alain-bensoussan.com/wp-content/uploads/2014/11/CODE-JURIDIQUES@jkphoto69-Fotolia-700x467.jpg. [Consulté le 01/06/2017]

 

« Un algorithme n’est pas un document administratif : il faut l’écrire. »

Axelle Lemaire,  secrétaire d’État chargée du numérique du gouvernement Valls

 

L'automatisation en milieu scolaire et la perte de maîtrise des outils numériques 

  "Les algorithmes d'affectation sont plus objectifs et plus efficaces mais ils n'offrent pas de place aux problèmes particuliers. [...] C'est psychologiquement hyper rude de se faire refuser par un ordi, il faudrait qu'un humain intervienne à un moment du processus". Clément Baillon[3]

Clément Baillon est conscient du rôle nécessaire d’APB, il déplore néanmoins l’automatisation de la procédure où l’intervention humaine manque cruellement. Il explique qu'aujourd'hui, c'est l’algorithme qui fait le travail à la place du recteur, il l'a totalement remplacé. Le recteur n'a qu'à prendre la liste d’APB, "il clique sur OK et c’est fini", il gère juste les recours internes. Ainsi, l'algorithme permet une prétention d’objectivité mais officiellement ce n’est pas l’algorithme qui prend la décision. Clément Baillon trouve cela  "assez pervers".  

 

Source : Abilways Digital. Disponible sur http://www.abilways-digital.com/magazine/big-data-algorithmes-nouveaux-actifs-de-lentreprise/. [Consulté le 03/06/2017]
Logo d'APB. Source : site de l'Académie de Poitiers. Disponible sur http://www.lyc-lisa.ac-poitiers.fr/wp-content/uploads/2016/01/admission-post-bac.png.gif. [Consulté le 03/04/2017]

Dans son rapport Analyse de l’orientation et des poursuites d’études des lycéens à partir de la procédure admission publié en 2012, l'Inspection générale de l’éducation nationale expliquait comment était organisée la maîtrise d'oeuvre d'APB [4] : 

"La maîtrise d’œuvre est assurée par une association privée à but non lucratif hébergée à l’INPT (Institut national polytechnique de Toulouse). [...] Elle est composée de six informaticiens qui mettent à jour les règles de l’algorithme, introduisent les entrants avec leurs droits d’accès, veillent à la sécurisation et à la bonne utilisation de l’outil, construisent des tableaux statistiques pour le suivi ; un administratif est chargé du traitement des questions émanant des différents utilisateurs."

Inspection Générale de l'Éducation Nationale 

C'est Bernard Koehret [5], le créateur d'APB qui est à la tête de la maîtrise d'oeuvre. Or Clément Baillon confie "C'est une association qui gère ça, on ne sait pas comment". Il explique que mise à part cette association, personne ne comprend comment APB fonctionne, pas même les politiques et si ce groupe venait à disparaître, personne ne saurait comment gérer ça. Cette idée est également partagée par les rapporteurs du think tank Terra Nova[6] Les rapporteurs de Terra Nova dénoncent la perte de maîtrise des outils numériques de la part des responsables politiques, des acteurs de l’éducation ou encore des citoyens. Ils font part de leur préoccupation quant au fait que l’école repose sur des algorithmes auxquels personne n'a accès. Ces algorithmes nous font tout de même “perdre la maîtrise de nos décisions”. De même, Louise de Cuneo, journaliste Au Point[7] dénonce la proéminence de la technologie et particulièrement des algorithmes dans son article “Éducation : la manie des algorithmes”. Ainsi, ce sont autant d'acteurs pour qui la déshumanisation du secteur éducatif apparaît aujourd’hui comme une problématique majeure.

"On en arrive à une situation où, sans même parler du citoyen, qui n’est pas sollicité, on trouve d’un côté le décideur public, détenteur d’une légitimité politique, qu’il soit Président, ministre, parlementaire, élu local, peu familier des implications des choix technologiques – et se complaisant parfois dans cette ignorance – et, de l’autre, des experts des technologies, notamment numériques, qui, censés mettre en œuvre des stratégies élaborées à un niveau politique, se trouvent en réalité seuls maîtres à bord, qu’ils le veuillent ou non. [...] Ce qui nous préoccupe ici, c’est que les outils du secteur privé reposent sur des algorithmes auxquels n’ont accès ni les citoyens, ni les politiques, ni même les ingénieurs de l’administration."

Terra Nova

La loi pour une République Numérique : vers une codification de l'automatisation du secteur éducatif ?

La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République Numérique dans son quatrième article constitue la prémisse d'une codification des algorithmes et témoigne par la même de la volonté de transparence des administrations publiques qui permettrait de pallier cette perte de maîtrise des outils numériques. C’est du moins ce qu’affirmait  Axelle Lemaire  lorsqu'elle était secrétaire d’État chargée du Numérique et de l’Innovation [8] :

« Nous visons tous le même objectif de transparence de l’action publique et d’accès à une administration plus ouverte, en défendant le droit de savoir »

Axelle Lemaire 

Article 4
« Art. L. 311-3-1.-Sous réserve de l'application du 2° de l'article L. 311-5, une décision individuelle prise sur le fondement d'un traitement algorithmique comporte une mention explicite en informant l'intéressé. Les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées par l'administration à l'intéressé s'il en fait la demande. 
« Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat. »

Néanmoins, les débats parlementaires montrent que si ce projet de loi a été adopté, de nombreux amendements ne sont pas passés, des amendements qui visaient une transparence encore plus totale et auraient pu permettre une compréhension plus poussée des algorithmes d'affectation. De surcroît, un flou subsiste, autour de la modalité de transmission des données, ce que souligne la sénatrice du Maine et Loire, Corinne Bouchoux : « La question qui se pose est de savoir sous quelle forme cet algorithme est transmis. Aujourd’hui, ce sont des traitements automatisés qui calculent les impôts et les allocations familiales, ou qui précisent les affectations dans les établissements scolaires. Ce processus se développera à l’avenir, comme cela se produira pour le numérique. »[9]

Mais l'ancienne secrétaire d'État est venue rappeler : 

«  Il est tentant de vouloir aller toujours plus loin ; mais pour que les mesures que nous sommes en train de prendre se concrétisent et que les administrations, noyées sous des charges nouvelles, ne décident pas de ne rien faire en attendant d’éventuels contentieux, nous souhaitons être au plus près de leurs réalités. » 
Axelle Lemaire

[1] Session ordinaire de l’Assemblée nationale (2016). Compte-rendu de séance intégral du 20 janvier 2016. [Président Laurence Dumont] Disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2015-2016/20160106.asp. [Consulté le 25/05/2017]

[2] BAILLON Clément, cofondateur et ancien président de l’association Droits des Lycéens. Entretien réalisé à Paris, le 9 avril 2017.

[3] BAILLON Clément, cofondateur et ancien président de l’association Droits des Lycéens. Entretien réalisé à Paris, le 9 avril 2017.

[4] Inspection générale de l’éducation nationale [2012], Analyse de l’orientation et des poursuites d’études des lycéens à partir de la procédure admission, 79 pages. Disponible sur http://cache.media.education.gouv.fr/file/10_octobre/21/5/Rapport_IGEN_APB_2012-123_239215.pdf  [Consulté le 10 avril 2016 ]

[5] De Tarlé, S.(2014, janvier 9). Bernard Koehret (créateur d’Admission-postbac) : "APB est un observatoire extraordinaire de l’orientation en France, EducProf.fr.

[6] TERRA NOVA [2016], L’école sous algorithmes, 15 pages. Disponible sur : http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/142/original/10032016__L%27_cole_sous_algorithmes.pdf?1457608969   [Consulté le 13/04/2016 ]

[7] Cuneo, P. L. (2016, septembre 20). Éducation : la manie des algorithmes. Le Point.fr

[8] Session ordinaire de l’Assemblée nationale (2016). Compte-rendu de séance intégral du 20 janvier 2016. [Président Laurence Dumont] Disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2015-2016/20160106.asp. [Consulté le 25/05/2017]

[9] Séance sénatoriale (2016). Compte rendu intégral des débats du 26 avril 2016. [Président Gérard Larcher] Disponible sur http://www.senat.fr/seances/s201604/s20160426/s20160426_mono.html [Consulté le 25/05/2017]