LES INSTITUTIONS PUBLIQUES PROMEUVENT LE DÉPISTAGE
Après la naissance de programmes départementaux de dépistage du cancer du sein, le gouvernement décide en 2004 de coordonner le dépistage à l’échelle nationale. En 2017, pour donner un nouvel élan au dépistage et mieux garantir la santé des femmes, le Ministère de la Santé a initié un nouveau programme de dépistage organisé du cancer du sein. Parmi les 12 mesures de ce programme figure notamment une consultation dédiée à la prévention et au dépistage ainsi qu’un suivi personnalisé pour les femmes âgées de 50 à 74 ans.
Liées au Ministère de la Santé en charge du pilotage stratégique du dépistage organisé, les 17 agences régionales de la Santé assurent région par région la coordination du programme. L’Institut National du Cancer (INCa) est en charge de l’aspect opérationnel, et élabore et publie régulièrement des outils de communication, lettres et documents d’information à destination du public et des professionnels de la santé.
Par ailleurs, en France, de nombreuses études épidémiologiques sont produites par Santé Publique France (qui dépend directement du Ministère de la Santé) et la Haute Autorité de la Santé (HAS), officiellement indépendante du gouvernement mais qui travaille parfois en collaboration avec l’INCa pour assurer le bon déroulement du dépistage organisé.
[Le Ministère de la Santé] assure ce qu’on appelle le pilotage stratégique. L’INCa assure le pilotage opérationnel du système. Santé publique France fait l’évaluation épidémiologique. L’HAS est plutôt en charge de tout ce qui est recommandations scientifiques et bonnes pratiques.
Nathalie Catajar
LA PROMOTION DU DÉPISTAGE EST BIAISÉE PAR DES LOBBYS DES ASSOCIATIONS
Pour inciter les femmes à aller se faire dépister, différentes campagnes ont eu lieu en France. D’après le Cortecs ( Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences) , l’organisation de ces campagnes est biaisée car elle repose sur des moyens de communication faisant appel à la peur ou à la culpabilisation des femmes. Des campagnes de dépistage comme celles de BFM TV en 2010, ont utilisé des témoignages de personnes de moins de 50 ans pour inciter des femmes plus jeunes à effectuer des mammographies. Ces photos mettent souvent en scène des femmes réalisant une mammographie illustrant un acte heureux et anodin. Une affiche faite par l’INCa en 2007 laisse penser qu’un nombre important de femmes s’est déjà fait dépister en France, tablant sur ce grand nombre pour convaincre les autres.
La controverse a aussi été biaisée par des événements qui l’ont projeté au cœur des médias. Les événements comme Octobre Rose, font revenir chaque année la controverse au cœur des débats publiques, insistant sur la nécessité de participer au dépistage organisé par l’état.
Il y a eu d’autres exemples d’événements qui ont contribué à une grande sensibilisation des femmes à cette problématique. Entre autres, la double mastectomie d’Angelina Jolie (mai 2013) a fortement médiatisé la notion de prévention au cancer du sein. D’après un communiqué publié dans la revue médicale Breast Cancer Research, entre janvier 2014 et juin 2015, 83 mastectomies préventives ont été pratiquées contre 29 entre janvier 2011 et juin 2012, ce qui est une conséquence directe de l’annonce de l’actrice.
Dans le chapitre [de la brochure de l’InCA], le surdiagnostic est minimisé.
[…] Les toutes dernières estimations sont largement au-delà de ce qu’invoque l’InCA qui nous parle de 20%.
[…] La dernière étude sur la population trouve un surdiagnostic qui est vraisemblablement autour de 50%
Cécile Bour
L’idée c’est de travailler vraiment sur l’information et la rénovation de l’information.
Nathalie Catajar
MALGRÉ LES RECOMMANDATIONS DE L’ETAT, CHAQUE MÉDECIN PEUT CONSEILLER DIFFÉREMMENT SES PATIENTES
Chaque patiente désirant se faire dépister ou étant dans le besoin d’informations à ce sujet peut, en dehors du programme de dépistage, consulter son médecin gynécologue. Celui-ci a alors la possibilité d’indiquer à sa patiente un radiologue pouvant réaliser la mammographie.
A l’échelle nationale, les gynécologues se sont positionnés comme favorables au dépistage organisé. « La fonction de l’INCa est de porter des messages scientifiques et de les faire relayer par les différents acteurs » explique Nathalie Catajar. L’idée serait donc de faire relayer par la société savante de gynécologues les atouts du dépistage organisé auprès des gynécologues.
Les recommandations gouvernementales sur le dépistage organisé du cancer du sein sont cependant loin de faire l’unanimité, même parmi les médecins. Un sondage mené par l’INCa en 2010 a permis d’interroger 600 médecins généralistes sur leur rôle dans l’application du dépistage organisé, et montre que plus de 20% d’entre eux ne sont pas convaincus de son efficacité. Si 60% des médecins interrogés estiment que leur rôle est « indispensable » dans le dépistage, tous sont sensibles aux problématiques de faux positifs et de surdiagnostic. Par ailleurs, la pratique du dépistage est très hétérogène parmi les médecins : si les institutions gouvernementales préconisent que seules les femmes entre 50 et 74 ans soient impliquées dans le dépistage organisé, 45% des médecins avouent l’avoir préconisé avant 49 ans (dont 15% avant 40 ans).
Certains blogs de médecins s’opposent par ailleurs complètement au dépistage organisé et regrettent que leur voix ne soit pas entendue (certains se sentent même « bâillonnés » par les institutions gouvernementales). L’Institut national du cancer intègre de son côté au programme de dépistage organisé un aspect informatif, qui devra, suite à la concertation citoyenne de 2015-2016[17], se renforcer et s’appuyer davantage sur la relation médecin-patiente pour que chaque femme agisse en toute confiance.
LES ETUDES SCIENTIFIQUES SE CONTREDISENT
Les études scientifiques sont relativement contradictoires quant à l’évaluation de l’efficacité du dépistage et présentent des chiffres très divers.
La première cause du manque de cohérence des chiffres est que chaque étude a sa méthodologie propre. Ainsi le chiffre d’une étude n’a de cohérence que dans le cadre des hypothèses qui ont été faites pour l’obtenir, et même au-delà, ces chiffres sont souvent interprétés de manières très diverses par les différents acteurs.
En effet, dans le cas du cancer du sein, il n’existe pas réellement de population vierge. C’est pourquoi les études se basent sur des modèles mathématiques, qui induisent nécessairement des biais, selon la manière dont l’algorithme fonctionne.
Par ailleurs il est impossible de mesurer le surdiagnostic à l’échelle individuel, seul l’épidémiologiste peut identifier qu’il existe un surdiagnostic en remarquant notamment que, bien que le nombre de cancers détectés ait fortement augmenté, et particulièrement la proportion de cancers in situ (qui est passé de 5% à 10-15%), la mortalité par cancer du sein n’a elle quasiment pas variée (elle demeure entre 11 000 et 12 000 femmes par an).
Enfin chaque étude a ses spécificités et les résultats varieront en fonction de la taille de l’échantillon, de sa moyenne d’âge, du pays considéré, de la durée de l’étude et de bien d’autres paramètres. Tout cela fait qu’il est difficile pour les professionnels de santé mêmes de savoir à quel chiffre se fier.
Soumettez-vous au dépistage organisé.
Paul Landais, épidémiologiste
Je ne peux pas accuser les médecins d’être vénaux et de prescrire le dépistage pour avoir une prime. Mais […] c’est effectivement un problème qu’il y ait une rémunération aux objectifs de santé publique si on prescrit le dépistage
Cécile Bour
La mortalité de ce cancer a globalement diminué de 1,5 % par an entre 2005 et 2012. Ceci est lié en partie à la précocité des diagnostics, ainsi qu’aux progrès de la prise en charge thérapeutique.
INCA
Le dépistage organisé n’a pas fait diminuer la mortalité, les chiffres sont indiscutables. Le cancer du sein existe et il tue toujours le même nombre 10 000-12 000 femmes par an.
Bernard Duperray