Une question collective ou individuelle ?

 

Dans l’organisation, il y a une dimension individuelle, mais il y a aussi une dimension collective, c’est-à-dire qu’on recueille l’ensemble des résultats des mammographies de France, et on travaille à partir de ces résultats sur l’évaluation du programme.
Nathalie Catajar

UNE FEMME EST SAUVÉE POUR 3 FEMMES TRAITÉES INUTILEMENT

Participer au dépistage organisé par les institutions publiques c’est privilégier le collectif.

En promouvant le dépistage organisé, les organisations publiques et les associations comme Octobre Rose font appel à la solidarité citoyenne. Participer, c’est en effet améliorer le programme actuel et ses algorithmes, c’est aussi bénéficier d’un bilan de diagnostic immédiat lors de la mammographie, et éviter de revenir en cas de doute. « Dans l’organisation, il y a une dimension individuelle, mais il y a aussi une dimension collective, c’est-à-dire qu’on recueille l’ensemble des résultats des mammographies de France, et on travaille à partir de ces résultats sur l’évaluation du programme. » explique Nathalie Catajar.

Il est vrai que le fait de ne pas savoir si des lésions cancéreuses évolueront en cancer implique qu’entre 3 et 10 patientes (selon les sources) seront surdiagnostiquées puis traitées inutilement pour une patiente dont la vie sera effectivement sauvée. Cela signifie que, pour chaque vie sauvée, plusieurs femmes pourront être soumises à des irradiations, des traitements hormonaux invasifs aux lourds effets secondaires, sans parler du fardeau psychologique à porter.

Ainsi les institutions publiques et les associations amènent les femmes à cette solidarité citoyenne, c’est à dire qu’elles choisissent que certaines femmes subissent inutilement tous ces traitements si cela permet de sauver d’autres vies. Une étude française publiée en août 2017 [21] interrogeant plus de 800 femmes montre qu’en moyenne, les femmes acceptent 14 cas de surdiagnostic et surtraitement si cela permet de sauver une vie. Actuellement, l’INCa estime « que le surdiagnostic existe mais qu’il reste dans une limite qui pour nous est toujours en faveur du bénéfice du dépistage plutôt que de l’inconvénient. Alors la limite étant … ? »

On peut par ailleurs noter que la France se caractérise par une forte réalisation de dépistage en dehors du programme organisé (dépistage individuel) évaluée à 15 à 20% de la population cible. Comparativement aux autres pays, la participation globale des femmes au dépistage est donc plutôt bonne mais la réalisation hors programme reste problématique car elle ne fait pas bénéficier les femmes de la seconde lecture et qu’il n’est pas possible de l’évaluer pour améliorer le programme organisé.

L’enjeu qui apparait est donc double : affiner les méthodes de détection et de traitement pour limiter le surdiagnostic d’une part, et d’autre part, améliorer l’information auprès des patientes pour que l’aspect collectif soit parfaitement entendu.

D’un autre côté, se faire dépister, c’est aussi s’exposer aux désagréments du dépistage. Des associations de patientes et certains médecins dénoncent des conséquences trop importantes sur les patientes. L’examen de dépistage comporte une mammographie, c’est-à-dire une radiographie des seins, qu’une femme doit réaliser tous les deux ans entre 50 et 74 ans. Elle utilise des rayons X.

« Ce n’est pas un examen anodin, c’est un examen qui peut avoir des effets secondaires. »
Nathalie Catajar

En effet, une mammographie représente une exposition aux rayons X, et de ce fait une certaine quantité de Grey, unité représentant l’énergie d’un rayonnement ionisant apporté à un kilogramme de matière. Or le sein est l’un des organes les plus radiosensibles de l’organisme. Les mammographies à répétition pourraient augmenter le risque de contracter un cancer du sein. D’après le CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer), les cancers radio-induits représentent 1 à 5 décès pour 100 000 femmes réalisant une mammographie tous les 2 ans à partir de 50 ans et 10 à 20 décès si le dépistage débute à 40 ans. Les lésions sont d’autant plus accentuées quand il s’agit de femmes jeunes et à risques ; femmes à qui l’on propose une mammographie dès l’âge de 30 ans.

En dehors de l’irradiation, ces examens génèrent, selon certaines études scientifiques, beaucoup de stress pour les femmes en attente des résultats et dans la peur de la maladie. C’est une conséquence indirecte qui n’est pas précisément mesurable, mais qu’il est nécessaire de garder à l’esprit.

Enfin, un autre effet est à prendre en compte :

« La population féminine subit cet effet Nocebo. »
Cécile Bour

L’effet Nocebo est l’apparition d’effets indésirables bénins, d’origine surtout psychologique, après administration d’un médicament inactif ou qui ne peut lui-même produire ces effets. Il se produit ici suite aux mammographies, et serait déjà observé chez certaines patientes.

D’un point de vue individuel, il est donc aussi important de considérer que ce dépistage à des conséquences sur les femmes, et ne doit pas être pris à la légère.

 

 

QUI ASSUME LA RESPONSABILITÉ ?

 

Bénéficiant de 11% du PIB français, le domaine de la santé propose toujours plus de traitements aux diverses pathologies qui nous menacent. Et l’implication de l’Etat dans les programmes médicaux comme le dépistage du cancer du sein ne fait qu’accentuer la croissance de la médicalisation de la société.

Le cancer du sein est la plus grande cause de mortalité chez les femmes, ce qui a justifié une si grande focalisation sur son traitement de la part des acteurs de la santé publique.  

William Hastled est le premier à considérer fin XIXème que le cancer du sein peut être curable. L’idée est que l’on peut grâce à une procédure chirurgicale, enlever les cellules cancéreuses si celles-ci sont détectées tôt. Depuis, même si les mastectomies ne sont pas pratiquées aussi systématiquement, l’idée qu’un diagnostic précoce sauve des femmes a perduré. Le mouvement de surveillance s’accélère dans les années 80 par les campagnes soutenues de l’American Cancer Society d’un côté de l’Atlantique et de la Ligue nationale contre le Cancer de l’autre, arrive en 1984 avec l’instauration du Breast Cancer Awareness Month qui entend dédier le mois d’octobre au cancer du sein.

Ainsi, toutes les femmes sont devenues des sujets permanents à surveiller pour potentiellement découvrir un cancer du sein. Les populations intériorisent progressivement la nécessité de se soumettre au dépistage quand l’état décide de prendre en main la prévention médicale. C’est en partie le résultat d’un travail médical de construction de ce besoin et l’émergence d’une conviction collective. La détection précoce s’est imposée comme la technique d’excellence de prévention.

Cependant, les campagnes de communication du gouvernement autour du dépistage organisé sont vivement critiquées par certaines associations et blogs, qui y voient un acharnement de la médecine (en complicité avec les hautes autorités de l’Etat) pour contrôler le corps des femmes. Ces opposants considèrent que le dépistage organisé s’inscrit dans la lignée des traitements médicaux qui modifient l’anatomie féminine (pilules contraceptives et leurs effets secondaires, traitements hormonaux contre la ménopause) et le soumettent à des normes sociales absurdes, ce dont les hommes sont exempts.

 

En organisant le dépistage, l’état responsabilise les femmes. Les femmes subissent alors ce « poids » de la responsabilité qui les incite fortement à suivre le dépistage.

Chaque hiver, « Octobre rose » lance une campagne en faveur du dépistage organisé du cancer du sein. Ce n’est pas seulement une campagne de sensibilisation, mais une campagne d’incitation. « Octobre rose » est présent sur tous les médias, dans des communiqués de presse jouant sur la peur, sur l’anxiété qui pousserait toute femme raisonnable à aller se faire dépister. C’est une campagne qui est médiatiquement très visible et dispose de moyens de diffusion à grande échelle.

Pourtant le dépistage n’a rien de formellement obligatoire. Mais en l’organisant au niveau national, l’Etat accomplit son rôle de prévention, laissant aux femmes le choix de suivre le dépistage ou non. Dans ce cas, la femme devra seule assumer son choix. Il apparaît donc que si elle ne se fait pas dépister et qu’elle est victime d’un cancer du sein, cela lui sera reproché par le corps médical.

De manière générale, il n’est pas très bien vu de remettre en question un dispositif de santé publique, qui par essence cherche à améliorer la santé des gens, et qui prouve, chiffres à l’appui, son efficacité. Que l’on soit femme ou médecin, on s’expose à des accusations graves si l’on remet en question les bénéfices de la mesure de santé publique. Pourtant beaucoup de femmes et de médecins (généralement radiologues) ne contestent pas l’intérêt premier du dépistage, ils cherchent simplement à remettre en question les bénéfices finaux de sa systémisation. Le climat de ces discussions est souvent très tendu, ce qui entrainent plusieurs femmes ou médecins à penser que les institutions publiques enlèvent un droit fondamental de la femme, qui est celui de choisir librement.

Les femmes revendiquent aujourd’hui le droit, via des associations et des blogs, de pouvoir faire un choix qui ne soit pas biaisé par un manque d’information, une surmédiatisation, ou des intérêts financiers et politiques sous-jacents à l’organisation du dépistage. Ce droit leur semble d’autant plus vital que les conseils qu’elles reçoivent dans le corps médical sont souvent très différents et peuvent se contredire.

Dans tous les pays où vous avez le dépistage du cancer du sein, vous avez un taux de mastectomie qui augmente.
Cécile Bour

On va créer des populations affolées qui vont vivre dans la terreur du cancer.
Cécile Bour

Dans le cadre du plan de rénovation, il y a tout un projet, tout un axe sur justement l’accompagnement psychologique des femmes.
Nathalie Catajar