Acteurs

Cette page vise à présenter les différents acteurs de la controverse. On peut y naviguer de trois manières différentes : soit en cliquant sur l’un des acteurs en photo ci-dessous, soit cliquant sur un lien lors de la navigation sur le site, soit enfin en lisant d’une traite la présentation de l’ensemble des acteurs.

Cette description organise les acteurs en différentes catégories. Pour chaque regroupement, un, deux ou trois des individus notables qui la composent sont présentés afin, sans jamais prétendre à une quelconque homogénéité de la catégorie, d’en faire transparaître certaines idées directrices, et d’en présenter les figures contemporaines.

Pour chaque acteur, les termes utilisés sont en concordance avec son opinion. Ainsi,  les descriptions portant sur les acteurs anti-abolitionnistes emploient les expressions TdS, acronyme de Travailleurs du Sexe, et clients, alors que celles des acteurs abolitionnistes ou neutres utilisent les mots prostituées, victimes de la prostitution et prostitueurs.

Les Abolitionnistes

Les Anti-abolitionnistes

Présentation des acteurs

Les Abolitionnistes

Les abolitionnistes se battent pour l’abolition de toute forme de réglementation concernant et tolérant la prostitution. Pour eux, les termes “libre choix” et “volontaire” n’ont pas de sens dans la mesure où la plupart des prostituées vivent dans des conditions de précarité économique.

1. Les associations et les anciennes prostituées abolitionnistes

Le Mouvement du Nid est une association qui revendique sous formes d’actions et de publications sa vision de la prostitution comme un viol banalisé, dont le client prostitueur soulage sa conscience par l’argent donné avant la passe. Cet argent donnerait l’illusion d’un échange équilibré là où n’existerait qu’un rapport de force. Cette association regroupe des journalistes abolitionnistes ainsi que des anciennes prostituées, qui aujourd’hui se battent pour l’abolition. Le médium principal de publication du Mouvement du Nid est Prostitution et société, le journal en ligne du Mouvement du Nid, dans lequel des articles y recensent leurs positions politiques et leurs arguments abolitionnistes.

Une des figures principales parmi celles qui se revendiquent « survivantes » de la prostitution, Rosen Hicher s’est elle-même prostituée pendant 22 ans. Elle a récemment réalisé une marche à travers la France et l’Allemagne pour aller à la rencontre des “marcheuses” des régions qu’elle traverse.

Zéromacho est une association féministe uniquement composée d’hommes militant pour l’abolition de la prostitution mais aussi plus généralement pour l’égalité des sexes. Elle se place du point de vue du client et de l’aspect moral qui l’incombe lorsqu’il paie pour du sexe. Cette association milite donc pour la responsabilisation du client et sa pénalisation. Elle pose aux client de la prostitution la question de la raison profonde qui les pousse à donner une valeur marchande à l’acte sexuel. Son porte-parole, Frédéric Robert, décrit ses actions comme capitales dans sa vie car elles lui permettent de se questionner et de se connaître.

Frédéric Robert a fondé l’association ZéroMacho en 2012 avec une dizaine de collègues — tous des hommes. L’idée de ce projet leur avait été soufflée par une amie commune, Florence Montreynaud, créatrice de l’association féministe Les Chiennes de garde. Frédéric Robert témoigne d’une réelle évolution dans sa vision de la prostitution. « Au départ, avant d’y réfléchir, j’avais la pensée « habituelle » de beaucoup de gens : je me disais, elles font ce qu’elles veulent, chacun.e est libre. Mais depuis ma pensée a beaucoup changé : je pense que cette institution prostitueuse est à l’origine de beaucoup de violence, qu’elle soit physique ou mentale. Elle a un impact symbolique très néfaste sur l’image de la femme dans notre société. Je ne veux pas que mon fils grandisse dans une société où il peut acheter une femme. Je sais qu’on ne parle pas d’acheter une femme mais d’acheter un service sexuel, malheureusement pour les clients la nuance n’est pas si claire. C’est aussi très malsain pour le client d’aller aux putes, c’est pour eux aussi que l’association ZéroMacho existe. »

A.N.A. (Avec Nos Aînées) est une association destinée aux prostituées âgées, souvent les plus isolées et les moins visibles du milieu. Elle permet de les accompagner dans leur parcours de sortie et dans leurs démarches médico-sociales mais surtout à briser la solitude dont elles sont les premières victimes dans le milieu. En effet, certaines prostituées, qui n’ont jamais été reconnues comme des travailleuses, sont contraintes de continuer malgré leur âge afin de subvenir à leur besoins. L’association vise donc également à trouver un hébergement adapté puisque les maisons de retraite ne sont souvent pas une solution envisageable.

La Fondation Scelles, de son nom complet Fondation Jean-et-Jeanne-Scelles, a pour but d’agir sur les causes et les conséquences de la prostitution en vue de sa disparition. Elle estime que la prostitution est une atteinte aux droits humains d’égalité, de dignité ainsi qu’une source de violences sociales et personnelles. Créée en 1993 par Jean Scelles et Jeanne Scelles-Millie, elle est reconnue d’utilité publique depuis 1994. À tendance fermement abolitionniste, elle gère une immense base de données de documents traitant de l’exploitation humaine et de la prostitution dans le monde. Son action est multiple : recherche, conférences de sensibilisation, tables rondes avec des élus, publication de rapports et des états des lieux de la prostitution dans le monde. Ses deux derniers rapports sont : –      Rapport mondial sur l’exploitation sexuelle dans le monde de 2014, visant la corruption, l’énormité des revenus générés et l’organisation des réseaux de recrutement –      Le rapport Système prostitutionnel, Nouveaux défis, Nouvelles réponses, paru en juin 2019, dénonce le rôle nouveau d’internet dans la prostitution.

2. Les sociologues et philosophes abolitionnistes

Éva Clouet, sociologue qui a travaillé en 2006 sur la prostitution étudiante, souligne notamment l’aspect toxique que peut avoir cette activité sur la vision de soi. Elle met en garde contre le phénomène de valorisation par l’argent, pouvant agir selon elle comme une addiction. Elle explique : « Un certain nombre de femmes de mon panel avaient des attentes sur l’amour et la sexualité. Elles avaient des plans cul, mais elles étaient déçues car il n’y avait pas de rapport humain. Certaines me disaient : « J’avais le sentiment  de ne pas être respectée, ni courtisée. » Alors que dans la prostitution oui. Il y a en effet toute une démarche de sélection, et le client donne 150, 200 euros : il y a une valorisation par l’argent. Par ailleurs, certaines étudiantes ont des clients plus âgés, qui peuvent être mariés, avoir de l’expérience professionnelle, qui vont leur parler d’art, de cinéma, de voyages… C’est un transfert de capital culturel et social. Ils peuvent aussi leur apporter du réseau, pour leurs stages et leur futur emploi. »

3. Les cliniciens et acteurs de la santé

Anne-Marie Fabre est infirmière et auteure d’une étude sur la prostitution étudiante. Elle relève l’apparition de troubles psychologiques et de dépressions suite à l’activité de prostitution, troubles qu’elle analyse comme conséquences psychologiques d’un rapport de force déséquilibré avec un homme souvent bien plus âgé. La situation de domination physique, sociale, psychologique, morale et économique que les prostituées ont parfois vécu pendant l’acte sexuel ne peut être rééquilibrée par l’argent. Anne-Marie Fabre liste également les facteurs qui peuvent pousser certains étudiants à se tourner vers la prostitution, et les conséquences de celle-ci sur leur équilibre mental. Selon l’infirmière, les facteurs initiaux sont principalement d’ordre psychologique et économique : un sentiment de dévalorisation dans l’enfance, une déscolarisation, un éloignement de la famille, la précarité économique, etc.

Ingeborg Kraus est une psychothérapeute allemande militante pour l’implantation des lois suédoises en Allemagne. Fin 2014, elle a rédigé un appel, Traumathérapeutes contre la prostitution qui a rassemblé de nombreuses signatures. Elle y établit le lien entre prostitution et traumatisme, expliquant que celle-ci n’est pas un travail normal pour la plupart des prostituées. Elle fait partie des personnages politiques majeurs en faveur de l’abolition, s’opposant à la tendance globale qui penche en faveur d’un assouplissement des lois en Allemagne.

4. Les journalistes, essayistes et écrivains engagés

Mona Chollet, journaliste et essayiste, exprime dans plusieurs écrits le danger de présenter le travail sexuel comme un travail “comme un autre”, et de comparer la prostitution à la “location des bras” d’un travailleur en usine. Si une telle différence était possible, affirme-t-elle, il ne devrait y avoir aucune nuance, aussi bien au niveau législatif que psychologique, entre casser le bras d’une personne et la violer. La journaliste affirme que cette dualité cartésienne entre le corps et l’esprit est trop ancrée dans les esprits pour que la comparaison avec les travailleurs d’usine soit recevable.

5. Les acteurs politiques

Le projet de loi visant «à responsabiliser les clients de la prostitution et à renforcer la protection des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme», voit le jour en octobre 2013. Il est notamment porté par les personnages politiques suivants, qui défendent une position abolitionniste sur la prostitution.

Maud Olivier commence à s’investir contre la prostitution pendant son mandat au Conseil Général de l’Essonne. Elle travaille alors avec des associations afin de mettre en place des dispositifs d’accompagnement des prostituées. «Il nous paraissait évident qu’il manquait un volet dans la loi concernant les violences faites aux femmes: celui de lutte contre le système prostitutionnel» explique-t-elle. A la suite du rapport de Danielle Bousquet et Guy Geoffroy sur la prostitution, Maud Olivier se documente pendant une année. Elle voyage en Europe (Suède, France, Suisse) et étudie les différentes situations. Il est alors clair pour elle que la seule solution est d’interdire la prostitution. Elle passe alors d’une démarche plutôt locale qui lui a permis de saisir la réalité d’un sujet qu’elle ne connaissait que très peu jusqu’alors, à une démarche nationale qui aboutira au projet de loi. Elle précise que ce changement d’échelle a été motivé par la prise de conscience de la réalité du terrain : “On ne peut pas rester inactif face à ça”. Maud Olivier a été députée de l’Essonne (2012-2017, PS) et Vice-Présidente de la Délégation pour les droits des femmes et l’égalité entre les hommes et les femmes (2016-2017). Elle a été rapporteure de cette proposition de loi et a écrit un rapport sur lequel celle-ci s’appuie: «Prostitution: Protéger les victimes et responsabiliser la société».

Dans les années 2000, alors que Catherine Coutelle est adjointe au Maire de Poitiers, elle assiste à l’arrivée de prostituées étrangères qui suscite les retours indignés des habitants. «On a tous honte quand on voit les prostituées tout le long de l’avenue de la gare» déclare-t-elle. C’est sa première confrontation au monde de la prostitution, et elle ne comprend pas le phénomène qui est en train de se dérouler. Des maraudes sont organisées pour apporter aux prostituées de la nourriture, des préservatifs mais aussi du réconfort et de la considération. Catherine Coutelle a ensuite été députée de la Vienne (2007-2017, PS) et présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (2012-2014). Elle est co-auteure de la proposition de loi.

Danielle Bousquet a été députée des Côtes-d’Armor (1997-2012, PS) et présidente de la Mission d’information sur la prostitution en France (2010-2011) qui a débouché sur le vote d’une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution. Elle est de plus l’auteure du rapport «Prostitution: l’exigence de responsabilité. Pour en finir avec le plus vieux métier du monde» (2011) avec Guy Geoffroy, ouvrage qui se situe à la base de la proposition de la loi de 2016 qu’elle a également écrit avec le même collaborateur. Elle est aujourd’hui présidente du HCE (Haut Conseil de l’Égalité entre les femmes et les hommes).

Guy Geoffroy a été député de la Seine et Marne (2002-2017, LR), co-auteur du rapport avec Danielle Bousquet et auteur de la proposition de loi.

La vision de la prostitution de ces quatre personnages politiques et leur volonté d’y mettre fin s’appuie sur trois arguments majeurs: la prostitution est avant toute chose une violence contre les femmes. Par conséquent, la prostitution librement choisie n’existe pas et il n’y a alors pas lieu de parler de prostitution libre. Enfin, la prostitution constitue une forme d’exploitation des femmes par les hommes, instrument de la domination masculine. Les prostituées sont donc considérées comme des victimes qu’il faut soutenir et aider, et les clients sont les personnes qu’il faut pénaliser et sensibiliser. On ne peut vendre son corps à un autre, sans en être soi-même affecté. Il faut donc faire évoluer les mentalités, déconstruire les clichés sur cette soi-disant « prostitution heureuse » et continuer de responsabiliser le client. Car quand on veut se battre contre les réseaux, il faut lutter contre ceux qui les financent, et les clients en font partie.

Najat Vallaud Belkacem, ministre du droit des femmes (2012-2014), a soutenu activement le projet de loi de 2016. Sa position s’exprime clairement à travers sa déclaration à l’Assemblée en 2013: « La question n’est pas de savoir si nous voulons abolir la prostitution – la réponse est oui – mais de nous donner les moyens de le faire». Elle s’engage officiellement en faveur de la loi et lui apporte un soutien important dans ce discours percutant.

Les Anti-abolitionnistes

1. Les prostituées militantes

Strass

Le Syndicat du TRAvail Sexuel (STRASS) est un organisme composé principalement de travailleurs du sexe mais aussi de juristes, de travailleurs sociaux et de sociologues. Ce syndicat revendique la liberté des individus à exercer le métier de travailleur du sexe, il demande aussi l’application du droit commun à toutes les travailleuses du sexe. Fondé en 2009 en France par des travailleuses du sexe lors des Assises européennes de la prostitution, qui étaient alors en cours à Paris, le STRASS se présente comme porte-parole des TdS, selon eux trop souvent considérés comme des victimes, dont la parole aurait moins de valeur que celle de spécialistes pourtant moins directement concernés. Les membres du STRASS affirment se battre contre une politique d’Etat jugée prohibitionniste, qui résulte en des dispositions répressives entravant non seulement l’activité des TdS mais aussi leur sécurité financière, physique et psychologique. Le STRASS a trois revendications principales :

  • Milieu fiscal : Le STRASS affirme que malgré le paiement d’impôts sur le revenu et de cotisations sociales, les aides sociales ( prestations sociales,  retraite, etc.) accordées aux TdS sont peu nombreuses et devraient donc être développées.
  • Situation irrégulière et droits : le STRASS demande une protection efficace des TdS, en particulier  étrangères et/ou en situation irrégulière et/ou mineurs contre l’esclavage sexuel.
  • Législation : le STRASS demande l’annulation des dispositions sanctionnant spécifiquement le proxénétisme. En effet, ces articles du code pénal, censés protéger les TdS de la traite, rendent aussi difficile le travail sexuel, en interdisant aux TdS le droit de s’organiser entre elles (comme par exemple de partager un lieu de travail) ou de recevoir une aide extérieure (tel que vivre au sein d’une colocation). Ces dispositions ont aussi pour conséquence de mettre en danger les proches des TdS, en les accusant de proxénétisme s’ils bénéficient d’une manière ou d’une autre des revenus des TdS. Cette dernière situation contribue de façon majeure à l’isolement des TdS, dont témoigne le STRASS de façons récurrentes.
Plusieurs figures de la prostitution militante font ou ont fait partie du STRASS, telles que Marla, Thierry Schaffauser ou Morgane Merteuil.

Marla est une travailleuse du sexe qui exerce depuis 2010 le métier de prostituée après des études en sciences politiques. Elle communique régulièrement sur sa vision de la prostitution comme un travail à part entière et possible vecteur d’épanouissement personnel. Elle réfute les clichés véhiculés par une méconnaissance de la profession et s’oppose fortement au discours abolitionniste, qui considère la prostitution comme une violence et une atteinte à la dignité des personnes.

Thierry Schaffauser est travailleur du sexe depuis 20 ans et militant syndical français. Il est à l’origine plusieurs groupes militants (tel que le groupe “Putes”) et actions militantes. Il a tenu des rôles majeurs au sein d’associations britanniques et françaises, notamment Act-up et le STRASS.

Morgane Merteuil est une travailleuse du sexe militante. Elle revendique son choix de métier comme “contraint”, motivé par des difficultés économiques, tout en insistant néanmoins sur les similitudes de ce choix avec le choix contraint des travailleurs dans les usines ou tout autre milieu de travail épuisant au niveau physique et mental.

2. Les sociologues et philosophes militants

Elisabeth Badinter est une philosophe qui s’oppose radicalement à l’argument d’assimilation entre la prostitution à l’esclavage. Selon elle, la prostitution est la mise à disposition d’un corps à des fins sexuelles, de manière limitée dans le temps et surtout de façons consentie et rémunérée, à condition de ne pas être prisonnière d’un réseau. Sans jamais nier l’existence d’une prostitution esclavagiste et des réseaux, elle regrette la réduction de toutes les TdS à l’état de victime n’ayant aucun moyen de contrôler leur sort. Elisabeth Badinter revendique l’existence des “indépendantes” et des “occasionnelles”, des femmes choisissant librement la prostitution comme complément de ressources. Leur interdire d’utiliser leur corps comme elles le souhaitent, sans restriction, s’opposerait aux droits fondamentaux reconnus à chaque être humains, et nierait les acquis féministes de la libre disposition du corps. La philosophe reconnaît défendre les droits d’une minorité parmi les TdS, les consentantes, mais affirme que ces opinions ne concernent pas une affaire de quantité mais de principes.

Milena Jaksic est Chargée de Recherche au CNRS en sociologie. Elle dévoile et dénonce l’orientation des débats parlementaires qui ont eut lieu entre 2013 et 2016 autour de la proposition de loi, menés essentiellement par des abolitionnistes convaincus qui ont diffusé leur vision de la prostitution à toute l’Assemblée. Elle propose dans son article «Droits des femmes ou femmes sans droit?» une analyse des débats parlementaires en question. La loi du 13 avril 2016 a consacré l’intégration du cadre abolitionniste au féminisme d’État en France. L’analyse des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat souligne ainsi que ce sont les parlementaires insérés dans les institutions étatiques de défense de la cause des femmes qui ont porté et défendu cette loi promulguée au nom des droits des femmes. Mais si les personnes prostituées, perçues avant tout comme des femmes migrantes sans titre de séjour, sont des victimes à protéger, la loi ne leur offre finalement que des droits limités, voire aucun droit si elles ne s’engagent pas à cesser leur activité. De ce point de vue, la prise en charge de la question prostitutionnelle par le féminisme d’État met en évidence la conception historiquement et socialement située des droits des femmes qui est défendue. Le débat parlementaire autour de la prostitution agit ainsi comme un puissant révélateur de la fragilité et de la faible autonomie de la cause des femmes au sein de l’État.

Lilian Mathieu est un sociologue spécialiste du domaine de la prostitution. Il nuance dans certains écrits le réductionnisme psychologique habituel, qui consiste à percevoir la prostitution comme le résultat forcé d’un passé déviant ou de traumatismes tels que des abus sexuels. Ces écrits soulignent que certains individus choisissent de se prostituer pour éviter d’autres activités jugées plus dégradantes et moins rémunératrices, une pensée que semble illustrer Morgan Merteuil.

Marie-Elisabeth Handman, maîtresse de conférence à l’EHESS, travaille sur la prostitution depuis 2002 et a participé à l’écriture de «La prostitution à Paris», longue enquête sociologique menée en 2005. Cette dernière explore la diversité des types de prostitution dans la capitale, les ambiguïtés du statut abolitionniste de la prostitution en France, les dommages causés par la Loi de sécurité intérieure du 18 mars 2003 en matière de sécurité des prostituées et de recours des victimes de réseaux, ainsi que le retournement dans la passe, chez les prostituées traditionnelles, de la domination masculine. Elle prend position dans le débat généré par la loi de 2016 et est interviewée en 2013 par Atlantico concernant le modèle suisse «Prostitution : ceux qui en France prônent la pénalisation des clients ont-ils conscience que la Suède en fait un bilan mitigé ?». Elle s’oppose à Najat Vallaud-Belkacem concernant la dignité des femmes. Selon elle, il est faux de penser que tout acte sexuel tarifé porte atteinte à la dignité des femmes. Cela n’empêche pas de lutter contre la prostitution forcée, mais l’amalgame entre prostitution forcée et prostitution libre est, quant à lui, une véritable atteinte à la dignité des femmes.

3. Les écrivains engagés

Virginie Despentes est une écrivaine qui, aux noms de principes féministes et de droit à la  libre disposition de son corps, soutient le droit à la prostitution. Elle présente la volonté abolitionniste comme un refus de laisser une femme s’enrichir, et acquérir ainsi un pouvoir symbolique, grâce à ce pourquoi elle a longtemps, et est toujours, stigmatisée : son corps, son genre et, si le mot a encore un sens aujourd’hui, sa féminité. “C’est le contrôle exercé sur nous qui est violent, cette faculté de décider à notre place ce qui est digne de ce qui ne l’est pas.” (King Kong Théorie) Dès ses premiers écrits, Despentes met en lumière des tabous liés au corps féminin et à sa chosification implicite. Cependant, c’est dans son essai King Kong Théorie (2007) que Despentes s’exprime réellement sur le sujet de la prostitution, en réclamant une reconnaissance des identités derrières les genres, un respect des choix individuels et une liberté totale à disposer de son corps : “Ce qui est irrecevable [par la société], ce n’est pas qu’une femme soit matériellement gratifiée de ce qu’elle satisfait, le désir d’un homme. C’est qu’elle le demande explicitement.” L’auteure réalise une comparaison entre la prostitution et le mariage : “Si le contrat prostitutionnel se banalise, le contrat marital apparaît plus clairement comme ce qu’il est : un marché où la femme s’engage à effectuer un certain nombre de corvées assurant le confort de l’homme à des tarifs défiant toute concurrence. Notamment les tâches sexuelles.” Virginie Despentes dénonce de plus une vision des TdS comme inaptes à décider de leurs modes de vie et de travail : “Aucune femme ne doit tirer bénéfice de ses services sexuels hors le mariage. En aucun cas elle n’est assez adulte pour décider de faire commerce de ses charmes. Elle préfère forcément faire un métier honnête. Qui est jugé honnête par les instances morales. Et non dégradant. Puisque le sexe pour les femmes, hors l’amour, c’est toujours dégradant.” NB: Il est nécessaire, même si redondant, de rappeler que l’auteure s’exprime uniquement dans le cadre d’un travail sexuel consentie par la travailleuse, et exclut des revendications de légalisation tout esclavage sexuel. Tous les acteurs anti-abolitionnistes revendiquent leurs demandes au sujet des TdS consentants, et en général leurs arguments prennent aussi en compte les meilleurs moyens, selon eux, d’abolir toute forme de traite et d’esclavage sexuel.

3. Les cliniciens et acteurs de la santé

Médecins du Monde est une ONG médicale de solidarité internationale, qui s’est plusieurs fois prononcée en défaveur de la loi de 2016 (pénalisation des clients). Plusieurs de leurs enquêtes témoignent que la pénalisation des clients n’empêche pas les TdS de travailler mais diminue le nombre de leurs clients et dégradent leurs conditions de travail. Ces deux points ont des impacts directs sur leur santé, leurs droits et leur sécurité. Par exemple, MdM affirme que le nombre restreint de clients pousse les TdS à restreindre certaines exigences sanitaires auparavant indiscutables, telles que l’utilisation de préservatifs. Ainsi la propagation de MST est plus probable chez les TdS et dans le reste de la population.