Que signifie légaliser et pénaliser dans le cas de la prostitution ?

Dans l’essentiel des pays, la prostitution est encadrée par la loi. La France, a un positionnement abolitionniste sur le sujet, c’est-à-dire qu’elle s’oppose à sa pratique. Or, certains jugent cette loi injuste, quand d’autres voudraient la voir se prolonger par des nouvelles actions encore plus drastiques. Cette page propose de présenter une partie représentative du paysage législatif de la prostitution en France, d’abord par un état des lieux, puis par la présentation des deux principales idées qui émanent du débat prostitutionnel.

Législation actuelle

La législation française est issue d’une longue succession de textes qui matérialisent le regard changeant de la loi sur la prostitution. Actuellement, la prostitution est essentiellement régie par la loi de 2016 dite de pénalisation du client. Cette loi a été menée par les députés Danielle Bousquet, Guy Geoffroy, Maud Olivier et Catherine Coutelle.

La loi de 2016

Même si elle est souvent restreinte à la pénalisation du client, la loi de 2016 se divise en quatre parties : la lutte contre le proxénétisme, l’accompagnement des personnes prostituées, l’éducation et enfin la pénalisation du client.

  • Le volet sur la lutte contre le proxénétisme adapte ce combat à la société moderne, notamment en prenant plus en compte la prostitution en ligne.
  • Le volet d’accompagnement des personnes prostituées propose des parcours de sortie de la prostitution : il inclut le droit de rester sur le territoire français, et l’obtention d’une petite somme de l’ordre de 400 euros (mais qui reste loin des 560 euros du RSA ; la peur de générer une immigration non désirée a empêché d’atteindre ce seuil financier). Aujourd’hui, ce sont à peine 180 parcours de sortie qui sont ou ont été menés en France. Malheureusement il n’y a, selon Catherine Coutelle et Maud Olivier pas suffisamment de fonds pour en ouvrir d’autres.
  • Pour ce qui est de l’éducation, des stages de sensibilisation aux frais des clients sont réalisés. Mais est aussi souhaité une sensibilisation des jeunes à la réalité de la prostitution afin de former des citoyens avertis de cette problématique importante de notre société. Pour les députés ayant promu cette loi, ce combat rentre dans la continuité du combat contre le harcèlement.
  • Le dernier volet, sur la pénalisation du client, est le plus connu; il abroge la loi de 2003 qui condamnait le racolage passif. Il est souvent décrit comme actant un “transfert de la charge pénale”. En effet, alors que c’était la prostituée qui était auparavant condamnable dans sa recherche provocatrice de clients, c’est désormais les clients eux-mêmes qui sont pénalisés lorsqu’ils achètent un rapport sexuel auprès d’une prostituée.
 

Cette loi sur la prostitution a mis trois ans à être adoptée, car elle a en effet suscité de fortes résistances au Sénat qui ont ralenti de façon notable la progression du projet de loi. Selon Maud Olivier et Catherine Coutelle, le Sénat s’y opposait en se basant notamment sur une vision biaisée des escort girls qui, d’après eux, faisaient cette activité par choix. De manière générale, selon la sociologue Milena Jaksic cela est dû à une forme de féminisme d’état qui obstrue ce débat comme beaucoup d’autres dans notre société : les lois votées ne reflètent pas l’avis de la majorité.

« Pour une nuit à l’hôtel, on accepte désormais le sans capote. »
Juan
Travailleur du sexe

La mise en place de la loi

 

Cette loi s’est cependant heurtée à l’opposition de certaines associations comme Médecin du Monde ou le STRASS. Selon eux, elle risque de mettre encore plus en danger les prostituées. Ils s’y opposent d’ailleurs toujours en mettant en avant les mêmes arguments : les conditions de travail des prostituées se seraient fortement dégradées depuis 2016. Ainsi, Thierry Schaffauser, membre du STRASS, affirme que si cette loi a permis le transfert de la charge pénale, ce transfert s’est accompagné d’une inversion des rapports de force. Les clients étant plus à risque, ils sont moins nombreux, et les clients restants peuvent utiliser cette situation pour forcer les prostituées à accepter ce qu’elles refusaient autrefois. “Pour une nuit à l’hôtel, on accepte désormais le sans capote” explique Juan, travailleur du sexe. Malgré cette inversion de la charge pénale, il n’est pas dans l’intérêt d’une prostituée de porter plainte contre un client violent. Thierry Schaffhauser donne l’exemple d’une hôtesse de salon de massage qui se fait agresser : en allant porter plainte, elle risque la fermeture du salon de massage et donc la perte de son emploi.

 

Pour faire passer cette loi, les auteurs ont eu besoin de soutien actif du collectif d’associations “Abolition 2012” incluant notamment Zéromacho et Le mouvement du Nid. Ce collectif a pu fournir des études et des témoignages pour infléchir certaines opinions et contrecarrer des études opposées à la loi, explique Maud Olivier. La députée prend notamment l’exemple d’une étude publiée par Médecin du Monde. Cette étude, qui n’avait été vérifiée que par Médecins du Monde eux-mêmes concluait sur la nécessité de s’opposer à la loi. La députée s’oppose à cette étude et affirme qu’elle présentait des erreurs de raisonnement, certains chiffres étant pris au Royaume-Unis et d’autres non par exemple. Le Mouvement du Nid a dû faire une contre-étude pour démonter celle de Médecins du Monde. On entrevoit ici une autre caractéristique de cette controverse : il est difficile d’obtenir des données factuelles et la vérité est souvent difficile d’accès.

« Si on a le droit de dire des gros mots à votre magnétophone, je pense que [cette loi] est la plus grande des conneries qu’on puisse imaginer. »
Marie-Elisabeth Handman
Ethnologue

Un bilan mitigé

 

Le bilan actuel de la loi est également très partagé. D’un côté, les membres du STRASS ou du Bus des Femmes considèrent que le bilan est “100% négatif”. En effet, ils reprochent la recrudescence des IST et de violences envers les prostituées, phénomènes qu’ils observent directement sur le terrain. Une étude de Médecin du Monde, menée entre 2016 et 2018, va dans le même sens : elle tend à montrer que cette loi a entraîné une baisse de revenu et du nombre de client chez les prostituées augmentant ainsi la précarité de leur situation.

Le STRASS est aussi très critique du parcours de sortie proposé par la loi, ils pointent notamment du doigt sa trop faible rémunération compensatrice. Un représentant du syndicat affirme à ce propos : “C’est une arnaque de première, on sort de la prostitution et on doit vivre avec 300€ par mois”. Ce défaut serait selon eux susceptible de contraindre celles qui souhaitent arrêter à un retour dans la prostitution pour des raisons financières. De plus ils avancent que le processus de sortie est difficile d’accès, surtout pour les prostituées clandestines qui ne maîtrisent pas la langue, bien que celles-ci ne soient pas la première cible du ce dispositifs selon les députés à l’origine de la loi.

Pour Marie-Elisabeth Handman, ethnologue, cette loi est toxique pour les femmes qui se prostituent car elle les met en danger financièrement, socialement et médicalement. Les parcours de sortie de la prostitution sont si mal payés et les formations proposées si peu intéressantes que le volet social de la loi est en fait inefficace et inutile. Elle affirme : “Si on a le droit de dire des gros mots à votre magnétophone, je pense que c’est la plus grande des conneries qu’on puisse imaginer”

D’un autre côté, les députés ayant promu cette loi considèrent que la loi a eu un impact positif notamment dans la mesure où il a permis de changer les mentalités en matière de prostitution, ils se réfèrent à un sondage IPSOS de 2019 qui affirme que 78% des français sont favorables à cette loi. Ils reconnaissent cependant que malgré leurs tentatives, cette loi n’est pas assez efficace contre la prostitution en ligne qui constitue pourtant une part importante de la vente de services sexuels, ils considèrent qu’il pourrait y avoir plus d’actions pour empêcher les sites qui font de la publicité pour les prostituées, certains sites de rencontre par exemple. De plus, ils reconnaissent la difficulté d’accès de ce parcours de sortie aux prostituées étrangères.

Rosen Hicher, autre actrice importante de ce point de vue, est certaine que cette loi va dans le bon sens, celui de l’égalité homme-femme, même si elle reconnaît qu’elle est à améliorer dans sa mise en application.

Ces deux groupes se rejoignent sur un point, la loi n’est pas appliquée dans sa totalité sur l’ensemble du territoire. En effet, chaque département est chargé de mettre en application la loi, et il existe évidemment des disparités de l’un à l’autre. Par exemple, selon Thierry Schaffauser, l’autorisation de rester sur le territoire présente dans la loi est souvent ignorée par les préfets par crainte d’un “appel d’air” autrement dit, que ça entraîne l’augmentation du nombre de personnes immigrées en France par des réseaux de proxénétisme.

La loi de 2003

Un autre point important de la législation française actuelle est la loi sur le proxénétisme, elle date de 2003 et vise à condamner les proxénètes. Cependant, d’après des membres du STRASS cette loi entrave de manière conséquente tout travail d’aide et d’assistance aux prostituées. En effet, il suffirait d’aider ou d’assister une activité prostitutionnelle pour être considéré comme tel. Par exemple, quelqu’un qui loue un local à une prostituée pour lui permettre d’éviter de se retrouver dans des zones dangereuses est considéré comme proxénète, quelqu’un qui joue le rôle de garde du corps auprès d’une prostituée est considéré comme proxénète, héberger une prostituée est assimilé au proxénétisme, le fils majeur d’une prostituée qui bénéficie d’aide financière de sa mère serait aussi considéré proxénète… Pour ces raisons, cette loi est vivement critiquée par les associations comme le STRASS mais aussi par des sociologues comme Marie-Elisabeth Handman et Lilian Mathieu.

Décriminalisation

Parmi les acteurs souhaitant que la prostitution soit autorisée, on trouve différentes approches.

D’un côté, le STRASS vise une décriminalisation, c’est à dire une abrogation des lois interdisant la prostitution (contre racolage passif ou pénalisation du client). Le but est que le métier de “Travailleur du sexe” soit considéré comme tous les autres métiers avec les garanties sociales qui vont avec, telle que la retraite. Ils veulent que les prostituées soient considérées comme exerçant une profession libérale et s’opposent formellement à ce que des règles particulières s’appliquent à ce métier. Pour eux, il s’agit là d’une extension du droit commun, les prostituées paieraient des impôts mais pourraient vivre de leur activité comme les médecins ou les avocats. L’idée est d’éviter un fichage ou un contrôle par l’État de la prostitution, comme il y a pu avoir au XIXème du temps des maisons closes. Cependant, Thierry Schaffauser reconnaît qu’un tel modèle est difficile mais que c’est le seul souhaitable. Il prend l’exemple de la Nouvelle Zélande qui depuis 2003 applique ce modèle, le statut de travailleur du sexe est celui d’un travailleur quelconque et aucune mesure spéciale ne s’y applique. Leur but est de permettre à quiconque d’exercer ce métier et de gagner sa vie comme tout autre travailleur.

Point vocabulaire

L’abolitionnisme est un courant de pensée revendiquant l’abolition complète de la prostitution, et de toutes formes de réglementation concernant celle-ci. L’abolitionnisme considère les prostituées comme victimes, exploitées par un système prostitutionnel, et refuse leur pénalisation. Le prohibitionnisme, au contraire, vise aussi l’abolition complète de la prostitution mais considère chacun de ses acteurs comme responsables de leurs choix et devant être pénalisés : proxénète, client et prostituée.

« Dans une bijouterie, le voleur n’est pas considéré comme un simple client. Ainsi la violence est comme dans tous les autres métiers punissable et répréhensible. »
Marie-Elisabeth Handman
Ethnologue

De l’autre côté, l’ethnologue Marie Elisabeth Handman considère qu’il existe des femmes qui ne sont pas faites pour la prostitution et qui y sont contraintes pour des raisons financières par exemple, il faut alors à tout prix aider celles-ci à s’en sortir. Mais pour autant, il ne faut pas interdire la prostitution à toutes, ce serait entraver la liberté de toutes celles qui peuvent exercer ce métier de leur plein gré. Elle recommande elle aussi que le métier de travailleur du sexe soit reconnu comme profession libérale et imagine même une école de la prostitution. Elle prend le modèle genevois en exemple, là-bas la police et la justice les encadrent et les protègent. Au sujet des violences qui constituent souvent un argument abolitionniste, elle compare le violeur au voleur : “dans une bijouterie, le voleur n’est pas considéré comme un simple client ainsi, la violence est comme dans tous les autres métiers punissables et répréhensible”. De la même manière, au sujet de la traite, elle compare cela à l’esclavage, illégal et répréhensible. Cependant, pour les adversaires de ce point de vue, une législation qui ne permet pas d’affronter concrètement les violences et la traite n’est pas acceptable dans la mesure où ces atrocités sont malheureusement très présentes.

Au-delà de la distinction pro- ou anti- réglementation, d’autres acteurs et arguments sont en faveur de la dépénalisation. Virginie Despentes par exemple, rejoint l’avis de Mme Handman en ce que la prostitution relève de la liberté de la femme de disposer de son corps. Elles soulignent toutes deux que le métier de travailleur du sexe peut présenter des avantages par rapport à d’autres métiers rabaissants et pénibles comme celui d’ouvrier. D’après l’ethnologue : celles qui sont dans le milieu depuis plusieurs années revendiquent en effet que ce métier a un certain nombre d’avantages comparé aux autres métiers qu’elles ont pu faire (usine, restauration, ménage…). Il leur offre d’après elles une liberté aux multiples facettes : liberté des horaires, liberté du choix du client, liberté des tarifs (même si il s’agit surtout d’une illusion puisque le marché impose les prix), et absence de patron. Beaucoup d’entre elles en sont venues à se prostituer à cause du harcèlement sexuel au travail : pour obtenir une augmentation à leur maigre salaire, il fallait qu’elles couchent avec le patron, et “coucher pour coucher, autant aller au bois” (Handman). Elles sont donc venues à la prostitution parce que c’était un moyen de gagner plus d’argent et d’être plus libres : elles pouvaient continuer à s’occuper de leurs enfants et “aller au bureau” – comme elles disent – aux heures où ces derniers sont en classe ou le soir. C’est donc une grande liberté, contrairement à ce que disent les abolitionnistes.

Quant aux violences et aux mauvaises expériences vécues par les prostituées, certains acteurs comme Milena Jaksic considèrent que c’est aussi le cas, toutes proportions gardées, dans d’autres corps de métier. Elle affirme qu’une grande partie des emplois peuvent mener à des traumatismes et ne pense pas que l’on puisse tout attribuer à l’activité prostitutionnelle. Certains sociologues remettent aussi en question le réductionnisme psychologique habituel, qui consiste à percevoir la prostitution comme le résultat forcé d’un passé déviant ou de traumatismes tels que des abus sexuels. Assurant l’existence de femmes qui se prostituent de leur plein gré comme Marla ou qui ont choisi ce métier par contrainte financière mais sont satisfaites de l’indépendance acquise comme Morgane Merteuil.

L’ensemble de ces points de vue peut être ramené sous le terme “pro-droits” comme le fait Milena Jaksic. En effet, ils ont en commun une volonté de laisser aux femmes une liberté de disposer de leur corps et de leur rendre leur parole et leur libre arbitre. Ils considèrent que la prostitution en soi n’est pas le problème mais que c’est les conditions dans lesquelles elle est exercée qui en sont un.

Pénalisation

Un autre groupe d’acteurs s’oppose lui à une autorisation de la prostitution et milite pour des lois interdisant sa pratique. Cela peut se traduire par des lois comme celle en application aujourd’hui qui pénalise le client mais cela peut aussi être implémenté par des lois punissant les prostituées ou même les deux partis.

Certains comme les députés qui ont promu la loi de 2016 militent pour une abolition afin de lutter contre des conditions de vie qu’elles jugent honteuses, Maud Olivier affirme face à la réalité de la prostitution dans sa circonscription, “On ne peut pas rester inactif face à ça”. C’est aussi le parti que prennent les anciennes prostituées devenues aujourd’hui militantes et plus généralement le Mouvement du Nid. Rosen Hicher par exemple, milite régulièrement pour faire comprendre à tous que les prostituées sont toutes victimes de violence, que ce sont des personnes brisées et piégées dans un système qui les asservit et les rabaisse à l’état d’objets.

Point vocabulaire

Dans l’anti-abolitionnisme, certains courants de pensée diffèrent aussi : les partisans du réglementarisme demandent plus de régulation comme gages de sécurité pour les prostituées, d’autres au contraire sont partisans d’une non-régulation, d’une sorte de vide juridique qui permettrait en théorie aux prostituées de s’organiser entre elles, dans le cadre de milieux de travail autogérés par exemple.

« La dualité cartésienne entre le corps et l’esprit est trop ancrée dans les esprits pour que la comparaison avec les travailleurs d’usine soit recevable. »
Mona Chollet
Journaliste

Un argument majeur des pro-prostitution est le suivant : les violences ne touchent pas l‘intégralité des prostituées et il est nécessaire d’autoriser la prostitution pour permettre à celles qui la pratique de leur plein gré d’exercer paisiblement. Face à cela, l’association Zéromacho ainsi que la journaliste Mona Chollet soutiennent que, pour une fois, il ne faut pas se focaliser sur la petite minorité qui le vit bien mais sur la majorité silencieuse pour qui c’est un calvaire, car on ne peut pas permettre à cette minorité d’exercer sans condamner la majorité souffrante. Les représentants de la Fondation Scelles rejoignent ce point de vue et affirment que, dans la mesure où la traite et les violences représentent une proportion non négligeable de la vente de service sexuels, la prostitution est une atteinte aux droits humains.

D’autres considèrent par ailleurs que la prostitution est une représentation de la domination physique, sociale, psychologique, morale et économique qui peut exister au sein de notre société.

Ces acteurs s’opposent aussi à l’idée répandue de la prostituée dont le métier permet l’émancipation et qui exerce de son plein gré. Catherine Coutelle et Maud Olivier, si elles admettent qu’il doit exister 2 ou 3% de prostituées qui vivent bien cette condition, considèrent qu’une bonne partie de celles qui affirment “bien le vivre” sont en fait biaisées. Les députées citent l’histoire de la lyonnaise Ulla : dans les années 1970-80, cette prostituée revendique haut et fort sur les plateaux télévision son désir d’être reconnue comme travailleuse du sexe, métier qu’elle est fière de faire. Elle organise des manifestations pour demander l’accès à certains droits tels que la retraite ou les arrêts maladie. Dix ans après, elle révèle qu’elle était en fait sous le contrôle d’un proxénète. Elle pose alors la question, indignée : “Comment avez-vous pu me croire ?”.

D’autres comme Anna-Marie Fabre ou Ingeborg Kraus issues du milieu médical affirment que le lien entre prostitution et traumatisme est fort, expliquant que celle-ci n’est pas un travail normal pour la plupart des prostituées. Elles soutiennent que cette condition est souvent source de troubles mentaux comme la dissociation cérébrale. Le corps se met comme en veille lors des passes mais des souvenirs traumatiques reviennent ensuite a posteriori.

Pour mettre en avant le fait que la prostitution est avant tout subie par les prostituées et mettre fin à l’image de l’escort riche et aisée, le Mouvement du Nid ainsi que la majorité des acteurs opposé à une légalisation de la prostitution refusent d’employer le terme “travailleur du sexe” car il laisse entendre que c’est un travail comme les autres et qu’on choisit de l’exercer. Certains comme Rosen Hicher préfèrent le terme “survivantes”.

 

Un autre élément majeur de leur discours est l’argument moral. Pour Eva Clouet qui a travaillé sur la prostitution étudiante, celle-ci est toxique car constitue une valorisation du corps des femme par l’argent ce qui est très nocif pour la vision de soi. Certains vont plus loin et refusent de mettre sur le même plan la vente de services sexuels et la vente d’autres services, car la sexualité est plus intime et donc plus apte à impacter négativement la prostituée. La journaliste Mona Chollet affirme que la dualité cartésienne entre le corps et l’esprit est trop ancrée dans les esprits pour que la comparaison avec les travailleurs d’usine soit recevable. Elle s’oppose ainsi au point de vue des pro-prostitution selon lequel la prostitution peut être un métier comme les autres.

Toujours dans la dimension morale, l’association Zéromacho se place du point de vue du client et souhaite une responsabilisation de ceux ci. Elle pose aux client de la prostitution la question de la raison profonde qui les pousse à donner une valeur marchande à l’acte sexuel.

D’un autre point de vue, Frédéric Robert porte parole de Zéromacho ainsi que Mme Fabre se placent dans un autre mode de pensée : ils imaginent la prostitution autorisée. Il serait alors beaucoup plus simple pour quiconque, ayant par exemple des difficultés financières, de tomber dans la prostitution. Or, pour eux, tout le monde n’est pas fait pour la prostitution ni même au courant de ce que peut entraîner la prostitution. Il y aurait donc un risque accru pour ces personnes de se retrouver prisonnières d’un système qui ne leur convient pas et qui risque de les traumatiser. De l’autre côté du problème, en cas de légalisation de la prostitution, il serait beaucoup plus facile pour quiconque de profiter de services sexuels, mais à cause de la pression sociale ou de la pression des pairs, certaines pourraient se retrouver contraintes dans des situations non souhaitées.

L’ensemble de ces points de vue “abolitionnistes” est vaste mais ils peuvent être caractérisé par une volonté de sortir les femmes prostituées de la violence de leur condition pour des raisons humanistes, sociales et morales.