Si le terme « cathare » est éminemment polysémique, et s’il existe autant de point de vue sur le catharisme que d’historiens ayant étudié le sujet, il est néanmoins possible d’en regrouper un certain nombre sous l’appellation d’historiographie « traditionnelle » du catharisme (Shulevitz 2019) – appellation que ces historiens eux-mêmes rejetteraient probablement. Il s’agit en effet de l’histoire du catharisme telle qu’elle est la plus fréquemment vulgarisée. De plus, l’emploi même du mot catharisme, remis en question par les historiens désignés comme « sceptiques », y fait implicitement référence.

Dans cette lecture de l’Histoire, une partie des mouvements hérétiques apparus dans le Languedoc au début du XIème siècle relèveraient en réalité d’une doctrine religieuse unifiée qui se serait diffusée dans d’autres parties de l’Europe. Cette dernière, qui sera nommée « Catharisme » par Eckbert de Schonau en 1165, trouve ses origines dans le manichéisme antique ou bien dans le bogomilisme oriental. Il est à noter que selon des historiens traditionnels du catharisme tels qu’Anne Brenon ou Jean Duvernoy, la véritable révolution dans l’étude du catharisme à la fin du XXème siècle tient dans la remise en question du caractère manichéiste de la doctrine – et non pas dans l’existence du catharisme lui-même. (Aurell, Brenon, & Dieulafait, 2005) , (Bardy & Hourquebie, 2018).

Un mouvement unifié qui aurait menacé l’Église

Selon ces historiens, le mouvement cathare pourrait être comparé à ce que nous pourrions appeler une sorte de « contre-Église », qui bien que refusant les structures hiérarchiques traditionnelles de l’église et l’usage de lieux de culte véritablement consacrés, n’en possédait pas moins un clergé et des pratiques rituelles communes – tel que le baptême par imposition des mains, le « consolament ». Au sein des petites villes se constituaient des groupes de « Bons hommes » et de « Bonnes femmes », parfois aussi dénommés « Parfaits », qui suivaient les préceptes du catharisme, selon une règle notamment d’équanimité, de non-violence et de végétalisme, tout en vivant en harmonie avec le reste de la population locale. Ils proposaient alors une lecture différente de la Bible que les catholiques. La composante sociale est également à signaler, les premiers cathares appartenant à la petite noblesse : le mouvement a ensuite percolé vers les couches plus populaires. (Bardy & Hourquebie, 2018)

Cette vision des cathares comme non-violents et vivant en paix avec la population rend alors encore plus odieuse la persécution qu’ils subirent ensuite au XIIIème siècle. L’Église lance alors en effet une croisade contre les hérétiques dans le midi, la « Croisade des albigeois », en 1209 pour des raisons certes politiques, mais aussi religieuses, afin d’éradiquer ce mouvement. S’ensuit alors une persécution par l’Inquisition, qui culmine avec le bûcher de Montségur en 1244 ou sont brûlés des Cathares ayant refusé d’abjurer leur foi.

Le catharisme tombe alors dans l’oubli, et le terme de  « Cathare » ne ressurgit qu’en 1848 avec Charles Schmidt dans son ouvrage Histoire ou doctrine de la secte des cathares ou albigeois. L’histoire tragique des cathares inspire ensuite l’occitanisme au XIXème siècle, qui y voit un reflet  de l’opposition entre pouvoir central et identité régionale. De plus, de nombreuses fictions sont écrites autour des châteaux cathares, entre quête du Graal et templiers, ce qui continue à brouiller les pistes : les historiens traditionnels du catharisme eux-mêmes se trouvent aux prises avec une histoire fantasmée. Bien que la méthodologie moderne de l’histoire ait fondamentalement changée par rapport à celle du XIXème, on peut considérer que l’historiographie traditionnelle du catharisme est la lointaine héritière de l’histoire des cathares proposée par Charles Schmidt. Enfin, il est à noter que c’est de cette religion telle que définie par l’historiographie traditionnelle que se revendiquent les mouvements religieux de résurgence du catharisme.