Selon les théories développées par les historiens sceptiques, les ‘cathares’ du Midi de la France n’ont jamais existé en tant que tels. La conception que nous avons d’eux actuellement résulterait d’un amalgame de quelques faits historiques brouillés par l’Histoire, d’une campagne féroce menée par l’Église du Moyen-Âge contre les hérétiques, et d’une romantisation de ces faits plus tardivement dans l’Histoire.
Le fait qu’il y ait eu des hérétiques dans le Midi est considéré comme certains et ne fait actuellement pas l’objets de débats. En revanche, l’organisation des hérétiques en de grands groupes puissants formant une sorte de ‘contre-Église’, ainsi que le caractère dualiste (Théry-Astruc 2016) de leurs doctrines, sont remis en cause. Selon les sceptiques du catharisme, il y a eu, dans le Midi du XIIème siècle, un mouvement constitué de groupes contestataires contre l’Église, mais ils ne formaient nullement un tout cohérent et n’avaient aucune structure interne.
“L’unité religieuse de la société s’en trouve menacée. L’Église la défend par des affirmations doctrinales vigoureuses et par ses efforts considérables pour isoler les dissidents de la communauté. Le discours des clercs fait alors surgir l’hérésie”
Jean Louis Biget, ‘Les Albigeois’, Remarques sur une dénomination, dans ‘Inventer l’Hérésie’ page 227.
L’hérésie dans le Midi, issue de quelques dissidents, ne trouverait donc pas sa source dans un mouvement dualiste étranger tel que le bogomilisme ou le catharisme italien, mais aurait en fait été engendrée par les actions de l’Église.
L’Inquisition, aurait ainsi voulu justifier ses persécutions contre les hérétiques en créant l’idée d’une réelle opposition de ces derniers contre l’Église. En effet, on retrouve une multiplication de rapports de l’Inquisition relatant actions faites contre les hérétiques qui seront plus tardivement appelées de façon générique ‘cathares’. Il nous est aussi parvenu de l’époque des preuves qu’il y a effectivement eu des hérétiques brûlés par l’Inquisition pour leurs croyances. Et là où les historiens du catharisme classique y voient une preuve définitive de la présence d’une réelle organisation dans le Midi, les sceptiques pensent plutôt qu’il s’agit d’une fabrication plus ou moins volontaire (Trivellone 2018). Le catharisme serait donc construit politiquement…
Le rôle du comte de Toulouse :
Avant toute Inquisition ou croisade, le comté de Toulouse regorgeait d’hérétiques. Ceci était une cause suffisante pour justifier l’intervention extérieure de forces politiques parfois opposées au comte. Il est lui-même suspecté d’accueillir et de cacher des hérétiques. Celui-ci voulait donc orienter la Croisade et l’Inquisition loin de ses terres et de lui-même, et pour cela il accuse les comtés avoisinants, notamment ceux d’Albi et de Carcassonne, d’être des foyers d’hérésie dans le Midi. Bien que son plan de s’innocenter aux yeux de l’Église échouera, les persécutions menées contre les hérétiques se déplaceront effectivement vers les régions d’Albi et de Carcassonne, qui deviendront les lieux iconiques liés au catharisme. Cette focalisation sur une région précise est une des raisons pour laquel le catharisme a été vu comme un movement uni et localisé, tandis que ce n’était en fait nullement le cas. (Biget 1998, Trivellone 2018).
L’Église catholique : la principale créatrice du catharisme !
Avec l’idée d’une organisation unie et puissante s’opposant à l’Église, cette dernière disposait d’une raison idéale pour organiser une croisade et pour laisser libre cours à l’Inquisition, dans un pays où manifestement se trouvaient des hérétiques. La présence de dissidents étant déjà confirmée, l’idée aurait surgi presque ex nihilo que la religion catholique était menacée par une contre-Église. Cette croyance fut la toile de fond pour de nombreuses actions de l’Inquisition, qui furent retranscrites dans divers rapports. Les agents de l’Inquisition s’enfoncèrent donc dans le Midi avec la conviction d’y trouver une structure d’hérétiques unis et ils la trouvèrent, grâce à des témoignages tirés sous la torture. La peur de l’hérésie persista dans le Moyen-Âge bien après l’épisode « cathare », et cela ne fit que renforcer l’illusion de l’existence passée d’une organisation d’hérétiques qu’on nommera ‘cathares’. (Moore 2014)
Selon les sceptiques, la théorie selon laquelle le catharisme a vraiment existé en tant que religion ou organisation unie vient donc d’une mauvaise interprétation des sources de l’époque. L’Inquisition aurait exagéré l’amplitude du mouvement. Il y aurait aussi un aspect non-intentionnel : les hommes de l’époque auraient regroupé différents micro-groupes d’hérétiques sous une seule appellation, les ‘Albigeois’. On remarque en effet que de nombreuses sources en dehors de la région d’Albi, notamment au Nord de la France, utilisent ce terme pour se référer de façon générique aux hérétiques du Midi. Cette dénomination n’existe d’ailleurs pas dans les sources provenant de la région en question. Ce fait aurait donné l’illusion aux historiens du XIXème et XXème siècles qu’un mouvement hérétique unique existait alors que ce n’était nullement le cas (Biget 1998).
Avec le temps, les sceptiques du catharisme ont tenté de réfuter la quasi-totalité des arguments avancés par les historiens du catharisme classique. Certains éléments qui étaient considérés comme des preuves de l’existence d’une religion cathare structurée ont ainsi été remis en cause, comme la charte de Niquinta. Un autre exemple est un rapport de l’Inquisition, dans lequel deux mots peuvent se lire ou bien comme in Bulgaria, ou bien comme in vulgaria : c’est-à-dire ou bien comme ‘en Bulgarie’, ou bien comme ‘dans la langue vulgaire’. La première lecture renforcerait l’idée que le mouvement du Midi était lié au bogomilisme comme l’affirment les classiques ; la seconde lecture rend cette liaison plus difficile à établir. (Shulevitz 2019).