II.1
) La prévention
Tout
d'abord, il convient de décrire succinctement les différents
acteurs qui prennent part à la lutte contre la violence routière
par la prévention, puis de décrire les principales
actions menées par eux. Chaque fois que cela sera possible,
nous mettrons en évidence les polémiques et les ambiguïtés
qui ne manqueront pas d'apparaître.
A
) Les acteurs de la prévention
Qui utilise les outils de prévention ?

1)
La Sécurité Routière
L'acteur
le plus important quant aux moyens financiers engagés est le
ministère des Transports, de l'Equipement et du Logement, à
travers la direction de la Sécurité et de la Circulation
routières, plus connue sous le nom de "Sécurité
routière". A titre indicatif, l'effort financier de
l'état consacré à la sécurité routière
s'élève à 1402,5 millions d'euros en 2001, et à
1563,4 millions d'euros en 2002, ce qui représente une
hausse de 4,8% (ce budget prend en compte les fonds destinés
à l'entretien des infrastructures routières, pour voir
le budget réellement destiné à la prévention
routière voir le lien si dessous). Il faut cependant noter que
ces chiffres concernent la sécurité routière au
sens large : crédits accordés sous formes d'emplois publics
ou de subventions, au niveau local aussi bien que national, pour la
prévention et la répression.
Rappel
de l'évolution du budget de la Sécurité Routière
depuis 1991
http://www.securiteroutiere.equipement.gouv.fr/
Le
second acteur de la prévention, c'est un réseau associatif
très important composé de multiples associations dont
la taille et les motivations sont diverses.On compte notammment de nombreuses
associations de victimes de la route, des associations de prévention
locales, des associations nationales, comme la Prévention
Routière ou la Ligue contre la Violence Routière,
mais également une association d'alcooliers (producteurs
de boissons alcoolisées). Comme les acteurs associatifs sont
très nombreux, nous nous limitons à décrire une
grande association nationale (la plus grande) à travers la Prévention
Routière, une association locale qui effectue des actions sur
le terrain à travers l'association Voiture & Co, une
grande association d'aide aux victimes de la route et l'association
d'alcooliers Entreprise & Prévention.
2)
La Prévention Routière : présentation
Créée
en 1949, la Prévention Routière est une association privée,
qui a été reconnue d'utilité publique en 1955.
Avec ses 250 000 adhérents, elle est aujourd'hui l'une des principales
associations loi 1901 de France.
La
Prévention Routière agit grâce au soutien financier
de ses adhérents (les cotisations représentent 70 % du
budget global) et aux subventions que lui apportent les collectivités
locales et les entreprises notamment les compagnies d'assurance,
qui sont à l'origine de sa création. A ce sujet, il
faut préciser qu'un accord a été passé
entre l'État et les assureurs le 1er juillet 1998, selon
lequel les sociétés d'assurances se sont engagées
à consacrer, pendant 5 ans, 0,5 % des cotisations de l'assurance
de responsabilité civile automobile à des opérations
de prévention routière.
Les
101 comités départementaux de La Prévention Routière
et ses 5 000 bénévoles permettent de mener, chaque année,
des milliers d'actions locales, pour sensibiliser les usagers de tous
les âges et milieux aux risques de la circulation.
En
2001, l'effectif salarié de La Prévention Routière
s'élève à 266 personnes dont 85 sont des
salariés à temps plein. Les moyens financiers de La Prévention
Routière sont également important puisque le bilan financier
de 2001, en augmentation par rapport à l'année précédente,
atteint les 12 millions d'euros.
http://www.preventionroutiere.asso.fr
3) Entreprise
et Prévention : les alcooliers s'engagent
Le
succès de la lutte contre l'alcoolisme repose sur un véritable
consensus établi entre l'ensemble des acteurs concernés
: pouvoirs publics, organismes de santé, acteurs économiques.
Cette
citation qui figure sur le site de l'association illustre le fait que
les alcooliers se sentent particulièrement aptes de part leur
position en amont du problème à mettre en garde le consommateur
contre l'abus d'alcool et les comportements à risques. Par exemple,
ils peuvent s'engager à prévenir les consommateurs par
des slogans figurant sur les bouteilles d'alcool, ou encore à
faire pression sur les distributeurs pour que leurs produits soient
toujours présentés à l'écart des boissons
non-alcoolisées, afin de mettre en évidence la particularité
des boissons contenant de l'alcool.
Avec
plus de 150 marques impliquées, l'association Entreprise &
Prévention regroupe un grand nombre d'entreprises parmi les plus
importants producteurs de boissons alcoolisées. Le budget annuel
de l'association s'élève à 6 ou 7 millions d'euros
environ.
http://www.soifdevivre.com/ep/index.html
4 ) La Fondation
Anne Cellier
Il
s'agit d'une d'une des principales associations de défense
des victimes de la route. Elle agit pour prévenir les risques
encourus sur la route et dénoncer la situation actuelle en France.
Elle tente d'exercer une influence sur les politiques au nom des
victimes et de leurs familles.
Voilà
la position de l'association concernant la situation actuelle en France
:
"L'ACCEPTATION DES MORTS PAR LA SOCIETE
Au cours de l'été, on constate que 114 morts dans un sous-marin
déstabilisent le gouvernement russe, 113 morts dans le Concorde
suscitent une émotion énorme, avec des ministres et des
grands-messes, mais 116 morts sur les routes du week-end du 15 août,
plus tous les blessés, dont 30% restent handicapés à
vie, et personne ne bouge !
Il y a une acceptation de nos victimes comme si elles étaient
un prix à payer pour notre liberté et notre plaisir."
http://www.fondation-annecellier.org/
5 ) L'association
Voiture & Co : petite mais active
Il
s'agit en réalité d'une association de covoiturage sur
la région parisienne. Elle compte 18 personnes et parmi ses actions,
elle organise le covoiturage dans un certain nombre de soirées,
notamment la plupart des galas des grandes écoles.
http://www.voiture-and-co.com
B
) Les actions menées par ces acteurs
1 ) Le scandale
de la Sécurité Routière
Dans
son numéro du 12 mars dernier, Auto-plus
dénonce "le grand gaspillage" de la Sécurité
Routière. Dans cet article, le journal dénonce les
divers gaspillages d'argent de la sécurité routière
:
"Or il s'avère qu'en 2001 nous devons consommer
832 MF alors que nous avons eu beaucoup de difficultés
à consommer 631 MF en 2000. Plus inquiétant, notre
consommation à ce jour est globalement inférieure
à celle de l'an passé à la même période."
Cet
article a fait vivement réagir les différentes associations
de victimes. Ainsi de plus en plus de personnes se demandent si
la lutte contre la violence routière menée par la
Sécurité Routière est réellement efficace
ou si au contraire, la politique menée n'est que de la poudre
aux yeux ayant pour but de donner bonne conscience à nos
dirigeants.
2 ) Les
campagnes de communication grand public
Ces campagnes
peuvent prendre la forme d'une série de spots télévisés
ou radiodiffusés. Elles visent en général une
catégorie particulière d'accidents et de comportements
à risques : le retour de discothèque, les soirées
bien arrosées des week-ends prolongés, etc. Elles mettent
également en avant les pratiques de prévention des accidents
liés à l'alcool comme l'idée du conducteur désigné.
Ces campagnes doivent faire passer une idée qui a pour vocation
d'être ensuite mise en uvre localement par des représentants
de la Sécurité Routière ou par des associations.
A
l'opposé de ce genre de campagnes, on trouve des angles d'attaques
plus psychologiques, avec des méthodes élaborées
spécialement pour tenter de modifier les a priori et les habitudes
de tous les jours. La méthode de l'engagement consiste
à faire participer les conducteurs ( à travers des stages
par exemple), mais il y a également le modèle de la
persuasion, la méthodologie des récits de vie ou plus
généralement des approches fondées sur la
psychologie clinique et la dynamique de groupe.
3 ) La sensibilisation
des futurs conducteurs
L'insécurité
routière est, en France, la première cause de mortalité
des jeunes de 15 à 24 ans. Ils représentant 15 %
de la population, mais 25 % des tués sur la route et 30 % des
blessés graves. Dès lors, la sensibilisation des plus
jeunes doit être une priorité. Mais viser les jeunes,
c'est surtout tenter de changer la manière dont les Français
sont éduqués vis-à-vis des dangers de l'alcool.
Au
niveau national, de nombreuse actions de sensibilisation à
la sécurité routière vont être menées
dans le cadre de la semaine de la sécurité sur la route
auprès d'élèves du collège et du lycée.
Ceci vient s'ajouter aux épreuves de l'attestation scolaire
de sécurité routière (ASSR), et du brevet de
sécurité routière (BSR) que passent chaque année
1,5 millions de collègiens.
L'opération
LABEL VIE est un appel à des projets de jeunes sur la sécurité
routière. Tous les jeunes de 14 à 28 ans peuvent y participer
seul ou avec des amis, dans leur quartier, leur école, leur
entreprise ou leur association. Cette initative par du constat suivant
: après avoir baissé en 1999 et 2000, le nombre de
jeunes de 15 à 24 ans tués dans un accident de la route
a augmenté en 2001. Ils représentent ainsi 26,9
% des tués sur la route pour seulement 13 % de la population.
Une part importante de ces accidents ont lieu le week-end lors de
retours de soirée.
Cette
campagne s'inscrit dans le prolongement des actions menées
depuis trois ans par la Fédération française
des sociétés d'assurances et La Prévention Routière
pour réduire le nombre de tués et de blessés
parmi les jeunes : étude du Centre de Recherche pour l'Etude
et l'Observation des Conditions de Vie (CREDOC) sur les jeunes et
le risque routier ; spot " Le carrefour " diffusé
à la télévision et au cinéma ; messages
radio les vendredis et samedis soirs ; opérations " Capitaine
de soirée " dans les discothèques ; actions
expérimentales de prévention avec des jeunes âgés
de 15 à 24 ans.
4 ) Les
actions des alcooliers : engagement réel ou intox ?
Dans
cette partie, nous rapportons en premier lieu les actions menées
par Entreprise et Prévention telles qu'elles sont décrites
par eux-mêmes. En second lieu, nous donnons la parole au mouvement
Vie Libre, une association d'anciens alcooliques, qui critique vivement
l'attitude des alcooliers.
a ) Les alcooliers décrivent leurs actions
Fondée
en 1990, cette association regroupe des entreprises réalisant plus
de 60% du chiffre d'affaire global du secteur de l'alcool. Ainsi, Pernod-Ricard,
Heineken ou Bacardi-Martini font partie de cette association. Le but pour
ces sociétés est de montrer qu'elles agissent activement
en faveur de la prévention de l'alcoolisme. Pour cela, elles se
sont fixer trois principaux objectifs :
- agir avec l'Etat de matière concertée.
- mettre en place des actions de terrain en partenariat avec
des organismes de santé publique.
- limiter la surconsommation d'alcool et favoriser une consommation
modérée.
Pour
les alcooliers membres de cette association, le succès de la lutte
contre l'alcool au volant repose sur une véritable coopération
entre l'ensemble des acteurs concernés : pouvoirs publics,
organismes de santé, acteurs économiques.
L'association
Entreprise et Prévention a créé la plus grande opération
de prévention de l'alcoolisme en France : Soif de Vivre. Le but
de cette opération est d'élaborer un programme complet d'information
et de sensibilisation grâce à divers techniques d'animation
(jeux vidéo,bornes interactives, bandes dessinées, concerts
...), afin de sensibiliser les jeunes au problème de la consommation
excessive d'alcool. Cette opération s'est développée
en partenariat avec des acteurs de la prévention-santé
: CPAM, Prévention Routière, Comités départementaux
de Prévention de l'alcoolisme, collectivités locales...
Depuis
1999, Entreprise&Prévention est associé avec la Sécurité
Routière pour développer le concept de conducteur désigné
( Celui qui conduit, c'est celui qui ne boit pas ). Ainsi, par leur collaboration,
ils ont mis en place des actions de prévention dans les lieux de
consommation (discothèques, bars) ainsi que des campagnes de sensibilisation
du public. Cette collaboration avec la Sécurité Routière
renforce la crédibilité de l'association Entreprise&Prévention,
elle démontre que les pouvoirs publics jugent cette association
comme utile, efficace et non comme un moyen trouvé par les alcooliers
pour se donner bonne conscience.
Leurs actions en chiffres :
- 11000 exemplaires d'un guide d'animation et 24000 affichettes de prévention
ont été diffusés aux directeurs de discothèques
et à différents acteurs de la prévention.
- 5000 cassettes vidéo "Soif de Vivre au volant" ont
été diffusées via leur site internet ( film nominé
au Festival International du Film Médical d'Aurillac en 1999).
- 400 kits d'animation ( comportant entre autre : un porte clés,
des autocollants, un éthylotest,...) ont été commandés
via leur site internet.
- la tournée Emergency Night a représenté 2000
conducteurs désignés, 23000 outils distribués (
Tshirt, CD, sacs à dos, éthylotest,...).
- 133 millions de personnes ont été en contact avec la
campagne d'affichage "Celui qui conduit, c'est celui qui ne boit
pas". Pour cette campagne, Entreprise&Prévention avait
un partenariat avec 7 afficheurs. Au total, 5000 panneaux ont été
affichés dans toute la France.
- le principe du conducteur désigné est jugé favorablement
par 92% des français.
L'ensemble
de ces chiffres tendent à montrer que l'action d'Entreprise&Prévention
est reconnue non seulement par les jeunes qui y voient un moyen
de réaliser la dangerosité de la situation, mais aussi par
l'Etat et les organismes de santé qui y collaborent. Cependant,
certaines associations trouvent innacceptable le fait que des vendeurs
d'alcool participent à la prévention de l'alcool au volant.
C'est le cas du mouvement Vie Libre
b)
L'avis du mouvement Vie Libre
Le
mouvement Vie Libre est une association d'anciens buveurs ( ils se nomment
eux mêmes des "buveurs guéris" ). Elle a pour
but de lutter contre le lobby de l'alcool qui représente en France
un chiffre d'affaire de 13 milliards d'euros par an, 600000 emplois
et surtout qui rapporte à l'Etat 3,2 milliards d'euros
sous forme de contribution fiscale. Le 22 novembre 1999, lors de son
46ème conseil national, le mouvement Vie Libre a décidé
de boycotter les actions boursières des entreprises membres d'Entreprise
et Prévention. Cette décision intervient après
l'échec de négociations entre les membres des deux associations
: Vie Libre veut qu'Entreprise et Prévention stoppe toute activité
de prévention routière. En effet, pour eux, le rôle
d'éducateur ne peut être assuré par des alcooliers
qui défendent en même temps leurs intérêts
économiques et financiers. Cette ambiguïté du comportement
de l'association Entreprise&Prévention a été
relayé par les médias. Ainsi, le 21 aout 2001, France
Soir écrivait :
" L'association Entreprise&Prévention qui regroupe
les principaux producteurs d'alcool du marchéfrançais
et prétend lutter contre l'abus d'alcool, organise une promotion
auprès des jeunes pour rajeunir l'image du cognac et les
initier aux joies snob du champagne tellement plus fun à
siroter à la paille."
Nous
avons écrit à Entreprise&Prévention dans le
but de connaître leur point de vue sur cette question d'importance.
Mme Camille Savary, qui s'occupe de la communication, nous a répondu
:
"Bien sûr les producteurs ont pour vocation de vendre des
boissons alcoolisées, et ne l'ont jamais nié. Mais il
n'est pas plus intéressant pour eux que pour le reste de la société
que des jeunes se tuent sur la route, ou que certaines personnes deviennent
dépendantes. Les adhérents d'Entreprise & Prévention
sont des acteurs responsables, qui estiment de leur devoir d'investir
et d'agir pour que la consommation d'alcool demeure une consommation
modérée et conviviale, c'est-à-dire sans risque
pour la santé.
Les activités promotionnelles et publicitaires servent avant
tout à différencier les produits, ce que font toutes les
entreprises sur les marchés concurrentiels, ce qui n'empêchent
pas, comme cela est bien mieux admis dans les autres pays européens,
que les producteurs puissent jouer un rôle actif dans la prévention."
Comme on pouvait s'y attendre, Entreprise&Prévention juge
leurs actions parfaitement légitimes. Pour se crédibiliser,
ils mettent beaucoup en avant le fait qu'ils ont une approche multipartenariale
du problème et qu'ils collabotent avec de nombreux organismes
( prévention routière, Sécurité Routière,
organismes locaux,...).
Un autre point de discordance entre ces deux associations
:
D'autre
part, le mouvement Vie Libre demande à Entreprise et Prévention
de ne plus s'opposer à la loi Evin. D'après
eux, les alcooliers font pression sur le gouvernement afin de rendre
la loi plus souple. De leur côté, les membres d'Entreprise
et Prévention déclarent qu'aucun lien n'a été
démontré entre la publicité et la consommation
d'alcool. Pourquoi les alcooliers dépensent-ils alors des millions
en publicité en tout genre?
Ce
qui peut paraître étonnant, c'est le fait que sur leur
site Internet, Entreprise&Prévention ne semble pas remettre
en cause la loi Evin. Au contraire, ils exposent son contexte, son application
et ils ont édité un ensemble de recommandations destinées
aux entreprises du secteur alcool, afin de les responsabiliser et d'harmoniser
l'application de la loi. De plus, les entreprises membres de l'association
ont signé une chartre déontologique de commercialisation
concernant :
- la dénomination des produits
- leur conditionnement et leur distribution
- la publicité et l'information sur le point de
vente
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