Points de controverse
Comme vous l’avez compris, surtout en lisant l’interview
de Carole Fouque à l’ONCFS, la problématique des dates
d’ouverture à la chasse aux oiseaux migrateurs est extrêmement
complexe, et c’est pourquoi elle est sujette à controverse. Nous explicitons
ici en bref, et en renvoyant aux articles concernés, les points précis
sur lesquels porte la controverse.
- La définition des périodes de reproduction. En effet,
si les scientifiques savent parfaitement évaluer le nombres d’oiseaux
qui nidifient en fonction de la période de l’année grâce
à des études sur la nidification,
il y a un problème au niveau de la définition de la période
de nidification, en rapport avec les différentes interprétations
de la directive européenne " oiseaux ".
En effet, certains (les défenseurs
des oiseaux) soutiennent la protection complète et totale des
espèces, donc pour eux, la période de nidification se termine
quand 100% des oiseaux s’envolent et donc quittent la nichée. D’autres
(notamment les organisations de chasseurs)
prônent un chiffre de 80% à 90% de nichées volantes. L’ONCFS
et l’Observatoire appliquent actuellement un taux de 90% de nichées
volantes, ce qui correspond théoriquement à 100% d’oiseaux volants.
C’est un gros point de controverse, qui actuellement ne fait pas trop de bruit
grâce au consensus dû à l’Observatoire, mais qui pourrait
bien faire reparler de lui dans les prochaines années.
- Le comportement des différents acteurs. Du côté
des chasseurs, on peut en effet distinguer deux types de chasseurs d’oiseaux
migrateurs. Sans faire de mauvaise blague relative à un trio de comiques
bien connu, il y a en effet des " bons chasseurs " et
des " mauvais chasseurs " d’oiseaux migrateurs. Le " bon
chasseur " est un gestionnaire, c'est-à-dire qu’il connaît
très bien les oiseaux, sait les reconnaître, ne les confond pas,
et les aime. Ainsi, il peut gérer sa parcelle s’il en a une, et c’est
souvent un chasseur raisonnable qui peut discuter d’égal à égal
avec les scientifiques et se laisser convaincre par des arguments raisonnés.
Avec les " bons chasseurs ", la controverse porte principalement
sur des points techniques, et pas sur des altercations verbales. Le " mauvais
chasseur " est soit une pièce rapportée, c'est-à-dire
un ancien chasseur de lapins, qui, après la myxomatose, a reporté
sa chasse sur les migrateurs, soit un citadin, n’y connaissant pas grand-chose
à la chasse et allant chasser juste le week-end pour le plaisir. Ces
deux types de chasseurs ont pour point commun de confondre facilement des
espèces et donc de pouvoir tirer sur n’importe quoi sans trop de distinction.
C’est principalement ce qui fait qu’il est impossible d’avoir des ouvertures
échelonnées. Du côté des environnementalistes,
on peut déplorer certains comportements intolérants, voire méprisants,
envers des chasseurs qu’ils prennent souvent pour de grosses brutes sanguinaires.
Il y en a, comme partout, mais c’est une infime minorité. Il faut qu’ils
sachent aussi faire la différence entre les différents types
de chasseurs. Ainsi, une grande partie de la controverse de ces dernières
années a plus porté sur du lobbying et des problèmes
de comportement que sur des problèmes de fond.
- Le non-retour de la chassabilité : quand l’ONCFS
conseille la fermeture à la chasse de certaines espèces, l’expérience
montre qu’elle n’est jamais rouverte. En conséquence, les chasseurs
ne font plus confiance à l’ONCFS et n’acceptent plus aucune fermeture,
ce qui peut dans certains cas poser de gros problèmes.
- La chasse seule responsable de la diminution de l’abondance ? Des études
de l’ONCFS ont montré que la chasse n’est qu’une partie du problème
qui vient en sus de problèmes de destruction
d’habitats par l’agriculture.
- La distinction abondance/période : depuis la directive
en 1979, les scientifiques se sont surtout attachés à déterminer
les périodes de reproduction des espèces de manière à
fixer les dates. De ce fait, l’abondance a été négligée.
Le résultat est que, aujourd’hui, les scientifiques connaissent très
bien les périodes de reproduction, mais n’ont que très peu d’indication
sur l’abondance des espèces. En effet, les dynamiques de population
sont très complexes et on ne sait quasiment rien. Les comptages
ne donnent qu’une tendance de l’évolution du nombre d’individus, mais
en aucun cas le nombre d’individus. Et c’est d’autant plus complexe que les
espèces migratrices sont partagées par plusieurs pays. Il faudra
donc, dans l’avenir, une coopération européenne.
- Les espèces invasives : certaines espèces, comme l’ibis
sacré ou le cormoran, sont des espèces qui n’ont rien à
faire en France, qui ont été implantées par erreur, et
qui gênent le développement d’autres espèces. Selon la
loi française, ces espèces doivent être détruites
(pas par la chasse mais par des tirs spécifiques). Cependant, les organisations
écologistes s’élèvent contre l’extermination de ces espèces,
considérant que tout oiseau a le droit de se développer et de
vivre. Il y a donc souvent des problèmes à ce niveau là.
- La pression sur le gouvernement : en dernier ressort, c’est le gouvernement
qui décide des dates d’ouverture et l’Observatoire
n’est qu’un organe consultatif. Il se peut donc que le gouvernement ne suive
pas les recommandations de l’Observatoire. Ces trois dernières années,
l’Observatoire a été suivi, mais il se peut qu’un jour, sous
la pression de tel ou tel lobby, le gouvernement prenne des décisions
différentes. Cela provoquerait sans aucun doute un autre clash, aux
dires de responsables de différentes organisations, dans la mesure
où l’Observatoire est justement un lieu de débat et de consensus.