Le diagnostic
pré-implantatoire

       
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Contexte général
Le bébé médicament
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Contexte général


 I/ Le DPI : principe et législations       

        Le diagnostic génétique préimplantatoire, ou DPI, brièvement présenté dans l'introduction, permet de procéder au transfert sélectif d'embryons dépourvus d'une anomalie génétique donnée. Cette technique permet d'éviter le recours au diagnostic prénatal et à l'avortement thérapeutique qu'il peut induire chez les familles atteintes de maladies génétiques graves.

 
        
Techniquement, le DPI nécessite l'utilisation d'une méthode de procréation médicalement assistée : la fécondation in vitro. L'embryon doit être ex utero pour être accessible au diagnostic. Dans la pratique, on féconde in vitro plusieurs ovules afin d'augmenter les chances de trouver des embryons sains. Le diagnostic biologique, réalisé par des techniques de biologie moléculaire, est pratiqué à partir de cellules prélevées sur les embryons de trois jours par une biopsie embryonnaire. Ne seront transférés in utero que les embryons dépourvus de l'anomalie recherchée.

               

 

            En France, la pratique du diagnostic préimplantatoire est réglementée par la loi de bioéthique du 29 juillet 1994 (loi 94-654 – article 162-17). Elle précise que le DPI n’est autorisé qu’à titre exceptionnel pour des couples ayant une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic. Ce point doit être attesté par un médecin exerçant son activité dans un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. Le diagnostic ne peut être effectué que lorsqu’a été préalablement et précisément identifiée, chez l’un des parents, l’anomalie ou les anomalies responsables d’une telle maladie et après consentement écrit des deux membres du couple. De plus, le diagnostic ne peut avoir d’autre objet que de rechercher cette affection ainsi que les moyens de la prévenir et de la traiter. Enfin, il ne peut être réalisé que dans un établissement spécifiquement autorisé à cet effet et dans les conditions définies par un décret en conseil d’État (en France, les trois centres autorisés sont Paris, Strasbourg et Montpellier).

                                                                                           

 

            A l'échelle européenne, le DPI n'est pas rejeté. En effet, l'article 18 de la convention d'Oviedo n'interdit pas cette pratique, mais seulement la création d'embryons aux fins de recherche. Concernant la recherche sur les embryons conçus, il est renvoyé aux législations nationales : "lorsque la recherche ... est admise par la loi, celle-ci assure une protection adéquate de l'embryon". La recommandation 1100 du Conseil de l'Europe "sur l'utilisation des embryons et des foetus humains dans la recherche scientifique" énonce que pourraient être autorisées et même encouragées des recherches visant des fins de diagnostic, notamment prénatal. Il est cependant précisé à propos des "embryons préimplantatoires" que les recherches in vitro sur les embryons viables ne doivent être autorisées que "s'il s'agit de recherches appliquées de caractère diagnostique ou effectué à des fins préventives ou thérapeutiques" et "si elles n'interviennent pas sur leur patrimoine génétique non pathologique".

 

            Ainsi, la situation européenne est encore loin d'être uniforme : certains pays comme l'Italie ou l'Autriche interdisent la pratique du DPI sur leur territoire. Les Allemands, pour qui l'eugénisme rappelle des souvenirs encore trop peu lointains, les rejoignent sur ce point. A l'inverse, le Danemark ou l'Espagne ont adopté cette technique depuis longtemps et font preuve d'une grande tolérance sur ce sujet. La Suisse, où le DPI est encore interdit, tend cependant à les rejoindre. (voir la règlementation du DPI en Europe)     

II/ Le DPI en pratique


            Autorisé en France dès 1994 par la loi du 29 juillet, le DPI n'a commencé à être véritablement mis en oeuvre que bien plus tard, après la parution du décret d'application de la loi en 1998. En effet, le premier bébé français issu d'un DPI est né en novembre 2000. En ce qui concerne le centre de Paris, seule une soixantaine de demandes aurait été prise en charge depuis l'autorisation du DPI (la moyenne annuelle se situant autour de 100 demandes), et une vingtaine d'entre elles aurait mené à des naissances. Gérard Bréart, membre du Comité Consultatif National d’Ethique, en tire les conclusions suivantes : "le DPI n’est pas une activité en expansion explosive, et il ne faut pas surestimer les capacités à aboutir à un enfant".

 

            Il n'existe pas en France de liste exhaustive des maladies concernées par le DPI. Si la plupart des cas concernent la mucoviscidose, la chorée de Huntington, l'hémophilie, ou certaines formes de myopathies et de handicaps mentaux., tous les cas de maladies génétiques ne sont pas traités, comme l'explique le professeur René Frydman, chef du service de gynécologie-obstétrique à l'hôpital Antoine Béclère : « nous avons un véritable problème éthique, celui de ne pouvoir prendre en charge que quelques patientes, pas tant en termes de nombre, mais en termes de possibilités de diagnostic car toutes ces maladies nécessitent un travail préalable de trois à six mois, extrêmement lourd, qui exige suffisamment de scientifiques disponibles, que nous n’avons pas. Si bien que nous sommes obligés de ne réserver que certaines indications sur lesquelles nous pouvons faire des diagnostics ».

            En France, la pratique du PDI est totalement remboursée par la sécurité sociale, ce qui n'est pas le cas partout, notamment aux Etats-Unis, où cela soulève une nouvelle controverse. On parle en effet de «génétique de classe», permettant aux seuls couples fortunés la possibilité de s'offrir la naissance d'enfants génétiquement indemnes. Outre-Atlantique, certains ont ainsi peur de voir les classes aisées se débarasser ainsi de leurs maladies génétiques, tandis que les milieux défavorisés continueraient à en souffrir. Mais ce débat concerne plutôt la politique sociale et médicale, et s'éloigne du DPI en lui-même.

 

            Enfin, il est à noter que les médecins comme les associations s'engagent à informer les familles des possibilités auxquelles elles peuvent avoir recours dans le cas de telles maladies génétiques, sans les influencer ni prendre parti, et à les soutenir dans la voie qu'elles auront choisie quelle qu'elle soit. Les conclusions que tire Éliane Gluckman, chef du service de greffe de moelle à l'hôpital Saint-Louis, sont les suivantes : "le DPI doit être exceptionnel et accompagné :
    – d’un conseil génétique ;
    – d’un consentement informé ;
    – d’une information claire sur les possibilités et/ou les limites de la technologie;
    – d’un contrôle de qualité ;
    – d’un recueil systématique des risques de l’évolution ;
    – d’un suivi psychologique des enfants."

III/ Les controverses soulevées par le DPI


        En novembre 2006, un article est paru sur le site du diocèse de Fréjus condamnant fermement l'AFM (Association Française pour les Myopathies) et le Téléthon, les accusant de soutenir et développer les recherches embryonnaires dans le cadre du DPI, et ce au détriment des droits de l'embryon. L'AFM, association reconnue d'utilité publique, a pour but de guérir les maladies neuromusculaires et réduire le handicap qu’elles provoquent. Dans ce cadre, les maladies neuromusculaires étant principalement d'origine génétique, l'AFM soutient la recherche et le développement de nouveaux outils dans le domaine des maladies génétiques. Elle aurait notamment pris parti et influencé le débat concernant la loi de la bioéthique de 1994, et financé les centres réalisant le DPI entre 1997 et 2003.

        

       L'argumentation de l'article du diocèse de Fréjus repose sur deux points principaux. Tout d'abord, il accuse l'AFM d'être responsable de la légalisation du DPI et de "persévér[er] dans un lobbying auprès des responsables politiques pour que le clonage soit rapidement dépénalisé". Ainsi, l'AFM, non contente d'avoir participé à la mise en place du DPI en France, continuerait sur la voie de sa "grande stratégie eugéniste mise en scène de manière triomphale". En effet, le DPI, loin d'être une thérapie, serait un moyen d'empêcher la naissance de bébés malades, et les enfant issus de DPI ne seraient que "les survivants d’avortements programmés in vitro ou in utero ".

            De son côté, l'AFM se défend ainsi : "notre action se situe obligatoirement dans le cadre de la loi et notamment dans le respect des recommandations et autorisations de l’agence de la biomédecine". De plus, si "le DPI n’est pas un progrès thérapeutique, c’est un progrès pour la vie." En effet, "il permet à des couples condamnés à la double souffrance de la mort d’un, parfois de plusieurs enfants, et du risque que cela recommence, de se reconstruire dans un nouveau projet parental et de donner vie à un bébé qui ne sera pas condamné à souffrir et mourir prématurément." L'AFM précise que l’argent du Téléthon ne sert pas à financer le diagnostic préimplantatoire. Parmi 440 programmes de recherche, un seul concernant des lignées de cellules souches embryonnaires est financé. Ce programme représente un investissement de 1,5 million d’euros sur les 111,9 millions d’euros dépensés par l’AFM. La pratique du DPI comme la recherche sur les cellules souches embryonnaires est encadrée par la loi et relève d’un choix familial, et l'’AFM reste concentrée sur son objectif : guérir. Elle s’appuie sur les avancées scientifiques obtenues grâce aux dons du Téléthon.

            Le second argument de l'êvéché de Fréjus est que le droit fondamental et primordial à la vie de l’enfant embryonnaire dès sa conception est intangible. C'est en effet l'un des plus grands reproches adressés aux défendeurs du DPI : "A-t-on légitimement le droit de supprimer les embryons fécondés malades ?" Cette question soulève en fait le problème de la reconnaissance de l'embryon en tant qu'être humain. L'Eglise applique de ce point de vue le principe de précaution : puisque l'embryon peut mener à un être humain, traitons-le comme tel.

            Cependant, pour d'autres, l'embryon n'accède au statut d'être humain qu'à partir du 14ème jour après la fécondation. En effet, avant cette date, il est encore divisible, c'est-à-dire que s'il est, par une intervention médicale, séparé en deux, ces deux souches se développeront parallèlement et mèneront à deux individus, génétiquement jumeaux. Ainsi, avant le 14ème jour suivant la fécondation, l'embryon pourrait ne pas être considéré comme un être humain, puisque pouvant potentiellement mener à la naissance de deux êtres. Cependant, la date du 14ème jour est elle-même sujet à controverse, car, selon certains, l'embryon ne serait déjà plus divisible dès le 7ème jour suivant la fécondation.

            Selon d'autres, le débat est encore beaucoup plus complexe que cela et ne se résume pas à une simple date obtenue par expérimentation médicale. Nous nous écartons cependant un peu de notre controverse, mais vous proposons de consulter le document http://www.fac.med.univ-rennes1.fr/Embryon%20en%202005.pdf, très complet sur ce sujet.

            Outre ce problème, qu'il ne faut pas négliger, le DPI soulève certaines questions et attise quelques peurs. La médecine doit-elle se limiter à soigner les gens malades ou bien peut-elle se mêler du patrimoine génétique des humains et sélectionner ceux qui sont sains ? L'article du diocèse de Fréjus a provoqué de nombreuses réactions, dont un certain nombre condamnaient effectivement le DPI, comme moyen de sélectionner des êtres sains, au détriment des personnes malades. Les adultes malades ont d'ailleurs été nombreux à condamner l'AFM pour ses avancées dans ce se sens : "J’émets une grande réserve quant aux “bébéthons” car on croit que c’est grâce à la recherche qu’ils ont guéri alors qu’ils sont le fruit d’une sélection ; et l’avortement thérapeutique en a fait disparaître bien d’autres. D’où la question : “Et si mes parents m’avaient avorté ?”". Ces personnes sont soutenues par la fondation Jérôme Lejeune, et notamment leur président, Jean-Marie Le Méné, qui appelle au "au respect de la dignité humaine". La position de l'Eglise va également dans ce sens, Benoît XVI ayant déclaré cette année : « La vie, qui est l’œuvre de Dieu, ne doit être refusée à personne, même au plus petit et plus vulnérable enfant à naître, encore moins lorsqu’il présente de graves handicaps ». Il suit en cela le point de vue de Jean-Paul II, qui avait, il y a quelques années, prononcé les mots suivants : «Il arrive fréquemment que des techniques soient mises au service d'une menta­lité eugénique, qui accepte l'avortement sélectif pour empêcher la naissance d'enfants affectés de différents types d'anomalies. Une pareille mentalité est ignominieuse et tou­jours répréhensible, parce qu'elle prétend mesurer la valeur d'une vie humaine seulement selon des para­mètres de normalité et de bien-être physique, ouvrant ainsi la voie à la légitimation de l'infanticide et de l'euthanasie. »

 

            Enfin, le DPI, ne serait-il pas une porte ouverte à l'eugénisme ? Ces débats, ouverts dans les années 1990 lors du vote de la loi sur la bioéthique, ont refait surface il y a peu, dans le cadre de l'élargissement de cette loi au "bébé médicament" et à l'extension du DPI à certaines maladies comme le cancer du côlon. Ces deux points constituent le corps de notre controverse et vont être développés dans les pages qui suivent.


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