Entretien Anne Pitoiset
Retranscription de l’entretien avec Anne Pitoiset
23 Janvier 2012
Anne Pitoiset : Voilà. Et je vous ai amené, alors là c’est autre chose, ça a pas directement attrait aux usines du Sud, ça vous expliquera aussi les revendications pour l’usine du Nord sur le nickel et les kanaks, sur l’indépendance. C’est à propos d’André Dang qui est le financier, euh.., c’est l’histoire en fait de la mine et de la Calédonie, sur l’usine du Nord. Donc là, vous avez des photos et ça se lit facilement. Voilà, voilà ! Donc ça, ça devrait vous donner pas mal de choses. Donc, alors je vais répondre à vos questions sinon vous pouvez me les relire, comme vous voulez ! Donc en fait, qu’est-ce que je fais en Calédonie ? J’étais journaliste à l’agence Reuters jusqu’en 2000, j’étais chef du service économique et puis à un moment, j’en ai eu marre, j’ai décidé de partir complètement à l’autre bout du monde.
Donc j’ai tout quitté, je suis partie en Nouvelle-Calédonie et comme j’avais fait de l’économie, je me suis vite aperçue qu’en Calédonie, la chose qui était vraiment intéressante, c’était la mine et le nickel. Donc j’ai tout de suite été contactée par l’Express, par l’Expansion, par les Echos pour être correspondante en Calédonie. Pour l’Express, je ne fais pas grand-chose si ce n’est dire rien, pour L’Expansion, ça se termine, parce que l’Expansion va se refondre avec L’Express. Donc je suis restée correspondante des Echos. Ce qui les intéressait essentiellement c’est le nickel. Et entretemps, parallèlement, j’ai fait un master en anthropologie économique en Calédonie et dont le thème était le passage de l’économie tribale à l’économie libérale, c’est-à-dire comment est-ce que les tribus, par le nickel, passaient de l’économie tribale à l’économie libérale. Je me suis spécialisée et maintenant je fais des films, je fais des documentaires.
Donc j’ai fait un documentaire sur l’usine du Sud. Là, il y a un documentaire qui va sortir samedi prochain sur les jeunes en Calédonie, c’est-à-dire toute l’effervescence, tout le travail que ça peut donner, les mines, aux jeunes Calédoniens. Et je prépare un documentaire pour France 5 sur l’usine du Nord qui est quelque chose de plus approfondi puisque c’est un documentaire qui traitera de l’indépendance et de la mondialisation. Donc ma théorie, c’est est-ce qu’ils ne vont pas passer d’une dépendance politique à une dépendance économique, pire à mon avis par les multinationales que par l’Etat français. Mais bon, ça aura attrait à l’Indépendance, comment est-ce que les kanaks sont partis de rien et maintenant seront dans quelques années parmi les premiers producteurs de nickel au monde.
Donc voilà, c’est un peu ce que je fais. En Calédonie, je travaille sur l’économie et le nickel, pratiquement que ça puisque j’ai fait des études d’économies.
Donc, les acteurs de la controverse. Quand je me suis intéressée au nickel (donc je suis arrivée en 2000 en Calédonie), c’était le début de l’usine du Sud, c’est-à-dire que l’usine pilote avait été validée et on rentrait dans la partie vraiment…
Alors les…, comment dirais-je, la controverse, elle est née beaucoup quand il a fallu mettre le tuyau…
Léo : …dans le lagon.
A.P : …dans le lagon. Alors, juste une précision : le tuyau, il n’est pas dans le lagon classé au patrimoine parce que si vous regardez bien, le patrimoine, euh le lagon qui s’arrête là où il y a du nickel. Donc vous allez voir : les zones impactées par le patrimoine, classées, elles sont là et puis après, ça s’arrête quand il y a du nickel. Et puis après elles reprennent ailleurs. C’est pareil dans le Nord.
C’est pas toute la Calédonie, c’est euh… Et donc ça s’est posé quand euh…, comment dirais-je, quand ils ont voulu poser le tuyau. Alors, ce qu’il faut savoir, c’est qu’à l’époque, c’était Inco. Il y avait deux grandes multinationales…
Léo : donc qui étaient canadiennes.
A.P. : Il y avait 2 multinationales canadiennes qui étaient présentes en Calédonie : l’usine du Nord, qui était Falcon Bridge, et l’autre qui était Inco dans le sud. Alors c’est 2 entreprises qui ont deux cultures totalement différentes : c’est-à-dire que Falcon Bridge, ils emploient beaucoup des québécois. Donc des gens qui parlent français, avec un accent sympathique etc. Les Inco, ils employaient pratiquement que des anglo-saxons. Donc la 1ere chose est venue là, c’est-à-dire qu’ils étaient très anglo-saxons, ils parlaient mal français, et ça, ça a quand-même beaucoup joué. Et ils se sont tout de suite mis, pour faire les travaux, avec des Australiens. En Calédonie, les gens aiment bien aller en Australie mais ils n’aiment pas beaucoup que les australiens viennent travailler. Donc en fait, ils se retrouvent dans un milieu anglo-saxon (ça c’est important) où les gens parlaient pas beaucoup français ou parlaient mal et il y avait beaucoup d’incompréhension à ce niveau-là et les Australiens, ils avaient quand-même un peu tendance à traiter les kanaks comme des aborigènes. Sauf que les kanaks et les aborigènes, c’est pas la même chose : les kanaks, ils sont quand-même, euh, si j’ose dire entre guillemets « plus développés ». C’est pas… Il y a des incompréhensions. Après, comme ils avaient des appuis politiques, il faut savoir que l’usine du Sud, l’usine de Goro, elle a été appuyée par le pouvoir politique du Sud, c’est-à-dire le pouvoir Jacques Lafleur.
Léo : La Province Sud ?
A.P. : Ouais, c’était Jacques Lafleur à l’époque qui était très anti-indépendantiste et elle a été implantée l’usine, alors, entre guillemets pareil « en territoire indépendantiste ». Elle a été implantée chez les kanaks.
Donc il y avait déjà un petit consensus… un conflit politique, déjà un petit peu. Et quand l’usine du Sud, elle a été vraiment imposée par Jacques Lafleur chez les kanaks. Et donc ils n’étaient déjà pas très très à l’aise. Et le vrai vrai conflit, parce qu’ils travaillaient avec des kanaks. Le vrai vrai conflit, ça a, quand il a été tout de suite donné, dès la première année, déjà l’extension de l’usine avant même qu’elle ait été construite par Inco. Donc il leur a dit : « bah voilà : vous allez avoir un massif, un grand massif, vous allez pouvoir exploiter l’usine, et tout de suite, je donne pour pouvoir exploiter plus loin. Donc ça prenait quasiment tout le Sud de la Calédonie où étaient les kanaks. Donc comme c’était déjà un conflit politique, là ils ont dit : « c’est trop !». Et en plus, dans l’usine du Sud, il n’y a pas de participation, enfin, il y a très très peu de participation au capital de l’entreprise.
Et en plus, on leur a donné 15 ans d’exemptions fiscales, enfin après on a donné ça à l’usine du Nord, donc c’était 10 ans au total où ils ne payaient rien. Moi j’ai vu les gens de Goro et ils m’ont dit : « On aurait demandé l’exemption de la taxe pour chien, qui n’existe pas en Calédonie, on l’aurait eue. » Donc ils ont eu toutes les exemptions fiscales, et puis 100% et puis c’est 50% pendant 5 ans. Donc ça faisait beaucoup. Et en fait, pendant le…, comment dirais-je… moi j’ai assisté, j’étais là… Pendant la phase où il a fallu faire des études environnementales, des études, de demander aux populations…, ils s’y sont mal pris. Vraiment, ils ont fait ça à la va-vite. Ils ont donné aux kanaks, je me souviens, ils ont donné des piles et des piles de dossiers scientifiques. C’était en anglais, ils ne voulaient pas payer la traduction. Ce qui s’est passé, c’est que les kanaks, ils ont été voir les associations de protection.
Léo : De l’environnement.
A.P : Oui, mais au Canada. Parce qu’en Calédonie, il n’y a pas grand-chose.
Léo : Oui.
A.P : Ils sont allés au Canada. Et puis, ils sont allés voir Mining Wutsch. Et puis là, bah les autres ils leur ont traduit puis ils leur ont expliqué. Et puis une fois qu’ils étaient dans un mouvement international, ils ont commencé à protester etc. Donc là, il y avait un afflux de contestation politique. Il y avait… C’est vrai aussi que la Province Sud avait plus ou moins…, c’était mis d’accord avec les chefs qui étaient anti-indépendantistes. Alors tous ceux qui étaient indépendantistes, ils étaient de côté. Et euh… bon, donc ça a été quand-même très très conflictuel. Ça c’est en 2006, je crois, il y avait un gros conflit, avec des CRS, il y a eu des barrages…
Léo : C’est là que Reebhu Nuu a bloqué…
A.P. : Voilà, c’est là où Reebhu Nuu a commencé à se mettre en place. Reebhu Nuu s’est mis en place sur des revendications écologiques qui ont tourné très rapidement à la revendication des peuples premiers, aidés par des multinationales canadiennes qui avaient affaire à Inco au Canada.
Léo : D’accord.
A.P. : Donc là il y a eu des affrontements, il y a quelques jeunes qui ont fait de la prison et ils le disent dans le film un peu et puis bon, bah finalement, ils ont refait des études, ils ont remis en place des sous-traitants, avec des sociétés avec des kanaks et ça a été très, très, très tendu et en fait, ça s’est calmé quand les brésiliens sont arrivés.
Quand les Brésiliens ont repris, bah, la société Inco, ils sont arrivés avec un peu des nouvelles méthodes. Surtout, il y avait quelques…, à la Province Sud, il y avait quelques personnages que les kanaks ne voulaient pas voir, parce que c’était des militants, rassemblement etc.
Donc à partir du moment où ils ont fait sauter ce verrou-là, Vale, il y a eu un accord. L’accord, c’était le pacte pour le développement du Grand Sud. Donc c’était un pacte qui liait la société Vale avec toutes les tribus.
Toutes les tribus du Grand Sud et c’est un pacte financier. C’est un pacte financier qui prévoit, je crois, les 5 premières années, c’est 127 millions de $. Et c’est des petites tribus. Il faut savoir que les tribus, elles sont à maximum 2 500 personnes dispersées. Plus une fondation d’entreprise où ils ont de l’argent, plus les formations de personnes, etc. Et puis, ils s’y sont pris différemment : les kanaks étaient contents de voir arriver des Brésiliens qu’ils supposaient moins capitalistes que les Canadiens, ce qui n’est pas forcément vrai… C’est vrai que je me souviens très bien que Roger Adeli, la première fois qu’il est venu, la 1e chose qu’il a faite, c’est aller se recueillir dans la chapelle du village, ce que n’avaient jamais fait les Canadiens. Enfin, il a fait quelque chose…, il a emmené les kanaks au Brésil… Ce que les Canadiens avaient fait mais les Canadiens, ils l’avaient fait avec euh… Par exemple, ils avaient leurs propres traducteurs. Ils pensaient que les kanaks comprenaient pas l’anglais. Et il y avait des gens qui comprenaient l’anglais quand-même et qui ont vu que la traduction n’était pas exactement la même.
Donc il y a eu plein de petits détails comme ça.
Léo : D’accord.
A.P. : Plein, plein de choses. Et donc ils ont signé le pacte de développement du Grand Sud et là, quand ce pacte a été signé, bah le pacte c’était de l’argent contre plus d’action en justice, plus d’action…
Léo : D’accord. Donc ça c’était en 2008 ?
A.P. : Oui, c’est ça. Donc ça, ce film-là, il a été tourné après. Donc il explique pourquoi est-ce que les… parce que ça a été douloureux… Il explique pourquoi est-ce qu’ils ont accepté de signer un pacte. C’est parce qu’en fait, ils se disputaient entre pro et contre-usine, et ça mettait tellement de problèmes dans les familles, parce que c’est des petites familles, qu’ils ont préféré se rassembler pour signer un pacte avec Vale plutôt que de continuer à se diviser, parce que ils se disaient : « si on se divise, notre société, elle est perdue ». Donc ils se sont dit c’est bénéfique.
Léo : D’accord.
A.P. : Voilà.
Yolande : Moi, je n’ai pas très bien compris : pourquoi… qu’est-ce qui a motivé l’implantation de l’usine dans le Sud ?
A.P. : Et bien, parce qu’en fait, parallèlement, il y avait… Bon, la Calédonie, c’est 25% des ressources mondiales de nickel. Jusqu’à présent, il y avait une seule usine qui était l’usine de la SLN, avec tous les territoires, et quand il y a eu les accords, après les événements, les accords de Matignon etc., [acquiescements de Léo] une des premières choses, c’était de dire, bah les kanaks, la 1e revendication qu’ils ont eu, c’est nous, on veut aussi notre participation au nickel. Parce que dans le nickel, ils participaient au point ouvrier, mais très peu. Et donc ils ont fait, alors ça c’est expliqué dans ce livre-là, donc ils ont fait une revendication et leur revendication, c’était d’avoir une usine. Mais ils la voulaient dans le Nord et pourquoi est-ce qu’ils la voulaient dans le Nord ? Et bien parce que ils gèrent le Nord. Le Nord est indépendantiste. Le découpage électoral est tel que… Et donc, ils ont voulu leurs exploitations de nickel, leurs minerais, donc c’est expliqué : l’Apaga, et donc le Sud c’est dit : « mais nous, on a aussi des réserves de latérite, donc on va faire une usine dans le Sud. » Et donc il y a eu toujours une concurrence entre le Nord et le Sud. C’est ça : c’est qu’en fait ils étaient motivés aussi pour des décisions politiques.
Y. : Et qu’est-ce qui a poussé Lafleur alors à soutenir l’usine du Sud ?
A.P. : Inco ? Parce que c’était dans ses territoires, c’était dans sa zone d’influence et parce qu’il était très lié à Inco. Inco, ils étaient en NC depuis 1902. Ils étaient liés à des caldoches.
Y. : D’accord.
A.P. : Donc ils ont choisi Inco et puis Inco, ils étaient déjà là. Donc Inco a dit : « on va construire une usine », et puis comme c’était un procédé euh…, bah c’est de l’hydrométallurgie, c’est un procédé nouveau, il y a plein plein plein de minerais et puis justement, il y avait des territoires qui permettaient d’étendre l’exploitation pendant 100 ans ou plus. Vous savez, une fois qu’on l’a fini, ce gisement-là, il y en a encore à côté. C’est pas très compliqué. Alors que le Nord, ils ont un gros massif encore de garniérite. C’est pas les mêmes procédés. Donc c’est beaucoup la concurrence politique.
Léo : D’accord.
A.P. : C’est beaucoup ça. Et puis ils se sont dit : « le nickel, c’est les ressources de la Calédonie et puis c’était pour eux une concurrence Caldoches/ Kanaks. C’est beaucoup comme ça. Alors voilà. Donc en fait, ce que vous avez en Calédonie, c’est que vous avez une usine dans le Sud, qui est une usine à vocation économique c’est-à-dire que Inco, et maintenant Vale, veulent en faire une exploitation économique et comme ils maîtrisent le capital et tout, c’est économique. Alors que dans le Nord, l’usine du Nord, elle a une vocation plus politique. L’usine du Nord, ils l’ont faite parce qu’ils se sont dit qu’avec les revenus qu’ils allaient avoir, ils pourraient avoir leur indépendance, c’est-à-dire qu’ils auront de quoi payer leur indépendance. Chi Bao disait : « on ne veut pas être les mendiants de l’histoire, donc nous on veut les moyens de notre indépendance.
Léo : Alors justement, au mois de décembre, vous avez écrit un article dans Les Echos qui disait qu’Areva cherche à vendre ses 26% dans l’usine du Nord.
A.P. : Oui, oui.
Léo : Et les indépendantistes du Nord sont intéressés ?
A.P. : Oui. Alors ça c’est un grand mécano. Et ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a 3 usines, en fin il y a 3 entreprises. Donc il y a la SLN, qui est Eramet, et donc au moment de l’accord de Nouméa, ce qui a été convenu, c’est que la Calédonie, représentée par ce qu’on appelle la STCPI où il y a les 3 Provinces, la Calédonie posséderait une part dans Eramet, ça a été donné. Dans Eramet et donc dans la SLN. Donc les 3 Provinces possèdent actuellement 34% de la SLN et elles possèdent presque 5% d’Eramet. Et la SLN, c’est une usine qui est vieillissante qui est officiellement rentable, mais c’est quand-même 70% des concessions minières sur tout le territoire. Donc ils n’exploitent pas forcément les 70%, et puis c’est l’usine historique. Et donc vous avez l’usine du Sud, qui est Vale, qui elle fait un procédé avec les latérites et donc qui elle est détenue par Vale à 60% et puis par les Chinois, euh non, par les Japonais, dans lequel la Province Sud a à peine 5% du capital, et vous avez, au moment de l’accord de Nouméa et de l’accord de Matignon, les kanaks qui ont obtenu le massif du Koniambo avec leur usine. Mais le problème pour…, donc ça c’est expliqué aussi dans ce livre-là, André Dang qui est un Calédonien mais qui a le génie de la finance et quand-même qui est asiatique, lui, il s’est dit que pour financer l’usine du Nord, puisqu’ils n’avaient quand-même pas trop d’argent, parce que le projet il est quasiment de 5 milliards. Ils ont 51% mais ce que les Calédoniens ont du mal à comprendre, c’est que quand on est actionnaire, on a des droits et on a des devoirs, pas simplement le droit de toucher. Pour avoir 51%, il faut payer. Et comme le…, au début l’usine, c’était 3 milliards de $, maintenant c’est 5 milliards, chaque fois ils amènent des fonds supplémentaires, donc il faut abonder et ils n’ont pas l’argent, ils n’ont pas l’argent pour abonder, donc en fait, Dang a imaginé d’être partenaire majoritaire, pareil avec Posco, dans une usine en Corée. Donc, pour être partenaire majoritaire dans l’usine de Corée, André Dang a donné une partie des massifs que possédait la Province Nord pour alimenter l’usine de Posco, c’est-à-dire que eux, ils sont majoritaires dans l’usine. Mais les Coréens, ils ont des droits sur une grosse partie des massifs, hors le massif du Koniambo, sur une grosse partie des massifs de la Province Nord. Le problème, c’est que l’usine de Posco, elle marche bien parce que elle a été construite en Corée, elle a été construite tout de suite, les Coréens, ils ont bossé, c’est sur un immense site (où je suis déjà allée) donc c’était facile à faire. Et bah ça marche tellement bien que maintenant, ils veulent doubler la production, la capacité de l’usine. Seulement, pour que les kanaks restent majoritaires, il faut qu’ils doublent aussi la fourniture de minerais. Or ils n’ont pas de minerais, ils n’ont plus de massif, ceux qui détiennent les massifs, c’est la SLN. Donc l’idée d’André Dang, c’est de dire : « Bah voilà, on va prendre la majorité dans la SLN. Et en ayant la majorité dans la SLN, les 3 Provinces, et dans ce partenariat STCPI, ils sont majoritaires, la Province Nord, par ce partenariat, on va prendre la majorité de la SLN, et une fois qu’on aura la majorité de la SLN, on pourra disposer des massifs pour alimenter l’usine de Corée. Le problème, c’est qu’ils sont dans une impasse, c’est que le massif du Koniambo, ils sont obligés par les accords de le laisser pour cette usine-là, donc pour l’usine qu’ils font avec Xstrata maintenant. Et donc ils doivent, avec les autres massifs de Calédonie fournir l’usine de Corée. Mais ils n’ont pas, en l’état actuel, de quoi fournir une usine de 160 000 tonnes/an. Parce qu’il y a des teneurs, des degrés différents. Ça peut pas être… en général que le minerai, il ne vient pas que d’un massif… donc en fait, c’est ça. Et donc ce pourquoi ils voudraient reprendre la majorité de la SLN, c’est pour disposer des massifs et les réattribuer à qui ils veulent.
Léo : D’accord.
A.P. : Mais il ne va pas y arriver. L’Etat va pas laisser faire ça.
L’objectif, il est là, c’est-à-dire : il va dire que c’est pour le pays, mais moyenne en quoi, comme la présidence de la STCPI, elle est à la Province Nord, il pourra disposer des massifs. C’est pour ça que la SLN et Eramet ne veulent pas se laisser faire. Parce que si leur usine elle est vieille, ils ont quand-même une grande partie des ressources.
Donc voilà, c’est pour ça.
C’est ça le problème : c’est que d’un côté, vous avez l’usine du Sud qui est Vale et donc qui est quand-même essentiellement brésilienne avec un procédé qui est difficile à mettre en place parce qu’il est novateur ; vous avez la SLN, avec une usine vieillissante qui est la France mais des mines qui sont quand-même intéressantes et vous avez tout d’un coup les kanaks qui sont passé en 20 ans de rien à finalement deux usines de nickel dans lesquels ils sont majoritaires, mais ils ont pas forcément toute la ressource.
Donc voilà, c’est ça.
Léo : Alors, donc on en vient à la question sur l’impact médiatique, c’est ça ?
A.P. : Oui, alors l’impact médiatique. Ben, en Calédonie, ça a été assez énorme, en France…
Léo : Un peu moins quand-même, mais on en a entendu parler…
A.P. : On s’en fiche. On en parle, on en parle, oui.
Léo : Un petit peu dans des émissions comme Thalassa, il me semble ?
A.P. : Oui ! Alors les émissions comme Thalassa, ils en parlent. Oui. Oui, oui, oui. Mais les émissions comme Thalassa, ils en parlent, c’est toujours quand-même un peu… Le problème de la Calédonie, c’est que les kanaks, c’est un peuple premier, il n’y en a plus beaucoup, donc moi j’essaye de tempérer, la tendance, c’est de toujours dire leurs coutumes, leurs trucs comme ça, l’environnement, etc…
Mais les Kanaks, oui ils veulent préserver l’environnement mais c’est pas forcément ça leur but. Eux, ce qu’ils veulent, c’est le développement économique, c’est l’emploi et puis c’est une rente. Donc par le pacte de Vale, ils ont la rente, ça c’est garanti. Je veux dire : là ils ont la fondation d’entreprise, la fondation d’entreprise, elle a 127 millions d’€ sur 5ans, à diviser sur 5 000 personnes, je veux dire si on compte les enfants, les vieux, etc. Et là ça fait déjà un an que la fondation d’entreprise elle existe et ils ont pas réussi à se mettre d’accord sur un seul projet. Moi j’ai demandé à Vale, ils m’ont dit : « bah pour l’instant, ça nous coûte pas cher. On a mis l’argent de côté mais ils n’arrivent pas à se mettre d’accord. Donc c’est quand-même une manne, et ça a augmenté. Au fur et à mesure qu’ils vont commencer à rentrer en production. Ces 127 millions, ils deviendront 160 millions. Il faut s’imaginer ce que c’est : la Calédonie, c’est un pays où l’argent, il coule à flot quand-même. La crise là-bas, on en parle mais, je veux dire, c’est assez sidérant. Et dans le Nord, c’est pareil.
Et ce qu’ils veulent maintenant, la différence, c’est qu’ils voudraient bien une rente donc ils se disent que pour payer tout ce qu’ils veulent, tous les frais, ils pourraient mettre une taxe sur l’extraction minière et les dirigeants voudraient bien quand-même qu’il y ait beaucoup de participation via les sociétés sous-traitantes. Les usines, ça permet aussi de former les sociétés sous-traitantes. Donc pour certains travaux, pas pour les gros, mais pour certains travaux, les compagnies minières, elles sont obligées de passer par ces sociétés sous-traitantes, donc c’est un surcoût quand-même de 8%. Parce qu’ils ont ce qu’on appelle des SAS qui ont été formés, qui regroupent tous les clans, qui proposent un certain nombre de travaux : des travaux de terrassement… bon, les travaux les plus simples. Ce qui permet de les former, ça permet de former les entreprises, mais ils sont obligés de passer par là, et la SAS, au passage, elle prend 8%, et ces 8%, ils sont redistribués dans les tribus. Donc il y a tout un système qui fait que… Mais c’est la condition sine qua none.
Donc l’impact médiatique en France : un petit peu dans les émissions comme Thalassa etc., mais pas énormément. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas d’association écologique en Calédonie forte. C’est des amateurs, il n’y a pas d’ingénieurs… L’ŒIL, ça commence un petit peu, mais l’ŒIL, il faut savoir qu’il est quand-même payé par la Province Sud et par Vale.
A.P.: Alors là, il va y avoir une émission sur RFO, mais enfin RFO demande à ce que ça soit eux qui payent tout.
Alors à partir de ce moment-là…
Léo : Et est-ce que des organisations comme WWF sont importantes en Nouvelle-Calédonie ?
A.P. : Un petit peu, oui, elles sont présentes, mais WWF, ils s’occupent plus de la mangrove, des sociétés de défense des oiseaux donc c’est pour ça qu’il y en a qui ont beaucoup insisté pour que l’UNESCO se mette dans la protection du lagon. Mais ça touche pas les zones qui sont impactées par la mine. Et même, ils ont séparé, si vous regardez les zones, il y a des zones par exemple comme Belep où pour l’instant il n’y a pas de mine, mais qui a été mise hors patrimoine, parce que, à l’avenir, ils pourraient l’exploiter. Donc ça a quand-même été bien…
Léo : …bien…
A.P. : … bien sélectionné. C’est pas toute la Calédonie. On a mis des verrous là où il n’y a pas de mines. La mine, en Calédonie, c’est tout. Donc ils se sont pas liés à l’UNESCO… De toute façon, l’UNESCO, ça n’entraine pas grand-chose franchement…
Yolande : Oui mais ça pose quand-même quelques contraintes, non ?
Léo : peu de contraintes. C’est surtout symbolique.
A.P. : C’est symbolique. C’est de l’image. Je veux dire : ils font un petit regroupement, ils protègent 2-3…
De toute façon en Calédonie, à part la mine, moi je pense qu’il n’y a pas énormément de dégâts puisqu’il y a très peu de monde : il n’y a que 250 000 personnes. Vous mettez 250 000 personnes divisées sur les îles et il y en a 120 000 dans la seule ville. Alors vous mettez 120 000 personnes dans la Province Nord qui est immense, sur les 3 îles Loyauté, à l’île des Pins…
La Calédonie, c’est désert. Une fois que vous sortez de Nouméa, la plus grosse ville, elle fait…
Là, la zone décapée où ils vont mettre l’usine du Nord, ils font tout un foin mais ils vont passer en 15 ans de 8 000 à 16 000 personnes sur une distance de 50 km. Alors vous imaginez si vous mettez 16 000 personnes sur 50 km, s’ils trouvent déjà que c’est…
Je veux dire : la pollution elle est quand-même… Oui il y a la pollution des rivières, oui mais c’est parce que c’est complètement vierge. Je veux dire, c’est ça. Après, moi je pense que la pollution, elle viendra vraiment des centrales au charbon qu’ils veulent mettre partout.
Alors les associations, c’est plutôt des associations assez d’amateurs. Donc qui essayent de survivre et qui n’ont pas beaucoup d’impact.
Léo : Donc mal organisées pour l’instant.
A.P. : Elles sont organisées, mais par exemple, elles n’ont pas vraiment de contact avec beaucoup d’étrangers, ou il faudrait se mettre dans un mouvement mini-global… Les syndicats ont essayé aussi, mais la Calédonie, c’est loin, pour se déplacer, c’est cher. C’est quand-même très isolé.
A.P. : Inco, quand ils sont arrivés, ils étaient persuadés que c’était comme une île de l’Indonésie.
Léo : Oui.
A.P. : Heureusement qu’il y a l’Etat français, parce que s’il n’y avait pas l’Etat français, ils seraient livrés…, ça c’est sûr. 250 000 personnes. C’est pas énorme. Un territoire qui est grand comme 2 fois la Corse.
Léo : Oui.
A.P. : Avec un bassin de mer, une ZE qui est comme la Méditerranée.
Léo : Oui.
A.P. : Tout est relatif.
Léo : Oui. D’accord.
A.P. : Donc l’impact… hein. Alors dans les médias calédoniens, le problème de l’exploitation du nickel, bah il est posé surtout en termes économiques, en termes d’emplois, de changement de vie… Bon, il y a un peu d’environnement, quelque soit la situation, mais c’est surtout en termes économiques. Ils se disent : « comme ça, on va pouvoir se financer ». Et même les non-indépendantistes.
Léo : D’accord. Et donc finalement, l’opinion publique à propos de ce sujet, ils sont plutôt favorables ? Ils espèrent avoir des retombées économiques ?
A.P. : Bah, ils sont favorables au nickel. Ils étaient quand-même assez contre Goro parce que justement, ils s’y sont mal pris. Ils ont vraiment eu l’impression d’être pris pour des pigeons. Donc là ils ont vraiment vent debout. L’usine du Nord, qui a fait toute une campagne auprès des populations avant. Ils ont fait 450 réunions dans les tribus, dans les écoles, y compris à la sortie des églises etc. Ils ont expliqué, ils ont fait énormément d’études environnementales auprès des populations : personne dit rien ! Et ce sont des suspects. Parce que comme c’est un projet politique, bah dans le Nord, personne ne veut aller contre l’indépendance, donc personne ne dit rien sur l’environnement. Mais ils ont quand-même déplacé les coraux, ils polluent quand-même, personne ne dit rien. Donc c’est vraiment une question de communication. Ce qui prime, c’est l’emploi, l’argent. Il y a une espèce de sentiment qui dit : « bon bah maintenant on fait ce qu’on peut. Si on veut gagner de l’argent, il faut qu’on sacrifie une partie des choses. » Donc ce qu’ils ne veulent pas, c’est comme Goro qui s’y était extrêmement mal pris. Ce qu’ils veulent, c’est qu’on les respecte ou du moins qu’on fasse semblant.
Y. : Donc pour le moment, c’est plutôt l’économie aux dépens de l’écologie ?
A.P. : Oui ! Complètement. Et je veux dire : les massifs, comme c’est très grand, les massifs, on voit pas tellement. On voit un peu dans la montagne, on voit un peu les scarifications, enfin vous verrez des choses comme ça, mais ça ne se voit pas énormément et l’usine du Sud, elle est complètement isolée, elle est à 1h de route de Nouméa donc il n’y a que celui qui le voit, et l’usine du Nord, elle est toute en hauteur… Les gens, ce qu’ils veulent, c’est le développement et l’économie. Ça c’est sûr. Et donc ils ont conscience que c’est le seul territoire d’outre-mer à avoir ça. Donc c’est l’économie qui prime. C’est l’emploi, et je veux dire : les jeunes, par exemple là maintenant dans l’usine du Nord, vous avez à peine le bac, on vous paye vos 3 années de formation au Canada et en plus vous avez un salaire. Attendez, les gens en France…
Léo : Oui.
A.P. : Vous pouvez aller faire des études où vous voulez, on vous les paye. Dans n’importe quel domaine, pas seulement dans les mines. Vous voulez faire du tourisme, on vous envoie vous former au Canada. Vous avez de l’emploi tout de suite. Tout de suite, tout de suite. Mais si vous voulez, le film sur les jeunes, vous pourrez peut-être l’enregistrer ? Sur les jeunes Calédoniens qui montre aussi l’usine du Nord, il passe ce vendredi sur France Ô, à 20h30.
Léo : D’accord.
A.P. : C’est pareil. Ça montre comment les jeunes ils sont dans l’usine, dans le fric, quels sont leurs espoirs, comme ils disent, on discute au bord d’une piscine avec du champagne… Il y a beaucoup de gens ici… [Rire désabusé]
Léo : D’accord. Donc la NC ne connait pas…
A.P. : …ne connait pas la crise.
Léo : Ni le chômage ?
A.P. : Ah non. Le chômage, si, ceux qui connaissent le chômage, c’est parce qu’en fait, les…
Enfin, je veux dire, en Province Nord par exemple, 70% des gens avaient le niveau BEPC/CAP, et en fait, les usines elles exigent quand-même pour travailler à l’usine, un minimum de bac+2. Donc vous avez du mal à… Et puis des ingénieurs. Alors en une génération, ceux qui ont le BEPC, vous avez du mal à les faire passer au niveau ingénieur. Ils manquent un peu de populations. Donc ceux-là ils n‘ont pas tellement d’emploi. Mais il y a le plein emploi. C’est celui qui veut rester en tribu qui n’a pas de boulot. De toute façon, il y a plein de français qui viennent, plein de métropolitains.
Léo : D’accord.
A.P. : Même si ça ralentit, mais enfin, il ne faut pas exagérer. Et puis il y a l’argent de la France quand il y a la crise, donc le problème il est réglé.
Alors les kanaks, est-ce qu’ils sont satisfaits des retombées économiques ? Ben oui, ils sont satisfaits. Je veux dire, ils en veulent toujours un peu plus, mais ils sont quand-même globalement satisfait parce que d’abord, ça leur permet d’avoir de l’argent, ça les forme. Je veux dire : ils sont formés, vraiment à haute dose, à tous les niveaux. Les BTS, l’université fait des formations spéciales en fonction des besoins des usines. Je suis déjà intervenue dans des formations pour la revégétalisation. Maintenant il y a des formations pour la métallurgie, il y a des formations pour la mine et puis pour tout ce qui est accompagnement. Oui, l’université les forme.
Donc ils ont des formations, ils ont des revenus, donc ils sont vigilants sur l’environnement, mais enfin… Je dirais qu’ils sont d’une vigilance raisonnée.
Alors le problème philippin, il a été…, ça a été un petit peu au début et puis maintenant plus personne n’en parle. Ils sont toujours là. Parce que finalement, ils se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient pas faire tout le boulot. [Acquiescements de Léo] C’est des ouvriers spécialisés. Et aussi au début, ils avaient demandé des formations pour soudeurs, parce que c’est surtout des soudeurs qui viennent pour les assemblages des usines. Seulement, on leur a expliqué, et ça je pense que c’est vrai, c’est que les soudures pour une usine hydrométallurgique, c’est pas le même type de soudure que pour une usine pyrométallurgique. J’y connais rien en technique mais…
Et donc en fait, [au lieu] d’en former pour [la construction de] l’usine du Sud qui allait durer près de 3-4 ans, ça servirait pas forcément pour l’usine du Nord. Donc c’était plus facile de faire venir des ouvriers philippins et puis c’était moins cher.
Léo : D’accord.
Q : A l’époque, les syndicats, notamment l’USTKE, ont-ils manifesté un certain mécontentement à l’arrivée de ces ouvriers philippins ?
AP : Au début, oui. Mais ils ont négocié des primes, l’entreprise a négocié des accords, comme quoi il n’y aurait plus de grève, et à part 2006 il n’y a plus jamais rien eu. Pas un mouvement de grève. Donc ils ont négocié, oui au début ils ont négocié pour les philippins qui étaient exploités, mais je peux vous dire que pour les chinois qui sont aussi exploités dans le Nord plus personne ne dit rien. Les chinois, en plus, ils sont dans des algecos, alors je ne sais pas si vous savez ce que c’est, c’est des conteneurs dans lesquels on les met à quatre. Vous êtes sur le site six mois comme ça, et vous avez une journée de congé par semaine. Et maintenant comme il n’y a plus de place on les met à six. Et dans le sud, comme ils n’avaient plus de place non plus parce qu’il y avait des ouvriers philippins, ils avaient même été jusqu’à louer un paquebot de croisière, et le soir ils allaient dormir sur le paquebot de croisière… Ca oui, au début, ça a protesté, mais maintenant, il n’y a plus rien. Pas de grève… Quelques moments de protestation très vagues des entrepreneurs locaux qui veulent les contrats. Mais alors les entrepreneurs locaux c’est quoi ? Ce sont des habitants des tribus qui ont acheté un camion pour faire les terrassements. Ils ont emprunté à plusieurs millions, mais les camions ils les rentabilisent sur trois mois. Et après ce qu’ils demandent, c’est des travaux. Là il y a une période de démobilisation, puisque les terrassements ils sont finis, donc ce qu’ils demandent c’est toujours des travaux, donc on terrasse un petit peu… La contestation elle est quand même… C’est toujours sur des petits points… Comme en Calédonie tout est quand même facile, il suffit que vous mettiez un camion en travers de la route, comme il y a qu’une route qui fait le tour de la Nouvelle Calédonie, il n’y a qu’à mettre un camion au travers de la route et puis vous bloquez tout. Ce n’est pas très compliqué… Le port quand vous voulez le bloquer, vous mettez des conteneurs à la sortie, et puis c’est tout…Ce n’est pas comme ici, et comme tout le monde, dès qu’il y a contestation, on négocie, … Ca a plus chauffé en 2006, mais maintenant… Si, ils protestent sur des petites choses. Plus comme avant. Maintenant que l’argent s’est diffusé, tout le monde veut que ça continue. C’est compréhensible….
Q: Quelle est la part des populations kanakes dans le capital des entreprises ?
AP : Alors là, ce qui pose problème, c’est que justement, dans la capital de l’usine Sud, c’est les Japonais, les Brésiliens, et 5% de la province Sud ; et dans le capital de l’usine du Nord, c’est théoriquement 51% de la province Nord, et 49% de Xstrata. Et ça c’est les institutions. Les populations locales, elles, elles ne participent pas dans le capital, mais elles participent via les sous-traitants. Donc via le système qui fait que quelque part, les entreprises sont obligées de donner une part des travaux aux populations locales. A elles de s’organiser, de se former, de se regrouper, etc.
Q : Alors, le gouvernement Français, l’administration et les provinces, sont-ils intervenus sur ce sujet ?
AP : Alors, le gouvernement français, il suit ça de très près. Il y a quelqu’un qui est très intéressant, qui est à Paris, qui suit tous les dossiers Calédoniens depuis le début, elle s’appelle Anne Dutilleuil. L’Etat Français est quand même très présent, puisque la Nouvelle Calédonie, c’est encore la France, et il est présent par le biais de la défiscalisation. L’environnement et les orientations économiques, c’est du domaine des provinces. C’est par exemple pour ça que c’est la province Sud qui a choisi Inco et la province Nord qui a choisi Falcon Bridge. Mais l’Etat Français, accorde des défiscalisations… Et il est présent parce que ça rassure les multinationales. Je pense que si les multinationales étaient simplement face aux calédoniens et aux kanaks elles seraient moins rassurées. L’Etat Français conseille et rassure, cela donne une espèce de garantie.
… Vous pouvez contacter A.D., elle est au ministère de l’Outre-Mer, vous pouvez l’appeler de ma part.
Q : Il semble qu’il y ait des problèmes d’ordre politique, notamment à propos d’un référendum sur l’autodétermination en 2014. Est-ce que le problème du nickel va jouer un rôle dans ce référendum ?
AP : Le référendum, d’abord, il est entre 2014 et 2018, donc ce n’est pas du tout sûr qu’il soit en 2014. Alors, oui, cela va jouer un rôle, surtout l’usine du Nord, pas tellement l’usine du Sud. En fait, le fer de lance du combat kanak, c’était : « nous on veut avoir notre participation au nickel, donc nous on veut avoir l’usine du nord », et c’est grâce à cette usine du Nord qu’ils se disent qu’ils peuvent revendiquer l’indépendance parce que d’abord ils ont montré qu’ils étaient capables de gérer des entreprises, ils ont montré qu’ils étaient capables de discuter avec des multinationales, et avec cette rente de nickel ils peuvent avoir leur autonomie, ils ne seront pas comme le Vanuatu, dépendant des organisations internationales. Donc c’est à ce niveau là que cela a joué énormément, et ça continue à jouer, parce que les kanaks, puisqu’ils ont montré que à la limite leur usine est mieux gérée que celle de la SLN maintenant, ils se disent qu’ils peuvent gérer le pays.
Q : Est-ce qu’il pourrait y avoir éventuellement une partition de la NC entre le Nord et le Sud ? Vous n’y croyez pas ?
AP : Non, moi je pense que ce qui va se passer, et tout le monde est à peu près d’accord, c’est qu’il y aura une indépendance-association. Le tout est de savoir dans quel sens on met indépendance et association. Ce qui va se passer, c’est qu’ils ont déjà beaucoup d’autonomie (de toute façon la NC est déjà pratiquement indépendante), à part les pouvoirs régaliens. Donc les pouvoirs régaliens, c’est quand même ce qui coûte cher, et donc en fait ce qui va se négocier, et ils sont tous à peu près d’accord, et après ça se joue sur les détails, c’est de signer des accords avec la France, qui associeraient la France pour qu’elle gère les pouvoirs régaliens. Alors les indépendantistes voudraient que l’indépendance soit déclarée et que dans la foulée, ils signent des accords avec la France pour les pouvoirs régaliens, la justice, etc… Et les non-indépendantistes voudraient qu’on reste dans la France mais que la France ne garde que ce qu’on veut bien lui concéder. Mais c’est sûr que le développement minier a joué parce que c’est cela qui leur donne les moyens de l’indépendance. Le jour où ils n’auront plus d’argent ils n’auront qu’à mettre une petite taxe minière. C’est facile, une petite taxe de 0,5% ça suffit. 250 000 personnes ce n’est pas énorme. Une petite taxe minière, vous mettez ça par décret, vous votez une loi du pays, puisque de toute façon, le congrès il vote des lois du pays, vous n’avez pas besoin de demander à la France. Ce n’est pas très compliqué. Ce n’est pas comme les Antilles qui n’ont que la canne à sucre.
Q : Est-ce que l’essor de l’industrie minière peut alimenter des flux migratoires ?
AP : Oui, il y a énormément de gens qui viennent. Des jeunes, il y en a plein, parce que d’abord c’est la France et que quand vous arrivez, vous pouvez travailler, vous n’avez pas besoin de permis. Parce qu’ils ont besoin de compétences, donc si vous êtes un peu diplômé (il suffit d’un BTS)… Et même si vous n’êtes pas diplômé, il y a tellement de constructions, il y a des plombiers ….
Il y a beaucoup de jeunes, les experts comptables ils viennent de la Réunion….
Q: Les kanaks n’ont-ils pas peur de voir leur position s’affaiblir ?
AP : Justement, si… Il y a des mesures de protection. Ils ont mis, pour les votes par exemple, le gel du vote électorale, c’est-à-dire que seuls peuvent voter pour les élections provinciales et pour le référendum d’autodétermination, ceux qui ceux arrivés avant 1998. Par exemple, moi, je suis arrivée en 2000, donc je n’ai pas le droit de vote là-bas. Je peux voter pour les élections nationales, mais je ne peux pas voter pour les élections locales. Donc vous avez protection du vote, et ils ont mis une protection de l’emploi local, c'est-à-dire que maintenant ils ont listé 600 postes, avec si j’ose dire des coefficients, par exemple les postes que les Calédoniens peuvent occuper, les postes pour lesquels il y a des lacunes… Par exemple, vous devez avoir en général dix ans de résidence pour occuper des postes dans la fonction publique, mais dans le secteur privé, c’est plus compliqué.
Il y a beaucoup de flux. D’ailleurs comme les flux qu’il y avait pendant le boom du nickel en 70. Moi j’en vois tous les jours, des gens qui arrivent. Après maintenant ça va devenir compliqué de se faire employer dans la fonction publique, ils vont faire des concours où il y aura deux listes, il y aura ceux qui sont considérés comme calédoniens, ceux qui ne seront pas considérés comme calédoniens, et puis on puisera dans toute la liste des calédoniens avant de pouvoir arriver ailleurs. Mais enfin en attendant, moi je connais plein de gens qui sont arrivés, qui ont passé des concours et qui sont intégrés. Des infirmières, tout ce que vous voulez.
Alors ce qu’il faut savoir c’est que cette année, théoriquement, c’est l’année où les deux usines vont rentrer en production. Celle du Sud est dans une phase de test, donc elle devrait rentrer en production cette année, et l’usine du Nord, elle sera inaugurée à la fin de l’année. Alors à mon avis elle ne produira pas grand-chose, mais au moins ils feront une première coulée de nickel et après ça se mettra en route. Donc cette année ça devrait être une grande année pour la Calédonie à ce niveau là. Oui parce que deux usines c’est quand même rare, je veux dire qu’on fasse deux usines dans l’équivalent d’un département, en France …
Q : La Nouvelle-Calédonie n’aurait-elle pas intérêt à diversifier son économie ? Dans quels domaines ?
AP : Oui, ils auraient intérêt à se diversifier. Le problème c’est qu’une des rares alternatives est le tourisme, qui est très cher en Nouvelle-Calédonie. C’est horriblement cher. C’est loin, et sur place c’est cher. Les fonctionnaires, à cause de l’éloignement, sont payés le double. Mais les gens sont en général payés le double, sauf les bas emplois, même dans les entreprises privées. Les salaires c’est le double de la France. Un professeur d’université, en fin de carrière, il est quand même payé 10 000€.
Q : Et le coût des produit est beaucoup plus cher ?
AP : C’est cher, oui, mais ce n’est quand même pas le double. En général on dit que c’est 20 à 30 % plus cher. C’est cher, mais la Calédonie, c’est quand même le pays où il y a le plus fort taux de bateaux par habitant, et le plus fort taux de Porsche Cayenne par habitant. Oui, tout le monde a des gros 4x4, ça coûte horriblement cher. Et, pour le tourisme, ça coûte cher, et, le problème, c’est que le service n’est pas développé. Ils ont le nickel qui rapporte beaucoup plus : aller servir les touristes, ils n’aiment pas et ils ne savent pas faire. Donc, vous payez quelque chose de très cher, pour avoir un service qui n’est pas à la hauteur. Je veux dire, les gens qui voyagent jusqu’en Calédonie, ils ont déjà fait les Maldives, les Seychelles….
Q : Les touristes, sont plutôt d’origine métropolitaine, ou il y a beaucoup d’australiens… ?
AP : Il y avait des japonais, mais il y en a de moins en moins, parce que d’abord il y a la crise au Japon, et puis … les Japonais ils viennent pour se marier. Parce qu’en fait ils font les mariages, c’est comme à Tahiti, parce que quand vous êtes au Japon, ce sont les mariés qui doivent inviter tout le monde et faire des cadeaux à tout le monde, donc ça leur coûte moins cher d’aller se marier en Calédonie. Oui, il y a des métropolitains qui viennent voir leur famille, mais ceux là ce ne sont pas vraiment des touristes. Ils ne vont pas dans des hôtels, donc en général, ce qu’ils font c’est le tour de la Calédonie, ils prennent la voiture. Ce qu’il y a, c’est des croisiéristes. Puis il y a quelques australiens, quelques néo-zélandais, mais c’est très cher. La Calédonie, il y a plus ou moins 100 000 touristes. Ce n’est pas énorme. Le Vanuatu, ils en ont déjà un peu plus, et à Fidji ils en ont 600 000. Les Calédoniens ça ne les intéresse pas énormément. Ils ne veulent pas travailler le soir,… Et puis c’est mal payé… Alors sinon il y a un peu d’aquaculture, mais ça marche moyen.
Q : Pas d’agriculture, d’élevage, de …
AP : Très peu, l’agriculture ça représente moins de 2% du PIB. Alors il y a beaucoup de terres, mais c’est pareil, l’agriculture, c’est fatiguant. Les terres elles ne sont pas très propices aux cultures…
Mais ils pourraient exploiter la mer, il y a quand même du poisson dans la mer, mais les kanaks, ne sont pas des marins. Les Polynésiens sont des marins, mais les kanaks sont plutôt de la terre.
Il y a des services, il y a quand même un bon niveau d’éducation. Ce qui se développe bien, c’est le commerce. L’import-export, le commerce, tout cela tourne. Et puis il y a quand même, dans l’économie calédonienne, 25% de fonction publique.
Q : Mais ne pensez-vous pas que si la Nouvelle Calédonie devient entièrement dépendante du nickel, elle serait très fragile à cause des fortes variations des cours ?
AP : C’est sûr ! Moi j’en suis persuadée, je crois à la malédiction des matières premières…. Il y a deux choses, c’est qu’à la fois ils ont l’habitude, des périodes de pics et des périodes de creux. Alors dans les autres années, généralement quand il y a des périodes de creux, les gens se repliaient en brousse, allaient à la pêche, à la chasse… Sauf que maintenant, les gens ont pris l’habitude de vivre complètement à l’occidentale, ce sera beaucoup plus difficile. Ah oui, moi je suis persuadée que tout d’un coup passer de une usine à trois usines sur un même territoire, d’abord on est dépendant des cycles du nickel, et en plus, et cela va être dans le prochain film que je vais faire, c’est que personne ne se rend compte en Nouvelle-Calédonie qu’il y a de plus en plus de pays qui font du nickel. Il y a une usine qui s’ouvre à Madagascar. Cuba c’est une île où il y a plein de nickel, alors quand il n’y aura plus le régime de Castro... Ca ils ne s’en rendent pas compte. C’est le problème de l’isolement de l’île, c’est qu’ils ne veulent pas en entendre parler. Ils s’imaginent qu’ils sont les rois du monde, qu’ils ont 25% des ressources, et que tout le monde va continuer à leur faire les yeux doux. Les minerais sont vraiment de bonne qualité en Calédonie, sauf que cela a des coûts d’exploitation beaucoup plus que les autres. Parce que la vie est chère et que les ouvriers sont payés beaucoup plus chers. Et ils sont moins rentables, vous pouvez demander à n’importe qui, ils sont moins rentables qu’un philippin ou qu’un indonésien. Il y a du nickel ailleurs, ça ils ne veulent pas s’en rendre compte. Moi je suis persuadée que, une fois qu’ils vont être complètement dépendants du nickel, ils vont être pris dans une trappe, et que le piège va se refermer. D’autant plus que là, l’Etat Français va quand même essayer de fermer un petit peu le robinet, que ils ont pris des compétences qu’ils vont devoir assumer eux-mêmes, par exemple l’enseignement, etc. Donc oui, je pense que c’est un piège dans lequel ils se sont lancés pour des raisons politiques, parce que le Nord avait une usine, le Sud en voulait une. Les multinationales se sont précipitées parce que jusqu’à présent la Nouvelle Calédonie c’était la chasse gardée de Eramet. Eramet ne voulait laisser passer personne, et au nom de la politique, on a laissé rentrer, si j’ose dire les étrangers, et que eux, ce qui les intéresse, c’est qu’une fois qu’ils sont sur place, ils peuvent geler les massifs. Dès qu’il y a une crise on ralentit la production…. Oui, bien sur, je pense que c’est un piège dans lequel tout le monde s’est précipité avec un aveuglement à mon avis coupable. Maintenant les populations ont pris l’habitude de profiter des retombées économiques, on le voit bien… C’est simple, maintenant il y a deux fois plus de Calédoniens qui vont voyager à l’étranger que de touristes en Calédonie. Pendant les vacances, tout le monde part en Australie, ce n’est pas très loin, mais ça coûte cher, quand même.
Alors l’Etat Français veille, essaie avec l’argent du nickel de faire un fond pour les générations futures. L’idée ce serait que quand ils en gagnent beaucoup ils en gardent pour les générations futures. Parce que le nickel, ça va durer quoi ? 50, 100 ans ? Un peu plus, parce que les techniques s’améliorent, mais, si les techniques s’améliorent, si par exemple on arrive à traiter les latérites, des latérites, il y en a partout dans le monde. Il n’y en a pas qu’en Calédonie. Et on fera travailler les philippins, ils travailleront plus et ils travailleront moins cher. Parce que là ils sont quand même sur un système qui a tous les avantages de la France. C’est un piège pour les tribus, les tribus kanaks elles …. Je suis sure que dans 25 ans il n’y aura plus grand-chose….
Q : Mais il n’y a personne pour réagir et essayer de faire prendre conscience à la population que …
AP : Il y a peu de gens, parce que la presse elle est assez muselée, il y a qu’un quotidien, pour l’instant il y a qu’une chaîne, il n’y a que RFO qui ne fait pas grand-chose. Moi c’est un peu mon combat, c’est pour ça que je voudrais faire le documentaire sur France 5, leur montrer comment ça se passe. Le problème, c’est que, c’est difficile de leur dire... Ils sont comme nous, ils ont envie d’avoir l’électricité, les voitures, pas forcément de dormir dans leurs cases. C’est une vision très européenne, c’est vrai…. Les femmes, elles ont envie de se libérer, elles ont envie d’avoir un boulot, la société kanak elle est quand même très machiste, …. Ils ont des traditions, ça les structure, mais quand même, c’est pas forcément facile, les femmes, elles bossent, c’est celles qui bossent le plus, c’est celles qui réussissent à la fac, et puis après, une fois qu’elles ont leur indépendance, généralement il y a beaucoup de problèmes d’alcoolisme en Calédonie … C’est fini, elles sortent, elles ont leur indépendance, j’ai vu des jeunes kanakes, les premières choses qu’elles faisaient, c’était prendre des cours de karaté pour se défendre.
Quand vous êtes dans toutes les tribus, vous avez Canal +, vous n’arrêtez pas de regarder tous les feuilletons… Je ne sais pas si on peut leur en vouloir de se précipiter comme ça dans la modernité.
Q: Est-ce qu’il ne risque pas d’y avoir, justement, une NC à deux vitesses, d’un côté ceux qui bénéficient du nickel et de l’autre côté les régions moins développées ? Par exemple, les îles Loyauté, qui en bénéficient moins ?
AP : C’est déjà le cas. Les îles Loyauté sont en retard depuis longtemps. Les îles Loyauté, elles, elles se vident, donc ils maintiennent un peu les tribus. Des fois les gens qui gagnent un peu d’argent, ils en envoient là-bas. Les îles Loyauté, elles font du tourisme, les touristes vont dans les cases, dans les tribus, mais c’est quand même cher, donc ils ne le font qu’une fois.
Ces usines là, elles étaient pour le rééquilibrage. Ce qu’on voulait rééquilibrer, c’était le Sud, qui était hyper développé, avec le Nord. Donc il y a eu un certain rééquilibrage, mais enfin le Sud c’est quand même 120-150 000 personnes, alors que le Nord, c’est 45 000. Donc tout est relatif. Dirons-nous qu’on a enrayé l’exode rural. Maintenant, le déséquilibre, c’est sur la côte Est, où il n’y a plus rien. Un peu d’agriculture. .. Trois plans de café…. Alors, oui, le vrai déséquilibre, il est là, et c’est là où les gens protestent. Il y a deux-trois villages comme ça qui font la culture du cannabis… les vols de voitures,…. Ca a changé : le déséquilibre, c’était Nord/Sud, maintenant, c’est Est/Ouest. Ce n’est pas mieux… Oui, il y a des régions qui se vident. La province des îles perd de la population, et la province Nord se maintient à peine malgré le développement. Mais dans toute l’Océanie c’est pareil. Il y a toujours une grosse ville avec un gros port qui concentre tout…
Oui, dans le Nord, il y aura une usine, mais la population, ça ne fera qu’à peine…. Allez, 16 000 -20 000 personnes maximum. Alors que dans la banlieue de Nouméa, il y a une ville qui est passée de 16 000 à 32 000 habitants en cinq ans. Non, ça pose des gros problèmes…. Ce qui s’est vraiment passé, c’est le rééquilibrage entre les kanaks et les Européens. Ca c’est clair. C’est vrai qu’il y avait un temps, au moment des événements, où les kanaks n’avaient rien. Mais le problème qui se pose, et ça c’est ma théorie, c’est qu’ils vont quitter le giron politique français, et ils vont se mettre à la merci des multinationales. Moi je suis persuadée que les multinationales elles seront moins tendres avec eux. Ils emploient plus de personnes dans le monde qu’il n’y a de kanaks.
Q : Une dernière question : est-ce qu’il y a des choses qu’on ne dit pas dans la presse ?
AP : Par exemple dans l’usine du nord on ne parle pas du tout des problèmes environnementaux, à part quelques belles images… Ce dont on parle très peu, c’est quand même de l’avenir des tribus. Alors après dans la presse, est-ce qu’il y a de la censure ? Oui, il y a de l’autocensure en Calédonie. Il y a de l’autocensure pour le seul fait que il n’y a que un seul quotidien, qui dépend de la publicité, et en Calédonie, c’est très simple, si vous choquez quelqu’un, on vous supprime la publicité aussitôt. Oui, par exemple la télé ne fait pas beaucoup de reportages. Je veux dire, par exemple, il y a de l’autocensure sur toute l’usine du Nord, parce que l’usine du Nord tout le monde dit que c’est bien, alors qu’il y a des choses qui ne vont pas.
Q : Mais, les populations, là-bas, en ont-elles conscience ?
AP : Ils ne savent pas, ils ne lisent pas beaucoup la presse, je veux dire que les kanaks ont une tradition orale et que les caldoches n’en sont pas loin. Donc ils ne lisent pas beaucoup la presse. Il n’y a pas d’articles de fond dans la presse. Il n’y a pas un hebdomadaire de fond, la télé ne fait pas d’émissions dessus… Je pense qu’ils ne veulent pas voir. Et puis les écologistes, moi je les trouve quand même globalement assez faibles.
Q : C’est vrai que dans les recherches que nous avons faites, ce qu’il manquait essentiellement c’est l’avis de la population là-bas… Et puis c’est vrai que les associations écologistes sont peu présentes sur internet. J’ai entendu parler d’Action Biosphère, mais leur site….
AP : Oui, je connais bien le responsable d’Action Biosphère… Moi je leur avais dit aux écologistes, je leur avais dit « formez-vous, employez un ingénieur qui comprendra, »… Je veux dire, là par exemple Vale a signé un pacte avec les gens de Goro, comme quoi ils allaient former des jeunes. Comme quoi ils pourraient aller circuler dans l’usine et vérifier tout ce qu’il s’y passe, tout ce qui ne va pas. Franchement c’est des procédés tellement complexes que… alors ils voient quand il y a une grosse fuite, mais un jeune avec six mois, même un an de formation, je ne vois pas ce qu’il peut aller voir dans une usine aussi complexe. Je veux dire de manière un peu triviale qu’on les achète par l’argent. C’est clair, c’est comme ça que ça fonctionne partout, sauf que là on y met un peu plus les formes, il y a la France, c’est moins brutal que par exemple aux Philippines où on les achète peu cher. Maintenant ils ne protestent plus parce qu’il y a 4 000 ouvriers chinois qui travaillent jour et nuit…
Mais je veux dire c’est petit, 250 000 personnes c’est une petite ville, imaginez une petite ville où on mettrait deux, trois usines… Et puis la vie est facile, je veux dire le week-end vous partez sur votre bateau. Oui, on voit les fumées au loin, oui la SLN est en plein cœur de ville, oui, il y a des cancers du poumon, oui, il y a des choses comme ça. S’il y a une dizaine de cas à cause de ça c’est le maximum.
Mais la vie est facile là-bas, moi je vois bien, les gens ils roulent en gros 4x4 qui coûte le double d’ici, je veux dire c’est simple, moi je vois la population changer. Comme il y a beaucoup d’alcoolisme en NC, ils limitent la vente d’alcool dans les supermarchés. Ils se saoulent à la bière… Donc ils ont commencé à dire : plus de bières fraîches dans les supermarchés. Après ils ont commencé à dire, on ne vend plus d’alcool du samedi midi au dimanche soir. Maintenant, ça commence le vendredi soir. Mais on peut quand même continuer à acheter de l’alcool chez les cavistes, même si c’est plus cher. Là les kanakes ils sont en claquettes et en short et ils vont acheter des bouteilles chez les cavistes. Maintenant ils ont l’argent, ils paient avec la carte bleue, il y a les jeunes qui achètent des magnums de champagne, … Il y a de l’argent. C’est des phénomènes de société… Mais maintenant leurs enfants font des études en Australie qui coûtent cher…
Après il reste une frange de la population qui n’a pas d’argent. Et il faut savoir que la NC, c’est un des pays où il y a le plus d’inégalités sociales, donc il y a un foyer sur quatre en NC qui est en dessous du seuil de pauvreté. Malgré tout cet argent. Mais ce sont des gens qui ont quitté les tribus et qui sont venus dans des squats, qui ne sont pas si mal que ça, et eux ils n’arrivent pas forcément à s’intégrer dans la ville, dans le travail, donc il y a quand même un quart de la population qui est en dessous du seuil de pauvreté. Mais par contre, il y a quand même des compensations, vous pouvez pêcher un poisson, les arbres il y a plein de fruits, … Le problème c’est quand ils vont tous commencer à rentrer dans le système. Et si vous commencez à avoir des habitudes de consommation qui font que si voulez acheter des choses, c’est là que ça va devenir compliqué. Parce qu’avant ils mangeaient des tubercules, maintenant ils mangent du riz. Ils récoltaient du café, maintenant ils prennent du Nescafé. Et c’est là où ça commence à devenir dramatique. Parce qu’il n’y a pas toutes les allocations comme en France. C’est là où il y a des gros problèmes.