Robert Boyer : une critique régulationniste
R. Boyer salue tout d’abord longuement le travail de collecte et de synthèse de données effectué par T. Piketty, dont la publication du Capital est l’aboutissement. L’étude des séries statistiques historiques sur longue période permet à Piketty de déconstruire certaines idées préconçues qui sont largement utilisées dans les débats publiques aujourd’hui. Parmi les démonstrations faites dans ce livre, R. Boyer retient surtout le retour d’une méthode économique intégrant l’histoire économique et sociale. Il espère l’émergence de nouvelles théories économiques grâce à cette méthode, puisque l’histoire confirme ou infirme des modèles économiques, et assure l’adéquation de la théorie au réel.
Cependant, R. Boyer émet plusieurs critiques sur le contenu de l’ouvrage. D’abord, il regrette « [l’] oubli du rapport salarial », et déplore que Piketty n’explique pas comment, sur le long terme, « ces formes de propriété si différentes en termes de droits et de contributions à la production et la création de valeur aient finalement la même capacité d’imposer une rémunération durablement plus élevée que le taux de croissance ». Parallèlement, R. Boyer pointe du doigt l’usage à l’excès de Piketty de la méthode inductive. Pour lui, T. Piketty extrapole trop facilement des lois à partir des données historiques, sans prendre suffisamment de soin à préciser les causes et les hypothèses du modèle. Cette critique vise surtout l’érection en principe historique de la formule r > g. Et R. Boyer de souligner que l’absence d’une base théorique solide réapparaît dans les prospectives que propose T. Piketty.
La dernière partie de la critique de R. Boyer est induite par une lecture du Capital faite à travers le prisme du régulationnisme. Il s’interroge sur le réel poids politique de l’ouvrage, et met en question l’objectif de Piketty de faire de l’économie politique.
L’article de Robert Boyer, publié en décembre 2013 dans la Revue de la Régulation, est caractéristique du type de critiques qui sont publiées à son sujet avant le succès outre-Atlantique, et le déferlement médiatique qui a suivi, à partir de mai 2014. C’est une critique publiée par un universitaire, dans une revue spécialisée, et qui ne touche donc que des personnes qui sont par avance intéressées par des sujets économiques. Ce n’est qu’après le succès aux Etats-Unis que la presse généraliste va s’emparer du phénomène.
Par ailleurs, Robert Boyer adresse à Piketty une critique semblable à celle formulée par N. Baverez au sujet du manque de fondement théorique à l’inégalité r > g. Par contre, la critique de R. Boyer est plutôt adressée d’un point de vue des théories régulationnistes, alors que celle de N. Baverez est formée à partir des théories libérales. De plus, l’universitaire s’attaque en priorité à la méthode et aux fondement des théories développées par Piketty, en critiquant par exemple la définition de capital adoptée par Piketty : il s’intéresse au raisonnement ; de son côté, l’économiste consacre un peu plus de place à la critique des solutions proposées qu’à celle de la méthode.