Entretien avec un médecin du sport

Le vendredi 15 avril, nous avons réalisé un entretien par Skype avec un médecin du sport qui a travaillé avec les instances sportives sur la problématique des sportives atteintes d’hyperandrogénie. De fait, les opinions qu’il a défendues permettent de mieux cerner la position des deux institutions sportives, centrales dans cette controverse. Ci-dessous le bilan de cet entretien.
Lien entre testostérone et performance

D'après vous, y a-t-il un lien avéré entre taux de testostérone endogène élevé et performance ?

Pour ce docteur, il y a un lien avéré entre taux de testostérone élevé et performance. Il souligne qu’il s’agit d’ailleurs de la conclusion du TAS (Tribunal Arbitral du Sport) et précise qu’ils ne sont pas les seuls à le penser. Cependant :

Ce lien n’est pas facile à vérifier pour différentes raisons. La plus importante est qu’il faudrait conduire des expérimentations de supplémentation en testostérone sur des femmes saines. Ce qui n’est pas forcément quelque chose de très éthique. 

Il appuie toutefois ses propos à l’aide de deux études dont les résultats vont dans sa direction :

  • Une expérimentation de supplémentation méticuleuse réalisée en Allemagne de l’Est eu milieu du XXème siècle.
  • Une étude suédoise qui montre que les femmes présentant le syndrome des ovaires polykystiques (et donc dont le taux de testostérone est plus élevé que la moyenne) étaient surreprésentées dans les compétitions sportives

Il ajoute que la testostérone n’augmente pas seulement la masse musculaire. Elle agit aussi sur la concentration en hémoglobine (ce qui aide notamment pour les sports d’endurance) et sur le psychisme et l’agressivité.

C’est très caricatural ce que je dis mais c’est ce qui fait aussi la différence entre les hommes et les femmes. Les hommes ont des tendances beaucoup plus agressives que les femmes pour des raisons hormonales. Ce n’est pas la seule explication, il y a aussi des explications culturelles, sociétales et historiques. 

Selon lui, le point clé de cette règlementation est la quantification de la performance.

On n’est plus dans la médecine ici, mais dans le droit. On a le droit d’avoir une règlementation discriminante si elle est justifiée par quelque chose d’important, une quantification précise.

 

Un avantage naturel ?

Pourquoi différencier l’hyperandrogénie d’un avantage naturel ? Pourquoi est-ce perçu différemment qu’une grande taille par exemple ?

C’est l’argumentaire de certains de nos opposants. 

D’après le médecin, cet argumentaire n’est pas acceptable dans le mesure où depuis toujours on a fait une distinction homme-femme dans la plupart des sports – et non pas en se basant sur d’autres caractéristiques physiques – ceci pour

laisser une chance aux femmes sinon elles ne gagneraient jamais.

Pour aller plus loin, il conclut en disant que

le jour où on aura fait la cartographie complète des mutations génétiques et des avantages qu’elles peuvent procurer dans la performance sportive, on pourra peut-être imaginer qu’il y aura en plus d’une catégorisation sexuée, une catégorisation en fonction des mutations génétiques.

Respect des droits des femmes lors des tests

Comment la problématique de violation des droits des sportives lors des ‘tests de féminité’ est-elle gérée par les instances sportives ?

Ce médecin du sport commence par nous préciser que les termes ‘test de féminité’ ou ‘test de genre’ sont aujourd’hui à bannir. En effet,

ni le CIO ni l’IAAF n’a l’autorité à déterminer le genre d’un individu au plan légal et juridique. Ils décident seulement si une personne est éligible pour concourir avec les femmes.

Il reproche donc aux groupes féministes de s’attaquer à ces règlementations qui ont été initialement mise en place pour protéger les femmes et leurs droits.

Je suis d’accord pour dire que cette règlementation est discriminatoire mais l’absence de règlementation l’est tout autant. Mon regret dans cette histoire c’est que les instances sportives ont mis en place ce règlement pour protéger les femmes ; pour faire en sorte qu’une jeune femme qui fait de l’athlétisme depuis l’âge de 12 ans, qui s’entraine 14 heures par semaine, qui voit sa progression arriver à son maximum à 22 ans ne se fasse pas dépasser par une jeune femme qui sort de nulle part et qui en une année devient championne régionale, continentale puis mondiale.

 Il finit en disant que

les femmes athlètes sont selon moi les grandes absentes de cette controverse.

Des alternatives aux tests ?

Les tests que l’IAAF et le CIO ont instaurés sont, d’après le Dr Eric Vilain, avec qui vous avez travaillé, la « moins mauvaise solution dont vous disposiez » ? Est-ce que d’autres pistes d’étude sont envisagées ou est-ce la seule solution dont disposent l’IAAF et le CIO ?

Pour le docteur :

C’est la moins mauvaise solution dans la mesure où au jour d’aujourd’hui, la différence homme/femme est un continuum.

Il est conscient de la difficulté de définir arbitrairement une limite, car la réalité est tout autre, et du sentiment d'injustice qui peut en résulter :

Les athlètes hyperandrogéniques sont au milieu. On doit mettre un curseur quelque part sur ce continuum. […] Mais c’est injuste parce que vous devez donner une réponse binaire à un problème qui ne l’est pas.

Il évoque ensuite les alternatives proposées par les détracteurs de l'IAAF et du CIO : ne rien faire ou créer une troisième catégorie.

Dans le premier cas, le docteur soutient que cela ne réduira en rien la souffrance des athlètes, quel qu'elles soient :

Ne rien faire est une alternative, mais pourrait mettre dans la souffrance beaucoup de personnes, celles qui sont victimes de l’injustice liée aux médailles qu’elles n’auront jamais car elles se font supplanter par des athlètes supérieures et y compris celles qui gagneront et qui seront ostracisées, montrées du doigt.

Dans le second cas, créer une troisième catégorie serait pour lui une erreur dans le contexte sociétal ambiant, car les moeurs et les mentalités ne s'y prêtent pas :

Au jour d’aujourd’hui, je pense que mettre ces individus dans une troisième catégorie, c’est les stigmatiser. Mais peut-être que dans 5 ans, 10 ans, 15 ans, les mœurs, les mentalités auront évolué, et à ce moment-là, ce ne sera plus de la stigmatisation, ce sera normal. […] Je pense qu’aujourd’hui, la société n’est pas prête.

Science ou conscience : qu'est-ce qui prévaut dans la règlementation ?

Vous disiez en filigrane qu’il y avait un modèle sociétal de la vision des sexes sous-jacent et influent l’établissement des règles. Quand l’IAAF ou le CIO prennent une décision, qu’est-ce qui prévaut : l’argumentaire médical, le contexte sociétal ambiant ? Est-ce que ces décisions reflètent une vision de la femme occidentalisée ?

Pour le médecin, il y a une problématique médicale évidente qui surgit quand on prend en charge des individus comme ça. Cependant, elle ne vient pas au premier rang”.

En effet :

La chose qui a motivé la mise en place de cette règlementation, ce n’est rien de ce que vous avez dit, c’est la volonté de vouloir préserver une certaine équité sportive, c’est tout.

L'aspect médical, qui vient parfois s'intersecter avec des problématiques sociétales, mérite qu'on s'y attarde un peu. Ce médecin du sport prend l'exemple de femmes africaines, souffrant de DSD (Disorder of Sex Development), pour qui c’est un drame, car elle ne pourra jamais enfanter”. Elles perdent ainsi leur “statut social”.

Un des effets de la réglementation et des traitements que celle-ci suggère est de donner à ces femmes un morphotype plus féminin et plus conforme à leur souhait :

Quand vous aidez ces femmes, en appliquant la réglementation, que vous leur donnez un traitement qui les rend un peu plus féminine, avec des critères occidentaux certes, elles sont contentes parce qu’elles sont socialement encore plus acceptées comme des femmes. C’est un effet collatéral de cette réglementation qui n’est pas toujours si négatif que ça et qu’il est important de prendre en compte.

Les sportives hyperandrogéniques doivent-elles concourir avec les hommes ?

Pour lui, le terme exact qualifiant les sportives atteintes d'hyperandrogénie est 'hyperandrogénique' et non 'hyperandrogyne'.

Dans son livre, Anaïs Bohuon disait à propos de Caster Semenya que son temps réalisé en finale des Championnats du monde ne lui permettait même pas de participer aux Championnats de France masculins. Que diriez-vous par rapport à cela ?

Pour lui, autoriser les sportives hyperandrogéniques à concourir avec les hommes est clairement une erreur :

La règlementation du CIO autorise ces individus à concourir chez les hommes. Ce qui est une hypocrisie notoire, parce qu’elles n’ont aucune chance.

Il soutient en outre que ces dernières jouissent d'un avantage, qui ne peut être négligé dans le sport de très haut niveau,  sur les autres athlètes féminines:

La différence homme/femme sur les performances est aux alentours de 10%. Moi, je pense qu’un individu féminin hyperandrogénique a un avantage qui peut être quantifié à 2-3%. […] C’est colossal.

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