Deux catégories sportives : fausse garantie de l’équité ?

Dans la majorité des sports, les instances sportives ont décidé de mettre en place deux catégories sportives : une pour les hommes et une pour les femmes. Les chercheurs et les instances sportives parlent de « bicatégorisation sexuée ». Comme vu précédemment, il est difficile de mettre en place un critère de différenciation précis qui permettrait de distinguer aisément les hommes des femmes. Pour garantir plus d’équité, il est parfois proposé de repenser ces catégories.

 

Les origines de la bicatégorisation sexuée

Pour de nombreux chercheurs comme Rebecca Jordan-Young, la bicatégorisation sexuée est un héritage de la socialisation. Elle a été mise en place pour des raisons historique, sociale et culturelle. Au vu des résultats sportifs, il semble clair qu’aujourd’hui les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes capacités physiques. Cependant, pour la socio-historienne que nous avions interviewée, cette différenciation résulte de l’accès réduit au sport pour les femmes. Les entraînements féminins sont souvent moins intenses et les femmes sont, de par la société, moins poussées à dépasser leurs limites. Lors de l’entrée des femmes dans la compétition sportive, en 1900 pour les Jeux Olympiques, les femmes sont donc parties avec un désavantage physique dû presque essentiellement à leur place dans la société.

Il y a une différence physique, biologique et physiologique que je ne nie pas. En revanche, le déterminisme biologique je suis complètement contre dans le sens où pour cette différence physique et biologique, c’est l’héritage d’une socialisation justement, ou d’une histoire, où on a cantonné les femmes aux activités domestiques, à leur pouvoir de gestation.

Si on permettait aux femmes de s’entraîner autant que les hommes, continuer à avoir une intensité, une quantité, une capacité et une qualité de l’entrainement similaire à celle des hommes, peut-être que, progressivement, les femmes rattraperaient les hommes, d’un point de vue de la force, de la robustesse, de l’endurance, de l’élasticité des muscles. (Propos recueillis lors de notre entretien avec une socio-historienne) 

Pour l’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF), c’est donc pour garantir l’équité et laisser leur chance aux femmes que les instances sportives ont décidé de mettre en place deux catégories sportives. C’est pour cette même raison qu’aujourd’hui, les instances sportives ont établi des règles au sujet de l’hyperandrogénie.

Les présentes règles [régissant la qualification des femmes présentant une hyperandrogénie pour leur participation dans les compétitions féminines] ont été établies afin que l’IAAF dispose d’une approche éclairée et adaptée à la gestion de ces situations dans le cadre de l’Athlétisme. Elles sont fondées sur les principes sous-jacents suivants : […]

Le respect de la notion fondamentale de l’équité dans la compétition féminine d’Athlétisme. (IAAF, 2015)

 

Un catégorie féminine fermée pour maintenir l’idéal de la beauté occidentale ?

Un reproche souvent fait à l’exclusion des femmes hyperandrogynes des catégories sportives concerne la volonté des instances sportives à vouloir conserver les critères occidentaux de la beauté : les épaules étroites, les cheveux longs, la mâchoire fine, etc. Les femmes hyprandrogynes présentent souvent un morphotype assez éloigné de celui-ci comme le précise Vanessa Heggie, docteur en sciences modernes et en médecine :

Some of these women had physiques which transgressed traditional Western notions of femininity. (Heggie V., 2010)

Le Dr. Bermon, consultant de lIAAF (International Association of Athletics Federations), réfute totalement cette idée. Selon lui, la prérogative des instances sportives est de garantir un niveau élevé d’équité dans les compétitions sportives. À aucun moment n’a été pris un compte une quelconque notion de beauté, notion qui selon lui est beaucoup trop subjective pour donner lieu à des règles sportives. En effet, pour lui le plus important est de chiffrer la performance. Un athlète masculin a un avantage de 10% sur une athlète féminine et une athlète hyperandrogyne un avantage de 3%. Au vu de ces chiffres, l’avantage conféré par l’hyperandrogénie peut sembler faible. Cependant, certains athlètes s’entrainent de nombreuses années pour parfois gagner 0.3% de performance. Garantir l’équité sportive nécessite donc pour lui d’exclure certaines femmes des compétitions.

Les instances sportives ne prônent pas une justice absolue. Ils sont conscients de l’impossibilité d’atteindre un tel but. Comme nous le précise un conseiller d’une instance sportive internationale, pour faire deux catégories, il faut mettre un curseur à un endroit

et on essaie de faire en sorte que cet endroit soit le plus juste possible. C’est injuste, on en est conscient. Mais on essaie de l’être le moins possible. 

(Propos recueillis lors de notre entretien avec un médecin du sport, conseiller d’une instance sportive) 

Toutefois, pour Vanessa Heggie,  le sport a pour but de pousser les athlètes à dépasser leurs limites. Il est donc légitime de trouver à haut niveau des individus exceptionnels, voire hors norme. Il est donc naturel de trouver des athlètes dont les critères sont éloignés des critères ordinaires.

It is therefore inevitable that any woman who is good at sport will tend to demonstrate a more ‘masculine’ physique than women who are not good at sport. (Heggie V., 2010)

 

Vers une troisième catégorie sportive ?

Pour éviter d’évincer certaines athlètes de la compétition, on pourrait songer à mettre en place une troisième catégorie. Cependant, faire une telle catégorie reviendrait à faire une catégorie « fourre-tout » et ne ferait que renforcer les discriminations (Bohuon A., 2010).

Les instances sportives et les chercheurs pour l’intégration des femmes hyperandrogynes dans les compétitions féminines s’accordent tous les deux pour dire que faire plus de catégories seraient impensables. D’après A. Bohuon, si l’on commence à faire plusieurs catégories, il faudrait faire des catégories selon les taux d’hormones, le poids, la taille, l’élasticité musculaire, etc.

Un conseiller des instances sportives va dans son sens. Pour lui, on pourra augmenter le nombre de catégories dans le sport le jour où l’on connaîtra avec précision toutes les mutations génétiques et leur effet sur les performances. Multiplier les catégories ne garantirait pas nécessairement plus d’équité et semble être une entreprise trop importante.

Le jour où on aura fait la cartographie complète des mutations génétiques et des avantages qu’elles peuvent procurer dans la performance sportive, on pourra peut-être imaginer qu’il y aura en plus d’une catégorisation sexuée, une catégorisation en fonction des mutations génétiques. (Propos recueillis lors de notre entretien avec un médecin du sport, conseiller d’une instance sportive) 

 

Et si l’important c’était de participer ? Les Gay Games, vers une nouvelle mentalité sportive

L’alternative logique à la création de plus de deux catégories est la fusion des catégories masculine et féminine. Cependant, instances sportives et chercheurs engagés en la faveur des sportives hyperandrogynes sont d’accord pour dire qu’à l’heure actuelle, les femmes n’ont aucune chance face aux hommes. D’ailleurs, d’après le règlement, les femmes hyperandrogynes sont autorisées à concourir avec les hommes mais aucune d’entre elles ne l’a jamais fait.

Ce qui fait la force du sport, c’est l’incertitude. Dès lors que l’on fera concourir les femmes avec les hommes, l’incertitude serait amoindrie et l’intérêt porté au sport diminuerait (Propos recueillis lors de notre entretien avec une socio-historienne)

Les Gay Games, dont la première édition s’est déroulée en 1982 aux Etats-Unis, proposent une autre approche du sport. Ces jeux sont ouverts à tous, sans distinction d’âge, d’orientation sexuelle, de religion ou de nationalité et aucun niveau sportif n’est exigé. Leur slogan : « L’important, c’est de participer ». Même si ces jeux ont pour valeur principale la tolérance, ils vont aussi selon une socio-historienne que nous avons interviewée, à l’encontre des valeurs de base du sport à savoir la compétitivité. Selon elle, continuer dans cette direction pourrait entrainer « l’effondrement de l’économie du sport ». 

 

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