Quels critères d’éligibilité pour concourir avec les femmes ?

Le principal point controversé au sujet des « tests de féminité » repose sur la définition même de la femme. Quels « critères » définissent une femme d’un point de vue biologique ? La distinction homme/femme peut paraître de prime abord binaire. En réalité, la nature est plus complexe et la différence entre les sexes est plus proche du continuum que du dimorphisme (Fausto-Sterling, 2012). Or, pour faire un test d’éligibilité, il faut se focaliser sur des critères précis. Ces critères ont évolué au cours des années et ont tous été contestés. Etudier ces critères, leur évolution et les critiques qui leur ont été faites permet de mieux comprendre l’évolution de la place des individus ne répondant pas à ces critères dans les compétitions sportives.

The changing nature of these judgements reflects a great deal about our cultural, social and national prejudices. (Heggie, 2010)

 

Le critère anatomique 

Lors des premiers tests de féminité instaurés en 1966, étaient pris en compte la force musculaire et la capacité respiratoire, qui doivent rester en deçà des capacités – estimées – masculines. Comprenant également un examen morphologique et anatomique, ce contrôle, jugé trop humiliant par les sportives, est remplacé dès 1968 par le test du corpuscule de Barr.

 

Le critère chromosomique

Scientifiquement nommé « test de chromatine sexuelle », le test de Barr consiste en un prélèvement de muqueuse buccale. Ces cellules, lorsqu’elles proviennent d’un organisme génétiquement féminin (XX), contiennent normalement des corpuscules particuliers dits de Barr et révèlent ainsi la présence d’un deuxième chromosome X.

Le médecin finlandais A. de la Chapelle, qui fait autorité dans le monde médical sportif, critique la fiabilité du test de Barr. Cette méthode est, selon lui, inadaptée, car elle exclut certaines athlètes intersexes (XY), qui ne présentent aucun avantage physique musculaire. Il déclare ainsi en 1986 :

Cette méthode est non seulement inadaptée puisqu’elle n’exclut que 10% de « celles » qui devraient s’abstenir de participer aux mêmes épreuves que les femmes « naturelles », mais elle est en outre discriminatoire du fait qu’elle élimine des femmes qui devraient être autorisées à concourir aux JO dans la catégorie du sexe faible. (Bohuon, 2012 p. 85)

En 1981, Dr Elisabeth Ferris déclare qu’il serait plus judicieux de « savoir si les femmes prennent ou non des hormones masculines plutôt que de rechercher une rare anomalie chromosomique chez un être qui était probablement dans l’ignorance de sa configuration chromosomique avant l’administration du test ». (Bohuon, 2012 p. 85)

Instauré au début des années 1990 et présentant l’avantage d’être moins cher, le test PCR/SRY cherche lui à établir la présence ou l’absence d’un chromosome Y.

 

Le critère hormonal

En 2011, suite au retentissement de l’affaire Semenya, le CIO opte pour un nouveau marqueur : le taux de testostérone. Cette mesure part du principe que la testostérone, hormone masculine par excellence, favoriserait les sportives féminines, en leur permettant par exemple d’augmenter plus facilement leur masse musculaire. Ainsi, une femme avec un taux élevé de testostérone aurait plus de chance de gagner.

Mais comme le souligne le Dr Linh Vu-Ngoc, médecin du sport à la Fédération Française de Triathlon, la réalité est plus complexe :

La testostérone […] est un anabolisant qui augmente le développement de la masse musculaire, la force et la puissance… Elle devient un avantage dans certaines disciplines comme la course et un inconvénient dans d’autres comme la gymnastique.

(La rédaction d’Allodocteurs.fr, 2012)

Mieux, le magazine américain Science cite une étude britannique de l’endocrinologue Peter Sonksen datant de 2000, effectuée sur 650 athlètes hommes et femmes. Résultats : 5% des sportives avaient des taux « masculins » de testostérone, quand 6% des sportifs présentaient, eux, des taux « féminins ».

Quant à l’athlétisme, la sécrétion excessive de testostérone chez les sportives constitue-t-elle vraiment un avantage ? Une étude parue en 2000 prouve en effet que les sportives qui présentent une résistance aux androgènes (donc à la testostérone) seraient surreprésentées en athlétisme. Pourquoi donc exclure des athlètes (Chand, Semenya, …) qui produisent plus de testostérone que la moyenne alors qu’il apparaît que cette hormone n’est pas forcément la molécule clef dans les compétitions d’athlétisme ? (Joe Leigh Simpson, et al., 2000)

 

Attribuer un sexe à un individu? Finalement pas si facile…

Comme l’affirme Joëlle Wiels (2006), les cas de sexes génétiques contradictoires avec l’apparence physique ne sont pas rares :
– Le test de féminité a montré, par exemple, que certaines athlètes pouvaient avoir un sexe anatomique apparent féminin (clitoris) et un sexe chromosomique qui ne soit pas XX mais XXY.
– D’autres athlètes féminines pouvaient avoir des testicules intra-abdominaux (sexe gonadique).
Le sexe génétique (XX ou XY), le sexe gonadal mais également le sexe apparent doivent donc être précisés, voire dissociés puisqu’un seul ne suffit pas à définir l’appartenance à un sexe.

Pour certains scientifiques et chercheurs, la binarité du sexe est un concept obsolète, car le sexe serait en fait continu.

Si le sexe social est construit sur un mode binaire, le sexe biologique se présente comme un continuum, avec, aux deux extrêmes, les ‹ sexes biologiques › clairement définis et, au milieu, une large gamme de situations intermédiaires – des individus intersexes. (Löwy, 2003)

Anne Fausto-Sterling, de formation scientifique, souligne que, bien que souvent érigée en vérité absolue, la science n’en est pas moins un savoir « contextuel et ancré dans une culture locale ». Elle insiste sur le fait que notre culture nous impose de choisir entre homme et femme, alors que la réalité offre beaucoup plus de possibilités au sein d’un continuum sexuel. (Fausto-Sterling, 2012)

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