L’intersexuation : un avantage ?

Aujourd’hui, la testostérone est le critère utilisé par le Comité International Olympique (CIO) et l’Association Internationale des Fédérations d’Athlétisme (IAAF) pour déterminer qui peut concourir avec les femmes.

Ce nouveau test apparaît au début du 21ème siècle, au moment où les comités sportifs introduisent la notion de femmes hyperandrogynes. Ce terme qualifie les femmes ayant un taux de testostérone supérieur à 10 nmol/L. D’autres critères caractérisent les hyperandrogynes, mais les comités considèrent qu’ils sont tous conséquences d’un taux de testostérone anormalement élevé. C’est pourquoi le test utilisé actuellement ne consiste qu’à mesurer ce taux.

Cependant, cela suscite un débat au sein de la communauté scientifique (la presse n’intervient pour l’instant que peu sur ce sujet assez technique). Plusieurs questions se posent :

 

La testostérone endogène a-t-elle toujours un effet sur le corps?

 

Plusieurs études cliniques montrent que la testostérone augmente la masse musculaire, la force et l’endurance (Bhasin, 1996), (Ronnestad, 2011) et (Storer, 2003). Cependant, certains articles affirment que cela dépend du fonctionnement des récepteurs (Jordan-Young ainsi que Ferguson-Smith et Bavington). Selon ces derniers, la plupart des hyperandrogynes ne sont pas sensibles à la testostérone. La grande proportion de celles-ci parmi les athlètes s’expliquerait simplement par leur grande taille due au chromosome Y dont elles sont pourvues dans la plupart des cas (Ferguson-Smith M.A, 2014).

Par conséquent, les tests sont modifiés en 2012 et ne s’appliquent plus qu’aux hyperandrogynes ayant des récepteurs fonctionnels.

 

Si la testostérone a un effet sur le corps, en quoi est-ce un avantage ? Améliore-t-elle les performances ?

 

Comme expliqué précédemment, si les récepteurs sont fonctionnels, alors la testostérone développe les muscles, la force et l’endurance. Cependant, nombreux sont les auteurs qui donnent un contre exemple : Stella Walsh.

[…] the American runner Helen Stephens (the ‘Fulton Flash’) was accused of being a man when she narrowly beat the favourite, Polish runner Stanisława Walasiewicz. Stephens underwent an unspecified test and was declared a woman by the Berlin authorities, taking gold. Nearly four and a half decades later, in 1980, Walasiewicz […] was shot dead in a department store car park in Ohio. […] As her death was a violent one, the consequence of an armed robbery, her body was autopsied. At this point ‘ambiguous’ sexual features were made public. […] the ‘irony’ of the accusation against the all-American Stephens makes her story irresistible to most authors […]. (Heggie V., 2010)

Cet événement remet en question le fait que l’intersexuation puisse être un avantage déterminant, qu’il soit question d’hyperandrogénie ou non.

 

Si avoir un taux élevé de testostérone est un avantage, en quoi cet avantage biologique est-il plus injuste qu’un autre ?

 

Il existe d’autres avantages biologiques : la taille, le VO2 max (volume maximum d’oxygène consommé lors d’un effort). Certains scientifiques affirment qu’on accorde une trop grande importance à l’influence de la testostérone sur les performances par rapport à celle d’autres caractéristiques naturelles. (Sonksen P., 2014)

As a general rule, the competitor who is taller, has a higher muscle-to-fat ratio, and the larger heart and lungs […] will have the sporting advantage. […] any woman who is good at sport will tend to demonstrate a more ‘masculine’ physique than women who are not good at sport. […] there is a point at which your masculine-style body is declared ‘too masculine’, and you are disqualified, regardless of your personal gender identity. For men there is no equivalent upper physiological limit […] (Of course, both men and women are liable to the same testing regimes when it comes to external sources of advantage, i.e. doping.) There are probably hundreds of genetic variations which lead to ‘unfair’ advantages in sport; only those associated with gender are used to exclude or disqualify athletes. (Heggie V., 2010)

Autrement dit :

Il faut laisser chaque individu avec les mêmes droits et le mêmes devoirs. Je ne comprends pas pourquoi Caster Semenya qui présente un avantage physique naturel est pénalisée alors qu’Usain Bolt qui est un extra-terrestre, un surhumain ne l’est pas. (Propos recueillis lors d’un entretien avec une socio-historienne)

 

La mesure du taux de testostérone est-elle fiable ?

 

La mesure du taux de testostérone elle-même est remise en question. En effet, l’excitation, le stress, la joie de la victoire peuvent influer sur la sécrétion de ladite hormone. (McCaul, 1992) (Oliveira, 2009)

Le Comité International Olympique (CIO) et l’Association Internationale des Fédérations d’Athlétisme (IAAF) recommandent de faire les mesures dans des conditions de repos.

 

Illustration

 

Ces questions ne font pas encore l’unanimité, voici un débat datant de 2015 qui le montre. Deux groupes de scientifiques, Healy et al. et Ritzen et al., publiant respectivement dans les revues Clinical Endocrinology et The American Journal of Bioethics, se répondent au sujet de l’hyperandrogénie et du rôle de la testostérone.

 

Y a-t-il une nette différence entre les taux de testostérone des athlètes hommes et femmes?

Thèse de Healy et al.

Les taux de testostérone des athlètes de haut niveau ne diffèrent pas beaucoup entre hommes et femmes. Leur étude montre, en particulier, que 5% des femmes athlètes ont un taux de testostérone supérieur au taux minimum d’un homme sédentaire (soit 8,4 nmol par litre de sang).

Critique de Ritzen et al.

Les mesures ont été faites sur un échantillon non représentatif. De plus, elles ont été réalisées dans de mauvaises conditions, à savoir après des compétitions sportives et non au repos. Or, d'autres études ont montré, qu’en réponse à un effort éprouvant, le taux de testostérone avait tendance à baisser chez les hommes et à rester stable, voire à modérément augmenter chez les femmes. S'ajoute à cela le fait que les techniques utilisées pour faire les mesures ne sont pas des techniques de pointe. Enfin, on ne dispose pas d'assez d’informations sur les 5% de femmes en question, sont elles hyperandrogynes? dopées? ...

Réponse de Healy et al.

D'après un article de Turpeinen, le taux de 5% qu'on mesure chez les athlètes d’élite serait de 2.5% dans la population moyenne (Turpeinen, 2008). De plus, concernant les conditions de mesure, un effort intense produit une variation du taux de testostérone trop faible pour expliquer un tel chevauchement. Concernant le dopage, une femme se dopant n’aurait pas participé à de telles recherches. De plus, d’autres mesures ont été réalisées (taux de LH* et FSH*) et ne sont pas anormales. Enfin, les tests utilisés présentent certes des limites techniques, mais cela n’a pas pu modifier de manière si significative les résultats.

Par ailleurs, la « masse corporelle maigre » ne dépend pas uniquement de la testostérone. Elle est aussi corrélée à la taille, au patrimoine génétique, aux hormones de croissance et aux stéroïdes anabolisants. D’ailleurs, les résultats de l’étude confirment bien la corrélation entre la « masse maigre » et la taille, tandis qu'aucun lien avec la testostérone n’apparaît. Il semble donc que la « masse corporelle maigre » devrait être le vrai critère de différenciation utilisé par le CIO et l’IAAF. D'ailleurs, une publication du Dr Stéphane Bermon (pourtant membre du groupe Ritzen et al.) le montre :

The world records for men in sports that rely on strength or size are on average 10% better than for women.

(Bermon S., 2013)

La masse corporelle maigre : un meilleur critère?

Thèse de Healy et al.

La « masse corporelle maigre » (lean body mass), ou MCM, est un meilleur critère que le taux de testostérone pour déterminer l'égibilité. Le fait que les hommes aient une MCM supérieure à celle des femmes expliquerait leurs meilleures performances sportives.

Critique de Ritzen et al.

La différence de « masse corporelle maigre » entre les hommes et les femmes est liée entre autres à la différence de taux de testostérone. C’est la testostérone qui augmente la masse musculaire, le tissu osseux, le taux de globules rouges…

Réponse de Healy et al.

Cela n'est pas suffisant puisque seule une quantité non physiologique de testostérone peut avoir une influence sur la MCM. La MCM est déterminée en grande partie par la génétique et est régulée par les hormones. De plus, on ne constate pas de corrélation entre la MCM et la testostérone dans l’étude de départ. Par ailleurs, la MCM est en moyenne plus élevée de 10kg pour les hommes que pour les femmes à taille égale.

Un critère d'éligibilité ou une définition de la femme?

Thèse de Healy et al.

L'actuel test de féminité se base sur une définition erronée de la femme.

the IOC definition of a woman as one that has a normal testosterone level is untenable

Critique de Ritzen et al.

the IOC and the IAAF have strongly stressed that the sex of an individual must never be questioned. Sex identity cannot be determined by any biological test.

Le test n’a jamais eu vocation à déterminer le sexe des athlètes. En outre, le taux de testostérone n’est jamais la seule raison d’une disqualification, il est toujours couplé à des signes d’hyperandrogénie. Une femme hyperandrogyne doit avoir un taux de testostérone dans le sang inférieur à 10 nmol/L pour pouvoir concourir.

Réponse de Healy et al.

Le CIO ne peut nier que sa définition de la femme athlète habilitée à concourir dans les compétitions féminines se base sur des caractéristiques hormonales, définissant implicitement un « sexe athlétique ».


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