Le 15 février, deux membres de notre groupe ont rencontré une socio-historienne pour un entretien d’une heure. Pour préparer cet entretien, nous nous sommes réparti la lecture de sa thèse sur la place des femmes dans les compétitions sportives. Nous avons ensuite chacun fait un résumé de notre partie et avons tous ensemble réfléchi aux questions à lui poser. Voici le bilan de notre entretien avec elle.
Qu’est-ce que vous entendez par le mot femme ?
La question de la caractérisation de la femme n’est pas aussi simple que les instances sportives le laissent penser. Elle nous explique que sa quête pour saisir l’identité féminine est difficile et nécessite d’approcher tous les acteurs impliqués dans cette controverse.
Depuis près de 12 ans, j’essaie de définir ce qu’est une vraie femme autorisée à concourir dans les compétitions féminines. […] Je suis allée interroger beaucoup de médecins, des athlètes féminines/masculins, des entraîneurs etc... La première définition qu’on me donne de manière très primaire c’est qu’une vraie femme possède toutes les capacités à procréer.
Elle remet également en cause la légitimité des instances sportives sur ce sujet.
Je n’ai aucune définition de la vraie femme autorisée à concourir et je pense que les instances dirigeantes ne l’ont pas non plus aujourd’hui, parce que quand on voit tous les tests qu’ils ont mis en place depuis 1966, avec des formats et des modalités différents, on s’aperçoit que les instances dirigeantes médicales n’arrivent pas non plus à définir ce qu’est une vraie femme.
Pourquoi ne propose-t-on pas aux femmes intersexes de concourir avec les hommes puisque leurs performances se rapprochent plus de celles de ces derniers ?
En fait, on leur dit de concourir avec les hommes mais elles sont très loin des performances masculines.
On a peur que les femmes se rapprochent trop dangereusement des morphotypes masculins, parce que ce qui intéresse … les spectateurs, c’est de femmes qui restent dans les critères normatifs d’une féminité occidentale.
Il y a donc deux niveaux :
- on a peur qu’elle se rapproche des performances masculines mais c’est hypocrite puisqu’en réalité, les femmes accusées de s’en approcher en sont très loin.
- on a peur de montrer des femmes qui sortent des critères de la féminité. Et c’est la vraie raison.
Sport et équité sont-ils conciliables ? Peut-on encore parler d’équité sportive ?
Sous prétexte d’équité, on voit bien à quel point ils excluent certaines femmes qui ne répondent pas aux critères normatifs de la féminité. Or, comme le souligne la socio-historienne, d’autres paramètres devraient aussi être pris en compte au nom de l’équité : les infrastructures dont on bénéficie, l’entraineur, le pays, l’environnement, les moyens financiers, certains avantages physiques naturels dont certains vont bénéficier, d’autres non.
Le monde du sport s’est fondé sur des illusions et des fantasmes, d’équité et d’égalité.
On sait bien que le sport est dans une ambivalence et une contradiction très forte. Des adages contradictoires s’affrontent : « l’essentiel c’est de participer » d’un côté et « Plus haut, plus vite, plus fort » de l’autre. Le sport de haut niveau est devenu ce qu’il est, mais pour garder et préserver l’image du sport, ce qui fait que ça éveille les foules, qu’on a toujours l’impression d’avoir l’incertitude quand on regarde une finale de 100m ou la finale de Roland Garros, on reste sur l’essentiel, on fait rêver en disant « l’essentiel c’est de participer», mais si on va regarder en amont de quoi les athlètes en finale ont bénéficié, de quel pays ils sont issus, quelles infrastructures ils avaient, ce n’est pas par hasard qu’ils se retrouvent ici.
Sauf que le sport de haut niveau, pour être valorisé et légitimé dans la société, se voit attribué illusoirement les valeurs du sport amateur.
Les scientifiques sont loin d’être unanimes face au lien qu’il peut exister entre performances et testostérone. Ce choix est-il d’après vous justifié ?
Le socio-historienne reproche aux instances sportives de pénaliser les femmes produisant plus de testostérone que la moyenne ou présentant d’autres formes d’hyperandrogénie car cette particularité, qui n’est peut-être même pas un avantage, est d’origine naturelle.
Il faut laisser chaque individu avec le mêmes droits et le mêmes devoirs. Je ne comprends pas pourquoi Caster Semenya qui présente un avantage physique naturel est pénalisée alors qu’Usain Bolt qui est un extra-terrestre, un surhumain ne l’est pas.
Elle accorde que la testostérone puisse être un avantage dans des épreuves très physiques comme le lancer de poids, mais elle ne pense pas qu’elle ait un rôle si important athlétisme, malgré l’opinion publique.
Je pense que les gens sont persuadés que la testostérone accroît les performances. Mais quelles performances ? Je ne suis pas convaincue que la testostérone soit la molécule clé en athlétisme.
Et elle souligne que "Quand bien même cela serait un avantage, cela reste un avantage naturel". En plus de cela, elle rappelle que "Caster Semenya ne souffre pas que de sexisme, mais elle souffre aussi de racisme".
Pour elle, le sport repose avant tout sur le fait de dépasser ses limites physiques et mentales, "le monde du sport c’est faire ressortir le surhumain, l’exceptionnel". Il est donc légitime d’obtenir des résultats hors du commun et de travailler avec des athlètes présentant des caractéristiques physiques « hors normes ». En outre, « le monde du sport doit faire rêver, et dès qu’une femme sort des critères normatifs de la féminité, elle dérange ».
Notre interlocutrice propose même de faire passer les capacités physiques au second plan. D’après elle, au haut niveau, « c’est le mental qui prime ». Ainsi, s’attarder sur des caractéristiques physiques naturelles n’est pas justifié car elles ne permettent pas, à elles seules, de mener n’importe quel individu à la victoire si ce dernier n’a pas la motivation et la résistance psychologique nécessaires.
La femme serait plus faible sur le plan sportif. Est-ce fondé d’un point de vue physique ? Est-ce un stéréotype, dû à un effet de la société ?
Actuellement, bien que la femme tente progressivement de rattraper son retard dans l’accession aux activités physiques et sportives, les records mondiaux et olympiques sont toujours atteints par des hommes. Mais, la femme doit prendre conscience qu’elle n’est pas faible par nature.
Il y a une différence physique, biologique et physiologique que je ne nie pas. En revanche, le déterminisme biologique je suis complètement contre dans le sens où pour cette différence physique et biologique, c’est l’héritage d’une socialisation justement, ou d’une histoire, où on a cantonné les femmes aux activités domestiques, à leur pouvoir de gestation.
D’après la socio-historienne, c’est donc la société qui a creusé cette distinction entre les deux sexes. Ce qui fait l’importance du sport, c’est l’incertitude du résultat. Mais on sait pertinemment que les femmes auront beaucoup moins de chance que les hommes ; une révolution culturelle est nécessaire pour que la mixité ait un sens.
Sortir des critères normatifs de la féminité, c’est un très long processus qui a fait écho aujourd’hui : les femmes sont moins fortes que les hommes. Mais pour moi ce processus, il est culturel et historique.