Rigueur scientifique remise en cause
Le boom médiatique
Potentielles répercussions
Une vision alternative de la controverse
Depuis de nombreuses années, la politique dominante des institutions publiques et médicales pour ce qui est du cancer a été de centrer sa causalité sur des comportements individuels (fumer, obésité, alcool etc…). La connaissance de facteurs collectifs de mise en danger, comme l’influence de la provenance de notre nourriture, n’est que très rarement prise en compte dans le bilan des facteurs d’exposition. De fait la question de la responsabilité dans l’apparition d’un cancer est une question importante, qui est soulevée par l’article de Cristian Tomasetti et Bert Vogelstein.
En effet, l’étude remet en question la responsabilité de chacun face au cancer : pour certains, il s’agit de déculpabiliser, de se dire que « l’on n’y peut rien ». Cela permet notamment de soulager les cicatrices psychologiques dues à la survenue d’un cancer chez un membre de sa famille par exemple.
Patrick Gaudray, chercheur au CNRS, aujourd’hui intéressé par la bioéthique souligne le problème que pose la responsabilité individuelle quand elle est surévaluée dans une maladie aussi grave que le cancer (« Incertitudes sur la loterie du cancer », Le Figaro, 26/12/2015)
Les auteurs de l’article se sont aussi exprimé sur ce sujet lors de leur communiqué de presse:
« Many people have found relief in this research. Cancer has a long history of stigmatization. Patients and family members frequently blame themselves, believing there was something they could have done to prevent their or their family member’s cancer. We have heard from many of these families and are pleased that our analysis could bring comfort and even lift the burden of guilt in those who have suffered the physical and emotional consequences of cancer. »
(Extrait du communiqué de presse : Bad Luck of Random Mutations Plays Predominant Role in Cancer, Study Shows–Statistical modeling links cancer risk with number of stem cell divisionsRelease – 1er janvier 2015)
Patrick Gaudray affirme cependant que ce fatalisme qui tourne autour de ces recherches tend à décourager les politiques de suivi rigoureux des personnes exposées pour comprendre l’influence des facteurs d’exposition sur le long terme.
En effet, du point de vue d’une sociologue que nous avons interviewé, cette étude peut avoir des conséquences dramatiques sur les droits des travailleurs dont le risque d’exposition est élevé. Cela relève d’un problème de santé publique majeur qui met en lumière les inégalités de santé dans le domaine du travail. Les risques sont reportés sur une catégorie de salariés pour qui il est difficile d’utiliser des droits de protection, et pour qui la reconnaissance des cancers professionnels est un véritable problème.
On touche donc du doigt l’influence de cette étude sur les politiques de santé publique.
D’un autre côté, Patrick Gaudray n’est pas en désaccord avec C. Tomasetti et B. Vogelstein. Il suppose l’apparition possible et non souhaitable d’un échelonnement du remboursement des soins du patient en fonction de ses habitudes de vie, ce qui pose un problème éthique. Il ne faut ainsi pas soupçonner les deux chercheurs américains d’aller à l’encontre de la santé de la population mondiale comme le fait Annie Thébaud-Mony, leur but étant également de réduire les cas de cancer.
Plus largement la controverse sur la part du hasard dans la survenue d’un cancer contient la question sous-jacente de la politique de prévention.