Les vertus du bilinguisme ?

L’apprentissage de plusieurs langues dès l’enfance donne-t-il aux jeunes concernés des avantages dont ils profiteront pendant toute leur vie ou leur empêche-t-il de s’approprier correctement leur langue «principale» que doit être le français ?

Une grande partie des arguments avancés pour promouvoir, ou au contraire, déprécier, les enseignements en langue régionale concerne plus spécifiquement les filières bilingues, c’est-à-dire celles qui proposent de suivre tous les cours, ou, dans la plupart des cas, une partie des cours dans une langue différente du français.

Commençons par un état des lieux de l’offre des enseignements bilingues en langue régionale proposée sur le territoire métropolitain. Ces enseignements existent depuis 1982 et ont été organisés par la circulaire Savary. Selon le rapport Caron [1] :

«Parmi les élèves, le nombre de ceux qui suivent un enseignement bilingue et par immersion
s’est beaucoup développé : il a représenté sur l’année 2011-2012 un total de 72 826 élèves
des écoles, collèges et lycées, en progression de 7 % par rapport à 2009-2010.»

Ils sont particulièrement développés au Pays Basque, où, selon ce même rapport, 35% des élèves du primaire et 10% des collégiens sont scolarisés dans des filières bilingues. En Bretagne, un enseignement en immersion totale en maternelle, puis partielle en primaire, est offert par les écoles gérées par l’association Diwan, qui ont accueilli plus de 3 500 élèves en 2013-2014. En Corse, de 20 à 25% des élèves sont concernés par les enseignements bilingues, un ordre de grandeur qui reste valable pour l’Alsace-Lorraine. En revanche, en Catalogne, seuls 8% des élèves ont accès à ces enseignements d’après des chiffres avancés par le secrétaire général de la FLAREP, qui regroupe, comme on le rappelle, des associations locales œuvrant en faveur de ce type d’enseignements [2].

Mais qu’est-ce qui peut pousser, aujourd’hui encore, des parents à inscrire leur enfant dans une école où un enseignement en langue régionale est proposé ? Pour un grand nombre d’entre eux, c’est tout d’abord la volonté de transmettre une langue et une culture qui étaient celles de leurs propres parents mais qu’ils n’ont pas eu l’occasion de s’approprier eux-mêmes, toujours d’après le secrétaire général de la FLAREP :

«D’après la dernière enquête qu’on a faite sur le catalan, 75% des familles sont favorables à l’enseignement bilingue ; si on parle des initiations, ce pourcentage monte à 80%.»[3]

Mais ce n’est pas ce simple aspect de transmission qui pourrait suffire à expliquer un tel intérêt. C’est en général plus souvent l’appellation «bilingue» de telles filières qui attire. En fait, de nombreuses études cognitives montrent les avantages d’une éducation dans un milieu plurilingue : selon ce rapport [4], cela augmenterait les capacités d’apprentissage et de concentration ; en particulier, l’apprentissage d’une troisième, puis d’autres langues serait bien plus aisé pour les personnes bilingues que pour celles qui auraient grandi dans un environnement monolingue. De plus, le bilinguisme permettrait de conserver jusqu’à un âge plus important les capacités cognitives caractérisant les jeunes. Et les avantages sur le plan social sont eux aussi nombreux : étant habitué à passer d’une langue à l’autre, le jeune bilingue développerait en même temps une tendance à mieux appréhender l’altérité (donc, par exemple, les différences culturelles).

Et ces études semblent conformes à la réalité si on s’intéresse aux résultats des filières bilingues : reprenons l’exemple des établissements Diwan qui proposent un enseignement immersif en breton. Dès les premières années d’ouverture de ces écoles, collèges et lycées, les performances académiques des élèves, quantifiées au moyen d’évaluations nationales, ont été parmi les meilleures au niveau français. Et les résultats des élèves au baccalauréat et au brevet des collèges montrent, eux aussi, l’efficacité de la méthode mise en œuvre :

«Et les résultats sont là : en français, les évaluations nationales en CE2 et en 6ème montrent que le niveau des élèves des écoles Diwan est globalement supérieur à la moyenne nationale. En 1992, huit premiers collégiens passaient le brevet des collèges ainsi que le First Degree of Cambridge avec un taux de réussite de 100%. Et en 2010, Le Figaro classe le lycée Diwan de Carhaix «2ème meilleur lycée de France» parmi 1930 établissements.»[5]

Mais alors, si des arguments scientifiques appuient l’utilité de telles filières, s’ils sont de plus confirmés par des résultats réels, pourquoi ces enseignements ne sont-ils pas généralisés ? Un problème important est tout d’abord celui du manque d’enseignants ayant les compétences en langues régionales nécessaires : ce constat est particulièrement vrai dans l’enseignement primaire [6]. Dans l’enseignement secondaire, la situation est moins problématique avec la mise en place, depuis les années 1990, de CAPES proposant une langue régionale comme discipline principale ou comme option [7].

S’il est impossible de contrer les analyses scientifiques listant les avantages d’un enseignement bilingue, il est toutefois possible d’appliquer, dans le domaine de l’éducation, des arguments très politiques. Ainsi, pour protester contre l’ouverture d’une classe bilingue français-occitan, des parents d’élèves ont repris à leur compte des slogans comme «Non à l’occitan qui divise !». Ils avancent que de telles classes favorisent le repli sur soi, le communautarisme et seraient, à terme, néfastes à l’«unité nationale» [8].

Toujours est il que, face à la diminution du nombre de locuteurs des langues régionales, l’éducation, et en particulier le développement des filières bilingues, reste le moyen privilégié pour assurer la sauvegarde et la transmission de la langue et de la culture. C’est ce qu’expliquait le secrétaire général de la FLAREP :

«Un des seuls éléments qui peut permettre un redressement et en tous cas une transmission des langues c’est l’éducation.»[9]

Et, selon lui, seules les classes bilingues, voire immersives, permettraient aux jeunes de devenir des locuteurs autonomes en leur langue régionale, capables de transmettre à leur tour cette langue et la culture qui lui est rattachée, pour permettre une vraie renaissance, à l’échelle de la métropole, du patrimoine linguistique.

 

Si les études scientifiques concordent sur le fait que le bilinguisme s’accompagne de nombreux avantages, la question de la reconnaissance académique des enseignements de langues régionales fait beaucoup moins l’unanimité.


[1], [6], [7] CARON R., Redéfinir une politique publique en faveur des langues régionales et de la pluralité linguistique interne, 2013

[2], [3], [9] Entretien avec Alà Baylac-Ferrer, 11/05/2017

[4] MARIAN et SHOOK, The Cognitive Benefits of Being Bilingual, NCBI, 2012

[5] MILIN R., La diversité culturelle et ses succès… sur le territoire français aussi !, sur le blog de la fondation Chirac, mai 2010

[8] Manif contre la classe bilingue occitan, la Dépêche, février 2015