Le chemin menant à la reconnaissance académique des compétences acquises dans une langue régionale a été parsemé de nombreux obstacles, et le combat n’est pas encore terminé…
Après plusieurs décennies marquées par une véritable répression dans l’usage des langues régionales dans les écoles de la République, une répression instituée par les lois Jules Ferry de 1881 et 1882 rendant l’éducation gratuite, laïque et obligatoire, le premier sursaut en faveur des langues régionales se fait en 1951 avec la loi Deixonne : désormais, des enseignements de langues régionales sont encadrés au niveau national. Mais ce n’est que trente ans plus tard qu’un véritable mouvement en faveur du développement et de la reconnaissance de ces enseignements se mettra en place : avec la circulaire Savary de 1982, les langues régionales deviennent une matière à part entière. Un an plus tard, les associations locales se regroupent en une fédération, la FLAREP, qui vise à regrouper et à transmettre au gouvernement les revendications pour l’enseignement des langues régionales. Sous le gouvernement de Jack Lang, au début des années 2000, une nouvelle impulsion sera donnée à ces enseignements : il s’agit, pour l’essentiel, de leur donner un cadre au niveau national et de mettre en place des Conseils académiques des langues et cultures régionales [1].
Ainsi, pour les élèves, il était possible de suivre des cours de, ou en langues régionales, à partir de 1951. Ces enseignements ne deviennent une matière à part entière, qui ont leur place sur les bulletins scolaires, que dans les années 1980. Peu à peu, entre 2003 et 2013, les langues régionales sont regroupées avec les autres langues «étrangères» : les exigences en terme de niveau sont uniformisées, et on peut maintenant choisir une langue régionale comme LV1, 2 ou 3 au baccalauréat [2], [3].
Du côté de la reconnaissance des capacités à enseigner une, ou dans une, langue régionale a été beaucoup plus lente : les premiers CAPES de langues régionale n’ont été mis en place qu’en 1991 (et cela ne concernait que le breton, le catalan et l’occitan) [4] ; il faut attendre 2002 pour voir l’ouverture d’un «Concours spécial de Recrutement de Professeurs des Écoles, en langues régionales». [5] Et il faut attendre mars 2017 pour que l’ouverture d’agrégations en langues régionales soit annoncée [6]. Cela explique en grande partie le manque de professeurs qualifiés pour l’enseignement des langues régionales : si plus de 1200 enseignants dispensent des cours de, ou en, langues régionales, dans l’enseignement public, ils sont très loin de suffire à la demande des familles. Ainsi, seuls 7% des élèves de la zone concernée ont accès à un enseignement bilingue en occitan alors que 40% des familles seraient intéressées ; 20% peuvent participer à une initiation à cette langue alors que 75% des familles en demandent [7].
Cette incapacité à satisfaire les attentes des parents peut expliquer le succès des écoles privées, sous contrat ou non, ou des écoles associatives proposant ces enseignements : si 272 000 élèves ont pris part à un enseignement de, ou en, langue régionale pendant l’année scolaire 2011-2012, pour seulement 146 190 d’entre eux, soit environ 54% du nombre initial, ces enseignements étaient assurés par l’Éducation Nationale [8].
Un autre constat est l’inégalité marquée dans l’offre de ces enseignements : on remarque que les territoires où les revendications politiques sont les plus fortes sont aussi ceux où ces enseignements sont les plus développés :
«Quand la convention pour le développement de l’enseignement de la langue basque a été signée, il y a quelques années, au Pays Basque […] c’est le ministre de l’Intérieur qui a fait le déplacement pour signer la convention, ce n’était pas le ministre de l’Éducation ni celui de la Culture.[…]»[9] |
Face à la Corse -où l’enseignement de la langue régionale est systématiquement proposé aux élèves, où ce sont même les parents qui ne souhaitent pas de cet enseignement qui doivent demander par écrit une «dérogation» [10]– et au Pays Basque, où «la dimension politique protège, d’une certaine manière, les militants et le développement de l’enseignement bilingue en langue régionale dans l’enseignement public», les régions où cette dimension politique est moins présente peine à faire reconnaître la nécessité de l’enseignement de leur langue. C’est le cas des Flandres et de la Savoie, par exemple :
«Le Ministère continue de s’entêter […] à refuser de considérer ces deux langues, le flamand d’un côté et le franco-provençal savoyard de l’autre, ne sont pas assez développées tout en étant dignes d’être enseignées et évaluées aux différents diplômes de l’enseignement public. Ils refusent donc de prendre en charge ces enseignements dans l’Éducation nationale.» [11] |
En fait, dans le cas du franco-provençal savoyard, le problème se situe du côté de la reconnaissance de cette langue en tant que telle : alors qu’elle est considérée par le Ministère de la Culture et surtout par l’UNESCO comme une langue indépendante, le Ministère de l’Éducation Nationale ne la voit que comme un dialecte de l’occitan [12]. Ce sont donc encore souvent les problèmes de reconnaissance et de visibilité des langues elles-même qui empêchent le développement des enseignements de, ou en, langues régionales.
Nous comprenons mieux les enjeux du combat dans le domaine de l’enseignement. Mais qu’en est-il des médias ? Et de la culture ? Les langues régionales font partie de la culture française non ? Ça leur donne des droits ?
[1], [9], [11] Entretien avec Alà Baylac-Ferrer, 11/05/2017
[2] Loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, signée le 8/07/2013
[3], [7], [8], [10]. sous la direction de CARON R., Redéfinir une politique publique en faveur des langues régionales et de la pluralité linguistique, 07/2013
[4] Arrêté du 10 juillet 1992 complétant l’arrêté du 30 avril 1991 fixant les sections et les modalités d’organisation des concours du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (C.A.P.E.S.)
[5] BO n°7 du 14 février 2002
[6] LEGRAND C., L’agrégation s’ouvre aux langues régionales, La Croix, 29/03/2017
[12] Observatoire des pratiques linguistiques, Langue et Cités N°18: Le francoprovincial, 01/2011