Un gène parmi 20 000 : une aiguille dans une botte de foin
Le titre d’un article scientifique publié dans la revue Nature en mai 2016 a été largement repris dans la presse. Dans ce papier intitulé “Genome-wide association study identifies 74 loci associated with educational attainment” (Okbay et al., 2016), les dizaines de chercheurs ayant participé aux études qui ont conduit à la méta-analyse finale présentent “74 loci et variations significative du génome” qui ont été reliés aux capacités intellectuelles des sujets. Cette étude fait partie d’un type d’études appelées GWAS qui consistent à observer sur l’intégralité du génome humain des variations génétiques pour ensuite les associer à des traits observés (en savoir plus sur les études GWAS) . Elle reprend entre autres trois gènes qui avaient été mis en avant par une précédente étude datant de 2013. Les études qui annoncent la mise au jour de nouvelles variations génétiques expliquant des différences cognitives entre individus ne sont pas rares ces dernières années. Ainsi, en février 2016, Michael Johnson et son équipe de l’Imperial College de Londres annonçaient la découverte de deux réseaux de gènes influant sur le développement des capacités cognitives et de maladies neuronales (Johnson et al., 2016). En mai 2017, une autre méta-analyse conduite auprès de plus de 78 000 sujets a permis la mise en avant de nouveaux gènes et loci (Sniekers et al., 2017). La question de savoir si des gènes influent sur les capacités intellectuelles des hommes semblent donc un peu plus tranchée à chaque étude publiée.
Après 10 ans, une étude a invalidé la découverte de 31 variations génétiques liées aux capacités intellectuelles
Néanmoins, ces études et annonces ne font pas l’unanimité parmi la communauté scientifique. Les résultats eux-mêmes sont parfois mis en défaut plusieurs années plus tard par de nouvelles études. En effet, les variations génétiques sont mises en avant par des corrélations statistiques sur un échantillon de sujets. En 2012, une étude (Chabris et al., 2012) a tenté de reproduire les expériences menées au XXème siècle. Le but était de confirmer les corrélations entre une trentaine de variations génétiques et le facteur g, un indicateur cognitif (abréviation de general intelligence) supposé très fortement héritable (à plus de 80%). Parmi les 12 variations mises en avant par la Wisconsin longitudinal study, aucune n’a pu être reliée au facteur g de manière concluante, soulevant le problème de la reproductibilité des expériences.
Les études menées auprès de jumeaux prédisent une héritabilité (voir la page sur l’héritabilité) de l’ordre de 50% des capacités cognitives. Néanmoins, les variantes génétiques identifiées à ce jour n’expliquent que quelques pourcents des fluctuations de quotient intellectuel observées. Les 74 loci identifiés en 2016 ne permettent de rendre compte que d’un écart chiffré à 9 semaines d’école.
Au total, ces 74 variations seraient responsables de 0,43% des écarts de niveau d’étude. Par ailleurs si l’on isole une seule variation, même la plus significative, son impact n’atteint que les 0,035%. De nombreux scientifiques, comme Daniel Benjamin (Université de Californie du Sud, Los Angeles) qui a participé à l’étude, rappellent qu’il serait malvenu de parler de gènes de l’éducation quand l’apport de la génétique est largement dépassé par d’autres facteurs, notamment environnementaux. Arthur Caplan regrette lui que ces résultats focalisent l’attention au détriment de facteurs prépondérants et connus comme la taille des classes, l’alimentation ou le nombre de professeurs.
Les conclusions de Daniel Benjamin rejoignent celles de plusieurs études qui identifient des grappes de gènes. Ainsi, en février 2016, Robert Plomin et trois chercheurs ont mis en avant que l’ensemble des compétences évaluées à l’école étaient influencées par les mêmes variations génétiques. Daniel Benjamin avançait ainsi que des milliers de variations étaient à l’oeuvre pour expliquer les 50% prédits par les études sur les jumeaux. Mais devant l’absence d’identification des gènes certains préfèrent ne pas aller trop vite, à l’image de John Hardy (University College London) qui ne veut pas fonder de politiques éducatives sur les résultats des études de jumeaux à l’heure actuelle. D’autres comme Aravinda Chakravarti (Johns Hopkins University) vont plus loin, estimant que ces études sont inutiles : « There are so many KNOWN and POTENT reasons why people don’t achieve educational attainment that looking for genetic effects that are UNKNOWN and OF MINUSCULE EFFECT seems pointless, »2 rapporté dans The Verge. « Je suis fermement opposé à ces études, » a t-il fermement ajouté.
La dernière étape est aussi de comprendre comment les variations génétiques conduisent à des différences cognitives entre individus. D’autres disciplines travaillent à résoudre la question de l’identification des gènes en visant leur effet sur le développement cérébral notamment. Ainsi, l’imagerie cérébrale (voir la page gènes et cerveau) est une piste sérieuse pour pallier un manque de résultats qui disqualifie la discipline auprès de certains scientifiques.
Nos traductions :
1 « Pour moi, le danger de ce type de rapports est qu’ils masquent les causes évidentes et importantes de la capacité à progresser à l’école comme la sécurité des écoles, le nombre de professeurs, la taille des classes, l’alimentation, vous pouvez compléter la liste ! »
2« Il y a tellement de raisons connues et importantes qui expliquent l’échec scolaire que regarder les effets génétiques qui sont inconnus et d’une très faible influence paraît inutile »
3Les études de jumeaux sont à la base de la génétique comportementale, mais elles partent du postulat que nous traitons de la même manière les vrais jumeaux des faux jumeaux, ce qui est probablement faux. Ces résultats sont intéressants mais en aucun ils ne sont définitifs et de ce fait il serait peu sage de prendre des décisions d’éducation basées sur ces données.
Source de l’image : Okbay et al., 2016