Des corrélations qui diffèrent de 40 points suivant les études : l’héritabilité manquante au cœur des discussions.
“Missing heritability”, ou l’héritabilité manquante désigne un écart significatif de corrélation entre gènes et intelligence observé entre les études basées sur des observation de jumeaux obtenant des corrélations d’environ 50% (Plomin et Von Stumm, 2018) et les études s’intéressant directement aux gènes des individus testés, dont les corrélations obtenues jusqu’à présent ne dépasseraient pas 10%. L’objectif pour les chercheurs menant des études de type GWAS a donc été ces dernières années de réduire cet écart (Plomin et Von Stumm, 2018).
Dans cette revue, intitulée The new genetics of intelligence, le généticien américain Robert Plomin et la professeure Sophie Von Stumm décrivent les différentes recherches utilisant la méthode GWAS pour observer les corrélations entre les gènes et l’intelligence ou la réussite scolaire, modélisée par le nombre d’années d’études (cette définition serait en outre fortement corrélée avec l’intelligence, ce qui rendrait pertinente son utilisation). Selon cet article, cet écart est premièrement expliqué par le fait que le nombre d’individus nécessaires est extrêmement élevé. Ainsi, des recherches utilisant des échantillons de plus en plus importants ont commencé à être menées. En 2013 une étude utilisant un échantillon de 125000 individus a montré qu’un SNP (un polymorphisme nucléotidique) d’un comptait pour 0,02% de la variation, ce qui serait équivalent à seulement deux mois d’éducation. En 2016, une seconde analyse basée sur 294000 individus permettaient d’expliquer 3% de la variance des années d’études, et jusqu’à 4% de la variance de l’intelligence. Au moment où The new genetics of intelligence a été publié, une troisième étude utilisant plus d’un million de personnes était en train d’être réalisée. Les premiers résultats de cette étude GWAS permetteraient déjà d’obtenir des relations significatives entre les gènes et la réussite scolaire qui expliqueraient 10% de la variance du nombre d’années d’études. Parallèlement à cela, de nouvelles études ont été menées en inspectant le Q.I. de 78 000 et 280 000 individus et expliquaient respectivement 3% et 4% de la variance de l’intelligence (voir graphique ci dessous).
Ainsi, Robert Plomin et Sophie Von Stumm évoquent la possibilité d’utiliser des modèles multivariés, ce qui fournirait de meilleures corrélations. Cependant, même si de cette manière il est possible d’obtenir des corrélations supérieures à 10%, combler la différence entre ces études et celles qui utilisent des jumeaux paraît très difficile.
En outre, cet article introduit aussi l’existence d’une deuxième “missing heritability”: il s’agit d’un écart observé entre les 10% de variance des tests d’intelligence fournis par les GPS (les Genome wide Polygenic Scores sont des valeurs calculées qui permettent, en corrélant les SNP d’une certaine façon de mesurer leur effet global) et l’héritabilité SNP de l’intelligence, estimée à environ 25%, qui correspond au plafond d’héritabilité maximal atteignable par les GPS. Ces écarts sont illustrés sur le diagramme ci dessous.
De nouveaux modèles plus complexes sont nécessaires pour réduire l’héritabilité manquante mais peut être pas suffisants.
Selon l’article, ce plafond peut être atteint en augmentant les tailles d’échantillons. Cependant, resserrer l’écart entre ce plafond et les résultats obtenus par les études de jumeaux nécessiterait de nouvelles méthodes de calcul, notamment la prise en compte de possibles interactions entre les gènes (effet non additif), ou même entre les gènes et l’environnement. Ces chercheurs évoquent ainsi l’objectif atteignable de resserrer la première héritabilité manquante, c’est à dire entre les GPS obtenus et le plafond estimé, mais reconnaissent la difficulté de percer ce plafond pour s’approcher des 50% obtenus par les études de jumeaux.
Une autre étude intitulée Meta-analysis of the heritability of human traits based on fifty years of twin studies (Posthuma, 2015), publiée en 2015 par 7 chercheurs s’est aussi intéressée à la question. Ces chercheurs soulignent très vite la forte probabilité que les gènes aient un effet non additif, ce qui pourrait expliquer la différence notable entre les études de jumeaux et les études GWAS.
Ils décident donc de s’intéresser à l’héritabilité de plusieurs traits en utilisant pratiquement toutes les études de jumeaux publiées ces 50 dernières années. Ils en concluent ainsi que tous les traits observés sont héritables. Mais ils s’intéressent aussi de très près à la question de la “missing heritability”. Apparemment, les deux tiers des traits observés, l’influence génétique est notable avec des modèles additifs de gènes. Mais cela signifierait que pour un tiers des traits, il faudrait utiliser un modèle prenant en compte l’influence de l’environnement, et surtout des effets non additifs de gènes. Une autre observation pousserait les chercheurs à adopter un tel modèle: pour certains traits observés, on mesure une corrélation plus forte entre les jumeaux dizygotes que pour les jumeaux monozygotes. Cependant, les chercheurs reconnaissent la nécessité de disposer de larges échantillons et de plus d’informations sur les individus testés afin de déterminer la source de cette différence et pour trouver les limites du modèle additif.
Le diagramme en barres s’inspire de celui réalisé dans Plomin et Von Stumm, 2018