“[…] en Argentine et en Uruguay, des fermes expérimentales modifient le génome de moutons et de veaux pour augmenter la taille de leurs muscles dans le but de produire deux fois plus de viande. Quelles sont les conséquences pour la qualité de vie animale et pour les consommateurs ?”
Hervé Chneiweiss, président du comité d’éthique de l’Inserm
Comme beaucoup d’innovations technologiques, l’édition génomique chez les animaux d’élevage soulève plusieurs questions éthiques.
Le bien-être animal
Modifier génétiquement un animal, c’est lui apporter des changements qui sont susceptibles de lui causer de la souffrance, de l’inconfort ou un handicap. Certaines modifications pourraient donc s’apparenter à des actes de cruauté animal. En France, les animaux sont considérés légalement comme des êtres vivants et sensibles et tout acte de cruauté ou de maltraitance envers un animal est puni par la loi. Ce type de modifications serait donc même illégal au regard de la loi. La question est ainsi de savoir si une modification risque de faire souffrir ou non un animal.
Mais il est très difficile d’y répondre. Comment savoir si un taureau sans corne souffre du fait de ne pas avoir de cornes ? Peut-être que les cornes lui servent à se défendre contre d’autres taureaux, ou bien à séduire les femelles. Dans ce cas-là, est ce que la suppression des cornes de l’animal le fait souffrir ? Dans la mesure où il est très difficile de déterminer l’impact qu’une modification aura sur l’animal et son bien-être, est-ce envisageable moralement, et même légalement, de prendre le risque de lui infliger cette souffrance ?
Violence d’espèce
L’acte de modifier génétiquement une autre espèce est un acte grave car il modifie la nature même de l’espèce. On peut donc se demander si l’homme doit vraiment s’octroyer les droits de modifier une espèce de façon aussi intrusive. Apporter une modification – qui peut parfois plus s’apparenter à une mutilation – sur l’ensemble d’une espèce, ou du moins d’une partie de la population de cette espèce, n’est-ce pas en quelque sorte une forme de violence d’espèce ?
L’homme doit décider quel type de relation il entend avoir avec les autres espèces animales. Modifier le génome d’une autre espèce pour la rendre plus productive, de manière à mieux l’exploiter, n’est-ce pas considérer les animaux seulement comme des bien commerciaux ou des marchandises et leur refuser leur statut d’être sensible ? N’est-ce-pas porter atteinte à la dignité de cette espèce ?
Toutes ces questions méritent d’être posées avant que nous ne commencions réellement à faire des modifications irréversibles sur les espèces qui nous entourent.
Les différences avec la sélection traditionnelle
Dans le cas de modifications ponctuelles (avec CRISPR-Cas9), il est souvent quasiment impossible de faire la distinction entre un organisme modifié par édition génomique et un animal obtenu par un procédé de sélection sur plusieurs siècles ou bien un animal porteur d’une mutation naturelle.
L’édition génomique chez les animaux d’élevage pourrait donc être vue comme une accélération du processus de sélection traditionnel des critères, utilisé depuis des milliers d’années. Si ce processus de sélection a été accepté moralement, quelle différence y a-t-il avec l’édition génomique ? Peut-être la différence est-elle dans les possibilités offertes par l’édition génomique qui dépassent largement celles permises par la sélection basée sur le phénotype.
Vers des dérives eugéniques ?
Dans le cadre de l’édition génétique sur les animaux d’élevage, il n’est pas question de modification du génome humain. Pourtant, en transformant d’autres espèce animal, l’homme s’habitue à l’idée de modification génétique du vivant et celle-ci se retrouve en quelque sorte banalisée.
On peut donc craindre que ces pratiques ne soient un premier pas vers une modification génétique de l’homme voire même vers des pratiques eugéniques.
La naissance pour la première fois dans le monde de deux enfants génétiquement modifiés en Chine, bien que celles-ci ait été réalisées de façon totalement illégale, montre bien que le problème est d’actualité.
Peut-on éthiquement s’en passer ?
Certains défendent que c’est le fait même de se passer des possibilités offertes par l’édition du génome qui ne serait pas éthique. Selon eux, cette nouvelle technologie permettrait de résoudre des problèmes graves tel que la faim dans le monde.
Une lettre ouverte de plusieurs lauréats du prix Nobel à même accusé Greenpeace de “crime contre l’humanité” en raison de son action contre l’édition du génome et ses applications. Ceux-ci soutienne que l’action de Greenpeace retarde des projets de lutte contre la faim comme le « riz doré » qui permettrait de combler les carences en vitamine A de certains pays du Sud. Il est à noter que cette lettre ouverte a en majorité été signé par des prix Nobel qui ne sont pas spécialistes de la question et qui proviennent d’autres domaines, ce qui a été critiqué.
Des différences d’éthique selon les pays
Il n’y a pour l’instant pas de consensus international ou bien d’accord mondial sur les questions de bioéthique chez les animaux d’élevage, comme en attestent les grandes différences de législation (entre l’Europe et les États-Unis par exemple). Se mettre d’accord sur ces questions est en effet très dur car la vision des choses peut fortement varier d’une culture à l’autre. Entre un pays comme l’Inde où les vaches sont sacrées et les États-Unis où elles sont élevées dans des exploitations industrielles, le fossé est grand.
En bref
L’édition génomique présente donc des risques et soulève des interrogations morales et philosophiques. La principale question est de savoir si les utilisations faites de l’édition génomique sont utiles et nécessaires au point d’accepter de se confronter à ces questionnements. La fin justifie-t-elle vraiment les moyens ? N’y a-t-il pas d’autre façon de résoudre les problèmes liés à l’alimentation qui nous fassent moins jouer aux « apprentis sorciers » ? Ce sera au débat politique de trancher.