Un peu d’histoire
Depuis sa sédentarisation il y a plus de 10 000 ans, l’homme n’a cessé de faire progresser l’agriculture et l’élevage grâce à un processus lent de sélection des plantes et animaux possédant les caractères souhaitables pour la descendance. De générations en générations, agriculture et élevage sont ainsi devenus de plus en plus productifs et résistants.
Au cours du 20ème siècle, les progrès de la génétique ont permis d’accélérer ce processus de sélection, à l’aide notamment de données statistiques et la réalisation de croisements. Les premiers organismes génétiquement modifiés (OGM) par transgenèse font leur apparition au cours des années 70 (ce ne sont que des bactéries, il faut attendre les années 80 pour voir les premières plantes et animaux GM). A l’origine, la transgenèse est la technique de génie génétique la plus couramment utilisée. Cette technique consiste en l’introduction d’un ou plusieurs gènes dans un organisme vivant. D’après le rapport de l’INRA Modifications ciblées des génomes : apports et impacts pour les espèces d’élevage, “ces méthodes de transgenèse présentent l’inconvénient majeur de ne maîtriser ni les sites d’insertion des transgènes, ni le nombre de copies effectivement intégrées dans le génome des cellules ciblées, rendant les profils d’expression des transgènes généralement peu prédictibles.”
Dans les années 90, la biotechnologie fait un immense progrès avec le développement de nouvelles techniques de génie génétique regroupées sous le terme d’édition du génome. Ces techniques, en particulier la plus récente CRISPR-Cas9 développée en 2012 et basée sur le principe de mutagenèse dirigée, sont plus précises et moins coûteuses que les précédentes.
Une révolution des biotechnologies…
Voici différents extraits de publications qui présentent cette nouvelle méthode de génie génétique :
“Le XXIe siècle détient aujourd’hui sa première innovation biotechnologique majeure.”
Jean-Stéphane Joly, directeur de recherches à l’INRA dans son article Édition du génome : il est urgent de débattre publié dans Le Monde en juin 2016
“Depuis le milieu des années 2000, la science a fait un pas de géant en découvrant les techniques d’édition du génome, qui ont ouvert la voie à une explosion de nouvelles biotechnologies. Elles s’appellent Crispr, Talen ou ZFN, et leurs façons de modifier génétiquement les produits agricoles changent la donne. »
Christophe Josset, , journaliste à l’Express dans son article publié en février 2019.
“Une avancée décisive avec le développement de la technique CRISPR-Cas9, beaucoup plus simple en termes de conception et d’utilisation, moins coûteuse, et, de ce fait, bien plus accessible. À ce jour, son efficacité a été démontrée dans plus de 40 espèces, et ses perspectives d’utilisation sont considérables.”
Tiré du rapport de l’INRA Modifications ciblées des génomes : apports et impacts pour les espèces d’élevage, 2017.
Une grosse partie de la communauté scientifique est donc très enthousiaste à l’égard des nouvelles techniques d’édition du génome, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Certains y voient un danger sans précédent pour notre société et l’environnement.
…ou une arme de destruction massive ?
La modification du matériel génétique des plantes et des animaux mène inévitablement à la question de l’homme. L’édition génomique n’est-elle pas la porte ouverte aux manipulations génétiques du génome humain ? On appelle cela la dérive eugénique et ceci est loin d’être absurde puisque des équipes de chercheurs chinois ont déjà expérimentés la technique CRISPR-Cas9 sur l’embryon humain pour traiter une maladie cardiaque. Pour le moment les embryons ne survivent pas à ces opérations ou sont détruits.
Un peu imaginer un jour des modifications du génome humain qui seraient transmissibles à la descendance. Aujourd’hui, la convention d’Oviedo interdit ce type de pratiques.
« Il y a de nombreuses questions éthiques que nous devons considérer avec attention. Avec mes collègues, nous appelons à une pause globale de toutes les utilisations de la technologie CRISPR sur les embryons humains, le temps que nous puissions en mesurer toutes les implications. »
Jennifer Doudna, la co-découvreuse de CRISPR Cas9, citation tiré de l’article de France Inter La manipulation du génome, arme de destruction massive ? , publié le 27 janvier 2017.
Ces considérations éthiques ne représentent qu’une partie du problème pour certains, qui voient derrière cette technologie une menace pour la société. En effet CRISPR-Cas9 est une technique très puissante, très simple à mettre en oeuvre et pas cher, on peut donc facilement imaginer qu’elle soit utilisée à des fins de malveillance. En 2016, le directeur des renseignements américains James Clapper a annoncé dans le rapport d’évaluation mondial annuel de la menace que l’édition du génome figure dorénavant parmi la liste des armes de destruction massive. Voici un extrait de ce rapport : » Research in genome editing conducted by countries with different regulatory or ethical standards than those of Western countries probably increases the risk of the creation of potentially harmful biological agents or products. Given the broad distribution, low cost, and accelerated pace of development of this dual-use technology, its deliberate or unintentional misuse might lead to far-reaching economic and national security implications. »
En France, les chercheurs qui travaillent dans ce domaine sont surveillés par la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) et certains sujets de recherches sont même refusés par sécurité.
« Les services de renseignements surveillent les étudiants parce qu’avec les techniques d’éditions de gènes, leur détournement dans le cadre d’une dérive terroriste est envisagé de manière beaucoup plus évidente que ce qui pouvait exister il y a quelques années. »
Olivier Lepick, citation tiré de l’article de France Inter La manipulation du génome, arme de destruction massive ? , publié le 27 janvier 2017.