Le débat autour de la nocivité des carraghénanes ne touche pas uniquement la sphère scientifique mais également le grand public. De nombreux blogs ou articles de sites de consommateurs s’inquiètent quant au possible danger que représentent ces additifs.

Les travaux de Dr. Tobacman plébiscités

Les études du docteur Tobacman sont citées par certains acteurs pour justifier une méfiance que devraient adopter les consommateurs vis-à-vis des carraghénanes, méfiance qui est largement incitée par le docteur :

« C’est presque une addiction à ces produits texturisant dans l’alimentation, mais tout prend un certain temps et je suis encore plus impatiente que dans le passé. Je continue d’espérer qu’il y aura un jour plus de régulation à ce sujet. Et qu’un public mieux informé décidera de ne plus acheter de produits contenant des carraghénanes. »

Dr. Tobacman (entretien du 11 avril 2019)

Des sites de conseils à la consommation, tels que Bonheur et Santé, citent ainsi les études de J. Tobacman pour mettre en garde les consommateurs face aux dangers des carraghénanes. La figure du docteur fait souvent office d’argument d’autorité pour appuyer des propos plus généraux sur l’impact direct des carraghénanes sur le consommateur, affirmant que « certaines allergies en résultent forcément », ou encore que « Certaines personnes qui ont supprimé la consommation de repas surgelés et autres; ont vu leur état de santé  beaucoup amélioré » (« Les risques de la carraghénane (cet additif alimentaire) », 2017).

De plus, du fait que l’EGTOP (Expert Group for Technical Advice on Organic Production), faisant suite à l’étude de Tobacman en 2001, demande de nouvelles enquêtes et recommande en conséquence de ne pas l’utiliser en bio, les consommateurs sont incités à appliquer le principe de précaution. Ce principe est par exemple proscrit par Yannick Lerat, directeur scientifique au CEVA (Centre d’Etude et de Valorisation des Algues) qui, bien qu’affirmant que seuls les carraghénanes dégradés peuvent être nocifs et que des études ont prouvé qu’en tant que tels ils ne présentent pas de réel danger, évoque cependant la possibilité de biais de ces études (Ingrebio, 2015).

L’exposition d’études plus récentes

D’autres sites quant à eux recensent les différentes études menées postérieurement à celles de Dr Tobacman, pour argumenter quant à leur non-nocivité. Le site Food Science Matters donne un compte-rendu des conclusions de l’organisme NOSB (National Organic Standards Board), qui décréta en 2016 que les carraghénanes ne présentaient pas de danger pour le corps humain (« Recap from the NOSB Hearing in St. Louis », 2016). Ce site appartenant à DuPont Nutrition and Health, une entreprise qui collabore avec l’industrie de l’agroalimentaire grâce à ses experts scientifiques et commerciaux, commente les recommandations du NOSB concernant l’usage des carraghénanes. Pour cela, l’auteur de l’article cite les différents témoignages recueillis par l’organisme, par des acteurs divers, des chercheurs en biotechnologies aux membres des gouvernements des pays producteurs d’algues. Au-delà des considérations économiques concernant les fermiers en question, le site avance que les consommateurs sont satisfaits de l’alternative biologique que présentent les carraghénanes et que peu s’y opposent. La place que prennent les opposants aux carraghénanes serait démesurée par rapport au nombre réels de consommateurs non satisfaits.

Harris J Bixler, membre de Marinalg et professionnel de l’industrie du carraghénane, salue la tentative de ce site, et d’autres tels que United 4 Food Science, de redorer le blason du carraghénane via « des informations factuelles sur les carraghénanes et autres ingrédients face aux producteurs et consommateurs, en appuyant sur la sécurité, nécessité, facilité et efficacité économique que présente leur utilisation dans les produits transformés » (Bixler, 2017).

De plus, cet effort est également partagé par des sites qui ne sont pas affiliés à l’industrie agroalimentaire, tels que The Gentle Chef, qui recense l’historique de la controverse dans le domaine scientifique, mettant en exergue, preuve à l’appui que les études de Tobacman ont été démenties postérieurement (« Is Carrageenan Safe To Eat? », s. d.). L’objectif est de donner au consommateur accès à l’ensemble des éléments nécessaires pour comprendre la controverse.

Un décalage avec les médias grand public

Ces articles s’appuyant sur des études sérieuses ont moins de visibilité que de nombreux autres, qui font référence aux carraghénanes sans s’appuyer sur aucune étude scientifique sur leur impact sur le système digestif.

Parmi ceux-ci, on retrouve des auteurs de blogs qui, souhaitent mettre en garde les consommateurs quant à la consommation excessive de carraghénanes. La plupart des articles de sites dédiés au consommateur recommandent le principe de précaution.

Tous ne sont pas aussi catégoriques sur la nocivité de ces additifs que Stéfane Guilbaud qui, dans son site Désobéissance Alimentaire, énumère les additifs dans les produits consommés quotidiennement par les Français. Il affirme en effet que « Même s’il [le carraghénane] est autorisé en France, il s’est avéré, chez les animaux, pouvoir causer des ulcères et des inflammations intestinales » (Guilbaud, 2018).

Une méfiance généralisée envers les additifs…

La mise en garde contre le carraghénane semble entrer plus globalement dans la guerre contre les additifs en tout genre. Cette guerre est notamment portée par l’association Foodwatch, s’avançant comme le porte-voix des consommateurs. En effet, l’association préconise aux consommateurs d’éviter les produits contenant des additifs qui seraient controversés ; « Tant qu’il n’est pas prouvé que l’additif est inoffensif, il ne doit pas être autorisé ». (« Des additifs partout dans nos aliments », s. d.)

En outre, regrettant le manque d’information des consommateurs quant à la réelle composition des produits qu’ils achètent, l’association met un point d’honneur à l’explicitation précise des additifs que les industriels utilisent. Suivant cette idée, Foodwatch reproche aux industriels de tromper le consommateur en remplaçant dans la liste d’ingrédients le nom de code de l’additif (E407) par leur nom générique (carraghénanes).

Pour que les consommateurs aient plus d’information sur les produits de l’industrie agroalimentaire, des applications telles que Yuka permettent de scanner ses achats pour avoir des détails sur leur impact sur la santé. Bien que cette application classe les carraghénanes dans la catégorie “orange” sur une échelle vert-jaune-orange-rouge, certains industriels félicitent le développement de ces initiatives :

“Vu le nombre d’additifs, c’est compliqué de s’y retrouver. Moi je connais bien la gamme des 400 parce que c’est la gamme des texturants mais après sorti de ça même moi je suis perdu quand je vois les additifs dans certains produits j’ai du mal à les comprendre. Donc je comprends que les gens puissent avoir peur, ça peut sembler chimique mais je pense que le fait d’avoir des applications qui aident les gens à comprendre et leur disent “celui-ci c’est très chimique et il vaut éviter et celui-ci vous pouvez y aller” je pense que c’est assez positif. Il manque peut-être un côté scientifique dans ces applications parfois mais je pense que la démarche est bonne.”


Chercheur chez Algaia (entretien du 16 mai 2019)

Cette guerre contre les additifs semble d’ailleurs gagner en influence selon Anne-Laure Denans, nutritionniste, qui affirme que « certaines enseignes bannissent des additifs » (Denans, 2017), preuve de l’efficacité des actions telles que celles menées par Foodwatch.

Une évolution également félicitée par J Tobacman : “there is some direct marketing of products that say on there label no carrageenan. I’m always happy to see those. I wish there were more.”

… mais est-elle justifiée ?

Pour autant, aucune intoxication liée aux carraghénanes ne semble avoir été identifiée. Si certains articles portent des titres alarmants tels que “Cuisine moléculaire : l’additif passe mal”, le contenu de l’article révèle ensuite qu’il n’a pas été prouvé que la source des désagréments était réellement les additifs, encore moins précisément les carraghénanes. (Géné, 2009)

Cependant, cette image négative des carraghénanes n’est pas unanime. Certains sites recensent les qualités des carraghénanes, notamment le fait qu’ils puissent remplacer les œufs et ainsi satisfaire les consommateurs vegans, et donnent au consommateur des conseils de consommation, preuve de l’engouement d’au moins une partie de la population pour ces additifs (Perrin, 2007).

“Je pense qu’il y a beaucoup de produits qui sont plus décriés pour l’instant donc si ils doivent faire un coup de balai dans les additifs je pense qu’il y en a beaucoup d’autres à supprimer avant celui-ci [le carraghénane]. Puisqu’on est quand même sur un extrait naturel avec une ressource qui est managée tout ça, donc on est quand même sur quelque chose qui est bien structuré aujourd’hui.”

Chercheur chez Algaia (entretien du 16 mai 2019)

Retranscription des citations dans leur langue originelle :

“It’s almost an addiction to this texturizing product in food, everything takes time and I guess I felt even more impatient at some points in the past. I keep being hopeful that there will be more regulation about it. And more informed public will make the decision to not buy carrageenan containing foods. The underlying aspect of this is to not buy the food that have carrageenan in them.” Dr Tobacman

Bibliographie :

Les risques de la carraghénane-additif alimentaire. (2017, novembre 8). Consulté 6 juin 2019, à l’adresse Bonheur et santé website: https://bonheuretsante.fr/danger-carraghenane-risques/

Carraghénanes : la filière bio attend la réévaluation de l’EFSA. (2015, décembre 1). Consulté 8 mai 2019, à l’adresse Ingrebio website: https://ingrebio.fr/series/carraghenanes-la-filiere-bio-attend-la-reevaluation-de-lefsa/?print=print-search

Recap from the NOSB Hearing in St. Louis. (2016, novembre 21). Consulté 30 mai 2019, à l’adresse Food Science Matters website: https://www.foodsciencematters.com/news-commentary/nosb-meeting-recap.html

Bixler, H. J. (2017). The carrageenan controversy. Journal of Applied Phycology, 29(5), 2201‑2207. https://doi.org/10.1007/s10811-017-1132-4

Is Carrageenan Safe To Eat? (s. d.). Consulté 23 mai 2019, à l’adresse The Gentle Chef website: https://thegentlechef.com/is-carrageenan-safe-eat-vegan/

Guilbaud, S. (2018, juin 1). Crème glacée ultra transformée. Un plaisir gaché ! Consulté 23 mai 2019, à l’adresse Désobéissance Alimentaire website: http://www.stefaneguilbaud.com/blog/?p=2735

Des additifs partout dans nos aliments. (s. d.). Consulté 8 mai 2019, à l’adresse Foodwatch website: https://www.foodwatch.org/fr/s-informer/topics/arnaque-sur-l-etiquette/en-savoir-plus/des-additifs-partout-dans-nos-aliments/

Denans, A.-L. (2017, mars 6). S’il y a des additifs dans un produit, c’est un faux aliment. Consulté 30 mai 2019, à l’adresse La Nutrition website: https://www.lanutrition.fr/bien-dans-son-assiette/bien-manger/risques/les-additifs-alimentaires/anne-laure-denans-sil-y-des-additifs-dans-un-produit-cest-un-faux-aliment

Géné, J. P. (2009, avril 30). Cuisine moléculaire : l’additif passe mal. Le Monde. Consulté à l’adresse https://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2009/04/30/cuisine-moleculaire-l-additif-passe-mal_1187616_1004868.html

Perrin, N. (2007, juillet 4). Que faire avec les carraghénanes ? Consulté 23 mai 2019, à l’adresse FemininBio website: https://www.femininbio.com/cuisine-recettes/conseils-astuces/que-faire-carraghenanes-10007