Interview de la famille Berges


Jean et Marie-José Berges et leur fils Jean-Philippe sont vignerons à Fabrezan.

berges

Bonjour, et merci de nous accueillir pour nous aider à comprendre la controverse en cours sur l'arrachage des vignes en Languedoc Roussillon. Tout d'abord pourriez-vous nous décrire brièvement votre exploitation: taille, type de vins produits (AOC, vins de tables...), avez-vous recours aux caves coopératives ou est-ce que vous vinifiez tout vous-même ?

Jean Bergès(J.B.): Nous possédons 48 hectares (ha) au total. 35 hectares servent à produire du vin en cave particulière et le reste est envoyé à la cave coopérative de Ferrals, le village voisin. 24 de nos hectares rassemblent les critères requis pour produire du vin AOC. Le reste est vendu en vin du pays de l'Aude et du pays d'Oc. Les rendements étant également limités par hectare de production (50 hectolitres par hectare pour un AOC), tout ce qui dépasse est rassemblé en vins de pays.
On a 11 ha de cépage Syrah, 5ha sur les vins de pays en Syrah, ensuite il y a différents cépages dont du Grenache...

Marie-José Bergès (M-J B.): D'une génération à l'autre, entre celle du père de mon mari et la nôtre, on a quasiment coupé la production en deux. Son père avait un rendement à l'hectare double du nôtre.

J.B.: Et ce n'était que du Carignan. Mon père avait environ 33 ha et c'est moi qui ait ajouté le reste.

Et au niveau de la commercialisation, est-ce que vous mettez votre vin en bouteille ou bien est-ce que vous le vendez en vrac ?

J.B.: Non, la mise en bouteille se fait par le Val d'Orbieu [ NB : un des principaux négociants de vins de la région ].

Jean-Philippe Bergès (J-P B.): Comme c'est le cas également pour la coopérative.

J.B.: Tout ce qui est en AOC est mis en bouteille au Val d'Orbieu. Avant ils le faisaient à la cave, maintenant ils emmènent tout au Val.

Mais lorsque les bouteilles sont vendues, tout est à votre nom ?

M-J B.: Oui bien sûr. Avant, lorsque la mise en bouteille se faisait à la cave, toutes les bouteilles partaient d'ici directement, étiquetées. Maintenant, pour des questions de coût, comme ils ont les chaînes à Narbonne, ils ont préféré tout faire là-bas.

J-P B.: C'est plus simple, ils envoient le camion et emmènent tout. Avant cela prenait une journée entière pour la mise en bouteille, par cuve. Et c'était compliqué, il fallait réceptionner les bouteilles, les trier dans les cartons...

[Mme. Bergès revient de la cuisine avec un plateau sur lequel elle a disposé plusieurs verres pour déguster. Puis elle apporte deux bouteilles]

M-J B.: Alors voici deux bouteilles du château. Ça c'est le Corbières, il est de 2004, et ça c'est le haut de gamme, mais on ne le fait plus, parce qu'ils n'ont pas le marché. On en a fait pendant plusieurs années, cela reste dans des fûts de chênes pendant trois ans. Au début, il y a cinq ans, lorsque la coopérative s'est installée, elle nous a demandé des quantités plus importantes. Mais maintenant la coopérative n'arrive plus à l'écouler et l'année dernière ils ont du distiller un vin formidable. Ils nous ont demandé de faire trop de haut de gamme. On le vendait autour de dix euros, mais maintenant ils n'ont plus la clientèle appropriée.

Et par rapport à la crise viticole actuelle, en avez-vous ressentie les impacts et depuis quand ?

M-J B. et J.B. (en choeur): Depuis cette année.

J.B.: Depuis la dernière campagne. Parce que le Val d'Orbieu solde fin juin. On l'a ressentie depuis le dernier solde. Le système de paiement avec le Val d'Orbieu est le même qu'avec la coopérative; sauf que l'on a les versements deux fois par mois au lieu d'une seule fois.

M-J B.: Et on était très mal habitués parce qu'au mois de juin normalement on avait la cave vide, il ne nous restait plus rien. Il y avait des marchés sur la Belgique très importants, ça partait tout en bouteille, on n’avait aucun problème. Et d'un seul coup, avec le Val d'Orbieu, ils ont perdu le marché. C'était un débouché que le Val d'Orbieu avait trouvé pour notre vin, mais maintenant ça ne marche plus pareil

J-P. B.: Aux dernières nouvelles, tout part à Carrefour Belgique mais ils ne nous prennent que la moitié maintenant. Avant ils prenaient toute la récolte.

C'est donc finalement au niveau des soldes reversés par le Val d'Orbieu que vous avez ressentie financièrement la crise?

M-J B.: Oui

Et avez-vous en conséquence envisagé l'arrachage définitif, au vu des primes actuelles, comme une solution?

M-J B.: Nous, pour le moment, nous n'avons rien arraché. Mais nous sommes dans une situation intermédiaire puisque mon mari vient de prendre sa retraite au premier janvier et moi, il me reste deux ans à faire. Donc il y a toute la partie Ferrals en coopé qui est problématique parce que nous ne savons pas quoi en faire. Puisqu'en fait cela fait quinze ans que nous avons fait le choix de privilégier notre propriété de Fabrezan au détriment de celle de Ferrals. Et même s'il y a des parcelles inintéressantes comme celles avec du Merlot, cela représente une superficie très faible par rapport au domaine entier. Parce que nous avons fait les gros investissements sur Fabrezan.

J-P. B.: Effectivement parce que la coopérative de Ferrals va encore moins bien que le Val.

M. Chapot nous a dit que près de 150 ha vont être arrachées du côté de Ferrals.

M-J B.: Oui l'autre jour j'ai travaillé dans le secteur entre Conilhac et Ferrals, il reste deux autres familles et nous. J'ai passé trois jours à travailler, je n'ai pas vu âme qui vive. Ah si, j'ai vu un tracteur qui arrachait encore. C'est vraiment désolant, ça vous plombe le moral.

J.B.: Et pour ce qu'ils payent pour l'arrachage! Parce que pour l'arrachage on se base sur les rendements et comme les AOC ont des rendements faibles par définition, on n'en tire pas grand chose. Environ 6300 euros par hectare. Auxquels ils faut enlever 300 euros pour l'arrachage et 300 euros pour la mise en tas, en plus la coopé de Ferrals vous enlève 15%. A la fin, il ne vous reste que le vieux couperet (rires).

M-J B.: Et pour nous c'est la catastrophe. Parce qu'on a des petites parcelles que l'on a abandonnées l'année dernière et que j'avais eu par mes sœurs. Mes neveux ont dit qu'ils construiraient une maison pus tard dessus... Mais en attendant, pour que ça ne soit pas en friche, on s'est dit qu'on allait le donner à quelqu'un, pour les travailler, sans rien demander en retour. On a fait le tour, personne n'en a voulu. Même en le donnant pour rien... Alors on a arraché, mais on a pas fait d'arrachage définitif, parce que mon mari a passé un samedi après-midi entier à faire les comptes (rires) et a fini par déchirer tous les papiers: ça ne rapporte rien.

Et savez-vous si ces viticulteurs qui ont arraché étaient des familles sur le point de partir à la retraite ou est-ce que c'était des jeunes viticulteurs?

M-J B.: Il y avait des jeunes: un monsieur de quarante ans qui arrachait définitivement. Il y avait aussi le président de la coopé de Ferrals qui arrachait des parcelles. Et il y avait également un voisin qui lui, partait à la retraite: mais il ne représente qu'une ha et demi au maximum.
C'est dommage, on arrache des vignes qui faisaient un très bon vin. Ceux qui sont gagnant sont ceux qui sont du côté de l'Hérault où ils ont des rendements plus élevés.

J.B.: Oui mais finalement les vignes que l'on arrache sont celles qui ont des rendements moins élevés, et qui font donc du meilleur vin.

M-J B.: Oui parce qu'il arrive un moment où l'on ne peut plus s'en sortir. Il y a des gens qui ont mal géré les investissements et ont des dettes Arrive un moment où s'ils n'ont pas encore arraché leurs vignes, c'est la banque qui les y pousse.

Mais vous vous avez la chance d'avoir votre fils pour reprendre l'exploitation...

M-J B.: Mais pour lui aussi ça sera des soucis.

Vous avez donc bien l'impression que cette crise est différente de celles des années précédentes, peut-être dans la longueur ou dans l'intensité...

M-J B.: Longueur, intensité, tout. Cette crise est beaucoup plus importante. Et puis on a des coûts de production bien plus importants qu'il y a quinze ans.

J.B.: Et avant c'était l'AOC qui ne fonctionnait plus si bien, mais les vins de table et de pays compensaient encore en partie. Maintenant c'est tout qui ne va plus.

On est donc en situation de surproduction par rapport à la consommation ?

J.B.: Oui, et je ne pense pas que la région où l'on arrache soit toujours celle qui produit le vin en trop sur le marché.

M-J B.: Et il y a un danger, je ne sais pas si c'est politiquement voulu, mais je ne voudrais pas que l'on opère une désertification pour que ensuite de grandes sociétés viennent acheter les terres pour une bouchée de pain, comme cela s'est fait dans le sud de l'Espagne avec les olives. Parce que je ne sais pas si vous savez mais le Bordelais, par exemple, achète en ce moment des terres sur Fabrezan. Ce sont des gens qui viennent de l'extérieur avec des capitaux forts. Et cela devient contradictoire parce qu'on a l'impression que l'on nous pousse vers la sortie alors que d'autres veulent entrer sur le marché.

Et quel est votre avis sur le montant des primes d'arrachage ?

J.B.: Les gens qui arrachent c'est parce qu'ils n'ont quasiment pas le choix, ou alors parce qu'ils partent à la retraite. Entre les 300 euros par ha arrachés et les 300 euros pour mettre en tas, sans compter le pourcentage pour la coopérative, il ne reste pas grand chose. Et ensuite pour se reconvertir ce n'est pas facile, qu'est ce qu'on va en faire de ce terrain?

Avec le projet d'arrachage de 400 000 ha de la Commission Européenne, que vont devenir toutes ces terres? Est-ce que c'est un problème qui vous inquiète?

J-P B.: Oui, c'est un gros problème. Parce que qu'est ce qu'on en fait une fois que l'on a arraché? Aller travailler le terrain, juste pour l'entretenir: c'est à perte.

J.B.: Ou alors on pourrait nous verser un minimum pour l'entretenir et qu'il n'y ait pas des ronces partout. Parce qu'à mon avis il n'y a aucune règle qui oblige à entretenir le terrain une fois les vignes arrachées. C'est laissé au bon vouloir du propriétaire.

Et cela joue d’autres rôles importants comme celui de coupe-feu...

M-J B.: Oui, il suffisait d'aller voir sur la plaine de Conilhac l'année dernière, le feu se répandait à une allure impressionnante le long des talus. Alors maintenant avec toutes ces nouveaux hectares en plus, c'est terrifiant!

Et vis-à-vis encore de la réforme, la suppression de la distillation vous préoccupe-t-elle ?

J.B.: Nous n'avons encore jamais eu directement recours à la distillation car on travaille sur de faibles rendements.

Car finalement, avec le système de la coopérative, les bouteilles en surplus vous revienne ou bine ils les gardent ?

J-P B.: Avant, le vin de pays d'Oc par exemple était récupéré par la coopérative pour faire la « cuvée mythique » comme ils l'appellent. Celle-ci se vendait très bien, surtout à l'étranger. Ils ont donc fait beaucoup de stocks, et le vin était payé dès sa sortie de la cave, donc c'est eux qui géraient les surplus. Nous on vidait toujours nos cuves. Mais maintenant, ils n'arrivent plus à écouler leurs stocks, donc ils demandent beaucoup moins de vin. Et pour les autres vins, ils ne payent que lorsque c'est vendu.

Et est-ce que d'un point de vue global, vous pensez que l'arrachage définitif serait une solution pour réguler la surproduction ?

M-J B.: Non. Ce n'est pas une solution. Et puis ça crée des problèmes différents entre des régions qui font des rendements énormes et qui arrivent encore à s'en sortir et des régions comme la nôtre qui font aussi des faibles rendements. Et je pense que c'est aussi un danger.

De quel point de vue ? De celui des viticulteurs ou de celui de la tradition vinicole ?

M-J.B.: Je pense que c'est un danger car on ne peut pas faire grand chose d'autre de ces terres. Il y a des jeunes qui essaient de cultiver des asperges, mais là encore leur terrain le leur autorise ce qui n'est pas le cas de toutes les parcelles de la région. D'autres prennent un métier à temps partiel à côté mais ce n'est pas facile.

Et la solution serait-elle alors d'adapter les cépages à la demande des consommateurs ?

J-P B.: Oui ce serait une première solution. C'est d'ailleurs vers cela que se dirige le Val d'Orbieu. Ils ont mis en place une cellule de « wine-maker » où ils essaient avec des oenologues de passer dans les domaines et inciter les vignerons à se diriger vers des produits adaptés à leur production. Ce qui n'est pas bête. Parce que jusqu'à maintenant on produisait le vin et on essayait de voir où on allait le vendre et maintenant on essaie de voir le marché tel qu'il est, avec ses débouchés, et de produire le vin que le marché attend.

Mais cette adaptation est-elle selon vous nécessaire, et si oui permettra t telle de sortir de la crise ?

JP B.: Oui, c'est nécessaire mais ce n'est qu'une partie de la solution à la crise.

M-J B.: C'est tout de même une démarche que l'on a entreprise déjà depuis de nombreuses années. On nous a dit mettez de la Syrah [NB : type de cépage ]. C'est une démarche que l'on fait depuis 20 ou 25 ans. C'est décevant de voir que l'on arrive en fin de course sans trésorerie, sans patrimoine, sans rien.

J B.: Il y a aussi une différence avec les crises d'avant, c'est la baisse de la consommation. Maintenant c'est à l'export qu'il faut chercher.

Pensez vous que l'on s'est trop reposé sur les marchés internes déjà acquis ?

J B.: Oui certainement. Une partie de la solution réside aussi dans la recherche d'autres marchés à l'export.

JP B.: Il y a aussi ce qui est demandé depuis plusieurs années par les producteurs, c'est de pouvoir produire plus sur certaines catégories, pas sur les AOC bien sûr qui sont des produits haut de gamme, mais sur les vins de pays par exemple. En produisant plus de volume, on pourrait baisser les prix et ainsi pouvoir tenir la concurrence et ainsi garder un peu de trésorerie.

MJ B.: On pourrait aussi se retourner vers la production d’autres produits issus de la vigne pour atteindre d'autres marchés. Par exemple, la population musulmane, qui ne consomme pas d'alcool, n'est pas cliente de l'industrie vinicole, mais consomme tout de même des jus de fruits. Surtout que ce n'est qu'une question de structures à mettre en place, il ne faut pas changer fondamentalement la culture.

JP B.: De nos jours, on n'a pas non plus le droit de désalcooliser le vin. Il existe de solutions techniques au point. Il paraît que cela ne change pas le goût du produit. Cela permettrait au gens, vu le durcissement des législation actuelles au niveau de l'alcool au volant par exemple, qui incite les gens à moins boire et donc prend part à la réduction de la consommation de vin, de boire du vin aux repas sans risquer un accident ou une amende.

Puisque vous l'évoquez, pensez vous que les campagnes de prévention contre l'alcoolisme et l'alcool au volant ont eu un gros impact sur la consommation de vin ?

JP B. : C’est en tout cas une impression que l'on a. Je ne sais pas si c'est un problème de mode, en tout cas chez les jeunes. En boîte de nuit par exemple, il est clair que l'on ne demande pas un verre de vin à boire. Les autres alcools ne rencontrent pas les problèmes de la viticulture.

Vous pensez donc que ce serait répondre à la demande des consommateurs que de faire un vin de degré moins élevé ?

JP B. : Certes, mais de toute façon pour garder le goût du vin on est obligé d'attendre que le fruit arrive à maturité dans la cuve, pour pouvoir extraire tous les arômes. Si l'on arrêtait avant, le fruit serait moins mûr et le vin moins bon. Techniquement ce n'est donc pas si simple. Mais de toute façon pour l'instant c'est interdit par la loi donc on ne le fait pas. Il y a une personne qui le fait dans la région, il est en procès mais il continue car il a un marché, il a dû calculer que cela lui rapportait quand même en attendant la légalisation.

MJ B. : Il a aussi été mis au point une boisson à base de vin, de faible degré légèrement sucrée, vendue dans les supermarchés en cannettes, qui pourrait concurrencer la bière.

J B. : Mais là cela n'entre plus dans la catégorie des vins, c'est plus apparenté à un soda.

Pour revenir à l'arrachage, que vous considérez donc comme quelque chose de néfaste, pensez vous qu'une solution alternative possible pourrait être l'échange de parcelles enter les gens qui quittent l'activité et ceux qui restent, afin de préserver le potentiel ?

MJ B. : En effet, cela peut se faire, mais en pratique ce n'est réalisé que de façon très locale et sur de petites superficies. Cela reste assez difficile.

Difficile à quel point de vue ? Psychologique ou administratif ?

MJ B. : Psychologique. Les gens ont du mal à lâcher une bonne parcelle productive, qui profiterait à quelqu'un qui na jamais rien fait dessus. Et puis parfois c'est un autre problème. Ma soeur par exemple, elle avait de petites parcelles qu'elle voulait échanger avec d'autres personnes, mais ses enfants lui ont dit de les garder, pour construire une maison, il y a de cela plusieurs années. Mais toujours rien n'est fait. Ces parcelles vont sûrement rester en friche, car personne ne s'en occupe.

Pensez vous alors que cela pourrait être une bonne chose qu'il y ait une structure qui coordonne et incite, d'un point de vue financier éventuellement, ces échanges au niveau local et régionale pour optimiser les zones de production ? Pensez vous, au delà de l'apport d'une telle organisation, que cela est tout simplement faisable ?

JP B. : Ce serait certes une très bonne chose.

MJ B. : Encore qu'il existe déjà un organisme dont c'est une des missions, la SAFER, mais qui ne fait absolument rien dans le domaine. Plusieurs fois on a voulu regrouper des parcelles, on les a contacté et on nous a répondu « Ah ! Mais on ne peut rien faire ! ». Ils ne sont là que pour nous racketter. Exemple : on voulait vendre un terrain à la mairie, il a fallu d'abord leur vendre pour que ce soit eux qui le vendent à la mairie, impossible de négocier directement. Et si on n'accepte pas on nos passe en terrain non constructible. Pareil pour l'autoroute qui va être élargie à trois voies de chaque côté. Il y a 20 ou 30 ans lors de la construction, on a traité directement avec la société d'autoroute, on a pris un avocat et on a réussi à faire monter les prix alors qu'aujourd'hui rien à faire, il faut vendre à la SAFER qui va rétrocéder à l'autoroute.

Et vous pensez qu'une incitation financière est nécessaire dans un tel système ?

MJ B. : Oui, absolument. Si au moins les frais de notaire sont payés, comme cela avait été fait il y a quelques années, de façon ponctuelle, pendant six mois, cela inciterait les gens. Mais en tout cas pour l'instant cela n'existe que très peu.

A propos de l'avant arrachage, ne pensez vous pas que les procédures administratives et les contraintes sont trop lourdes, et devraient être allégées ?

JP B. : oui c'est sûr. Il y a aussi maintenant au niveau du fonctionnement de l'exploitation une forte contrainte que l'on avait pas il y a quelques années, c'est la traçabilité des produits. Dès que l'on laboure, que l'on sème, que l'on ajoute des produits dans les cuves, on doit mettre la dose, la date... C'est bien entendu maintenant devenu incontournable car c'est la loi qui le demande, et pas un organisme. Heureusement mes parents avaient prévu cela.

MJ B. : Oui il y a déjà quelques années que, d'une façon volontaire nous faisons ces démarches. Mais beaucoup de gens qui n'avaient pas prévu se retrouvent dépassés par les avancées.

Voulez vous rajouter quelque chose à ce point de l'entretien au niveau de l'arrachage ?

MJ B. : Oui a propos des dommages collatéraux que peut provoquer l'arrachage, au niveau de l'état sanitaire des parcelles. Arracher à un endroit risque d'amener des maladies dans les parcelles environnantes. Et au niveau de la faune c'est aussi un problème.

Estimez vous que cela aura aussi un impact important sur le paysage ?

MJ B. : C'est vrai que la région a toujours été une région de vignes, et si l'on arrache, tout le visage du Languedoc-Roussillon va s'en ressentir. Et abandonner les récoltes signifie abandonner l'irrigation et donc provoquer la désertification des paysages.

JP B. : Pour l'instant certains ont semé, et encore pas tous, seulement les plus optimistes. Mais actuellement, en allant à Lézignan par exemple, au niveau des Trois Chemins, il y a des parcelles qui ont été arrachées l'année dernière et où personne n'a mis les pieds. On voit l'herbe qui pousse de partout.

Pensez vous que votre sentiment est partagé par les autres viticulteurs et vignerons de la région ?

JP B. : Oui, sans aucun doute. Lorsqu'on discute avec nos voisins, tout le monde trouve que c'est un désastre. En l'espace de 2 ans, on ne reconnaît plus notre région.

MJ B.: Il y a quelques temps j'avais insisté pour emmener mon père, maintenant à la retraite pour faire un tour dans la région, il m'a dit : « Je préfère encore que tu me laisse ici, ça me fait trop mal de voir ça. » Et encore c'était il y a quelques années, si il voyait l'état de la région aujourd'hui...

Les gens qui arrachent aujourd'hui, quel type d'exploitant sont-ils ?

MJ B. : C'est pour l'instant principalement des gens qui partent à la retraite et ne trouvent pas de repreneurs. Mais de plus en plus ou va voir des gens qui cessent leur activité faute de moyens, surtout des jeunes qui ont commencé peu avant la crise, qui ont contracté beaucoup d'emprunts et qui se retrouvent avec des dettes qu'ils ne peuvent pas rembourser.

J B. : Ceux qui ont disparus, il faut reconnaître que c'est beaucoup des retraités, mais aussi des gens qui ne travaillaient pas vraiment, voire pas du tout pour certains.

MJ B. : Et des gens, comme une de nos connaissances qui a notre âge, qui a mis ses vignes en fermage, on lui les rend.

JP B. : Notre voisine, Mme F., c'est pareil, elle a donné ses vignes en fermage à Mr G., mais il arrête tout. J'ai appris ça récemment. Ce qui se passe de plus en plus fréquemment ceux qui ont un fermage le rendent au prix des terres. Qu'est ce qui reste alors comme choix au propriétaire ? Soit c'est un retraité, et il arrache, soit c'est quelqu'un du métier et il essaye de continuer l'exploitation, mais c'est dur.

MJ B. : Il y a aussi des gens qui temporisent, qui laissent leurs terres pour rien et qui disent : « Exploitez les, tirez en ce que vous pouvez, tant que cela ne me coûte rien, et on verra l'an prochain. » Ils attendent de voir comment va évoluer la situation.

En venant, au bord de la route, on peut voir des vignes qui ne sont pas taillées. Qu'est-ce que cela signifie ?

MJ B. : Et bien, étant donné que l'on doit attendre que des agents viennent vérifier que toutes les conditions sont remplies pour pouvoir arracher, les gens attendent parfois et ne prennent pas la peine de retailler les plants. Dans la région, il y a des gens qui ne peuvent pas payer la MSA [NB : la Mutualité Sociale Agricole ], elle se sert directement sur les primes d'arrachage.

J B. : Certains jeunes, comme Mr F., qui ont acheté des vignes peu avant la crise, quand le terrain coûtait cher, sont maintenant dans une passe difficile à cause de leurs dettes. La situation a vraiment changée très vite, en quelques mois.

MJ B. : Et encore, lui a repris une exploitation familiale, avec des installations existantes, mais ceux qui sont partis de rien et qui ont du acheter les cuves, les tracteurs... Mais aussi les agents des centres de gestion, qui nous conseillent sur l'évolution de l'exploitation, ils sont irresponsables. Autour de cette même table, juste avant la crise, ils nous poussaient à acheter 2 tracteurs neufs, à aménager un chai pour des fûts de chênes... Heureusement qu'on ne l'a pas fait ! Parce que ceux qui les ont écoutés, avec toutes les échéances qui tombent sans arrêt, ils ne peuvent plus suivre ! Ils sont complètement irresponsables.

Et les plans précédents, avec des primes pour la plantation de plans améliorateurs, pensez vous qu'ils ont été suivis, et si oui qu'ils ont eu un effet bénéfique, ou les gens se sont ils endettés pour rien ?

MJ B. : C'est-à-dire que c'était un passage obligé. Sans qualité, on ne pouvait pas avancer. Mais là ou il y a un problème aussi c'est lors de la succession, lorsque nous avons arrêté notre activité pour passer la main à Jean-Philippe, on a du payer des sommes folles à cause des primes que l'on a eues pour éviter que ce soient les enfants qui payent. Donc, on vous donne d'une main, mais on vous reprend un peu d'une autre quand même !

JP B. : Mais pour les cépages améliorateurs, c'est vrai qu'il fallait le faire, pour garder une qualité acceptable au niveau du marché.

Une autre question que nous nous posions, est la façon dont vous avez vécu et vivez la médiatisation de la crise. Pensez vous être correctement représentés dans les médias, ce que l'on en dit correspond-il à ce que vous vivez ?

MJ B. : Il y a beaucoup de bluff. On voit souvent des reportages sur les extrêmes, des gens qui n'en peuvent plus et qui sont au bord de la faillite, et des gens qui marchent très bien.

JP B. : Et puis c'est souvent ponctuel, au coup par coup lorsqu'il y a une manifestation ou que des vignerons cassent des vitrines ou bloquent des bâtiments ou des routes. Mais c'est vrai que les gens extérieurs, parfois, il se disent : « ça doit bien aller, vu qu'on en parle pas aux infos ! » Et puis nous, nous ne faisons pas de commercialisation comme d'autres qui sont toujours aux quatre coins du monde, donc on a une vision différente.

MJ B. : On a effectivement beaucoup de problèmes de communication, on n’est pas formés pour ça.

JP B. : Et puis à la base ce n'est pas notre métier. Si mon grand père a adhéré au Val d'Orbieu c'est justement car c'est un métier à part entière et car c'est à eux de le faire. Maintenant, est-ce qu'ils ont su s'adapter aux marchés ?

MJ B. : Je pense qu'ils n'ont pas su à temps engager les commerciaux qu'il fallait, et maintenant on doit payer le prix des licenciements de gens qui n'ont rien fait et de consultants indépendants pour faire ce travail.

Et de façon inverse, comment vous êtes tenus au courant de l'évolution de la situation, des projets de réformes, etc ? Comment arrivez vous à voir les effets de la crise ? Êtes-vous représentés par un syndicat, une association ou autre ?

JP B. : Personnellement je fais partie de l'association Jeunes Agriculteurs donc on a quelques réunions de temps en temps et un périodique tous les mois ou tous les deux mois avec les dernières nouvelles, mais sinon c'est beaucoup de bouche-à-oreille.

Vous sentez vous donc bien informé ?

JP B. : J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de choses qui nous passent à côté. On ne se sent pas toutes les cartes en main. C'est embêtant car on est quand même les premiers concernés.

Avez vous quelque chose à rajouter, sur ce qui a été dit pour l'instant à propos de l'arrachage ?

J B. : Oui, il y a un problème quant au type de parcelle arrachée. Au départ, cette mesure a été faite pour réduire la surproduction et donc inciter l'arrachage des exploitations à gros rendement, c'est pour ça que le montant de la prime est basé sur le rendement. Mais ces parcelles là ont finalement moins de problèmes que celles à petits rendements. Ce sont dons ces dernières qui sont arrachées, avec de surcroît des primes faibles ! Les gros rendements sont donc gagnants en vendant et en arrachant !

JP B. : Pour équilibrer le marché, il n'y a pas 36 solutions : soit il faut vendre plus, soit il faut produire moins. Et puis il y a un problème entre les différentes réglementations européennes et mondiales, au niveau du cadastre par exemple. En France, on a un cadastre en place depuis des dizaines d'années, ce qui n'est pas le cas partout. Et encore, ce cadastre n'est pas forcément juste. Il ne suit pas toujours les parcelles. Il y a parfois une vigne à cheval sur 2 numéros cadastraux ou un numéro qui ne prend qu'une partie de la vigne. Comment on fait quand on veut arracher et que cela ne tombe pas juste ? Il faut faire comme on peut, et après on vient nous embêter pour quelques acres de terrain déclarés mais que les autorités ne retrouvent pas sur leurs images satellites, tout ça pour quelques dizaines d'euros. Alors qu'en Italie ou en Espagne, je pense qu'il n'y a même pas de cadastre !

Le projet de réforme de l'UE prévoit de supprimer les droits de plantation [NB : Droits payants nécessaires pour planter de la vigne]. Qu'en pensez vous, en tant qu'exploitants ?

JP B. : Ça va être l'anarchie complète. Si on peut planter tout ce qu'on veut, comme on veut, ou on veut... On donne de l'argent aujourd'hui pour arracher en définitif, et demain on pourra replanter comme on veut ! Ce n'est pas cohérent !

MJ B. : Certaines personnes voulaient aussi, passé un temps, faire de la vigne pour amener le vin en distillation et toucher les primes, mais cela ne marche pas. Mais c'est vrai qu'on connaît quelqu'un qui a vécu pendant 15 ans rien que sur les subventions en vendant, arrachant, achetant des vignes dans son cercle familial. Et de façon légale !

JP B. : Un autre souci dont on n’a pas parlé non plus, c'est la grande distribution. Il y a eu des blocages de supermarchés pour taper du poing sur la table par rapport aux marges qu'ils font. Ils achètent à prix de plus en plus bas, mais le prix de la bouteille en rayon n'a pas changé. C'est bien qu'il y a un problème quelque part. On a manifesté pour que la grande distribution et nos représentants se mettent autour d'une table et essayent de rétablir la balance, et aussi pour que les pouvoirs publics changent certaines législations, relatives à la lourdeur administrative par exemple.

MJ B. : En fait, l'arrachage, c'est bien pour les gens qui partent à la retraite sans repreneur, comme ça ils partent avec un petit quelque chose, mais pour les autres ce n'est pas une solution.

Est-ce que vous pensez que le Languedoc est plus touché que les autres régions par la crise ?

JP B. : Je ne sais pas. Mais on a l'impression qu'on nous en demande beaucoup et que d'autres régions, comme le Bordelais, sont volontairement ménagées. On les presse pas trop à arracher.

Pensez vous que dans la région, certains vignerons n'arrachent pas et attendent que ce soit leur voisin qui le fasse, en attendant que la situation s'améliore?

JP B. : Il y a beaucoup de gens dans l'expectative, ne serait-ce que du fait que les primes montent avant d'arracher définitivement. Si la prime monte beaucoup avec la nouvelle réforme, il va y avoir une grande vague d'arrachage.

A partir de quel niveau de prime pensez vous que les gens n'hésiterons plus ?

J B. : Je pense que la limite se situe vers 10 000 euros l'hectare, contre environ 6000 environ prévus dans le dernier projet de réforme. Mais les gens qui arrachent, après ils sont toujours propriétaires de la Terre, et donc imposables dessus. Ça aussi c'est un problème, car cette terre leur coûte de l'argent et ne leur en rapporte plus.

MJ B. : Ce qui nous fait peur c'est qu'il se passe comme en Espagne; que de grosses société arrivent, rachètent toutes les terres et mettent en place des cultures à grande échelle, avec des moyens et des capitaux que nous ne pouvons pas concurrencer.

Si vous n'avez rien à rajouter, c'est la fin de notre interview. Merci beaucoup pour nous avoir accueilli et consacré de votre temps. Vos propos seront très utiles pour comprendre et analyser la controverse en cours.

 

 

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