Interview de M. Chapot


Monsieur Chapot, directeur de la cave coopérative Charles Cros à Fabrezan nous expose son point de vue sur la crise viticole actuelle et son ressenti dans le milieu des viticulteurs adhérents à la cave, ainsi que son avis sur la solution de l’arrachage.

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Tout d’abord dans un contexte général comment fonctionne une cave coopérative ?
Une coopérative c’est un groupement de viticulteurs, de petits viticulteurs, qui se sont regroupés pour obtenir les moyens de vinifier et de vendre leur production. Les viticulteurs sont donc adhérents à la cave coopérative et en principe ils sont adhérents en totalité. Il est vrai qu’il y en a des partiels, qui ont hérité d’une cave particulière par la suite, ou bien qui sont adhérents, par mariage ou par union, à une autre structure, mais en principe ils apportent la totalité de leur vendange. Donc la cave se doit d’accepter et de commercialiser la totalité des apports.

Et quelle est votre production moyenne par année ?
Environ 120 000 hectolitres.

Comment se répartit votre production entre les différents types de vin : AOC, vin de pays… ?
C’est à 40% AOC et le restant en vin de pays de l’Aude (30%) et vin de pays d’Oc (30%).

Comment commercialisez vous votre vin : faites vous des stocks ici à la cave coopérative ? Vendez vous plus en bouteille ou en vrac ?
Essentiellement on vend toute une récolte en l’affaire de 2 ans. Les vins de pays se vendent dans l’année et les AOC sur deux ans. Nous adhérons de plus à un groupement de producteurs qui regroupe 17 caves coopératives et 80 caves particulières qui lui commercialise la totalité de notre production, essentiellement en bouteille et un peu en vrac. 70% part à l’exportation.

Pour connaître maintenant un peu votre situation par rapport à la crise : est-ce que ça fait longtemps que vous avez été touchés ? Y’a-t-il eu un effet de décalage quant à son ressenti ?
C’est la première année que nous sommes touchés par la crise. Le fait d’être dans un groupement nous a un peu protégé de la crise et le groupement fait ce qu’il peut pour continuer de nous protéger. Mais les vignerons l’ont ressenti cette année au niveau des acomptes, qui ont pas mal baissé donc on sent que la crise elle est bien là. Par rapport à l’acompte de 2004, on a baissé de 20%.

Et y’a-t-il eu de la distillation ? Avez-vous ressenti la crise au niveau des volumes de vin distillés ?
Oui cette année on voit les gens qui distillent : l’année dernière on a distillé 3500 hL, cette année on atteint 17 000 hL.

Et qui décide de la quantité à distiller ?
Il y a un conseil d’administration, élu parmi les adhérents, qui est souverain et décide de tout ce qui est fait, aussi bien sur le moment de faire la récolte, que des pénalités et des bonus qui peuvent être distribués… Et la quantité à distiller est fonction des marchés : tout ce qui n’est pas vendu est ensuite distillé.

Sur ce point, avez-vous ressenti une diminution dans la quantité de raisin apportée à la coopérative. Par exemple comme conséquence de l’arrachage des vignes ?
Non, pas vraiment. Il y a eu de l’arrachage mais jusqu’à présent on n’était pas touchés alors qu’à côté, à Ferrals, ils ont arraché 150 hectares l’an dernier. Nous on en avait arraché seulement 10, alors que cet année on a 120 hectares qui s’arrachent sur 1300, c'est-à-dire 8%.

Donc vous avez ressenti une diminution importante…
Non pas vraiment car sur ces 200 hectares il y en avait 30 qui ne produisaient que 200 hectolitres, des vignes quasiment à l’abandon donc, avec aussi des vignes difficiles à travailler. Donc on va le ressentir c’est sûr, mais enfin c’est pas les meilleures parcelles qui s’arrachent.

Vous constatez donc que ce n’est pas les meilleures parcelles qui s’arrachent en général ?
Oui, l’arrachage sert aussi à remettre en ordre les structures, à arracher les vignes qui ne produisent pas, les parcelles qui ne valent plus rien.

Et est-ce que cela se fait naturellement, ou est-ce qu’il y a des incitations ?
Non, ça se fait naturellement. Ils ont essayé : il y a déjà eu des plans d’arrachage par le passé, mais cela n’a pas marché. Ca se fait donc naturellement.

Et au niveau des échanges de parcelles, est-ce que cela se pratique vraiment ?
Il y en a qui le font, mais pas tout le monde. Ca reste très local.

Et est-ce qu’il y a des gens qui commencent à envisager de partir, à essayer de se reconvertir à cause de la crise ?
On a des jeunes surtout qui ont arraché une partie de leurs parcelles et qui sont allés travailler à mi-temps ailleurs. On en a trois, ce qui est déjà important.

Vous êtes combien d’adhérents ?
On était 190, on est maintenant 240 puisqu’on vient d’absorber, depuis le 1° janvier, une autre coopérative à 20 kilomètres d’ici.

Et les gens dont vous nous avez parlé qui vont arracher cette année, est-ce que ce sont surtout des viticulteurs en fin de carrière qui ne retrouvent pas de repreneur?
Oui en majorité mais il y a aussi des personnes qui avaient donné des vignes en fermage ou métayage et c’est le fermier ou le métayer qui abandonne. Mais pour le moment il n’y a encore personne qui arrête vraiment la profession pour s’en aller comme ça, mais si la crise continue ça va arriver. On ressent la crise de plein fouet depuis un an et comme on n’est pas une région à grosse production, les adhérents sont fragiles.

Est- ce que vous pensez que la région Languedoc-Roussillon est plus touchée que les autres ?
Je pense, oui. Du point de vue de l’arrachage en tout cas. Je pense que c’est parce qu’on est tout d’abord une région à production mixte : vin de pays/ vin AOC, alors que les autres régions sont essentiellement AOC, et les vins de pays se font concurrencer par l’Espagne et l’Italie qui ont des coûts de revient qui ne sont pas comparables aux nôtres puisque le salaire dans ces pays est égal au 2/3 du salaire français. Et puis ils ont des facilités au niveau des produits qui coûtent moitié prix par rapport aux nôtres. On n’arrive pas à tenir face à eux. On a des appellations récentes qui manquent de notoriété, mais pas de qualité car au niveau qualité-prix on est bien placés. On manque cependant de structure de commercialisation dans la région. On est aussi excentré : les seules grandes villes proches sont Montpellier et Toulouse.

Et pensez-vous que les vignerons en coopérative sont moins touchés que les vignerons indépendants, ou alors aussi touchés mais en décalage ?
Ca dépend, ça dépend du vigneron. Il y a ceux qui sont sur le marché du vrac qui sont touchés différemment de nous qui faisons surtout de la commercialisation. Il y a les vignerons indépendants qui adhèrent à la même structure de commercialisation que nous : cela sont donc touchés comme nous, à part bien sûr qu’il y a les frais de vinification en moins vu qu’ils font le travail eux-mêmes. Il n’y a donc pas de différence tranchée.

Et sur l’arrachage définitif quelle est votre opinion ? Est-ce que vous pensez que c’est quelque chose de nécessaire aujourd’hui et est-ce efficace à votre avis ?
« Nécessaire… », disons que ça peut-être un bol d’air pour certains jeunes qui sont vraiment touchés et qui pourront arracher une partie pour mieux rebondir. Pour ceux qui partent à la retraite c’est aussi une fin en soi plutôt que de laisser les vignes abandonnées, cela fait toujours un petit plus. Maintenant si cela favorise le redémarrage du marché c’est une autre question.

Pensez-vous que cela puisse mettre en danger la tradition viticole de la région?
C’est sûr que cela va marquer. Déjà au niveau coopératif : il y a 20 ans on était 120 coopératives, il y en a plus que 60 et dans 5 ans il n’y en aura plus que 20. On se regroupe par rapport aux difficultés : nous ça fait la cinquième coopérative que l’on absorbe. Je pense que d’ici 5 ans on en absorbera deux de plus et puis après il n’y a plus rien autour de toute façon.

Mais dans la région y’a-t-il des vignerons opposés à l’arrachage ?
Opposés, vraiment opposés je pense qu’il n’y en a pas beaucoup, car chacun y voit tout de même une lueur d’espoir. Ce n’est pas la meilleure fin qui soit mais la crise étant ce qu’elle est, c’est peut-être une solution pour certains, et pour d’autres on pense que ça peut les tenir en place. Parce que si la crise dure comme ça pendant deux ans, si on ne fait rien tout le monde va être mal.
La crise, les vignerons n’y ont pas cru jusqu’à maintenant. On nous parlait de crise mais nous on la voyait loin. Mais lorsqu’on voit son revenu diminuer de 20% une année, 20% l’autre année : il y a un problème. C’est là qu’il faut que les choses changent.

Et que pensez-vous du montant de la prime ?
A mon avis ça ne va pas bouger, ils vont rien toucher. 400 000 hectares, une enveloppe de 2,4 milliards d’euros, ça fait 6000 euros l’hectare. Moi je pense que ça va s’arracher comme ça, ça va pas bouger. C’est ce qui va se passer.

Et est-ce que selon vous cette prime est raisonnable pour qui veut arrêter en milieu de carrière pour se reconvertir ?
Non je ne pense pas. Celui qui a 20 hectares cela lui fait 120 000 euros. Oui on peut essayer mais bon ce n’est pas facile, en plus 20 hectares c’est déjà une exploitation correcte. C’est les jeunes qui sont fragiles : ils ont fait des investissements, c’est ceux la qu’il faut aider si le projet de réforme passe : ne pas augmenter la prime de l’arrachage mais consacrer une partie de l’enveloppe pour aider ces jeunes à surmonter les difficultés, les jeunes qui restent je veux dire ceux qui s’en vont, ils s’en vont.
Et il faut aussi relancer la consommation du vin. Les jeunes ne boivent plus de vin à table. Peut-être on n’est pas adaptés non plus à leur consommation de vin. Il faut peut-être changer les législations car les règles sont ce qu’elles sont en France et c’est fini, alors qu’en Espagne ils rajoutent ce qu’ils veulent dans le vin. Ils sont sur le marché ces gens là. Il a fallu se battre pendant dix ans pour qu’on nous laisse ajouter des copeaux dans les vins… de pays, parce que dans les AOC c’est hors de question. Alors que les Australiens ou les Argentins le font, ils sont en avance sur nous.

Et est-ce que vous pensez que ce blocage vient principalement des législations ou alors aussi de la part de la mentalité des vignerons qui seraient opposés à ces méthodes ? Si on leur disait de faire du vin moins alcoolisé seraient-ils prêts à le faire ?
Le problème du vin moins alcoolisé tout le monde se penche dessus. Le problème c’est que pour faire un vin bon il faut que le raisin arrive à maturité, mais à ce moment là il a un potentiel alcoolique élevé. Donc il faut trouver de nouveaux cépages, mais ce n’est rapide à trouver et on n’en a pas pour le moment. Mais s’adapter à une nouvelle demande du consommateur, je ne pense pas que cela pose de problème aux vignerons vis-à-vis de la tradition. L’essentiel c’est qu’on le rémunère correctement.

Et sur l’après-arrachage de ces 400 000 hectares que préconise l’Europe, que pensez-vous du devenir des hommes et des terres ?
Quand on préconise l’arrachage il faut penser à ce qui vient derrière. Moi j’espère que Bruxelles va y à penser. Il faut penser à l’entretien du territoire parce que s’il y a des vignes arrachées partout, il faut bien entretenir. Donner par exemple 150 euros par hectare aux gens pour qu’ils les entretiennent ou mettre des personnes en place pour s’en occuper. Il y a peut-être aussi des cultures à mettre en place, pour les biocarburants par exemple, quoiqu’on manque un peu d’eau par ici pour cela.

Etant donné le phénomène d’attente vis-à-vis du montant définitif de la prime, on a vu que les gens attendent de connaître la somme finale. Mais pensez-vous qu’il y ait des gens prêts à arracher définitivement tout de suite ou arracheront-ils lorsqu’ils ne verront plus d’autre solution?
Je pense qu’il y aura de tout, ceux qui se battront jusqu’au bout et ceux qui arracheront tout de suite. Je pense que l’année prochaine il risque d’y avoir un arrachage plus conséquent que cette année.

Et pensez-vous qu’un arrachage très important sera nécessaire pour relancer le marché de la région ou bien les quelques vagues d’arrachage attendues suffiront à le réguler ?
Si on arrache pour qu’ils plantent à côté, ça ne servira clairement à rien.

Est-ce que vous pensez que le problème est bien couvert médiatiquement et pensez-vous que cela soit représentatif de la crise et des vignerons ?
Lorsqu’il y a des crises c’est surtout dans le Midi que l’on en parle. Alors à savoir comment ça se passe dans les autres régions faudrait aller voir. Le Beaujolais, par exemple, est durement touché, peut-être plus que nous d’ailleurs. Le Bordeaux ça va toujours bien…
Quant aux vignerons il y en a qui s’en sortent d’autres qui sont désespérés, ça dépend des cas.

Pensez-vous que certains exagèrent lorsqu’ils parlent de la fin de la culture vigneronne avec l’arrachage ?
Je ne pense pas que ça sera la fin. A mon avis, il y aura 30% du vignoble qui disparaîtra dans le Languedoc-Roussillon.

Merci beacoup M. Chapot pour avoir partagé avec nous votre point de vue sur le problème de l'arrachage en Languedoc-Roussillon.

 

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