La controverse pas à pas

Acteurs
Historique
Historique
A l'étranger

Les professionnels de santé

Les professionnels de la santé sont évidemment un acteur majeur de la controverse, puisqu'ils sont ceux qui rendent possible et organisent le don de sperme, puis la procréation par ce biais. Nous avons interrogé plusieurs membres du corps médical : d'une manière générale, ils sont contre la levée de l'anonymat. Cependant, au-delà de ce constat simple, les points de vue varient au sein de ce groupe, en ce qui concerne la possible rémunération du don, le caractère public du débat, et pour toutes les dimensions de la controverse. Ce sont donc des motivations différentes, des conceptions différentes des possibles conséquences d'une révision de la loi de la bio-éthique qui mènent à la même conclusion. Quoi qu'il en soit, ces gens sont d'accord avec l'anthropologue Françoise Héritier pour dire que « la filiation biologique est une hérésie ». Il faut selon eux dépasser l'idée que quelque chose d'important se transmet par la filiation biologique (ce qui peut paraître paradoxal pour des scientifiques de la santé) : il n'y a de filiation que sociale, et le don de sperme est semblable à n'importe quel autre don d'organe, de sang, de plaquettes etc. Voici donc deux interviews qui développent ces points de vue. La première personne, qui a préféré garder l'anonymat, travaille pour un CECOS et est confrontée chaque jour au problème. La seconde est le Dr Jean-Marie Kunstmann, biologiste en médecine de la reproduction et responsable du CECOS de l’hôpital Cochin, qui apparaît régulièrement dans les médias pour exprimer son point de vue.

  • L'avis d'un docteur en pharmacie et spécialiste de la PMA
  • L'avis d'un responsable de CECOS

L'avis d'un professionnel de la santé : interview de T. F. , docteur en pharmacie et spécialiste de la PMA.

Propos recueillis par Simon Fréour

Êtes-vous pour ou contre la levée de l'anonymat du don de sperme ?

Je suis contre. En France, le nombre de dons de sperme est très insuffisant, et lever l'anonymat risque de le faire baisser encore plus, ce qui serait dramatique. Les donneurs ne souhaitent pas que leur identité soit connue, ce serait donc un frein au don. D'ailleurs, en Suède, où l'anonymat a été levé et où il est possible de connaître l'identité de son géniteur à 18 ans, presque personne n'a recours à cette mesure.

Mais dans certains pays, la levée de l'anonymat n'a provoqué qu'une légère baisse du nombre de dons, assez rapidement rattrapée...

Ce n'est pas entièrement vrai. En France, nous ne disposons pas d'une marge de manœuvre suffisante pour tenter la levée de l'anonymat. La priorité est de permettre au maximum de couples d'avoir un enfant quand le conjoint est stérile.

Peut-on refuser à une personne issue du don de connaître son géniteur? Elle est quand même au centre du problème...

L'important n'est pas le géniteur de la personne, mais son vrai père. Celui qui l'éduque, l'accompagne à l'école, l'aide à faire ses devoirs, celui qui fait de la personne ce qu'elle est vraiment. Et il n'est pas contradictoire que les médecins considèrent la filiation sociale plus importante que la filiation biologique. On considère des êtres humains, et pas seulement des organismes vivants.

C'est aussi l'argument qu'avancent les enfants du don : puisque seule la filiation sociale importe, pourquoi les empêcher de connaître leur père biologique ?

Effectivement, mais les médecins sont un peu plus objectifs sur la question. Il faut savoir qu'une part non négligeable des troisièmes enfants dans les familles qui enfantent sans avoir recours au don n'ont pas le même père que leurs frères et sœurs... Et pourtant, on ne se pose pas la question, tout simplement parce que cela n'a pas d'importance réelle. Cela n'apporte rien comme information. Les personnes issues du don que l'on voit à la télévision et qui revendiquent le droit de connaître leur géniteur, comme Arthur sont en fait très peu nombreuses : une cinquantaine, pour 50 000 concernées en France : c'est une minorité. Ces personnes souffrent souvent d'histoires de famille compliquées, de différends avec leur père, ce qui explique la recherche d'un nouveau père. On entend beaucoup parler d'eux parce qu'ils sont intéressants médiatiquement. Les autres ne ressentent tout simplement pas le désir de connaître leur géniteur. Il faut bien comprendre que 90% des donneurs de sperme sont aussi donneurs de sang, d'organes ou de moelle osseuse. Ils voient cette pratique comme un simple don altruiste de cellules à des personnes qui en ont besoin. Et de la même manière qu'il n'y a pas de deuxième soi dans la personne à qui l'on donne sa moelle, ils considèrent qu'il n'y a pas de deuxième soi dans l'enfant engendré.

Des abus sont-ils possibles lors d'un don du sperme ? Par exemple, un donneur qui fait ça pour avoir un enfant, et à qui la levée de l'anonymat permettrait de le connaître ?

Ce type d'abus n'est pas possible avec l'anonymat. Des examens psychologiques sont cependant possibles pour le donneur. Dans notre CHU (Nantes) nous ne les pratiquons pas, mais certains établissements les font systématiquement. En revanche, en ce qui concerne les receveurs, ce type de consultation est obligatoire. Ils permettent de reconnaître les éventuels demandeurs qui ne seraient pas à même de bénéficier du don, pour que l'enfant naisse dans un cadre propice. Au niveau psychologique, tout est donc fait pour que donneur et receveurs soient dans les meilleures conditions pour pratiquer le don.

Et à un niveau purement biologique, certains enfants du don s'inquiètent de ce que l'on découvre chez eux une maladie héréditaire qui aurait pu être traitée au moment où le géniteur présentait les symptômes.

Il est évident que les donneurs et leur sperme passent une batterie d'analyses pour détecter tout risque de ce type. Les gamètes sont conservés au moins six mois avant d'être utilisés. Les hommes doivent se conformer à plusieurs critères pour pouvoir donner : avoir déjà eu un enfant, avoir moins de 45 ans, vivre en couple. En plus de cela, l'arbre généalogique du donneur est analysé. Si une maladie grave est détectée, le don n'est pas accepté : par exemple, si plusieurs cas de cancer du sein sont avérés dans la famille. Pourtant, cette maladie est traitée dans 90% des cas... Enfin, l'identité du donneur est conservée dans un coffre-fort. Si un enfant du donneur présente une maladie génétique, le donneur est obligé par la loi d'en informer l'équipe médicale, qui prendra les mesures nécessaires pour l'enfant issu du don, et l'anonymat sera conservé. Maintenant, il faut accepter que le risque zéro n'existe pas, que l'on ne peut pas sélectionner des gamètes pour créer une personne parfaite. L'objectif de ces analyses est simplement de ramener ce risque à un niveau normal, au même niveau que pour une personne engendrée de manière naturelle. On évite seulement de réunir des facteurs de risque. Le problème réside dans le fait que puisque le don est une pratique médicalisée, les gens aimeraient atteindre le risque zéro : ce n'est pas possible. On permet déjà de faire concorder la couleur des yeux et des cheveux...

Pour finir, seriez-vous favorable à une rémunération du don, comme on le fait dans certains pays ?

Puisque la priorité est d'obtenir plus de dons, je suis favorable à une rémunération légère, plutôt comme dédommagement que comme salaire : cela inciterait au don. Évidemment, cette rémunération est envisageable à condition que l'on évite le commerce de gamètes, comme c'est le cas aux États-Unis, où ce sont des sociétés privées qui pratiquent le prélèvement de sperme.

 

Jean-Marie Kunstmann est biologiste en médecine de la reproduction, responsable du CECOS de l’hôpital Cochin. Il faut selon lui dépasser les liens biologiques pour privilégier la parentalité affective.

« Les enfants nés par IAD qui sont médiatisés sont ceux qui vont mal et qui réclament la levée de l'anonymat. Mais les autres, ceux qui ont compris et accepté leur mode de conception et qui n'ont nul besoin de connaître leur géniteur, ne vont pas dans les médias expliquer qu'ils vont bien. Or ils sont nombreux ! Le débat est donc d'emblée faussé pour l'opinion publique. C'est d'ailleurs de cette manière, sous la pression d'un tel lobbying, que l'anonymat a été levé chez certains de nos voisins européens. Le résultat est une chute drastique du nombre de donneurs. Pour en recruter, ces pays sont donc finalement obligés de les motiver par l'argent. Est-ce cela que l'on veut ? Il y a quand même encore des hommes et des femmes, dans notre société, qui estiment que les humains peuvent par altruisme donner leurs gamètes en relativisant leur dimension génétique. Ce qui compte, pour eux, ce ne sont pas les liens du sang, mais la parenté affective. Les donneurs et les receveurs font un cheminement particulier qui les amène à dépasser le lien biologique. A la vue de ces familles qui parviennent à se construire avec des dons, je relativise moi-même, en praticien, le sens des gamètes que je manipule. Veut-on vraiment d'une société où les liens du sang sont sacralisés, où l'on stigmatise les individus d'après leurs gènes et leur origine ? La question de l'origine d'un individu a sa réponse dans l'histoire du couple qui a voulu sa naissance. Pas dans l'ADN du donneur. »

Extrait du Point n°1956 Mars 2010.

Interview du Dr. Kunstmann menée par Marc Lafont et Simon Fréour :

(Voir la transcription de l'interview)

 

 


Se heurtant à l'impossibilité de découvrir l'identité de leur géniteur, certains enfants issus du don développent des troubles de construction identitaire. Mais la levée de l'anonymat pose le risque d'une tri-parentalité ou d'une déception de l'enfant.
Le nombre de donneurs en France est dans un état critique. La levée de l'anonymat entraînerait à court terme une pénurie encore plus forte, à moins d'envisager une rémunération des donneurs.