Controverse autour de la Ritaline
1. Première controverse : les effets secondaires
Les effets physiques
Le constat est simple. La simple lecture de la notice d’utilisation de
Concerta - équivalent de la Ritaline - met en garde les parents contre des effets secondaires gênants. Celle-ci a été trouvée sur le site du Ministère de la Santé australien :
Comme tout médicament, la Ritaline a
beaucoup d’effets secondaires. Dérivant des amphétamines, il est normal que ceux-ci puissent être sérieux voire graves. On distingue notamment des maux classiques (mal de gorge, mal de ventre) mais également des effets secondaires difficilement imaginables chez nos chères têtes blondes : agressivité, perte de poids, ou même perte de cheveux...
Les effets à court et long terme de la Ritaline sont pourtant généralement considérés comme
mineurs par la profession. Ils ont été pour la plupart testés sur des patients suivis pendant plus de vingt ans après leur première prise de Ritaline. Aujourd'hui, on sait seulement que les principaux effets sondaires - perte d’appétit, insomnies, augmentation du rythme cardiaque - sont généralement
bien tolérés par les enfants.
La suppression à long terme de la croissance de l’enfant est toujours
très controversée, mais il a été prouvé que cet effet pouvait être minimisé par une programmation fine de la prise de Ritaline - ce qu’on appelle en anglais les «
drug holidays».
Certains cas d’
overdose de Ritaline ont fait scandale en Suède dans les années 1960. Toutefois, rassurons-nous sur ce point : il n’a jamais été montré une quelconque addiction à la Ritaline dans les cas où celle-ci est utilisé adéquatement. Il existe
des milliers et des milliers d’articles sur Internet reportant tout un tas de choses que personne n’a jamais pu vérifier. Ainsi, certaines personnes cardiaques seraient décédées de mort subite suite à la prise de Ritaline, accélératrice du rythme cardiaque.
Les conséquences psychologiques et émotionnelles de la Ritaline
Ici aussi, voici une autre mise en garde des effets secondaires possibles donnés par
Janssen Cilag pour son médicament
Concerta (également vendu en France sous le nom Concerta LP).
Quelques problèmes rencontrés : trouble bipolaire, comportement agressif, syndrômes psychotiques (l’enfant entend des voix, a des palpitations, délire …).
En conclusion, les débats sont loin d’être terminés. Nombreux sont les papiers publiés pour appuyer ou contrer la Ritaline. Seules des
études d’envergure peuvent en partie répondre à certaines questions précises, et surtout pas des études portant sur une dizaine d’enfants.
L’intiative du
NIMH (le
National Institutes of Mental Health) va dans ce sens : une étude sera bientôt menée sur 7000 enfants qui seront suivi sur le long-terme et qui recevront plusieurs types de traitement.
Deuxième controverse : mal réel ou trouble de la société ?
Nous avons ici deux manières d’aborder la question. Vous détenez les éléments clés nécessaires à la bonne compréhension de ce problème. Nous conseillons de d’abord passer voir une revue de la
psychologie du XXe siècle, revue qui nous semble cruciale pour comprendre la situation actuelle du TDAH.
Une fois cette première lecture effectuée, vous pourrez mettre en contexte et comprendre pleinement la controverse sur la Ritaline.
Retour sur l’histoire de la Ritaline
Les stimulants ont été pour la première fois indiqués dans le traitement des problèmes de comportement de l’enfant en 1937, lorsque le médecin
Charles Bradley découvre que la
benzédrine calme les enfants turbulents. Méthylphénidate et benzédrine sont tous les deux dérivés de la pipéridine, motif chimique rencontré dans les
amphétamines.
Comme nous l’avons vu, l’usage des stimulants a doucement commencé dans les années 1960, sous l’impulsion du NIMH qui a donné des fonds pour la recherche privée dans le traitement du TDAH. En 1970, on estime que 170 000 enfants sont traités avec des stimulants aux États-Unis.
Mais la Ritaline a commencé à être vraiment controversée dans les années 1970 : elle souffre d’une mauvaise publicité et ses vrais vertus sont notamment déservies à cause d’articles mensongers écrit à son propos. Pourtant, son utilisation ne cesse d’augmenter. En 1980, 540 000 enfants utilisent ce traitement. Et les chiffres ne cessent d’augmenter voire
d’exploser comme en témoigne notre graphique récapitulatif suivant construit à partir d’études trouvées sur
MedLine.
Qui prend de la Ritaline ? Pourquoi cet engouement incroyable autour du traitement ?
Pourquoi fait-il polémique ?
Nous avons distingué au fil de nos recherches
quatre causes rationnelles capables d’expliquer le constat précédent. Celui-ci nous fait réfléchir sur la réalité du trouble, puisque ce sont plus de 3 millions d’enfants américains aujourd’hui qui sont traités sous Ritaline.
1. Les changements de diagnostics successifs
On l’a vu, les diagnostics ont souvent changé. A chaque édition du
DSM de nouveaux critères apparaissent et d’autres disparaissent : la troisième édition du
DSM instaure en 1980 l’appelation officielle de
TDAH (ou
AHDA en anglais). On distingue à présent le
déficit de l’attention de l’
hyperactivité, celle-ci perdant donc son rôle central.
L’enfant TDAH est diagnostiqué en fonction de sa capacité à se concentrer, et moins en fonction de son impulsivité. Des enfants TDAH peuvent être aujourd’hui des enfants très calmes, seulement incapables concentrer leur attention sur une ou deux tâches simples.
Tous ces changement successifs ont donc
élargi considérablement le nombre d’enfants pouvant se conformer au diagsnotic. Le TDAH n’est plus ce qu’il était au début, à savoir un trouble neurologique grave diagnostiqué que dans très peu de cas. La ligne séparant les enfants simplement
capricieux de ceux réellement atteint du trouble (comparable neurologiquement parlant au Syndrome de la Tourette) est devenue de plus en plus fine.
2. Une société de plus en plus exigeante ?
Si les opinions psychiatriques et scientifiques ont changé dans les anées 1980, il en a été de même de l’attitude de l’option publique envers le TDAH. En 30 ans, les exigences et les attentes de notre société
ont augmenté exponentiellement. En 1985, personne n’attendait d’enfants de 3 ou 4 ans de connaître l’alphabet ou les nombres, ce qui est le cas aujourd’hui.
Nous avons ainsi trouvé l’exemple du programme Head Start aux États-Unis, créé en 1965 par le Département de la Santé et de l’Éducation et qui fournit entre autres une éductation complète aux enfants à faibles revenus. En 2005, plus de 22 millions d’enfants
en âge préscolaire (avant 3 ans) ont participé au programme Head Start. Il en est de même dans des pays comme le Canada ou la Suisse qui disposent de pré-maternelles.
Une campagne de publicité pour le programme Head Start dans l’état du Wyoming :
«Les grands esprits se forment avec Head Start»
Tous ces exemples montrent une volonté de changement de la société, apte à former scolairement des enfants de plus en plus jeunes et à attendre d’eux des résultats probants.
De plus, aujourd’hui nombreuses sont les femmes à travailler pendant leur maternité et à reprendre le travail rapidement : celles-ci n’hésitent plus à laisser leur enfants aux mains de ces pré-maternelles.
Beaucoup d’enfants s’y épanouissent ; pourtant, d’autres ne sont pas prêts pour recevoir ces «
connaissances pré-académiques». Ils attirent l’attention des professeurs et sont de plus en plus nombreux à être rapidement
confrontés à un médecin avant même l’âge de trois ans pour un diagnostic du TDAH.
Les ennuis continuent même au lycée ou à l’université, tout particulièrement dans l’éducation publique. Comme ailleurs, la pression liée aux examens est immense mais ce qui distingue les États-Unis de la France concerne l’accès aux meilleures universités. Mettons de côté le caractère
financier. Subsiste alors ce constat amer : celui de voir la popularité des cours particuliers (bien entendu extra-scolaires) censés augmenter les résultats au
SAT ou
Scolastic Aptitud Test (équivalent du BAC aux États-Unis) exploser.
Nombreux sont les exemples que l’on pourrait trouver. La Ritaline est une des méthodes que les parents ont trouvé pour augmenter les performances de leurs enfants. Les laboratoires pharmaceutiques n’ont alors aucun problème à
revoir leurs publicités et à
réorienter les vertus de la molécule pour toucher un plus grand nombre d’enfants.
Nous avons déjà pu voir un exemple de publicité pour
Concerta (équivalent de la
Ritaline), en voici une autre que nous avons montré à la
présidente de l’Association HyperSupers,
Christine Gétin. Pour information, Concerta est particulièrement agressif dans ses publicités publiées dans des revues américaines équivalentes à
Elle ou
Cosmopolitain.
Les publicités pour Concerta fonctionnent toujours de la même façon.
« Oublie ses devoirs. N’arrête pas d’interrompre le professeur. Mange tout seul le midi. J’amène mon enfant chez le docteur.
Il commence à prendre Concerta. Il écoute en classe. Il dialogue avec ses camarades. Il se concentre sur ses devoirs. »
Interview de Christine Gétin
Ces publicités font peur aux parents. Pensez-vous qu’il s’agisse d’un complot de la part des lobbies pharmaceutiques dans le but de vendre plus ?
Christine Gétin : Pour ce qui est de l’industrie pharmaceutique, elle n’a jamais été connue que je sache comme une industrie philanthrope, comme toutes les industries. Les fabricants d’armes infiltrent-ils des pays aux régimes politiques instables avec des mercenaires pour maintenir des guerres ?
Les structures sociales ou de soin recevant des enfants en soin ne menacent-elles pas des familles de les dénoncer aux services sociaux si leur enfant ne vient plus faire ses séances de psychodrame, ou poursuivre le thérapie Lacanienne commencé depuis 5 ans et qui n’a toujours pas donné de résultat ? Ceci au prétexte que chaque enfant en thérapie qu’il vienne ou pas dans la mesure ou il est inscrit dans les effectifs pris en charge la structure touche 300 euros par semaine pour 30 minutes de thérapie.
L’industrie pharmaceutique se porte très bien malgré la crise : elle fait partie des industries qui la subissent le moins. Il faut le savoir et en être conscient pour ne pas en faire une psychose qui rendrait le soin « phobique ».
Depuis les années 1980, la consommation de Ritaline a augmenté de façon exponentielle aux États-Unis. Les diagnostics se font trop rapidement et ne sont pas adaptés à l’enfant. Pensez-vous que cela puisse décridibiliser la considération du TDAH vis-à-vis de l’opinion publique en France ?
Christine Gétin : Cependant ce qui est inquiétant dans cette évolution c’est le danger de normalisation : effectivement, si l’on observe, on s’aperçoit que progressivement de moins en moins d’enfant entrent dans la case normale de la scolarisation ordinaire. D’où vient le problème ? Notre société est de moins en moins apte à accepter la différence, ou nos enfants sont ils plus nombreux à avoir des différences singulières ?
Est ce que la politique de 80% d’une classe d’âge au BAC pousse les adultes à devenir plus normatif dans leur regard sur les enfants ? Ou est ce qu’aujourd’hui il faut nécessairement être bon en maths, en histoire, en français et en science pour rester dans le système scolaire ? Est-ce que les enfants ne pourraient pas avoir le droit d’être bons que dans certaines matières qui leurs plaisent ?
Ce que nous savons à l’association c’est qu’avant même d’avoir identifié leur trouble ces enfants sont exclus du système et en souffrance. Donc au prétexte que c’est la société qui doit changer doit-on laisser nos enfants en payer le prix ?
Une personne plus attentive et plus calme est plus adaptée à la société : elle n’est pas forcément plus «obéissante» comme on pourrait le laisser croire. Elle correspond donc plus à une norme. Mieux notre société aura la capacité à accepter l’enfant TDAH sans l’exclure, moins le nombre d’enfants et d’adultes obligés de se soigner sera important. Cependant, si le trouble a un niveau tel que cela ne gêne pas la personne qui en est atteinte et que le traitement lui rend la vie plus acceptable, alors le choix du traitement médicamenteux relève à mon avis d’un choix personnel.
3. Le rôle des médias
En plus de la publicité faite par les laboratoires pharmaceutiques, les médias de masse ont eu un engouement rapide au début des années 1990 pour le TDAH et son traitement. Un exemple frappant est le livre «
Driven to Distraction : Recognizing and Coping with ADD» paru en 1995 et resté
un an entier en tête des ventes.
À en juger par sa critique par la presse et les lecteurs, le livre est rigoureux, clair et ne dramatise pas la situation. Cependant, il offre aux familles et aux professeurs des moyens de diagnostiquer « à la maison » son enfant, ce qui indirectement décrédibilise le diagnostic du trouble.
Ces livres parus dans les années 1990 - période propice à la
psychologie biologique - ont tous montré du doigt le facteur génétique et le caractère
hautement héréditaire du TDAH. Ils ont ainsi fait
décomplexer une génération de parents vis à vis de la prise de médicaments (soit dit en passant beaucoup moins culpabilisatrice qu’une psychothérapie par exemple). Ces livres sont devenus une justification pour les familles qui ne voulaient pas reconnaîre que leurs propres problèmes - divorce, manque de succès, dépression, chômage... - pouvaient être un facteur du trouble.
4. La Ritaline comme cosmétique
Le psychiatre
Peter Kramer fit sensation lorsque son livre Listening to Prozac fut publié en 1993 : il demeure aujourd’hui l’un des livres les plus fascinants sur la nouvelle génération d’antidépresseurs. Il démontra que l’utilisation de Prozac chez des sujets tout à fait sains pouvait leur rendre la vie meilleure et plus agréable. Il fut longtemps critiqué pour ce concept de «
pharmocologie cosmétique», qu’il ne défendait pourtant pas réellement.
Cependant, il est évident aujourd’hui que de la Ritaline est distribuée à des enfants qui désirent seulement réussir à l’école. Il est démontré que la Ritaline améliorent les
facultés d’attention et de concentration. Un quart des enfants diagnostiqués par leur médecin aux États-Unis ne remplissent pas les critères du DSM lorsque ceux-ci repassent devant un psychiatre qualifié.
Conclusion
Incontestablement, la Ritaline a été un soulagement immense pour une génération d’enfants, d’adolescents et d’adultes diagnostiqués TDAH, mais également le sujet d’un questionnement à la fois
éthique, médical et social. Nous avons en même temps montré quels étaient les rouages de la société impliqués dans l’utilisation actuellement abusive du médicament.
Mais l’état actuel de la recherche ne permet pas aujourd’hui de conclure de manière franche sur deux questions :
- la Ritaline est-elle adaptée pour le TDAH, trouble hautement multifactoriel ?
- inversement, le TDAH trouve-t-il réellement ses origines dans un déficit de dopamine et de noradrénaline ?
Restons donc circonspects et proposons comme conclusion le point de vue simple
mais complètement compréhensible des parents que nous suivons. Voici donc les propos de Christine Gétin, présidente d’HyperSupers France et elle aussi mère d’un enfant diagnostiqué TDAH :
Que pensez-vous de la situation actuelle de la Ritaline en France en comparaison avec les États-Unis ?
Christine Gétin : En France, les conditions de prescription sont très surveillées, notamment par l’AFSSAPS et la HAS. Ce sont des gardes-fous. Plus naturellement, la TDAH est largement sous-diagnostiqué et sous traité en France. Les familles ont à coeur de faire avancer la reconnaissance des difficultés des patients et de se faire interroger les institutions sur leur manque de souplesse et leurs exigences trop normatives.
La méfiance sur la Ritaline vient du fait qu’aucun médecin n’est formé à ce médicament : en dehors d’une centaine de prescripteurs, tous les autres médecins ne savent rien ou presque du médicament et en assimilent le fonctionnement à la cocaïne tout en en ignorant la différence… C’est un peu comme si au prétexte que la 2CV et la ferrari sont deux voitures, on considérait que c’est la même chose !
La plupart des psychiatres et médecins français utilisent antidépresseurs et anxiolytiques avec une grande aisance et parfois sans précautions chez les enfants... Ces produits leurs sont familiers, pourtant ils sont très puissants. La Ritaline fait peur puisqu’elle appartient au groupe des amphétamines : c’est un psychostimulant puissant mais son action est très ciblée.
Beaucoup d'informations erronnées circulent sur le sujet : maintenant, la Ritaline reste un médicament actif et efficace dont il faut user uniquement en cas de grande nécessité et de diagnostic avéré. Il est nécessaire de maintenir sa prescription par des personnes qualifiées : pourquoi ne pas mettre en place un Diplôme Universitaire (DU) sur le TDAH avec une certification de formation pour prescrire dans le cadre de ce trouble ?
Il faut vraiment que la France forme les généralistes à faire du suivi de soin et de la coordination. Il ne suffit pas de mettre en place un projet de soin à l’hôpital, mais il faut aussi aider les familles à les mettre en place dans leur rayon de vie.
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