Néocolonialisme ?
Néocolonialisme ?
Une opportunité pour le sud ou une volonté d’exploitation d’un nord déjà dépendant ?
Le consortium Desertec semble s’intéresser de près à cette problématique puisqu’il a considérablement modifié sa feuille de route. En effet, alors qu’à ses débuts le consortium prévoyait de destiner l’énergie produite dans le Sahara à l’importation, il a effectué un virage à 180° et privilégie désormais l’alimentation des pays du MENA en énergie solaire. L’Europe n’importerait dès lors que les excédents d’énergie solaire. De plus, étant donné que l’entretien des installations nécessite de grandes quantités d’eau, des usines de désalinisation seraient construites, ce qui représenterait une belle opportunité pour ces régions ou l’eau se fait souvent rare. De cette manière, les pays du MENA, qui contrairement aux idées reçues, se sentent particulièrement concernés par les problèmes environnementaux pourront diversifier leurs sources de production d’énergie et ainsi réduire leur alimentation en énergies fossiles fortement polluantes et dédier ces énergies fossiles à l’exportation plutôt qu’à la production d’électricité.
Le projet Desertec constitue donc une véritable opportunité pour les pays du MENA, car ils n’ont ni les capacités technologiques, ni les capacités financières de développer seuls le solaire chez eux. De plus, ils peuvent espérer grâce à ces investissements Européens un transfert de technologies susceptible de donner un véritable coup de pouce à leur développement économique et industriel. A cet égard Hermann Scheer, député Allemand et président du comité Mondial pour les énergies renouvelables explique :
« qu’il est essentiel que les pays d’Afrique du Nord développent la production d’énergies renouvelables pour couvrir leurs propres besoins. Prenez l’exemple du Maroc qui importe 96% de ses besoins en hydrocarbures et doit pour cela mobiliser 40% de ses rentrées de devises. Si le Maroc, qui dispose de tout le vent et le soleil nécessaires, se libérait de ce poids il gagnerait une formidable marge de manœuvre pour son développement ».
Cela dit le constat n’est pas aussi rose qu’il n’y parait et l’on est en droit de se demander si le projet Desertec aura véritablement un rôle moteur pour le développement industriel des régions du MENA. Il semble bien que Desertec veuille alimenter en priorité les pays du MENA en énergie solaire, ce qui est tout à fait louable. Pourtant, on peut se demander si il y aura véritablement un transfert de technologies et si les pays du MENA pourront en tirer un intérêt autre que financier ou politique. Pourront ils grâce à Desertec développer leur propre énergie du solaire et acquérir un véritable savoir faire du solaire ? Plusieurs personnes émettent des doutes sur cette hypothèse. C’est notamment le cas de Madame Zambeaux qui travaille à l’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie) et qui explique que:
« La construction de centrales ne génère que très peu d’emplois car elle nécessite de la main d’œuvre très qualifiée souvent européenne »
Elle fait également remarquer que la production d’énergies renouvelables n’est pas la première des priorités pour lutter contre les émissions de CO2. Il est plus intéressant de développer en premier lieu la sobriété et l’efficacité énergétique, car cela est plus rentable et génère-en plus énormément d’emplois et de richesses.
L’hypothèse selon laquelle l’installation de centrales CSP au Sahara générerait des emplois dans les régions du MENA et participerait au développement industriel des régions du MENA est donc largement remise en cause. Madame Zambeaux redoute de plus que la plupart des matériaux nécessaires à la construction des centrales soient construits en Europe et que les ouvriers employés lors de la construction des centrales soient majoritairement Européens. Elle redoute également que les centrales et les lignes à haute tension soient gérés par la suite par des expatriés Européens et non par des locaux.
Madame Zambeaux insiste donc sur le fait que les pays du MENA devront également développer une politique d’efficacité énergétique si jamais ils veulent créer des emplois sur leur sol car cette politique implique une meilleure isolation des bâtiments, plus de contrôle etc…
Un certain scepticisme est donc palpable concernant les bénéfices technologiques des pays du MENA. Hermann Scheer, député Allemand et président du comité Mondial pour les énergies renouvelables en vient même à dénoncer une tentative de protection de monopole des géants du Solaire Allemand. Il accuse ces géants du Solaire de vouloir protéger leur monopole en centralisant des productions d’énergies renouvelables qui supposent normalement un système décentralisé:
« Actuellement, la production de l'énergie fonctionne selon un modèle économique centralisé et dominé par quelques gros acteurs. A l'opposé, la production d'énergies renouvelables suppose un système décentralisé avec de nombreux acteurs de toutes tailles. Les poids lourds de l'énergie mais aussi les banques luttent contre cette diversité qui constitue une concurrence et leur semble peu pratique à gérer. » (Site web d’Hermann Scheer)
Malgré toutes ces contestations et ces changements de positions de Desertec, nous pouvons désormais affirmer que le consortium Desertec accorde une véritable attention à ces problèmes et qu’il cherche véritablement à faire profiter les pays du MENA de l’énergie solaire. Toutefois nous ne pouvons négliger le fait que ce consortium est avant tout constitué d’entreprises qui doivent veiller à rentabiliser leurs investissements et par conséquent, il faut accepter qu’un transfert de technologies avec les pays du MENA ne pourra être immédiat et il faut accepter que le but des entreprises du consortium Desertec n’est pas seulement de participer à un projet à visées purement caritatives.
Cela dit, si Desertec parvient à impliquer les locaux dans son projet et arrive à développer une dynamique de développement saine dans les pays du MENA, le projet Desertec pourra alors être considéré comme un franc succès.
Cela pourrait y ressembler...
Le néocolonialisme est par définition une « forme de colonialisme masquée, essentiellement basée sur l’exploitation économique » (wikipedia). Etant donné que le projet DESERTEC consiste justement à exploiter l’extraordinaire potentiel solaire du Sahara, de nombreuses personnes assimilent ce projet à une forme de néocolonialisme. Il est vrai que la tentation est grande de crier au néocolonialisme puisqu’à son origine, le projet DESERTEC était essentiellement destiné à alimenter l’Europe en énergie verte provenant du Sahara. Cependant depuis les premiers balbutiements du consortium DESERTEC, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et le consortium a complètement changé d’orientation et privilégie désormais l’alimentation des pays du MENA en énergie verte à l’alimentation de l’Europe en énergie verte.
On constate donc que les problématiques inhérentes au néocolonialisme et à l’exploitation des ressources d’un pays par un tiers sont intimement liées à la conception que l’on se fait du caractère juste ou injuste du partage des intérêts. Plus précisément, dans le cas de DESERTEC et de l’exploitation des ressources solaires des pays du MENA, nous avons deux acteurs (l’Europe et les pays du MENA) qui ont connus un développement inégal et qui disposent de biens complémentaires. Les pays du MENA disposent de richesses inexploitées et convoitées qui pourraient donner un coup de fouet à leur développement économique, les Européens disposent du savoir faire technique qui permettrait d’exploiter ces ressources et de remédier à leurs problèmes d’alimentation en énergie. Les deux acteurs sont donc interdépendants et méritent donc tous deux de tirer profit de ces richesses. Cela dit, il reste à définir dans quelles proportions le partage des profits et des intérêts est équitable, afin de déterminer si il y a néocolonialisme ou non.