Entretien avec Nicolas Benvegnu, réalisé par Guilain de Plinval
Nicolas Benvegnu est chercheur et enseigant à l’Institut d’Études Politiques de Paris (Sciences Po). En 2013, il a été membre de la Commission Particulière du Débat Public (CPDP) pour le projet d’installation du parc éolien offshore de Saint-Nazaire. C’est à ce titre qu’il nous accordé cet entretien.
GDP : Bonjour M. Benvegnu, merci de nous avoir accordé cet entretien.
NB : C’est avec plaisir que je tâcherai de répondre à vos questions. Par ailleurs, tant que j’y pense, je vous informe que j’ai signé un code de déontologie qui m’engage à ne pas prendre position, au-delà même de la durée du débat public.
GDP : D’accord, merci. Je commence donc par une première question : Est-ce la question de la création de la filière industrielle de l’éolien offshore qui a justifié l’organisation de débats publics ?
NB : Bien sûr. La CNDP a considéré que les projets d’installation des parcs éoliens offshore, à travers la création de la filière, présentent un intérêt national, si bien qu’elle a décidé d’organiser un débat public. Si vous prenez la décision de la CNDP qu’on peut trouver dans le bilan, elle dit : « le projet revêt un caractère d’intérêt national en raison de la disposition de la loi de 2009 du Grenelle » et puis elle dit qu’« il y a des enjeux socio-économiques importants du fait de l’activité de la construction du parc et pour la création d’une filière industrielle » donc il y a quand même bien ça qui motive la décision, c’est-à-dire que le parc est une pièce d’un ensemble plus vaste et si la CNDP se prononce sur l’organisation d’un débat sur chaque projet, c’est parce qu’elle estime qu’il y a un intérêt national qui est lié à la mise en place de cette filière. Donc voilà à quel titre en fait il y a eu un débat public.
GDP : Quels sont pour vous les sujets qui ont été les plus discutés ?
NB : La question des emplois est beaucoup revenue, avec un porteur de projet, EMF, qui a été, je dois dire, sévèrement questionné sur les chiffres d’emploi : comment il y est arrivé, qu’est-ce que ça représentait, est-ce que c’était un cumul ? Il y a beaucoup de gens qui ont demandé, et là l’influence du chantier naval est très importante, si c’était possible d’avoir la décomposition en nombre d’heures de travail que ça représentait à la fois pour construire les machines, les installer et faire la maintenance, pour être sûr qu’on ne se fait pas rouler quand on entend 1000 ou 4000 emplois. En fait cette décomposition est très spécifique à la construction des navires, je ne sais pas si vous connaissez ça, mais sur des grands chantiers comme ça, on est exactement capable de dire combien d’heures de travail par homme ça représente et du coup on sait le nombre d’emplois que ça mobilise pendant tant d’années et ils ont demandé à avoir la même chose pour ces projets-là.
L’autre chose qui a été beaucoup discutée, c’est le coût, l’investissement, c’est-à-dire qu’il y a beaucoup de gens qui ont demandé dans le débat: « est-ce que ça vaut la peine d’investir autant dans la création de cette filière pour créer ce nombre d’emplois ? » Évidemment les gens qui posent ce type de question se disent que c’est beaucoup d’argent pour pas beaucoup de résultats, et c’est gens-là disent qu’en fait pour atteindre les objectifs qu’on se donne pour ces parcs, c’est beaucoup plus efficace d’investir 2 milliards d’euros dans l’isolation des bâtiments. On pourrait faire plus de choses, créer plus d’emplois, obtenir plus de résultats même que d’investir dans une filière de production dont ils nous disent « on n’en a pas besoin puisque déjà, on a les centrales nucléaires qui sont pour certaines en sous-production. » De ce point de vue là, vous avez donc l’argument de justesse de l’investissement qui est très important. Est-ce que c’est vraiment là qu’il faut investir notre argent, est-ce que c’est là qui l’investissement de l’argent public est le plus efficace, puisque vous savez qu’au bout du compte…
GDP : …c’est le consommateur qui paye.
NB : Via la CSPE. Et puis, ça ça m’a beaucoup surpris. Il y avait des gens qui se projetaient dans le projet et réfléchissaient déjà en terme de qualifications et de compétences. D’ailleurs on a organisé, à l’occasion du débat public, une réunion sur la recherche et la formation à Nantes en juin 2013, parce qu’on voit aussi qu’avec les emplois, il y a aussi la recherche. Parce que quand on se lance dans un tel projet, on n’a pas forcément toutes les connaissances nécessaires à disposition. A Nantes, l’école Centrale s’est montrée très intéressée par le projet. Je sais aussi que le porteur du projet travaille avec l’enseignement supérieur pour créer des formations adaptées, pour créer un diplôme éolien en mer, ou maintenance je ne sais pas. Si vous voulez, cette question de l’emploi, de la rentabilité, de la formation, de la recherche, et des financements (tout ça étant lié), si on les met bout à bout, ça représente une grande part des interventions qui ont eu lieu au cours du débat.
GDP : D’accord, merci. Quel est le rôle précis de la CNDP lorsqu’un projet d’une telle ampleur est mis sur la table ?
NB : Déjà, il y a deux niveaux à distinguer, sur lesquels je vais revenir. Vous avez le niveau CNDP : Commission Nationale du Débat Public dont je ne fais pas partie. C’est une autorité administrative indépendante. Il y a un président, deux vice-présidents et 25 membres, qui représentent les 25 collèges du Grenelle. Les permanents sont une toute petite équipe, et tous les mois les membres élargis se réunissent à une réunion au cours de laquelle ils statuent sur les dossiers qui leur sont envoyés. Donc, à quoi correspond la CNDP : elle sert à informer et faire participer le public sur soit les politiques d’orientation générale, soit les projets sous condition d’un certain nombre de seuils. Il y a le seuil dont je vous ai parlé : un projet de plus de 300 millions d’euros qui vous rend obligé en tant que chef de projet de préparer un dossier de 20 à 50 pages pour la CNDP. La CNDP se réunit et rend une décision : soit elle décide d’organiser un débat public et elle nomme une commission ad hoc, qu’on appelle Commission Particulière de Débat Public et c’est de cela que j’ai fait partie. La CNDP peut demander au chef de projet d’organiser une concertation recommandée c’est à dire qu’elle demande au maître d’ouvrage d’aller à la rencontre du public, mais il ne va pas le faire sous l’égide d’une commission vous voyez, vous voyez qu’il va être plus libre, qu’il va être en quelque sorte juge et partie. Dans le cadre du débat public, il y a un débat qui est animé, mis en place par une commission qui est neutre et indépendante, je vais revenir là-dessus, à ses valeurs. Dans le 3ème cas, la dossier peut être classé sans suite, s’il ne rentre pas dans les critères, typiquement c’est l’intérêt national qui est évalué à travers les enjeux économiques, environnementaux. L’environnement est très important dans la CNDP parce que ce qui la définit à l’origine au niveau des textes communautaires, c’est la convention d’Aarhus, que vous connaissez peut-être, qui parle au niveau européen de cette information et participation du public, et là on est vraiment dans du droit de l’environnement dans la convention d’Aarhus, donc si vous voulez c’est très intéressant : c’est pas par volonté de démocratie participative qu’on met en place ces dispositifs-là, mais c’est au titre de la protection de l’environnement qu’on fait participer le public. Pourquoi ? C’est le sommet de Rio qui dit que la meilleure manière de préserver l’environnement, c’est de donner la parole aux habitants, au public, parce que s’il y a un dégât, eux vont être capables de le dénoncer en fait.
Donc les commissions, leur caractéristique, c’est qu’elles sont neutres et indépendantes, si vous voulez elles ont des critères qui sont fixés dans le code de l’environnement. Tout ce qui régit la CNDP est dans le code de l’environnement, c’est-à-dire qu’elle, elle ne s’exprime jamais sur un projet, elle ne donnera jamais son avis sur un projet, elle a un principe de neutralité absolue. Son rôle est de permettre à tous les arguments de s’exprimer sur un sujet donné. L’indépendance est aussi très importante, avec cette valeur de neutralité. Si par exemple la CNDP était financée par les porteurs du projet, les gens pourraient dire que ces débats sont une mascarade. Donc c’est l’argent public qui finance la CNDP, moi en tant que membre d’une CPDP, je ne suis pas payé mais je suis défrayé en fonction du nombre d’heures que je fais. C’est la garantie symbolique de l’indépendance vis-à-vis du maître d’ouvrage. Ces deux éléments sont extrêmement importants pour caractériser la CNDP. Alors, il existe d’autres dispositifs de concertation, comme l’Enquête Publique, qui vient après, et qui mobilise un comité qui à la fin rend un avis, elle se prononce. Ce n’est pas du tout le cas au niveau du débat public. Le débat public sert aux gens à s’informer en amont et à donner leur avis, et à faire en sorte qu’ils puissent être entendus. Le débat, en fait, sert à établir le panorama le plus large possible des opinions, des arguments, des positions à propos d’un projet, et c’est sur la base de ce panorama (le compte-rendu et le bilan que rédige la commission du débat public) que la décision est prise. Et quand un porteur de projet prend une décision, il est sensé le faire en toute connaissance de cause. A l’issue du débat, le porteur de projet prend une décision et doit justifier les raisons pour lesquels il n’intègre pas certains éléments de ce panorama des arguments.
Il y a 3 points qui sont très importants dans la loi qui définit le champ du débat :
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l’opportunité : dans un débat public, on peut débattre du fait qu’il faille faire ou non ce projet. Ce n’est pas une question tabou dans un débat public.
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Les objectifs : à quel titre il faut faire ce projet, et on peut en discuter.
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Les caractéristiques du projet, c’est fixé dans le code de l’environnement (art 121-1).
Vous prenez ces trois topics, vous couplez ça avec la neutralité et l’indépendance de la commission, et vous avez en gros le débat public à la française.
Dans un débat, il y a 3 principes qui ne sont pas dans la loi, mais qui sont comme une « common law » entre les commissions : la transparence, l’équivalence et l’argumentation.
La transparence, c’est la transparence des intérêts des membres de la commission, mais c’est avant tout la transparence des informations dans le débat. Tout document concernant le projet doit être public dans un débat. A partir du moment où on a des études, on est obligé selon ce principe de permettre que ça soit accessible à tout le monde. Ce principe peut être en tension ou contradiction avec d’autres principes, par exemple le secret défense pour l’EPR de Flamanville.
GDP : D’accord, alors la question que je vous pose pour plus de précision : quand vous parlez de transparence de l’information, vous parlez de tous les documents qui sont évoqués lors du débat public, ou alors de tous les documents du projet en général ? Quelle est la limite ?
NB : Ce sont les études en fait. On ne peut pas cacher des documents d’études qui diraient que le projet n’est pas bon, ou qu’il y aurait de fortes atteintes à l’environnement. Toutes les études que le maître d’ouvrage commande doivent être accessibles au public par des documents qui sont « les dossiers du débat ». Certaines études sont assez ardues. Sans le débat public, ce sont des documents que les participants, les associations ont beaucoup de mal à se procurer. Ils disent toujours qu’il y a asymétrie de l’information entre le porteur du projet et le citoyen qui n’a pas accès à l’information. Comment alors avoir une position réfléchie et construire une argumentation ? Ce débat public a au moins cette vocation d’information : il rend les études publiques pendant cette période-là. Il permet au citoyen d’accéder à l’information.
GDP : Vous parlez des résultats d’études qui doivent être publiés, mais qui surveille cela ?
NB : C’est le rôle de la commission.
GDP : Avec quel outil ?
NB : Sa force de conviction et les principes du débat. Vous connaissez le niveau de technicité d’une étude environnementale, sans parler même des études d’ingénierie pure. C’est totalement impénétrable et incompréhensible pour le commun des mortels. Ce sont des documents qui font souvent plusieurs centaines de pages. Il ne s’agit pas de mettre cela à disposition. C’est quelque chose que produit le débat public aussi, c’est quelque part une « mutation » chez les maîtres d’ouvrage qui savent qu’ils vont passer par des débats publics, c’est que quand ils commandent une étude, ils commandent également des rapports, synthèses, qui rendent les principaux résultats lisibles, compréhensibles. Et en fait, quand on parle d’étude, la plupart du temps, ce sont ces documents-là qui sont rendus publics en fait, avec possibilité de publier les études complètes. Les porteurs du projet ont intégré qu’il fallait qu’ils commandent également des synthèses des travaux à leurs bureaux d’études. Certains maintenant publient de leur propre chef, avant les débats, leurs résultats d’études via des sites que les projets peuvent avoir en-dehors des débats.
GDP : Nous parlons des études commandées en externe ?
NB : De toutes façons, il est rare que les maîtres d’ouvrage fassent les études en interne, tellement les sujets sont précis et divers. Ils font appel à énormément de bureaux d’études spécialisés.
On passe à l’équivalence ? C’est l’équivalence entre les participants. Dans le débat, quelque soit votre degré de connaissance du projet, votre statut, la commission traite votre parole de manière équivalente. Que l’on soit maire, responsable associatif, « simple citoyen », on s’exprime dans les mêmes conditions lors d’un débat public, et notre parole compte autant que n’importe quel autre acteur. Ce n’est pas un principe facile à expliquer à des élus. Tout le monde à le droit au même temps de parole. Couplez ça au troisième principe, qui est celui de l’argumentation, et ça vous donne l’idée suivante : dans le débat public, un argument porté par une personne compte autant qu’un argument porté par mille. Dans le débat public, mille pèse un, c’est ça qui est fascinant.
GDP : C’est en fait une recherche de la justesse des faits et de la vérité ?
NB : C’est à dire que ces procédures-là sont faites pour rendre justice à l’homme isolé. C’est l’objectif du débat : faire la carte des arguments, et l’important n’est pas de savoir par combien de personnes est porté chaque argument, car peut-être que demain ce nombre aura changé. C’est une procédure particulière, différente de la pondération des votes et des sondages, qui permet de faire apparaître les positions et aussi ce qu’on appelle les signes faibles, des choses qu’on ne voudrait pas voir, qu’on n’aurait pas entendues, qu’on ne pourrait pas comprendre si jamais on se cantonne à n’écouter que ceux qui ont du poids. Même si une idée ou une position n’est portée que par une personne, le maître d’ouvrage ne pourra pas dire qu’il ne l’aura pas vue.
L’argumentation, c’est dire que le débat est dans la recherche des positions fondées, que ce soit par des démonstrations ou des témoignages. Ce qui est important c’est de justifier sa position, au-delà du « J’aime, j’aime pas ». Avec ce principe-là, toutes les positions sont audibles. Et moi, mon travail en tant que membre de la commission, si j’occultais un argument à un titre ou à un autre, je serais en défaut de réalisation de la mission pour laquelle je suis nommé, parce que le maître d’ouvrage ne pourrait alors pas bien voir le paysage argumentatif existant à propos du projet qu’il porte.
Voilà, ces débats publics sont une spécificité nationale.
GDP : Comment sont répartis à l’avance les temps de parole ? On voit régulièrement dans le verbatim que les intervenants ont un temps de parole limité. Comment est-il réparti ?
NB : Vous mettez là le doigt sur quelque chose d’extrêmement important, qui fait l’objet d’âpres discussions, je dirais même de controverses, sur la manière dont on organise des concertations et des débats publics. Votre question est vraiment fondamentale. En fait, dans le droit je vous ai à peu près dit tout ce qu’il y avait concernant le débat public. Du coup, tout le reste est à la discrétion de la commission à partir du moment où ça interprète fidèlement les principes dont j’ai parlé. Le droit ne dit rien sur la manière dont je vais distribuer le temps de parole. On pourrait faire d’autres choix que ceux que vous avez vus dans le verbatim. Quand même, c’est un temps d’information, et il y a beaucoup de personnes qui découvrent le projet lors du débat public, et alors là vous êtes obligé de laisser un espace (oral ou écrit à travers les documents) à celui qui porte le projet, pour savoir quel est le projet, et de quoi il en retourne. Donc si vous voulez, ça se traduit par le fait que lorsque vous organisez une réunion publique par exemple, vous donnez un temps de parole, un propos introductif au maître d’ouvrage. Son temps de parole doit être consistant mais limité. En gros, il y a des temps de parole de dix, quinze, vingt minutes qui sont donnés en début de réunion pour pouvoir dire de quoi on parle. Et la commission est là pour faire en sorte que tout le monde puisse comprendre quelque soit le niveau de départ au commencement du débat. Et elle assure aussi la bonne diffusion des documents, du site web. Il faut faire l’information et la communication, non pas pour faire la promotion du projet, mais sur le débat, sur le fait qu’il est possible de s’exprimer quelque soit votre position sur ce projet, et le préalable pour ça, c’est de s’informer.
Ensuite, dans le débat public on a coutume de dire que le protagoniste le plus important, c’est quand même le public, comme son nom l’indique. Parce que, en gros, ces procédures-là sont faites pour donner la parole à celles et ceux qui ne l’ont pas sans qu’on les organise. Si on donne la parole aux élus, aux spécialistes et aux responsables associatifs qui ont déjà l’habitude de travailler ensemble avec le maître d’ouvrage au-delà de ces expériences, à ceux qui ont déjà accès à la parole dans la presse, eh bien on se trompe un peu d’objectif, au regard de la loi en tous cas. Au regard de la loi, c’est bien le public qui tient le premier rôle donc, quand je vous dis qu’on limite le temps de parole du porteur de projet, c’est pour donner la possibilité aux gens de s’informer et de s’exprimer. A la séance d’ouverture du premier débat public auquel j’ai assisté en tant que membre de la commission, il y a quelques années, il y avait 1000 personnes présentes dans la salle, pour une réunion de 3h environ. Vous vous imaginez bien que sur ces 3h, on ne peut pas donner la parole à ces 1000 personnes, même pas à 200 personnes. Et donc si vous ne limitez pas le temps de parole, vous allez créer une frustration qui va vous rendre l’animation très délicate. Bon, ce genre de situation n’arrive pas tout le temps, ça dépend vraiment des débats publics. Généralement, on demande aux gens d’avoir un temps de parole limité de 3 ou 4 minutes, quitte à avoir un second tour si tout le monde à parlé. Eh puis, il ne faut pas oublier que le débat public est un processus qui dure trois ou quatre mois, donc il y aura d’autres occasions de reprendre la parole. Et l’argument sera considéré de la même manière par la commission. Donc évidemment il y a un effet démonstratif fort dans une salle de réunion publique de mille personnes bourrée de presse. Quand vous y dites quelque chose, vous êtes beaucoup plus entendu que si vous renvoyez un coupon réponse que seule la commission peut lire, c’est évident. Mais pour la commission c’est la même chose de recevoir un coupon dont elle rendra compte dans le compte-rendu qu’une prise de parole devant mille personnes, c’est indifférent, puisque là on est totalement dans l’équivalence.
Autre point aussi, c’est le recours de l’expertise contradictoire. On peut demander à des personnes de venir témoigner à des titres divers, et de présenter en 5 à 15 minutes des éléments qui vont venir nourrir les discussions en quelque sorte. Il peut exister des réunion thématiques au cours desquelles on a des invités, pas forcément des experts, mais des gens qui ont une connaissance particulière du dossier, contradictoire d’ailleurs, et ça ça va alimenter le débat. Pour le verbatim du débat public à la Chapelle Launay, quand vous avez Jacques Treiner et Jean-Philippe Roudil à la même table pour des interventions de 5 à 10 minutes, vous avez remarqué qu’ils ne disent pas exactement la même chose. Et leur intervention suscite des choses dans le public qui vont le polariser et qui vont vraiment le faire réagir ! En fait, ils ont des propos diamétralement opposés, mais c’est pour ça aussi qu’ils ont été choisis. C’est pour alimenter le public d’informations qui vont lui permettre de se positionner, d’affûter ses arguments, de regarder les choses différemment. Ce n’est pas du tout un processus d’éducation, c’est un processus d’information. On ne peut pas débattre si on n’a pas les cartes en main pour le faire. Si vous voulez, on part du principe que les gens sont suffisamment intelligents et formés pour trier les informations et se faire une idée propre du projet.
GDP : J’ai une dernière question qui concerne le processus. Quelle instance, quelle personne est chargée de vous recruter ? En tant que membre de la CPDP, mais aussi parmi les membres de la CNDP ?
NB : Le président et le Vice-Président sont nommés soit par le Président de la République, soit par le Premier Ministre. Je suis désolé j’ai un trou de mémoire dû à la fatigue, mais en tous cas c’est d’eux qu’ils tirent leur légitimité. Et puis pour les membres de la CPDP, il s’agit de nominations. En fait, quand la CNDP décide d’organiser un débat, elle va commencer par nommer un président de commission particulière. Donc elle crée une commission ad hoc à laquelle elle confie l’organisation du débat. En l’occurrence, à Saint-Nazaire, c’était une présidente, Chantal Sayaret. A partir du moment où elle est nommée, elle va constituer une équipe de membres de la commission. Ça peut être 4 à 6 personnes, voire plus. En gros, elle elle a auditionné environ 10 ou 15 personnes qu’elle pensait intéressantes pour guider et animer le débat. Ces personnes-là, soit elles ont candidaté, soit elles sont connues dans le circuit. Elle en a choisi 5 qui sont devenus membres de la commission une fois qu’ils ont été nommés par la CNDP sur proposition de la présidente de la CPDP. Une fois que vous êtes nommé, vous recevez le fameux code de déontologie qui reprend les engagements de neutralité, d’indépendance et tout ce que j’ai évoqué précédemment, que vous signez et auquel vous vous engagez à veiller. Les membres des commissions ne sont pas des professionnels, on ne vit pas de ça.
GDP : Merci Monsieur. Vous avez répondu à la plupart des questions que j’avais posées. J’ai juste un dernier point à vous soumettre. Le collectif PULSE, qui est essentiellement mobilisé sur le projet de Fécamp, et que nous avons rencontré, conteste la véracité du bilan du débat public. PULSE critique le fait que dans le bilan on a l’impression que le débat était plutôt calme, que tout le monde était plus ou moins d’accord.
NB : Le bilan de Fécamp ? Je n’étais pas à Fécamp, donc je ne pourrai pas vous communiquer sur le débat public de Fécamp. Alors, je ne dis pas que ça n’a pas été mis en cause de notre côté. Mais ce qu’il est important de comprendre, je pense, c’est que dans un débat public vous avez toujours un débat sur le débat. Et ça c’est légitime en fait, de se dire « à quoi sert cette procédure en fait ? », « Notre parole va-t-elle être écoutée ? », « Est-ce que la commission va faire son travail en toute neutralité, en toute indépendance ? ». Ça ça fait toujours partie de tout débat, et c’est normal que le rôle de la commission soit questionné. Cette vigilance citoyenne, c’est le lot de toutes les commissions et de tous les débats publics. Et cette question de débat sur le débat, c’est le rôle de la commission de la prendre en considération. Nous de notre côté, nous avons fait tout notre possible pour répondre de la manière la plus adaptée aux remarques qui nous étaient faites sur la conduite du débat. Une preuve de ça est qu’on n’a pas eu un débat figé, c’est-à-dire que on l’a adapté progressivement en fonction des remarques qui nous étaient exprimées. Par exemple on a demandé la réalisation d’une expertise complémentaire sur les simulations visuelles, donc il y a une étude qui a été faite par des indépendants. On a rajouté une réunion pour approfondir les enjeux environnementaux sur lesquels on trouvait que le maître d’ouvrage n’avait pas suffisamment apporté de réponses précises, au cours de la réunion thématique sur les enjeux environnementaux. Donc je dirais qu’on a fait de notre mieux pour répondre aux attentes du public et aux problèmes qui étaient soulevés. Après, ça ne contente pas tout le monde, mais ça n’empêche pas le débat d’avoir lieu. Il y a beaucoup de gens en fait qui ne connaissent pas le dispositif de débat public, et en fait qui attendent plus que ce qu’il peut faire. Ils attendent que ce soit une instance décisionnaire, donc reprochent ensuite à la commission que c’est en toc parce qu’on ne prend pas de décisions à l’issue du débat. Mais, notre rôle, ce n’est pas de faire ça, notre rôle c’est de faire une carte des arguments pour que le maître d’ouvrage décide en toute connaissance de cause.
GDP : Ça me mène à vous pauser une dernière question à laquelle vous avez déjà répondu en partie. Quelles sont les conséquences du débat public chez les porteurs du projet. Il y a déjà une conséquence claire, que vous avez évoquée, c’est qu’ils ont maintenant tous les éléments en main pour…
NB : On espère !
GDP : …pour décider, et en tous cas ils ne peuvent pas dire « on ne l’avait pas vu ». C’est aussi pour les éclairer. Mais ont-ils des obligations suite au débat public ?
NB : Je vais faire une réponse à deux niveaux.
Tout d’abord, au niveau réglementaire. A l’issue du débat, la commission a deux mois pour produire le compte-rendu, c’est dans la loi. Et à partir du moment où la commission présente son compte-rendu, et c’est aussi dans la loi, le porteur du projet a jusqu’à trois mois pour faire part de sa décision sur la base de ce compte-rendu. Et ce qui a été ajouté dans la loi du Grenelle 2 en 2010, c’est qu’en fait, il doit prendre sa décision sur la base du compte-rendu, en justifiant pourquoi il poursuit le projet, le modifie ou l’abandonne. On a déjà vu des projets abandonnés à l’issue des débats publics, ça peut arriver. Je ne dis pas que c’est l’effet du débat, mais peut-être que le débat finit par faire abandonner le projet pour lequel beaucoup d’éléments déjà le mettaient en cause. Si vous voulez, c’est l’élément supplémentaire qui vous dit d’arrêter. Le bilan et le compte-rendu du débat sont des documents qui restent. Par exemple, si le projet se poursuit, il y a aura une enquête publique plus tard dans le processus. Dans le dossier d’enquête publique, on retrouvera notamment ces documents-là, et on verra si le porteur du projet a réglé les problèmes que soulevait déjà le débat public.
Et mon deuxième niveau de réponse, c’est qu’en fait le débat, son principal office, ce n’est pas sur la scène officielle qu’il le fait, mais c’est peut-être la manière dont un maître d’ouvrage considère son projet. Parce qu’il sait qu’en fait il va passer par le débat, il va avoir une autre manière de conduire un projet. C’est-à-dire en menant les études en amont des débats de manière beaucoup plus partenariale, en ayant le soucis de partager en amont non seulement les résultats des études mais aussi la manière dont on les conduit. Si vous voulez, ça produit des modifications dans la conduite même des projets, et je dirais au-delà des débats, avant et après. Si un projet a été conduit en concertation, c’est-à-dire qu’il aura internalisé un certain nombre de revendications des principaux acteurs du territoire, il a quand même quelques chances de faire l’objet d’un consensus plus grand pendant un débat. Le projet est plus ficelé au moment du débat. Vous voyez, l’effet ici est un peu plus profond que mon premier point, que ce que précise la loi.
GDP : Merci beaucoup de nous avoir accordé cet entretien. Il nous a bien aidé à mieux comprendre le rôle précis des débats publics et leur portée.