Financement de la mission
Deux points sont controversés quant au financement de la mission Mars One :
- le coût de la mission
- la pertinence du modèle économique : une exploitation médiatique sous forme de télé-réalité
Le business model de Mars One
Selon le site officiel de Mars One, le budget de la mission doit provenir de la médiatisation de la mission, des droits de propriété intellectuelle, de donations et d’autres activités.
Mars One’s revenue model is based on the media value of that adventure, intellectual property rights, several other business cases, investments, and donations.
— Mars One [1]
Toujours selon le site officiel, Mars One reçoit des donations de plus de 100 pays chaque mois. Pour le moment, ces revenus ne sont pas suffisants pour financer la mission. Cependant, les donations augmentent avec l’avancement du projet ; l’équipe s’attend à ce qu’elles participent de manière substantielle au financement de la mission d’ici à l’envoi du rover.
Le budget de la mission doit essentiellement venir d’investissements. Une levée de fonds terminée en mars 2013 a été un succès ; une autre, de plus grande envergure, est prévue. La prochaine étape est l’introduction en bourse du projet ; les soutiens à la mission pourront ainsi en « posséder » une partie. En plus d’être une fondation à but non lucratif, Mars One est en effet aussi une entreprise à but lucratif, statut qui lui permet de générer les revenus nécessaires à la mission. Le retour sur investissement doit provenir de plusieurs sources de revenus : la médiatisation et les droits de propriété intellectuelle.
L’exploitation médiatique, sur le modèle de la télé-réalité, doit générer des revenus qui seront maximums lors du lancement et de l’arrivée de la première mission habitée en 2026 et 2027. [1]
Quel est le coût de la mission Mars One ?
La première étape du projet Mars One, l’envoi des rovers et du premier équipage, doit coûter 6 milliards de dollars d’après les organisateurs. Chaque nouvelle arrivée de quatre astronautes coûtera 4 milliards de dollars supplémentaires. [2]
Même s’il est difficile de trouver des estimations précises, récentes et complètes du coût d’une mission martienne, le budget d’un tel projet se chiffrerait plutôt en centaines de milliards de dollars, l’ordre de grandeur de celui d’une mission spatiale habitée d’envergure. L’ISS a ainsi coûté 150 milliards de dollars :
Whatever a Mars mission would actually cost […] it is hard to see where the money would actually come from. As of its 15th anniversary in late 2013, the ISS had consumed $150 billion of US, European, Russian, Canadian and Japanese money, so the cost of reaching Mars – notwithstanding the value realised so far from ISS investments – must reasonably be in the hundreds of billions of dollars.
— Flight International [3]
Il s’agit également de l’ordre de grandeur du budget de la navette spatiale (208 milliards de dollars) et du programme Apollo (151 milliards de dollars). [4]
Cependant, Ellen Stofan, Chief Scientist de la NASA, ne voit pas les questions budgétaires comme une difficulté majeure pour la NASA ; le financement pourra venir par vagues successives, et l’achèvement de l’exploitation de l’ISS libérera des fonds. Par ailleurs, la NASA et ses partenaires disposent désormais d’un temps et d’une expertise qu’elles n’avaient pas lors du programme Apollo. [3]
De la même façon, Mars One pourra être financé par vagues successives. Par ailleurs, les organisateurs de la mission disposent de l’expertise des fournisseurs en matière de vols spatiaux, notamment de Lockheed Martin, un partenaire de la NASA qui doit construire le rover. [5]
Dans les années 90, le budget estimé d’une mission martienne était colossal. En 1989, lors de son discours à l’occasion des célébrations du 20ème anniversaire de l’alunissage d’Apollo 11, le président Bush a annoncé le programme « Space Exploration Initiative », qui comportait notamment des missions vers la Lune et Mars. Dans le même discours, G. W. Bush a demandé au Vice Président Dan Quayle de diriger un National Space Council pour déterminer les prérequis à un tel programme. L’Administrateur de la NASA Richard Truly fournit un groupe de travail pour mener l’enquête. Parmi les conclusions de cette étude « 90-Day Study », le coût total estimé des missions lunaire et martienne sur 34 ans aurait été de 541 milliards de dollars (en dollars de 1991). En 1990, le Congrès a annulé le budget de ce programme. [6]
Les avancées technologiques ont depuis permis de revoir à la baisse le budget d’une mission martienne, à 55 milliards de dollars :
Récemment, des ingénieurs de la NASA évaluaient à environ 55 milliards $ les coûts pour envoyer six astronautes en mission sur Mars pendant deux à trois ans, ce qui ne constitue que 10 % des chiffres avancés il y a 10 ans.
— Le Soleil [7]
Néanmoins, ces estimations semblent très optimistes, puisqu’un rapport de juin 2014 intitulé « Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration », rédigé par des scientifiques et ingénieurs de la NASA et d’universités américaines estime le coût d’une mission martienne à plusieurs centaines de milliards de dollars, répartis sur des décennies.
Progress toward deep-space destinations will be measured in decades with costs measured in hundreds of billions of dollars and significant risk to human life.
[…]
The scale of the government investment required to send humans to Mars is, to a rough order of magnitude, equivalent to […] two to four times the U.S. investment in the ISS, which amounted to roughly $150 billion, including launch costs.
— National Research Council [8]
Le programme de l’ISS a montré qu’une coopération entre les différentes agences spatiales et les entreprises privées était possible. Outre ses implications géopolitiques, une telle coopération pourrait atténuer l’impact financier d’une mission martienne sur le contribuable.
Being a leader in human space exploration enhances inter- national stature and national pride. Because the work is complex and expensive, it can benefit from international cooperative efforts. Such cooperation has important geopolitical benefits.
— National Research Council [8]
Du point de vue de la NASA – et de celui des scientifiques et ingénieurs qui ont rédigé les rapports sus-cités, une mission habitée vers Mars est donc une entreprise qui nécessite quelques dizaines d’années, des centaines de milliards de dollars et une coopération internationale.
Le projet Mars One semble à cet égard sous-estimer l’envergure d’une telle mission. Cependant, d’autres éléments entrent en ligne de compte : la participation du secteur privé dans l’aventure.
En effet, les estimations du coût d’une mission martienne du rapport de juin 2014 reposent sur l’utilisation de la capsule Orion et du SLS (Space Launch System), et prévoient le trajet retour de l’équipage.
Le projet Mars One peut quant à lui envisager d’utiliser la capsule de SpaceX Dragon et le lanceur de SpaceX Falcon Heavy. Le coût de lancement est alors fortement réduit. Un rapport d’étudiants du MIT distingue deux scénarios suivant les méthodes d’approvisionnement en nourriture :
- La nourriture est cultivée sur place – ce qui nécessite le développement de nouvelles technologies pour contrôler la composition de l’air : Biomass Production System (BPS).
- La nourriture est apportée par cargo : Stored Food (SF).
Dans le cas BPS, 21 lancements (17 pour les installations et 4 pour l’équipage) sont nécessaires pour déposer le premier équipage sur Mars : ceci représente 6,3 milliards de dollars.
Dans le cas SF, 15 lancements (11 pour les installations et 4 pour l’équipage) sont nécessaires pour déposer le premier équipage sur Mars : ceci représente 4,5 milliards de dollars.
L’envoi de chaque nouvel équipage revient alors à 1,2 milliards de dollars supplémentaires.
Estimation du nombre et du coût des lancements nécessaires à la mission Mars One selon le scénario (BPS ou SF), d’après les données du rapport d’étudiants du MIT [9]
Par ailleurs, comme le rappelle le site officiel, Mars One ne prévoit qu’un aller simple pour Mars. Dès lors, il n’y a plus à prévoir de véhicule de retour, de carburant ou de moyen de le produire sur Mars et de module capable de décoller de la surface de Mars. De plus, prévoir le retour des astronautes signifie anticiper les risques éventuels ; il faudrait notamment emporter des pièces de rechange et réaliser des tests réels complets avant d’envoyer un équipage sur Mars. Ce sont autant d’économies par rapport aux missions traditionnelles. [10]
Un ingénieur de la NASA remarque en effet que le facteur critique est la masse de matériel envoyé dans l’espace. Une diminution du niveau de risque pour les astronautes se traduit typiquement par une augmentation de la masse embarquée. Néanmoins, pour garantir le succès d’une mission, il faut chercher à limiter la masse embarquée.
A return mission, as one would understand, is going to be much much heavier […]. And this takes longer to develop. You have to develop a more complicated spacecraft. And there are many more moving parts in a mission like that than there would be in a one-way mission.
— Entretien avec un ingénieur de la NASA [11]
Par conséquent, le budget d’une mission sans retour sera beaucoup moins élevé que celui des missions envisagées par la NASA. Bas Lansdorp, CEO et co-fondateur de Mars One, rappelle que l’estimation du coût de la première phase de la mission a été effectuée avec l’aide d’entreprises aérospatiales [11].
Our $6 billion cost figure comes from good discussions that we have had with established aerospace companies from around the world. They have already been building systems for the ISS and for unmanned missions to Mars, which are similar to the ones we need. We are very confident that our budget will be enough.
— Bas Lansdorp, CEO et co-fondateur de Mars One [12]
L’exploitation médiatique de la mission : une source de revenus fiable ?
Cependant, une autre difficulté apparaît : comme le site officiel le précise, l’exploitation médiatique, sur le modèle de la télé-réalité, doit générer des revenus qui seront maximums lors du lancement et de l’arrivée de la première mission habitée en 2026 et 2027. [1]
Une fois l’engouement des premier pas des hommes sur Mars passé, l’exploitation médiatique ne sera probablement pas aussi fructueuse. Dès lors, d’où viendront les fonds nécessaires à l’arrivée des autres équipages ? De manière générale, une mission martienne de cette envergure requiert une stabilité de financement que ne permet peut-être pas le modèle de la télé-réalité.
« Est-ce que des gens vont vraiment regarder un tel programme pendant plusieurs années ? Et est-ce que des chaînes vont réellement dépenser des fortunes pour en acquérir les droits ? », se demandait déjà en juin 2012 Marion Anderson, chercheuse en géosciences à l’université de Monash, la plus importante université australienne.
— France24 [13]
Sources :
[1] « What is the Mars One business model? ». In Mars One. Interplanetary Media Group B.V. Disponible sur : http://www.mars-one.com/faq/finance-and-feasibility/what-is-the-mars-one-business-model (30/04/2015).
[2] « How much does the mission cost? ». In Mars One. Interplanetary Media Group B.V. Disponible sur : http://www.mars-one.com/faq/finance-and-feasibility/how-much-does-the-mission-cost (30/04/2015).
[3] « IN FOCUS : Roadmap to Mars is paved with ambition, high hopes and money », Flight International (UK), 03/06/2014. Disponible sur : http://www.flightglobal.com/news/articles/analysis-roadmap-to-mars-is-paved-with-ambition-high-hopes-and-399853/
[4] Santini, J-L. « La navette spatiale américaine, un projet coûteux, au bilan mitigé », AFP Doc, 21/07/2011. Disponible sur : http://www.lapresse.ca/international/dossiers/navette-spatiale/201107/03/01-4414599-un-programme-couteux-au-bilan-mitige-pour-la-nasa.php (30/04/2015).
[5] « Lockheed Martin and SSTL selected for Mars One’s first Unmanned Mission to Mars ». In Mars One. Interplanetary Media Group B.V. Disponible sur : http://www.mars-one.com/news/press-releases/lockheed-martin-and-sstl-selected-for-mars-ones-first-unmanned-mission-to-m (30/04/2015).
[6] R. Augustine, N., M. Austin, W., Chyba, C., et al. « Seeking a human spaceflight program worthy of a great nation ». Review of U.S. Human Spaceflight Plans Committee, 10/2009. Disponible sur : http://www.nasa.gov/pdf/396093main_HSF_Cmte_FinalReport.pdf (30/04/2015).
[7] Warren E., L. « La NASA rêve de construire une base habitée sur Mars ». Le Soleil, 22/03/1998.
[8] National Research Council. « Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration », 06/2014. Disponible sur : http://www.nap.edu/openbook.php?record_id=18801&page=R1 (30/04/2015).
[9] Do, S., Ho, K., Schreiner, S., et al. « An Independent Assessment of the Technical Feasibility of the Mars One Mission Plan ». 65th International Astronautical Congress, 26/09/2014 – 03/10/2014, Toronto, Canada. Disponible sur : http://web.mit.edu/sydneydo/Public/Mars One Feasibility Analysis IAC14.pdf (30/04/2015).
[10] « Mission Feasibility ». In Mars One. Interplanetary Media Group B.V. Disponible sur : http://www.mars-one.com/mission/technical-feasibility (30/04/2015).
[11] Entretien avec un ingénieur de la NASA.
[12] « Mars One’s CEO answers questions about mission feasibility ». In Mars One. Interplanetary Media Group B.V. Disponible sur : http://www.mars-one.com/news/press-releases/mars-ones-ceo-bas-lansdorp-answers-questions-about-mission-feasibility (30/04/2015).
[13] Seibt, S. « Mars One : plus d’un millier de candidats en lice pour coloniser Mars », France 24 (site web), 02/01/2014. Disponible sur : http://www.france24.com/fr/20140102-mars-one-candidat-colonie-planete-voyage-homme-tele-realite/ (30/04/2015).