1. Difficultés du voyage
Un voyage vers ne pose pas a priori de problème majeur, en effet de nombreuses missions vers Mars ont déjà été programmées dans le passé, et avec succès (on peut notamment citer la mission Curiosity). Il s’agissait cependant de missions inhabitées, embarquant des équipements légers (le rover Curiosity ne pèse même pas une tonne). Les enjeux sont tout autres dans le cadre du projet Mars One.
Il s’agit d’une part, durant la première phase de la mission, d’envoyer plusieurs modules de survie à la surface de Mars, ainsi que tout le nécessaire à la survie des colons sur place. D’autre part, dans un deuxième temps, il faudra envoyer des hommes à la surface de Mars.
Ces enjeux soulèvent nombre de difficultés, qui restent encore aujourd’hui non résolues, et dont la faisabilité reste débattue.
Il existe à l’heure actuelle deux possibilités pour lancer un vaisseau vers Mars : le scénario de conjonction et le scénario d’opposition. Le première possibilité profite de l’alignement favorable de la Terre et de Mars pour réduire au maximum la durée du voyage : il serait alors d’environ 180 jours. L’autre possibilité est nettement plus défavorable, puisque le voyage durerait près de 430 jours. Néanmoins, une telle approche nécessite beaucoup moins d’énergie que l’approche par conjonction, puisque un vaisseau lancé dans la configuration opposition bénéficierait d’effets gravitationnels (l’assistance gravitationnelle de Vénus, faisant office de « fronde ») pour réduire le carburant nécessaire.
Du fait de leurs avantages et inconvénients respectifs, les deux options sont aujourd’hui largement acceptées par les différents laboratoires travaillant sur l’envoi de l’homme sur Mars. Cependant, à l’heure actuelle, l’équipe technique du projet Mars One n’a toujours pas précisé quelle stratégie de lancement elle adopterait. A priori, la mission pourrait profiter de la technologie du Falcon Heavy de la firme Space X.
Mais en ce qui concerne le moyen de propulsion retenu pour les premières missions habitées du projet Mars One, aucune information n’est disponible. Ce choix est pourtant un point essentiel à clarifier pour toute mission habitée, et fait controverse, il n’existe à l’heure actuelle pas d’ergol suffisamment performant pour mener à bien une mission habitée vers Mars dans des délais acceptables. Cependant, d’autres moyens de propulsion son à l’étude.
For distant destinations, limitations on the duration of human exploration missions impose minimum spacecraft velocities that will be hard to achieve. Example mission designs for Mars suggest that chemical propulsion (the only technology that has been used for human spaceflight) might enable getting humans to Mars orbit and back if substantial progress is made in storing cryogenic propellants for long periods with minimal loss. Other types of propulsion systems—such as solar electric propulsion (SEP), nuclear electric propulsion (NEP), and nuclear thermal propulsion (NTP)—could be used to support a human mission to the Mars surface.
-- Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space ExplorationCommittee on Human Spaceflight, p.114 [1]
Voici où en sont l’état des recherches relatives aux carburants et autres moyens de propulsion envisageables :
L’efficacité du carburant choisi aura un importance déterminante dans la durée du voyage, qui a elle-même une influence directe sur la santé de l’équipage, notamment au niveau de la microgravité et de l’exposition aux rayonnements cosmiques, hautement énergétiques.
Des études ont été menées sur les différentes réactions physiologiques des astronautes hommes et femmes à un état d’impesanteur prolongé, le voyage vers Mars pouvant durer jusqu’à 430 jours, dans le plus défavorable, le scénario d’opposition. Plus le trajet vers Mars sera long, plus ces effets se feront sentir.
NASA has identified a set of risks to humans, including radiation, bone and muscle loss, increased intracranial pressure, and other physiologic responses to the microgravity environment.
-- Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space ExplorationCommittee on Human Spaceflight, p.64 [1]
Plus précisément, les expériences ont porté sur les points suivants : physiologie cardiovasculaire, physiologie d’exercice, barophysiologie (discipline étudiant la pression artérielle), maladie des caissons (liée à une exposition à une trop grande différence de pression), densité minérale dans les os, formation de calculs rénaux, immunologie, fonctions neurovestibulaire et sensorimotrice (fonctionnement des muscles), nutrition, procédés pharmacothérapeuthiques et reproduction (effet des radiations sur les organes génitaux). Actuellement, les données sont encore insuffisantes dans la plupart des disciplines pour pouvoir tirer des conclusions pertinentes à propos des différences liées au sexe de l’individu, en partie à cause de la faible proportion de femmes astronautes par rapport aux hommes. Les deux seuls problèmes de santé pour lesquels un nombre suffisant de données a été collecté pour en tirer des conclusions valides sur les différences entre les genres sont :
- d’une part la réaction aux rayonnements cosmiques à haute énergie, le seuil de tolérance avant l’augmentation du risque de survenue d’un cancer étant plus élevé chez les hommes (voir plus bas) ;
- d’autre part l’intolérance orthostatique qui suivait les missions en navettes spatiales, pendant lesquelles les femmes avaient beaucoup plus de risques de subir une présyncope que les hommes.
Ainsi, la conclusion croisée de ces différentes disciplines est que les différences individuelles dans les réponses physiologiques au sein d’un même genre sont aussi importantes, si ce n’est plus, qu’avec l’autre sexe. Les caractéristiques individuelles sont donc le plus souvent plus importantes que les différences entre genres. [2]
The deep-space habitat must meet stringent volume and mass constraints for launch and must provide a highly reliable ECLSS with closed or near-closed loops for air, water, and food. The habitat will need to accommodate all crew needs so that they arrive at their destinations physically and mentally fit for their exploration tasks.
-- Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space ExplorationCommittee on Human Spaceflight, p.12 [1]
Problème de premier plan, les rayonnements cosmiques sont un enjeu majeur pour une mission spatiale habitée de longue durée telle que le projet Mars One. Etant source de cancer, elles ont un impact très important sur la santé de l’équipage, et sur sa survie à long terme. Ces rayonnements sont de deux ordres :
- Les radiations solaires, issues d’éruptions solaires dues à des pics d’activité du Soleil. Elles interviennent donc de façon périodique :
Vous avez une éruption solaire, vous avez une alerte, et hop tout le monde se réfugie derrière un bouclier ad hoc. On y reste 48h et c’est fini.
-- Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du système solaire au CNES [3]
- Les radiations galactiques, en provenance de l’espace lointain possèdent une énergie très élevée (beaucoup plus élevée que les radiations solaires), et se font ressentir en permanence. Etant extrêmement énergétiques, il n’existe à l’heure actuelle aucune technologie capable de les arrêter. Ce qui signifie que les colons de la mission Mars One seront exposés durant tout la durée de leur voyage à des rayonnements cancérigènes.
Adequate technical, biological, and/or pharmacological solutions have yet to be identified, and there is a large gap between current capabilities and what is needed to provide adequate safety.
-- Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space ExplorationCommittee on Human Spaceflight, p.135 [1]
Il faut donc tenir compte des normes en vigueur relatives à la dose maximale de radiations admissible par un astronaute pour que le risque de développer un cancer ne soit pas trop élevé. La réponse aux radiations varie en fonction de chaque individu, les plus résistants sont les hommes de plus de 55 ans.
D’abord parce que les femmes sont deux fois plus sensibles que les hommes aux radiations. Et d’autre part parce que les jeunes sont plus sensibles que les… les moins jeunes aux radiations. Donc ça sera des hommes de 55 ans.
-- Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du système solaire au CNES [3]
Or, aucune sélection sur ce plan n’a été réalisée lors de la phase de sélection du projet Mars One, les recruteurs s’étant plus concentrés sur l’aspect psychologique des candidats (ayant également son importance...). Le problème de la sensibilité individuelle aux effets de la vie prolongée en microgravité, ainsi que le seuil de tolérance aux radiations cosmiques n’a absolument pas été étudié. En plus, le problème des rayonnements cosmiques se fera encore plus sentir sur la surface de Mars lors de l’étape de colonisation, la planète ne possédant pas de magnétosphère capable de stopper ces rayonnements hautement énergétiques. Cette négligence remet encore une fois en question le processus de sélection des candidats.
Le risque tend cependant à être minimisé par certains, au vu de l'ampleur de la mission :
Oui, mais ce n’est pour moi pas un problème majeur. […] Le risque qu’on prend sur ce type de mission dilue largement cette problématique-là.
-- Jérémy Saget, dernier candidat français en lice pour le projet Mars One [4]
Le deuxième enjeu essentiel relatif au module de voyage est le maintien en quantité suffisante des ressources nécessaires à l’équipe : eau, air et nourriture. Il s’agit donc pour les équipes du projet Mars One de mettre au point un « Environmental Control and Life Support System », ou ECLSS en abrégé. Ce système de « maintien de la vie » aurait entre pour mission d’assurer un environnement viable aux astronautes tout en réduisant au maximum la masse et le volume de tout ce qu’ils pourraient consommer (notamment la nourriture, nécessaire pour le voyage), contrôler la pureté de l’air, la formation et la multiplication de microorganismes, renouveler l’eau, l’oxygène, d’autres gaz (il devrait notamment contrôler sans arrêt les pressions partielles de gaz nocifs tels que le dioxyde de carbone, le méthane, le dihydrogène…) ainsi que de divers minéraux.
Il n’existe à l’heure actuelle aucune solution viable pour un voyage d’une telle durée. Les technologies existantes, implantées sur la Station Spatiale Internationale en particulier ne sont pas satisfaisantes pour un voyage de longue durée. Un ECLSS performant sera également nécessaire à la vie sur Mars, durant l’étape de colonisation.
For missions to Mars and other missions without an early-return abort option, the ECLSS must be highly reliable and easily repairable. The U.S. and Russian ECLSS on the ISS have demonstrated rates of hardware failures that would be unsustainable on a Mars mission. […] Some progress is being made to improve the reliability and performance of in-space ECLSS, and the ISS is an excellent platform for testing in-space ECLSS subsystems. However, there is still a large gap between current capabilities and the performance that would be needed for long-duration missions in space.
-- Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration,Committee on Human Spaceflight, p.145 [1]
Les équipes de recherche de la NASA, à l’origine de ces conclusions, déjà présentées dans le rapport « NASA Space Technology Roadmaps and Priorities », (publié par le National reasearch Council of the National Academies en 2012) se montrent donc très sceptiques quant à la possibilité de mener à bien un voyage habité vers Mars dans des délais aussi courts que ceux annoncés par l’équipe de Mars One, des technologies essentielles à son bon déroulement n’étant encore pas développées.
Enfin, le problème psychologique demeure une interrogation, encore non résolue. Comment vont réagir les colons durant ce voyage vers Mars d’une longue durée. La question se pose encore plus une fois sur Mars. La psychologie et la dynamique de groupe sont un facteur déterminant pour la réussite de la mission. Plusieurs aspects majeurs de cette problématique ont été identifiés :
Tableau extrait de « Humans in space » [5]
Ces questions ne sont pas encore résolues, et représentent un point crucial de la mission. Sur ce sujet, Jérémy Saget s'exprime :
On a étudié énormément de choses sur la psychologie de groupe, et aussi la psychologie sociale en milieu très isolé… Là, il y aura des délais de communication mais surtout il y aura une isolation extrême, c’est-à-dire qu’on perd de vue la Terre, extrêmement rassurante, donc psychologiquement ça crée quelque chose qui est pour l’instant inédit ! Et puis, il ne faut compter que sur soi-même, puisqu’il va falloir attendre deux ans et demi, une éventuelle mission de réapprovisionnement, etc…
-- Jérémy Saget, dernier candidat français en lice pour le projet Mars One [4]
On voit bien que la problématique psychologique d’un tel projet, si elle est importante durant le trajet en lui-même, est absolument prépondérante durant la phase de colonisation.
De manière générale, il règne autour du projet Mars One une grande opacité : les équipes du projet affirment détenir les technologies nécessaires à l’envoi d’hommes sur Mars. Mais ces affirmations sont sujettes à controverse : de nombreux acteurs, et en premier lieu les scientifiques travaillant dans les laboratoires de recherche de la NASA sur des technologies nécessaires à la mise sur pied d’une mission vers Mars, font preuve de scepticisme à l’égard du projet Mars One, et de sa faisabilité. On a vu que selon eux, la mission ne s’appuie pas suffisamment sur des résultats de recherches tangibles, ni sur des avancées technologiques significatives. On ne connaît à l’heure actuelle presque rien du trajet que les colons vont emprunter, ni du carburant utilisé, ni du système de maintien de la vie dans l’habitacle… A titre de comparaison, voici un modèle proposé par la NASA, qui n’en est encore qu’aux phases de recherche, et ne prévoit pas d’envoyer d’homme sur Mars avant au moins 20 ans :
Architecture of the Mars First strategy, indicating the three missions launched toward Mars necessary to support the landing of a crew of six astronauts. [6]
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Sources :
[1] National Research Council. « Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration », 06/2014, p. 12, 64, 111, 114, 145. Disponible sur : http://www.nap.edu/openbook.php?record_id=18801&page=R1 (28/05/2015).
[2] Harm D., Jennings R., Meck J., et al. “Invited Review: Gender issues related to spaceflight: a NASA perspective”, Journal of Applied Physiology, 1/11/2001, 91, 5, DOI : 2374-2383. Disponible sur : http://jap.physiology.org/content/91/5/2374 (28/05/2015).
[3] Entretien avec Francis Rocard, responsable des programmes d’exploration du système solaire au CNES
[4] Entretien avec Jérémy Saget, dernier candidat français en lice pour le projet Mars One
[5] White R., Averner M., “Humans in Space”, Nature, 22/02/2001, 409, DOI : 10.1038/35059243. Disponible sur : http://www.nature.com/nature/journal/v409/n6823/abs/4091115a0.html (28/05/2015).
[6] R. Augustine, N., M. Austin, W., Chyba, C., et al. « Seeking a human spaceflight program worthy of a great nation ». Review of U.S. Human Spaceflight Plans Committee, 10/2009. Disponible sur : http://www.nasa.gov/pdf/396093main_HSF_Cmte_FinalReport.pdf (28/05/2015).
Images :
• Tableaux de l'état actuel des problématiques techniques, classées, avec code couleur.
Tirés de : National Research Council. « Pathways to Exploration: Rationales and Approaches for a U.S. Program of Human Space Exploration », 06/2014. Disponible sur : http://www.nap.edu/openbook.php?record_id=18801&page=R1 (28/05/2015).