Quelle approche de la controverse ?
Aborder le sujet de la gentrification nous a posé un certain nombre de problèmes qui font pourtant partie de ce travail d’analyse.
Tout d’abord, nous avions des préjugés sur le sujet et nous pensions que les débats sur la gentrification étaient fixés. Par exemple, nous avions une vision assez manichéenne des choses : les riches/ les pauvres, le populaire/le bourgeois, le gentrifieur/le gentrifié.
A la lecture d’articles scientifiques et de presse généraliste, nous avons perçu que la gentrification était un sujet complexe et que ce terme était surtout employé dans le champ scientifique.
Nous pensions que le terme était courant mais nous avons découvert qu’il était principalement employé par des spécialistes de la question et que les acceptions même du terme différaient.
En effet, on observe avec ce premier graphique que le terme « gentrification » est essentiellement utilisé par des acteurs scientifiques (en vert). Ainsi, cela montre que le terme même de gentrification fait controverse.
Cependant, comment expliquer l’utilisation si faible de ce mot ? Et dans ce cas, quels sont le substituts que l’on peut employer pour évoquer la même idée ?
Lors de la prise de contact avec les acteurs des controverses et des entretiens avec ceux-ci, nous avons été amenées plusieurs fois à nous détourner du mot gentrification qui apparaîssait parfois soit trop scientifique, soit trop négativement connoté. Nous avons préféré parler de « la mixité sociale liée à l’arrivée de nouveaux habitants », mais aussi de « changements urbains dans un quartier populaire », parfois de « lutte urbaine pour l’habitat », d’« embourgeoisement d’un quartier » ou encore « d’arrivée de catégories socio-économiques plus aisées » .
Prenons l’exemple d’un substitut. Ce nuage de points permet d’analyser le corpus d’articles issus de la presse généraliste. La presse généraliste, comme mentionné dans le premier graphique, n’utilise que très peu le terme gentrification dans les articles du corpus. Cette analyse permet alors de voir l’une des expressions les plus souvent associées à la gentrification dans la presse : la rénovation urbaine. Aussi, on observe par la densité de liens qui l’entoure que c’est également une expression qui permet de rassembler de nombreuses idées autour de la gentrification.
Nous avons pu ensuite prendre pleinement conscience du caractère « controversé » du sujet. Si l’on reprend l’exemple de la rénovation urbaine, alors même qu’elle peut apparaître comme une bonne chose à première vue (amélioration ou reconstruction du bâti, amélioration des conditions de vie, développement de commerces, …), elle peut aussi avoir un aspect négatif pour les habitants car toute rénovation implique une hausse des prix. C’est ainsi par la rénovation urbaine que le processus de gentrification prend forme puisque de nouvelles catégories de populations, plus aisées, viendront s’installer sur ces territoires.
Nous avons également été confrontées au choix de l’échelle géographique.
Prenons l’exemple de la question de la mixité sociale : comment cohabitent les différentes population ? A l’échelle d’une ville comme Paris, la mixité sociale existe puisqu’il y a plusieurs quartiers avec des populations issues de catégories sociales différentes. En revanche, à l’échelle d’un quartier qui connait un processus de gentrification, la question de la mixité sociale, revêt différent aspects (voir article sur la mixité sociale).
Ainsi, nous avons décidé de nous concentrer sur la ville de Paris et sur « la petite couronne » car les acteurs rencontrés se concentraient sur des cas plus locaux comme le quartier de Belleville à Paris ou encore la ville d’Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne.
De plus, il s’est avéré qu’une étude transnationale de la gentrification nous semblait difficile. Les premières études historiques sur la gentrification portant sur des villes anglaises ou américaines (Londres, Boston), elles ne nous permettaient pas d’analyser la controverses autour du cas Parisien. La gentrification à Paris s’est faite relativement plus tardivement et par dessus tout, le modèle de ville européen est très différent des modèles américains ou anglais.
Enfin, ce dernier graphique qui débute dans les années 1960 montre que la controverse sur la gentrification est un débat qui prend de plus en plus d’ampleur. En effet, la période 2010-2015 apparaît comme le moment où le plus d’articles ont été publiés à ce sujet. Nous sommes donc face à un processus assez récent quant à son traitement, aussi bien dans la presse scientifique que généraliste.
La gentrification semble donc être davantage une controverse scientifique. Nous nous sommes alors intéressées également aux personnes qui vivaient ce phénomène, d’où nos rencontres avec des associations de quartier qui constituaient les portes paroles de personnes assez peu entendues dans la controverse. En effet, même dans la presse généraliste (en violet), il s’agit souvent d’interviews d’acteurs scientifiques tels que des sociologues ou des géographes, et quelques fois d’acteurs politiques, mais rarement d’habitants eux-mêmes.
Nous avons pu saisir de cette manière les lieux et les principaux acteurs de la controverse.