La régulation de la gentrification

La gentrification est-elle un processus maîtrisable ?

Quelle régulation de la gentrification ?

La gentrification est un processus à la fois complexe et aux multiples facettes. Ce phénomène décrit l’emménagement de certains ménages dans certains quartiers. Il est traversé par des logiques individuelles et collectives. Individuelles car en France, les personnes sont libres d’habiter là où elles veulent (et donc là où elles peuvent). Collectives, car les différentes politiques menées par les équipes municipales, les régions ou le gouvernement façonnent les territoires et donc  leur attractivité.

Par exemple, les différentes lois sur le logement social ou les programmes de rénovation urbaine façonnent certains quartiers (selon les choix municipaux). Ainsi, si on ne peut pas forcer des personnes à habiter quelque part, on peut les y inciter. Dès lors, il apparaît une tension entre les ressorts individuels des choix d’habitation, les politiques mises en place pour maintenir les catégories populaires dans certains quartiers et celles de rénovation augmentant mécaniquement la valeur du bien foncier et son attractivité.

La gentrification est-elle un phénomène maîtrisable ? Peut-on agir sur les choix d’habitation des ménages et empêcher le renouvellement de population dans les quartiers concernés ?

Cartographie des acteurs :

Carto IV b

Un équilibre difficile entre politique de rénovation et maintien des population

 

rénovation urbaine
Emergence d’un concept majeur de la gentrification : « la rénovation urbaine », analyse de la presse généraliste, Gargantext

L’analyse par le logiciel Gargantext des termes récurrents dans le corpus d’articles de presse sur la gentrification que nous avons constitué montre que le terme de « rénovation urbaine » est central dans la controverse, pourquoi ?

  • Concilier rénovation et maintien des habitants

La mairie de Paris est concernée par cet équilibre difficile. Lors des opérations de rénovation urbaines, les habitants sont relogés le temps des travaux ou peuvent rester sur place si cela est possible. Un effort est fait pour que la hausse des loyers qui suit la rénovation soit inexistante ou supportable pour les ménages initialement présents. L’objectif est que les populations qui ne souhaitent pas partir puissent rester, tout en ayant accès à des conditions de vie décentes et améliorées. Mais la municipalité souligne le fait que ces opérations amènent de nouvelles populations dans les quartiers concernés et que cela est inévitable.

Pour la mairie d’Ivry, le processus de gentrification dans cette ville est parfaitement contrôlé, voire même inexistant. Lors de la construction de nouveaux logements, la priorité d’accession est donnée aux anciens habitants. Dans le cadre de rénovations urbaines, là aussi, la mairie dit s’efforcer de reloger tous les anciens locataires. Il existe également une politique de construction de logements sociaux.

Selon l’ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine), le PNRU (programme national de rénovation urbaine) offre l’opportunité d’une nouvelle politique de la ville qui consisterait à reconstruire la ville avec les habitants en améliorant les conditions de vie et l’attractivité du quartier, ou de l’espace en question. Ainsi  » il ne s’agit pas de « faire passer » la démolition, mais de se saisir d’elle comme d’une opportunité pour construire quelque chose de vraiment nouveau avec les familles » (Fiche repère n°1 juillet 2007, « La concertation dans un projet de rénovation urbaine »).

La rénovation urbaine doit donc pour l’ANRU recréer les conditions d’une « mixité sociale naturelle , c’est-à-dire qui ne relèverait ni du vœux pieux (et souvent factice) de certains, ni de l’injonction administrative »(Fiche repère n°1 juillet 2007, « La concertation dans un projet de rénovation urbaine ». Derrière ces objectifs de moyenne ampleur se trouverait tout l’enjeu du renouvellement des politiques de la ville – dans un souci de développement durable du quartier -, d’où la nécessité de l’implication de ces habitants.

Le projet de l’ANRU passerait par la prise en compte du passé du quartier, par la revalorisation des institutions (les habitants auraient tendance à se méfier de l’administration publique en général), et enfin par la modification des pratiques des acteurs, notamment en tant que parents d’élèves. La mixité sociale serait alors plus facilement atteignable si les parents acceptaient de laisser leurs enfants dans les écoles de quartier. Cependant « on ne « concerte » pas « en passant » mais dans un cadre organisé » (Fiche repère n°1 juillet 2007, « La concertation dans un projet de rénovation urbaine »). « Il faut montrer aux habitants qu’ils peuvent avoir confiance, et les inciter à participer, jusqu’à même créer une nouvelle culture de la participation » (Fiche repère n°1 juillet 2007, « La concertation dans un projet de rénovation urbaine »). Ainsi, l’ANRU veut concilier la rénovation urbaine avec l’implication et donc le maintien des populations. Cet équilibre passe aussi par la volonté de « rendre localement les arbitrages entre développement économique, vie sociale et inscription environnementale » (Fiche repère n°1 juillet 2007, « La concertation dans un projet de rénovation urbaine »).

  • Une difficile conciliation ?

Pour Catherine Rhein, les équipes municipales sont prises dans des contradictions. Selon la géographe, il est en même temps impératif de renouveler le parc de logement social, parfois très vétuste et de mauvaise qualité, mais ces rénovations font de facto augmenter le prix des loyers. La deuxième contradiction dans laquelle les équipes municipales sont prises, soulignée également par Ivry sans Toi(t), est que les mairies sont tiraillées entre les intérêts électoraux, nécessaires au renouvellement urbain et les pressions venant des promoteurs immobiliers. Catherine Rhein insiste également sur le fait qu’il est compliqué de garder des populations très pauvres dans le cœur des villes aujourd’hui du fait de la pression immobilière

Pour le collectif Ivry sans Toi(t), « rénovation ne doit pas rimer avec expulsion » (Ivry sans Toi(t), entretien). Les populations doivent pouvoir être maintenues dans leur lieu d’habitation si elles le désirent, la mairie d’Ivry ne tiendrait pas ses promesses en ce qui concerne le maintien des catégories populaires dans leurs quartiers une fois que ceux-ci sont rénovés.

Quels outils utiliser pour maîtriser la gentrification?
  • Favoriser le logement social ?
logements sociaux
Les logements sociaux au centre de la controverse, analyse de la presse généraliste, Gargantext

L’analyse du corpus d’articles de presse montre aussi que le logement social est au cœur de la controverse :

Selon la Mairie de Paris, la meilleure arme (et une des seules à leur disposition ) pour lutter contre l’expulsion des catégories les plus pauvres est la politique de logement social. Le logement social permettrait de « fixer » les populations populaires à Paris. La mairie essayerait d’augmenter le stock de logement social, c’est le seul moyen dont elle dispose pour réguler l’expulsion et/ou le départ des catégories les plus pauvres puisqu’elle n’a aucun pouvoir sur le parc privé. L’idée est de permettre au catégories populaires de continuer à vivre à Paris, et ainsi de gagner des habitants.

D’après les membres de la Commission cadre de vie du COnseil de quartier de Belleville, l’existence de logements sociaux est sans conteste une manière de limiter le phénomène de gentrification, ou plus précisément le départ des populations les plus pauvres.

En effet, selon Bruno Cousin, tant que les logements sociaux sont maintenus, et même s’ils finissent par être davantage habités par des populations aux revenus moyens, une certaine mixité et protection des populations peuvent demeurer.

  • Encadrer les loyers?

Anne Clerval propose d’encadrer les loyers du parc privé afin de freiner le phénomène. A Ivry par exemple, une politique de prix maitrisés pour le logement a été mise en place afin d’éviter la spéculation.

Cependant, selon le Collectif Ivry sans Toi(t), les effets d’une telle politique ne sont que temporaires : en effet, « on ne peut pas maintenir une telle politique ad vitam æternam » (Ivry sans Toi(t), entretien). Dès que les prix ne seront plus encadrés, les prix connaîtront une très forte hausse, puis de la spéculation apparaîtra. Finalement « les habitants des catégories populaires partiront car on leur proposera une très belle somme pour leur logement  » (Ivry sans Toi(t), entretien).

  • La lutte globale contre les inégalités sociales

Selon Anne Clerval, le véritable problème posé par le phénomène de gentrification est celui des inégalités sociales. Selon elle, seule une lutte contre ces inégalités et en particulier contre leur accroissement permettre d’éviter le remplacement des populations. La gentrification ne serait donc qu’une manifestation d’un problème bien plus global et on ne pourra lutter contre la gentrification sans se pencher sur ce problème général. Elle propose tout de même d’encadrer les loyers du parc locatif privé afin de freiner le phénomène.

 «Aujourd’hui, on parle de mixité sociale au lieu d’essayer de réduire les inégalités» (Anne Clerval, Paris sans le Peuple, 2013)

Les limites de ces outils : des logiques individuelles rationnalisables, mais sont-elles contrôlables ?
  • Le logement social : une solution ?

Pour la Mairie de Paris, le logement social n’est pas une solution parfaite car la gentrification est déjà à l’œuvre et en développement dans les quartiers populaires. Cependant, le logement social est la solution pour maintenir les catégories sociales les moins aisées au cœur de Paris : « que faire sinon » ?

Selon le Collectif Ivry sans Toi(t), « le logement social est de fait un argument : il suffit de prononcer le mot pour éteindre le débat. Le logement social comme équipement public, c’est un prétexte marketing de justification » (Ivry sans Toi(t), entretien). Il y a de plus plusieurs types de logements sociaux, correspondant à des gammes de salaires différentes : le logement social ne serait donc pas forcément synonyme de « maintien des catégories populaires » (Ivry sans Toi(t), entretien).

Bruno Cousin affirme que le risque d’éviction des populations plus pauvres serait bien plus grand si, par exemple, la ville de Paris en venait à placer la plus grande partie de ses logements sociaux à l’extérieur de son enceinte.

  • Les logiques individuelles

Un point fait consensus : on ne peut pas forcer les habitants à habiter quelque part. Laurent Vimont relève que les ménages font avant tout leurs choix sur le prix et la localisation du logement. Pour la Mairie de Paris, si on peut essayer de « rationnaliser » les choix d’habitation, « on ne pourra pas empêcher un ménage qui souhaite habiter dans un espace plus grand de partir » (Mairie de Paris, entretien).

  • Vers la fin des quartiers populaires ? La gentrification, une maitrise impossible ?

Selon Anne Clerval, l’expulsion totale des catégories populaires est une étape inévitable de la gentrification. Elle souligne aussi le fait que les classes populaires sont expulsées de leurs logements par la gentrification, mais aussi de l’espace publique : elles sont ainsi rendues invisibles.

Pour la Mairie de Paris, il restera toujours des quartiers populaires à Paris. 1/7 des habitants de Paris serait issu des catégories populaires et comme le souligne le géographe Jacques Levy, « A Paris le niveau de mixité social est de loin le plus élevé » (Vincendon Sibylle, « A Paris, le niveau de mixité est de loin le plus élevé », Libération, 24/10/2013). De plus, la Mairie de Paris aurait intérêt à essayer de maintenir les catégories populaires dans la ville : elles représentent de nombreuses « ressources pour la ville en culture, en jeunesse, en réussite et en talent » (Mairie de Paris, entretien). La Mairie de Paris a d’ailleurs lancé une grande opération de communication intitulée « Paris mise sur ses quartiers populaires » (Mairie de Paris, entretien) et les aurait érigés en « priorité » (Mairie de Paris, entretien).

Les MUST-GO zones de Paris, Source : site internet de la ville de Paris, lien : http://www.paris.fr/accueil/Portal.lut?document_id=154287&image_number=2