Célia : Notre première question, assez générale, ce serait : à qui on prescrit des antidépresseurs ? Comment est-ce qu’on diagnostique un dépressif ?
MDD : Alors, le diagnostic est clinique, forcément. C’est-à-dire qu’on utilise… dans le discours de la personne qui vient nous parler, on décrypte un certain nombre de signes, dans son comportement aussi, et c’est un ensemble d’arguments…Mais il n’y a pas d’examen complémentaire qui permet de le confirmer, c’est-à-dire que ça ne se voit pas sur un scanner ou un électroencéphalogramme ; il n’y a aucun examen paraclinique qui authentifie la maladie.
~Entretien avec Marie-Dominique Dufresne, psychiatre et psychanalyste
Le diagnostic du dépressif semble peu aisé. Comment percevoir et interpréter les signes de dépression ? S’il y a une chose sur laquelle tout le monde s’accorde, c’est le fait qu’il existe certains comportements et discours qui se retrouvent fréquemment chez les dépressifs. Pour autant, chaque cas est unique.
- Les systèmes de diagnostic chiffrés.
Si chaque cas est certes unique, de nombreuses similitudes ont pu être relevées dans les comportements et les discours des dépressifs. Cela a permis à certains psychiatres d’établir des grilles de critères permettant de juger de l’état dépressif du patient en évaluant la présence de ces « symptômes ».
D’après Marie-Dominique Dufresne, les critères sont divisés en trois catégories :
- La défaillance des conduites instinctuelles : sommeil, appétit, libido
- L’inhibition psychique et motrice : mouvements lents, faciès figé, difficultés à réfléchir, à faire de l’humour…
- La tristesse de l’humeur : mal être, pessimisme…
- Le DSM
Le DSM, Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders est un manuel publié par l’Association Américaine de Psychiatrie. Ce manuel prétend permettre de diagnostiquer les différents troubles mentaux. Pour cela, il ne se base pas uniquement sur une liste de comportements prétendument distinctifs et se divise en cinq grands axes :
- Axe I : Les troubles majeurs cliniques
- Axe II : Les troubles de la personnalité et le retard mental
- Axe III : Aspects médicaux ponctuels et troubles physiques
- Axe IV : Facteurs psychosociaux et environnementaux
- Axe V : Echelle d’Evaluation Globale du Fonctionnement
- Echelle de dépression d’Hamilton
L’échelle de dépression d’Hamilton – ou plutôt le test de dépression d’Hamilton – se présente sous la forme d’une grille de questions relatives au patient et à remplir par le praticien. A chaque réponse est associé un certain nombre de points qui sont ensuite additionnés. Le total de ces points est comparé à des seuils correspondant à des niveaux de dépression. Une prescription est enfin recommandée pour chaque seuil. (nécessité d’un suivi psychologique régulier, internement, etc…)
Cliquez ici pour faire le test d’Hamilton.
Ces systèmes de diagnostic sont bien entendu appliqués avec plus ou moins de rigueur. Marie-Dominique Dufresne nous confirme que les grilles d’évaluations ne sont que des outils que chacun utilise à sa manière :
Amar : Est-ce que vous avez une grille d’évaluation, des paramètres qui vous permettent de diagnostiquer, ou est-ce que vous le faites à partir de certains critères que vous connaissez a priori ?
MDD : Ce n’est pas a priori, on les apprend ! Les critères sont au groupe de trois. Il y a d’abord ce qu’on appelle les conduites instinctuelles : le sommeil, l’appétit, la libido. Le deuxième groupe de critères, c’est l’inhibition psychique et motrice, parce que la dépression entraîne un ralentissement des fonctions à la fois psychiques et motrices : c’est souvent des gens qui se meuvent lentement, qui ont un faciès qui est figé… bon, qui est souvent triste, mais… Au niveau psychique, l’inhibition, c’est plus des difficultés à réfléchir, à faire de l’humour, à retrouver des choses par la mémoire, ce genre de choses. Et la troisième catégorie de symptômes, c’est la tristesse de l’humeur. C’est souvent des gens qui ont des ruminations tristes, qui pensent que la vie ne vaut pas le coup, que s’ils n’étaient pas là, ce serait mieux, etc…
Du coup, c’est ces trois classes de symptômes-là qui sont des éléments diagnostiques.
Amar : D’accord, donc c’est assez bien structuré.
MDD : En fait, il y a aussi des échelles, mais je ne les pratique pas. Mais il y a des échelles diagnostiques…
~Entretien avec Marie-Dominique Dufresne, psychiatre et psychanalyste
Par ailleurs, si l’on reprend les trois catégories de critères de Marie-Dominique Dufresne (la défaillance des conduites instinctuelles, l’inhibition psychique et motrice, la tristesse de l’humeur), on remarque que seuls les critères de la deuxième catégorie sont facilement repérables indépendamment du patient. Les informations concernant les première et troisième catégories nécessitent, elles, une véritable coopération. Les grilles de diagnostic n’exemptent donc pas totalement d’une écoute thérapeutique.
C’est en partie pour cela que les systèmes chiffrés sont très souvent critiqués. Leurs plus féroces opposants sont les psychothérapeutes et psychanalystes qui ne comprennent pas comment il est possible de répartir le monde en un nombre fini de classes. Ils préfèrent faire prévaloir l’instinct et l’expérience aux grilles de critères.