Méthodes Alternatives

Introduction : Pourquoi les méthodes substitutives ?

Appliquées à grande échelle, les méthodes substitutives à l’expérimentation animale pourraient sauver de nombreuses vies humaines et épargner des tortures et des souffrances inutiles à des millions d’animaux.

D’après La Montagne du 25/06/2014 [1.15]

  Si l’on ne peut pas se passer de la recherche, peut on se passer de conduire nos expériences sur des animaux ? Il y a t-il une vraie recherche sur l’emploi de nouvelles méthodes ?

Quelles autres méthodes d’expérimentations seraient exploitables ?

Non, des recherches in silico et in vitro ne peuvent pas se substituer à la recherche sur l’animal. Oui, les modèles animaux sont nécessaires afin de comprendre le fonctionnement d’un organisme vivant, l’évolution des espèces, et pour tester de nouveaux traitements.

Luc Buée et al., dans Le Monde du 13/05/2015 [1.14]

L’apparition et le développement de méthodes alternatives répondent à plusieurs besoins. Leur utilisation et la nécessité de leur développement fait consensus, que ce soit au sein de la sphère privée ou publique. Tout d’abord, leur usage peut permettre une réduction des coûts liés à une expérience. En effet, l’usage d’animaux demande beaucoup de travail et de temps en amont à cause de l’élevage et nécessite donc d’avoir du personnel qualifié pour cette tâche, mais il faut aussi disposer de personnel formé pour l’acte d’expérimentation animale lui-même, qui est de plus en plus encadré. Recourir au travail sur l’animal nécessite aussi la validation du protocole par un comité d’éthique, ce qui va ralentir la mise en place de l’expérience.

De plus, en réduisant le nombre d’animaux utilisés, voire en permettant de se passer complètement de l’animal dans certains cas, ces méthodes répondent à un certain nombre de questions éthiques qui font partie des préoccupations de la sphère publique. C’est par exemple le cas pour l’industrie cosmétique, dans laquelle l’expérimentation animale est aujourd’hui interdite.

Mais des désaccords résident dans leur capacité à remplacer totalement l’expérimentation animale.

On ne peut pas remplacer la recherche sur l’animal par des méthodes alternatives dans toutes les circonstances, parce que les éléments à reproduire sont trop complexes. Les modèles animaux évoluent au cours du temps et, surtout, ils permettent d’apporter des réponses que l’on n’est pas capable d’anticiper dans des modèles simplifiés.

François Lachapelle, président du Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche

 

Il est temps de cesser de se référer à la recherche animale et d’utiliser les méthodes dites « alternatives » (par les autorités), en fait les méthodes véritablement scientifiques et fiables pour l’homme

Hélène Sarraseca, cofondatrice et directrice administrative d’Antidote Europe

 

Quelles sont les différentes méthodes d’investigation ?

Les méthodes In vivo

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L’expérimentation in vivo n’est pas à proprement parler une méthode substitutive puisqu’elle est de l’expérimentation animale. Cette appellation met l’accent sur le fait qu’elle est réalisée en prenant en compte au maximum le bien-être de l’animal. Cet aspect est pris en compte au moment de l’expérience, mais aussi en amont, dans tout le traitement de l’animal. Elle est normalement réalisée par du personnel qui a suivi une formation validée par l’État. 

« Les personnes effectuant des expériences ou y prenant part, ainsi que les personnes assurant les soins aux animaux utilisés dans des expériences, y compris les personnes chargées des mesures de supervision, doivent avoir reçu un enseignement et une formation appropriés. En particulier, les personnes qui effectuent ou qui supervisent le déroulement des expériences doivent avoir bénéficié d’une formation relevant d’une discipline scientifique ayant trait aux travaux expérimentaux entrepris et être capables de manipuler et de soigner les animaux de laboratoire; elles doivent en outre avoir apporté la preuve à l’autorité qu’elles ont atteint un niveau de formation suffisant pour pouvoir accomplir leur travail. »

Article 14 de la directive européenne du 24/11/1986

Cette forme d’expérimentation vient en réponse à la phrase du professeur Jean-Claude Nouët, médecin biologiste, vice-doyen de la faculté de médecine Pitié- Salpêtrière et président de la LFDA de 1991 à 2012 :

« N’importe qui pouvait faire n’importe quoi n’importe comment. »

Le terme in vivo marque donc le passage d’une expérimentation incontrôlée à une pratique encadrée et soucieuse du bien-être de l’animal. Ces méthodes sont à distinguer des méthodes ex vivo, qui consistent à prélever des tissus d’animaux vivants, ou encore des méthodes d’investigation sur animaux morts, qui restent une forme d’expérimentation animale.

Les méthodes In vitro

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L’expérimentation in vitro désigne le travail sur un matériel cellulaire cultivé préalablement en laboratoires. Elle est notamment utilisée pour étudier des réponses à l’échelle cellulaire et infra-cellulaire. Elle est très utilisée en reconstruction de tissus par voie de « co-culture », c’est à dire une production simultanée des différentes cellules composant le tissu à recomposer, ou par voie de cultures séparées. Les avancées des méthodes in vitro sont notoires en ce qui concerne les tissus oculaires ou cutanés. C’est notamment ce qui a permis aux firmes cosmétiques de se passer d’un travail préalable sur l’animal.

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« Although these models cannot currently replace classic safety evaluations performed on laboratory animals, they allow compounds with unacceptable toxicity to be rejected in the early stages of drug development, thereby reducing the number of laboratory animals needed. »

(2009) In silico, in vitro, in omic experimental models and drug safety evaluation [2.2]

Les méthodes In silico

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Le in silico désigne les méthodes numériques. Il s’agit non plus de tester sur des organismes entiers ou des cultures de bactéries ou virus, mais de modéliser numériquement les organismes et d’effectuer une batterie d’expérience grâce à ces modèles. Cela suppose donc une connaissance très précise de ce que l’on veut tester puisque si un type d’interaction est encore inconnu et donc non intégré dans le modèle, les calculs numériques ne pourront prendre en compte ses effets et les tests seront donc faussés. De plus malgré l’explosion de la puissance de calcul numérique de ces dernières années, la complexité des organismes rend actuellement impossible la modélisation complète d’un organisme. Ainsi toute modélisation numérique et donc méthode in vivo passe par une étape de simplification pour permettre d’être capable d’effectuer des calculs suffisamment précis. Dès lors surgissent les difficultés d’estimer la valeur de tests in vivo, valeur qui dépendra donc de la bonne connaissance de ce que l’on veut tester i-e de l’exhaustivité des interactions à prendre en compte ainsi que de la précision des calculs.

« Computers can do amazing things. But even the most powerful computers can’t replace animal experiments in medical research. »

Professor Stephen Hawking Seriously Ill for Medical Research, 1996

Des méthodes alternatives nécessaires et suffisantes?

Les méthodes alternatives, seules méthodes d’expérimentation viables?

 

« Je n’utilise pas le mot « alternatives », parce qu’il désigne normalement quelque chose qui remplace quelque chose qui marche déjà très bien, mais qui est un peu mieux – tant dis que pour moi, l’expérimentation animale est une méthode non scientifique, non fiable, qui est en faillite. Pour moi, il s’agit de méthodes de substitution »

André Ménache

Antidote Europe adopte un point de vue particulier en ce qui concerne la recherche de méthodes alternatives. Celles-ci sont en effet nécessaires, en tant que seules méthodes d’expérimentation valable et dont les résultats sont applicables à l’homme. Mais en plus d’être perçue comme inefficace, l’expérimentation animale est perçue comme contre-productive pour la recherche dans le domaine de la santé :

« It describes how tamoxifen, one of the most effective drugs for certain types of breast cancer, “would most certainly have been withdrawn from the pipeline” if its propensity to cause liver tumor in rats had been discovered in preclinical testing rather than after the drug had been on the market for years. »

Dr Aysha Akhta, neurophysiologiste

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Formule du tamoxifène, source image

Enfin, cette dangerosité est accentuée par un mauvais choix possible des animaux de test, volontairement ou non (Voir l’onglet validité de l’expérimentation animale).
L’expérimentation animale n’aurait donc plus lieu d’être, et doit disparaître au profit des méthodes alternatives, qui pourraient, d’après André Ménache, atteindre des taux de de prédiction bien supérieurs aux taux actuels : « en investissant de l’argent etc. dans le développement des méthodes substitutives, on va arriver un jour à 90 %, 95 % » (Le taux actuel de prédiction de l’expérimentation animale avancé par M. André Ménache est de 30%).

 

L’expérimentation animale, justifiée par un domaine d’utilisation?

 

Bien qu’un consensus existe quant à l’utilité des méthodes alternatives, un argument récurrent en faveur de la poursuite de l’utilisation de l’expérimentation est la difficulté de modéliser la réponse d’un organisme dans son ensemble. Il émerge en effet deux types de prédictions difficiles à réaliser avec les méthodes alternatives, voire impossible à réaliser avant plusieurs dizaines d’années selon Georges Chapouthier et Jean-Louis Touraine :

  • Les effets recherchés à échelle du corps entier comme l’effet d’un somnifère sur un organisme. Ainsi, Georges Chapouthier déclarait : « Prenons par exemple un somnifère, un ordinateur ne pourra pas prévoir son efficacité car ce phénomène résulte de trop de facteurs, en revanche si celui-ci marche sur la souris, je suis prêt à vous parier qu’il marche aussi sur l’homme. » Actuellement, quand bien même nous serions capables de modéliser parfaitement numériquement les interactions dans un organisme, nous manquerions de puissance de calcul pour pourvoir expérimenter in silico sur un organisme entier. De même les méthodes in vitro permettent par nature de tester des effets locaux et ne rendent pas compte du devenir d’une molécule dans un organisme entier.
  • Les effets secondaires indésirables dus au devenir des molécules dans l’organisme après circulation pendant plusieurs jours dans un organisme, Jean Louis Touraine affirme d’ailleurs que « Avec une culture de cellule, le risque est plus grand du fait de l’absence de production de la totalité des métabolites, vous aurez votre molécule mais pas tous les produits de cette molécule, et vous n’aurez pas accès aux effets de concentration locaux qui peuvent apparaître après plusieurs jours de traitements »

L’ancien directeur général du ‘Medical Research Council’ au Royaume-Uni, le professeur Colin Blakemore, a déclaré que « [les primates] ne sont utilisés que lorsque aucune autre espèce et aucune autre alternative ne peuvent fournir les réponses à des questions sur des maladies telles qu’Alzheimer, les accidents vasculaires cérébraux, la maladie de Parkinson, les lésions de la moelle, des troubles hormonaux, et les vaccins contre le VIH »

Le développement des méthodes alternatives, complémentaire à l’expérimentation animale?

 

L’article [2.18] met en avant que les études utilisant des méthodes in vitro et in silico sont principalement utilisées dans le domaine de la toxicologie, puisque ce domaine ne nécessite pas forcément une réponse complète de l’organisme. Or, ces expérimentations sont marginales en nombre d’animaux utilisés. Elles représentent moins de 10% du total des animaux utilisés. Les domaines qui emploient le plus grand nombre d’animaux sont la recherche en biologie fondamentale (38,1%) et la recherche en médecine humaine, vétérinaire et dentaire (22,8%).

 

« Différents domaines d’application de l’expérimentation » [2.18]

De plus, cet article insiste sur la complémentarité entre le développement des méthodes alternatives et celui de l’expérimentation animale. En effet, le développement de ces méthodes substitutives, et notamment des méthodes in silico, est intimement lié à l’amélioration de l’expérimentation animale.

« On notera qu’ils [les progrès des méthodes in silico] sont liés à l’amélioration des modèles in vivo et in vitro, et bien sûr à l’optimisation de l’organisation du partage des connaissances tant sur le plan juridique que sur le plan des systèmes d’information »

[2.18]

Si ce point est contesté par André Ménache, qui estime que les résultats issus de l’expérimentation animale n’ont aucune valeur, il y a un consensus sur l’importance du partage de l’information entre les différents organismes de recherche. C’est entre autre pour cela qu’a été créé le réseau Antiopes.

 

Un consensus : les méthodes alternatives, une pratique insuffisante

 

S’il y a désaccord quant à la portée des méthodes alternatives, il y a consensus sur le manque de pratique de celles-ci. En effet, que ce soit Jean-Louis Touraine ou Georges Chapouthier, les deux déplorent un manque de recherche dans ce domaine. « On manque de recherche là-dessus [les méthodes alternatives] » déclare Jean Louis Touraine. De même Georges Chapouthier nous confie « je déplore le manque de recherches portant sur des méthodes alternatives ».

Cela est dû à plusieurs facteurs :

D’une part un manque de financement. Il n’existe actuellement aucun prix dédié à la recherche de méthodes alternatives venant du secteur publique.

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Aujourd’hui, seule la LFDA attribue un prix : Le Prix de biologie Alfred Kastler, qui a été fondé en 1984 à la mémoire du Professeur Alfred Kastler, prix Nobel, membre de l’Institut, cofondateur de la LFDA et son président de 1979 à 1984. D’un montant de 4000 €, ce prix est destiné à encourager la recherche et l’application de méthodes évitant l’utilisation expérimentale traumatisante de l’animal: « Bien que la LFDA offre une récompense tous les deux ans au groupe de chercheurs ayant fait le plus avancer le domaine de recherche des méthodes alternatives, la LFDA est une institution privée et il y a un manque d’incitation venant du secteur publique. » déclare Georges Chapouthier .

« Il y a un manque d’incitation venant du secteur publique ! »

Georges Chapouthier

 

D’autre part le manque de développement des méthodes alternatives s’explique aussi par un manque de reconnaissance vis-à-vis de la découverte de celles-ci. Ceci est étonnant puisque les méthodes alternatives définissent de nouveaux outils de recherche et « on fait [aussi] souvent des progrès grâce à des outils nouveaux », Jean-Louis Touraine.

Enfin ces méthodes mettent longtemps à être approuvées. Ces méthodes doivent en effet être validées par EURL-ECVAM, un ensemble de laboratoires européens dont on a confié la validation des méthodes alternatives. Pour cela elles passent une batterie d’épreuves avant d’être validées.

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Et quand bien même, elles le deviennent André Ménache dénonce la réticence des entreprises à y avoir recours :

« Les industriels répondent : « […] On n’a pas l’habitude, on ne va pas changer nos habitudes… » »

Ce que confirme par ailleurs M. Touraine :

« Si vous découvrez une nouvelle méthode in vitro cela met des années et des années avant que celle-ci ne remplace vraiment l’ancienne méthode car les autorités ont peur de passer que la nouvelle méthode passe à côté d’un effet secondaire. »

Ainsi s’il y a débat sur le champ d’application des méthodes alternatives, tous les acteurs que nous avons pu rencontrer ont exprimé leur souhait de voir ces méthodes se développer et envahir nos laboratoires.