Validité de l’expérimentation animale

Introduction

 

Les études faites sur les animaux (test d’un médicament, par exemple) ne permettent pas de prédire la réaction humaine. Elles sont donc inutiles.

Extrait de Dix Mensonges sur l’Expérimentation Animale, Antidote Europe

Peut-on se fier à l’expérimentation animale? Est-il pertinent de tirer des conclusions d’expériences effectuées sur des souris?

Dans quelle mesure peut-on se fier aux résultats de l’expérimentation animale ?

Renoncer à la recherche animale nous précipiterait dans l’obscurantisme qu’est le reniement de la liberté offerte par la science et de ses découvertes sagement encadrées par les règles de l’éthique et de la démocratie.

Luc Buée et al., dans Le Monde du 13/05/2015 [1.14]

Il est essentiel de s’interroger sur la validité de l’expérimentation animale car c’est elle qui justifie le bien-fondé de l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques. En effet, si le modèle animal n’est pas valable pour étudier l’homme alors pourquoi y avoir recours et faire souffrir inutilement d’autres êtres sensibles ? C’est cette question qui divise la presse et les scientifiques.

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Pourquoi expérimenter sur des animaux ?

 

Le modèle animal a longtemps été utilisé pour décrire l’Homme et pour pouvoir anticiper ses différentes réactions, par exemple au contact de produits chimiques ou suite à une contamination. C’est une tradition qui est fortement ancrée dans le monde médical et dans ses pratiques.

Grâce à Claude Bernard et à ses expérimentations sur les animaux, il y a eu des progrès au niveau de la compréhension de mécanismes biologiques fondamentaux, comme la glycogénèse du foie. Claude Bernard est d’ailleurs considéré comme le père de l’expérimentation animale.  Selon André Ménache, président du comité d’éthique scientifique Antidote Europe : « A l’époque, [Claude Bernard] a réussi à convaincre les médecins, les chercheurs que l’expérimentation animale était quelque chose de très performant, avec des racines scientifiques. Il a vraiment convaincu la communauté scientifique. »

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Claude Bernard, source image

C’est donc grâce aux très nombreuses expérimentations effectuées par le passé qu’une partie de la communauté scientifique affirme que ce modèle est valide pour décrire l’Homme. C’est grâce aux animaux qu’on a pu développer un grand nombre de vaccins et de médicaments, qui sauvent aujourd’hui des vies, notamment grâce au vaccin contre la rage pour ne citer que lui. On expérimente donc sur l’animal en partie car il s’agit d’une tradition.

Mais une simple tradition n’explique pas 150 ans d’expérimentations animales. De nos jours, il est commun d’affirmer qu’il faut tester les molécules pour s’assurer de leurs effets. Ne pouvant le faire sur des humains, les scientifiques se sont rabattus sur les animaux. Selon André Ménache, cette idée remonte au début de la médecine expérimentale « d’abord, Claude Bernard comprenait que si on voulait étudier l’homme, il fallait étudier l’homme et pas le chien. Mais bien sûr, à l’époque, c’était interdit de faire des expériences sur les hommes – alors il a choisi l’animal. »

Des motivations récentes ont poussé à expérimenter sur l’animal. André Ménache ajoute que c’est lors du procès de Nuremberg jugeant des nazis ayant expérimenté sur des humains qu’ « on a décidé que désormais, il fallait tester tous les médicaments, toutes les substances chimiques et tout ce qui allait sortir sur le marché sur les animaux ».

Il reste à choisir le type d’animal sur lequel expérimenter. Comme le dit directeur de recherche au CNRS George Chapouthier« Dans environ 90 % des cas les animaux cobayes sont des rats ou des souris, ils ont été choisi car ils sont suffisamment proches de l’homme pour fournir des résultats probants, et suffisamment éloignés de nous pour ne pas s’y identifier au niveau émotionnel »

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C’est pourquoi apparaissent naturellement des questionnements moraux concernant nos droits vis-à-vis des animaux, ainsi que les droits dont ils disposent de leur côté. Ceci reflète un autre point important de cette controverse, portant sur le statut des animaux. Une part importante de la communauté scientifique admet qu’il est nécessaire d’expérimenter sur des animaux car les autres méthodes existantes, dites substitutives  ou alternatives, ne pourront jamais rendre compte de la complexité des interactions qu’ont les molécules avec un organisme entier : « on ne peut pas nier l’importance de l’expérimentation animale dans la recherche médicale car, bien que la modélisation numérique puisse aider dans certains cas bien précis et n’impliquant qu’un nombre limité de facteurs, il faut bien tester le comportement d’un médicament avec un organisme entier » selon George Chapouthier. Il ajoute que « le babouin est le seul animal qui reproduise un comportement semblable à celui humain, ainsi si on pense une molécule intéressante, on la testera à la fin sur des babouins. », et non sur un processeur d’ordinateur.

Il prend l’exemple d’un somnifère et soutient qu’un ordinateur ne pourra pas prévoir son efficacité car ce phénomène résulte de trop de facteurs, en revanche si celui-ci marche sur la souris, le biologiste est prêt à parier qu’il marche aussi sur l’Homme. 

Il semblerait donc que le modèle animal s’impose naturellement au sein de la communauté scientifique pour tester de nouvelles molécules, a minima à la fin d’un processus d’expérimentation. Pourtant, des scientifiques comme André Ménache critiquent des failles de ce modèle, qui peuvent s’avérer très contraignantes pour justifier de l’usage d’un animal à des fins expérimentales.

 

Quid de la proximité génétique entre l’Homme et l’animal ?

 

Un argument visant à valider l’expérimentation animale consiste à dire que nous sommes très proches génétiquement des animaux concernés. Jean-Louis Touraine, professeur de médecine et député français, nous précise qu’ « il y a 80% d’homologie, de proximité génétique, entre l’homme et la souris. Ce qui sert à l’un à de grandes chances de servir aussi à l’autre. »

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Mais il faut faire attention en tant que scientifique au mot similitude. André Ménache est en désaccord sur ce point avec Jean-Louis Touraine « nous partageons 50% de notre ADN avec une banane, et 23000 gènes avec les autres mammifères : par exemple, nous possédons le gène pour une queue, mais il est inactif chez l’homme. La question est celle de la façon dont travaillent les gènes : en groupe. Le chimpanzé est le meilleur modèle, avec qui nous partageons 98% de notre ADN ; or le chimpanzé est immunisé contre le SIDA, le paludisme, l’hépatite et à des cancers différents des nôtres. Alors quid des animaux encore plus éloignés de nous ? ». Ainsi, affirmer une proximité génétique entre deux espèces ne suffit pas pour valider un modèle animal. Il existe dans tous les cas des différences avec l’Homme, « d’où l’importance de la coopération entre les chercheurs et les vétérinaires pour comprendre ces différences. », d’après Jean-Louis Touraine.

« Il y a 80% d’homologie, de proximité génétique, entre l’homme et la souris. Ce qui sert à l’un à de grandes chances de servir aussi à l’autre. »

Jean-Louis Touraine

« Nous ne sommes pas des rats de 70 kg ! […] En sciences, le mot “similitude” ne vaut pas grand-chose. »

André Ménache

 

Des substances inoffensives pour certains animaux sont toxiques pour l’Homme

 

Aussi vieille que soit cette méthode et indépendamment du nombre de réussites qu’elle a eu, ce modèle animal présente donc des différences avec l’Homme. André Ménache précise que la plus grande erreur de Claude Bernard, « c’est qu’il pensait que le foie chez le rat, le chien et l’homme travaillaient exactement de la même façon, que c’était juste une question de taille : que le foie du rat est petit, celui du chien, un peu plus grand… mais que le foie était exactement le même : donc si on donnait une substance, du poison, à ces trois espèces, elles allaient réagir tout simplement selon la différence en taille, poids, etc » .

Il ajoute : « En tant que vétérinaire, je donne toujours aux gens l’exemple suivant : je ne vais pas tester un médicament destiné aux chevaux sur des perroquets ! Et les gens comprennent ça tout de suite, ils rigolent ! C’est évident ! Je réponds : alors pourquoi tester un médicament destiné à l’Homme sur des rats ? Nous ne sommes pas des rats de 70 kg ! » .

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Clinique La Sagesse à Rennes, source image

Ce rapprochement parfois abusif entre comportement humain et comportement animal peut engendrer des accidents graves. C’est le cas notamment lors de tests humains suite à des effets secondaires non présents sur les animaux. En janvier dernier, lors d’un essai clinique conduit à Rennes par Biotrial, un volontaire sain est mort et cinq autres ont été grièvement blessés, à cause d’un médicament validé suite aux tests animaux.

De même, certaines études portant sur la toxicité du bisphénol A et sur lesquelles s’était appuyée l’Union Européenne pour prendre des décisions législatives ont conduit à la conclusion selon laquelle il était inoffensif, alors qu’il a été interdit en France pour son caractère de perturbateur endocrinien. Ces études s’appuyaient sur des tests réalisés exclusivement sur une certaine race de rats choisie pour sa fertilité remarquable – une pilule contraceptive n’ayant pas d’effet sur ces rats. D’autres recherches ont été menées de façon indépendante sur des rats beaucoup plus sensibles aux perturbations endocriniennes, qui au contact du Bisphénol A sont, du moins généralement, devenus stériles. L’un des enjeux est ici économique : la première étude avait été financée par des industriels du plastique, soit les premiers producteurs de Bisphénol A. Voir le documentaire [6.1].

Il est fait mention dans l’article  Animals in the research laboratory : science or pseudo sience?  d’un vaccin efficace sur l’animal mais pas sur l’Homme : « In 1890, Koch further announced that a vaccine, Tuberculin, had been perfected which cured tuberculosis. Koch received the Nobel Prize in 1905 for his work. Several decades later, however, Koch and his research collaborators admitted that Tuberculincured tuberculosis in guinea pigs only, and had proven capable of causing the disease in healthy, human patients. » [2.5]

Catalano, qui est chercheur en Louisiane, propose un exemple plus récent encore d’extrapolation abusive de résultats sur animaux, utilisés à mauvais escient : « In a striking illustration of the inadequacy of animal research, scientists in the 1960s deduced from numerous animal experiments that inhaled tobacco smoke did not cause lung cancer (tar from the smokepainted on the skin of rodents did cause tumors to develop, but these results were deemed less relevant than the inhalation studies). For many years afterward, the tobacco lobby was able to use these studies to delay government warnings and to discourage physicians from intervening in their patients’ smoking habits. » [2.5]

Toute utilisation du modèle animal doit prendre en compte l’éventuelle non-détection des risques. Ceci permettrait de limiter des erreurs qui ne sont pas anecdotique : « These frightening mistakes are not mere anecdotes. The U.S. General Accounting Office reviewed 198 of the 209 new drugs marketed between 1976 and1985 and found that 52 percent had “ serious post approval risks ” not predicted by animal tests or limited human trials » [2.5] .

 

Certaines substances tuent des animaux mais sauvent l’homme

 

A l’inverse, des molécules curatives pour l’Homme peuvent être dangereuses ou inefficaces sur d’autres animaux. Ceci porte le nom de non détection de bienfaits ou de détection erronée de risques. C’est une inconnue de plus du modèle animal qui peut mener à des conclusions erronées pour le plus grand bonheur d’éventuels lobbys et le plus grand malheur de quelques patients, qui ne disposeront pas d’un remède : « And of course, it is impossible to estimate how many potentially useful drugs may have been needlessly abandoned because animal tests falsely suggested inefficacy or toxicity. » [2.5]

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Enfin, certaines substances ne se développent tout simplement pas pareil chez l’Homme et l’animal. Catalano fait état dans son article de résultats sur des singes qui ont fourni de mauvaises pistes et ralenti la recherche « the viral strains they had administered through the nose had artificially developed an affinity for brain tissue. The erroneous conclusion, which contradicted previous human studies demonstrating that the gastro intestinal system was the primary route of infection, resulted in misdirected preventive measures and delayed the development of a vaccine. » [2.5]

Le député Jean-Louis Touraine résume la différence fondamentale qui existe entre l’Homme et le modèle utilisé : « Il faut étudier chaque espèce telle qu’elle est. L’humain ne peut pas être transformé en animal et inversement ». Si cette consigne n’est pas respectée, les abus peuvent être nombreux. André Ménache nous met en garde : « pour l’industrie, il est préférable d’utiliser des animaux parce qu’on peut prouver n’importe quoi et l’inverse […] en choisissant l’espèce et la souche. »

Malgré l’efficacité globale que le modèle animal a eue pour anticiper les réactions de l’Homme, on constate qu’il existe des failles qui ne peuvent pas être ignorées. C’est pourquoi il convient de nos jours de considérer le rapport entre les bienfaits potentiels pour l’Homme et l’incertitude des tests effectués pour apprécier le modèle animal, tout comme Catalano qui déclarait en 1990 : « The National Academy of Sciences maintains that the use of animals is justified by the lessening of human suffering » . [2.5]

 

Évaluer le rapport entre intérêt pour l’homme et souffrance pour les animaux

 

L’expérimentation d’un produit sur des animaux permet de correctement modéliser l’effet qu’il aura sur les hommes. Cependant, ces tests ne sont pas sans failles. Elles sont d’ailleurs violemment décriées par André Ménache : « tester sur des animaux c’est pire que de jouer à pile ou face ». Toutefois, Jean-Louis Touraine souligne que l’expérimentation animale est parfois nécessaire, en effet « nous avons payé par le passé un lourd tribut, dû à des produits chimiques dont on ignorait la toxicité ».

Chaque expérimentation animale s’accompagne d’une incertitude quant aux conclusions que l’on peut émettre. Cette incertitude est à mettre en regard avec les bénéfices que l’on peut espérer tirer de ladite expérimentation.

On notera ici qu’on ne peut pas appliquer stricto-sensu le principe de précaution. Il voudrait que l’on ne mette sur le marché que des médicaments dont on serait assuré de leur non-nocivité. Or c’est impossible. Chaque médicament peut être toxique, à un certain degré, chaque traitement peut entraîner des complications. L’idée est de parvenir à évaluer correctement le rapport bénéfice espéré sur risque encouru. On souhaite évidemment que la valeur de ce rapport soit la plus élevée possible.

En ce qui concerne l’expérimentation animale le principe est le même. On évalue le rapport bénéfice espéré pour l’homme sur souffrance des animaux et on souhaite que ce rapport soit le plus grand possible. C’est-à-dire que les animaux souffrent le moins possible, voire pas du tout, et que l’homme en retire le plus grand bénéfice possible.

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Le problème est donc d’évaluer avec la plus grande précision possible le rapport bénéfice espéré sur souffrance animale.

Prenons l’exemple des cosmétiques. C’est un domaine où le bénéfice espéré est particulièrement faible. Au mieux, un bon produit cosmétique permettra à certaines personnes de s’embellir, alors qu’un bon médicament peut permettre de sauver des vies. Entre les cosmétiques et les médicaments, les bénéfices escomptés sont incomparables. C’est ce qui a poussé la commission européenne à interdire sur l’ensemble du territoire européen tous les cosmétiques faisant l’objet de tests sur des animaux (voir [4.3]).

De telles décisions ne peuvent être prises que par le biais de comités d’éthique, comme celui mené par MM. Lejeune et Touraine. Ces comités jouent un rôle crucial. Ils permettent de faire émerger des règles d’éthique à propos de l’expérimentation animale. Ils peuvent aussi contrôler la bonne application de ces règles dans les différents centres qui pratiquent l’expérimentation animale.

Malgré tout, évaluer le bénéfice potentiel d’un test impliquant l’expérimentation animale peut se révéler être une tâche très ardue. En effet, la recherche fondamentale ne permet presque jamais de prévoir l’ensemble des découvertes qu’elle engendrera. Par exemple une zoopsie concernant une maladie touchant l’animal mais aussi l’homme pourra permettre d’en déduire des informations précieuses pour l’humain, mais nous n’en sommes pas garantis. Là réside une des difficultés des comités d’éthique.

Finalement, les politiques eux-mêmes sont confrontés à un défi de taille : la mondialisation. Un pays légiférant sur ce sujet doit prendre en compte le fait que d’autres pays pourraient avoir des règles moins strictes et qu’il pourrait se produire un phénomène de délocalisation des centres de test.

Par exemple, le Pr. Touraine indique qu’aux États-Unis « les petits rongeurs ne sont pas considérés comme des animaux d’expérience », c’est-à-dire qu’ils peuvent être utilisés par les chercheurs en quantité illimité. La législation est encore plus souple en Asie. Un laboratoire allemand désireux d’obtenir plus de libertés concernant les expérimentations animales n’aura qu’à déménager en Asie. Ainsi les lois allemandes sur l’expérimentation animale n’auront pas été aussi efficaces qu’elles auraient pu l’être. Pour Jean-Claude Nouët il faudrait une harmonisation législative entre les pays européens, entre d’un côté l’Allemagne très en avance et de l’autre côté le reste des pays plus ou moins en retard.

La nécessité d’un accord à l’échelle mondiale entre les pays afin de produire des lois efficaces encadrant l’expérimentation animale fait donc consensus, tant au sein de la communauté scientifique que de la communauté profane.