Emplois précaires
La loi Travail a vocation d’inciter les embauches par l’allègement des réglementations sur les licenciements. Des spécialistes indépendants questionnent la causalité entre l’allègement des règles de licenciements et la diminution du chômage. On peut alors se demander si cette réforme ne favoriserait pas les emplois précaires au détriment des emplois stables comme les contrats à durée indéterminée (CDI).
Les emplois précaires désignent des emplois qui présentent peu de garanties pour les employés. Ceci peut prendre plusieurs formes : l’absence de stabilité de l’emploi (emploi à durée déterminée), rémunération trop faible ou faible protection contre les licenciements. C’est sur ce dernier point que les détracteurs de la loi Travail critiquent les dispositions prévues par le gouvernement pour dynamiser les embauches.
Un des spécialistes qui adoptent ce type de point de vue est Josep Borell, un économiste et homme politique espagnol. Son avis est fondé sur la réforme du marché du travail qui a été conduite en 2012 en Espagne. D’après son analyse, suite à cette réforme, la création d’emplois n’a pas augmenté significativement et durablement. Par ailleurs, le taux de contrats à durée déterminée (CDD) a augmenté, passant de 24,8% à 25,7%. Selon Josep Borell, les nouvelles créations d’emplois ne sont pas fondées sur une amélioration économique de l’Espagne mais sur une augmentation de la précarité des emplois. En pratique, ceci se traduit par des CDD.[1]
Au contraire, d’autres économistes soutiennent que le chômage de masse en France est une conséquence de la difficulté à licencier. C’est notamment le cas de Charles Wyplosz, un économiste français, qui pense que le lien entre un droit du travail trop protecteur et le chômage de masse a été scientifiquement établi. Selon lui, le problème est que cette relation n’est pas expliquée de façon correcte, ainsi pour bon nombre de non-spécialistes, le fait qu’une réduction des obstacles au licenciement entraîne une augmentation des embauches semble paradoxal. De ce fait, Charles Wyplosz émet l’idée que le principe essentiel d’un assouplissement des contraintes à l’embauche risque de devenir un tabou dans le débat public français. Le raisonnement qu’il fait, similaire à celui de Gilles Saint Paul vu dans la partie « Objectifs » est basé sur le fait que les entreprises ont besoin de faire marche arrière sur les embauches, or si cette marche arrière est coûteuse et aléatoire alors l’entreprise préférera ne pas embaucher. [2]
L’économiste Gilles Saint Paul, que nous avons interviewé, apporte une vision plus contrastée sur cette question: il considère que l’effet net sur le chômage de la flexibilisation du marché du travail n’est pas prouvé. Ce qui est sûr selon lui est que cela « augmente à la fois les embauches et les licenciements. Ça augmente les flux sur le marché du travail. Ça va baisser la durée du chômage, mais ça devrait aussi baisser la durée du travail.” Ainsi, l’allègement des régulations sur les licenciements conduirait à des taux de rotation plus élevés et finalement à un marché plus efficient en facilitant “la relocalisation du travail vers les secteurs les plus porteurs”. Les conséquences économiques globales seraient alors positives bien que l’effet sur le taux de chômage net n’est pas certain (Gilles Saint Paul, communication personnelle, 20 avril 2017). De le même manière, le FMI salue la réforme mais suggère dans un rapport que l’impact sur le chômage sera limité. Selon le FMI, l’assurance chômage créerait des « trappes à inactivité », c’est pourquoi il faudrait la réformer pour réduire le chômage. [3]
Ainsi, certains acteurs comme Gilles Saint Paul qui soutiennent la loi adoptent le point du vue sur lequel s’est basé le gouvernement, qui consiste à dire que faciliter les licenciements, cela revient à faciliter les embauches comme vu dans la partie « Objectifs ». D’autres acteurs questionnent comme Josep Borell, ces nouvelles embauches qu’ils qualifient de “précaires”; en effet, même si la loi conduit à des créations d’emplois, cela se fera au détriment de la stabilité. Enfin, des économistes comme Gilles Saint Paul ont un point de vue qui n’est pas opposé à celui du gouvernement mais qui est plus contrasté puisqu’ils pensent que cette loi aura un effet bénéfique sur l’économie, malgré l’incertitude à propos de son effet sur le chômage qui est l’objectif principal.
De plus, des discriminations selon l’âge de l’employé pourrait aussi être favorisées par la réforme du code du travail. Selon Damien Sauze, économiste de l’université de Bourgogne, cette réforme diminue la protection des salariés, ce qui touche particulièrement les plus vulnérables. Ainsi, ce sont les jeunes, les plus touchés par les emplois précaires, qui subiraient les conséquences de cette réforme. Selon cet économiste, la loi Travail toucherait la protection des employés ayant un CDI, ce qui rendrait les CDD plus protecteurs pour les jeunes en comparaison. Ceci serait dû à la durée minimale du CDD puisque l’employeur ne peut pas se désengager avant la durée prévue dans le contrat. Finalement, Damien Sauze observe que cette loi n’amène qu’à un transfert de précarité du CDD vers les CDI. [4]
Au contraire, certains arguments suggèrent que la loi Travail pourrait réduire les discriminations, notamment lors de licenciements. En effet, en fournissant un cadre standardisé de licenciement, la loi désengorgerait les tribunaux prud’homaux qui pourraient alors se concentrer sur les cas graves de discriminations ou de harcèlement. Les opposants de la loi Travail citent notamment la volonté de plafonner les indemnités prud’homales comme un recul sur les sanctions contre les discriminations. Or si la discrimination ou le harcèlement est prouvé alors il y a nullité du licenciement qui dans ce cas, n’est pas concerné par le barème de plafonnement. [5]
De plus, le harcèlement peut provenir de difficultés à licencier. En effet, l’employeur peut essayer de pousser l’employé au départ volontaire faute de pouvoir licencier. L’employé est alors placardisé ou soumis à des objectifs irréalisables. Ainsi en fournissant de nouveaux motifs de licenciement, le loi Travail limiterait ce genre de pratiques. Pour approfondir sur ce thème, voir la page suivante.
- Comme en Espagne, la « loi travail » est « vouée à l’échec » (2016, mars 25). Le Monde.fr. Consulté à l’adresse http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/03/25/comme-en-espagne-la-loi-travail-est-vouee-a-l-echec_4890091_3232.html ↑
- Wyplosz, C. (2016, avril 5). Pourquoi la loi El Khomri est une catastrophe. Le Figaro. Consulté à l’adresse http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/04/05/31001-20160405ARTFIG00085-pourquoi-la-loi-el-khomri-est-une-catastrophe.php ↑
- Selon le FMI, la loi travail ne fera pas baisser le chômage (2016, juillet 12). Le Point. Consulté à l’adresse http://www.lepoint.fr/economie/selon-le-fmi-la-loi-travail-ne-fera-pas-baisser-le-chomage-12-07-2016-2054008_28.php ↑
- Sauze, D. (2016, mars 10). Loin d’améliorer le sort de la jeunesse, la loi travail propose de faire porter les risques par les salariés. Le Monde.fr. Consulté à l’adresse http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/03/10/le-cdi-pour-tous-ou-la-precarite-pour-tous_4880113_3232.html ↑
- La loi travail pourrait réduire le harcèlement et les discriminations (2016, avril 7). Le Monde.fr. Consulté à l’adresse http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/04/07/la-loi-travail-pourrait-reduire-le-harcelement-et-les-discriminations_4897489_3232.html ↑