Acteurs

Les journalistes apparaissent souvent démunis face à la puissance des politiques. Peu de moyens politiques sont à leur disposition, si ce n’est de pouvoir abondement communiquer et alerter l’opinion sur ce qu’ils qualifient « d’ingérence » (voir le communiqué du Syndicat National des Journalistes le 10 juin 2017).

La grande majorité des journalistes font bloc dans ce genre d’affaire. Ils condamnent tous ferment une quelconque ingérence du politique dans la presse. Pourtant, cette ingérence de la politique est dû à la grande proximité qui règne parfois entre les journalistes et les politiques. Quand les journalistes collent aux basques d’un candidat à une élection par exemple, ils leur arrivent d’être familier avec le personnage et de se laisser influencer plus facilement. Le problème vient alors quand les directives de l’homme ou de la femme politique aux journalistes se font trop précises.

Pour nous en convaincre, étudions une affaire assez récente, le coup de fil du Garde des Sceaux François Bayrou à Jacques Monin, directeur des enquêtes et de l’investigation de Radio France, suite à l’enquête menée par les journalistes de Radio France, auprès de certains salariés et anciens salariés du MoDem.

Résumé des faits, selon Jacques Monin:

France-Inter a donc publié un article sur cet affaire, et publie la version des faits de Jacques Monin:  « Il s’est plaint auprès de moi en expliquant que des journalistes de la direction de l’investigation auraient des méthodes inquisitrices, qu’ils jetteraient le soupçon sur des salariés du MoDem en les interrogeant de manière abusive. Il explique qu’il voit passer dans son bureau des salariés qui pleurent, et qu’il se doit de les protéger… »

D’après le ministre de la Justice, François Bayrou:

Le coup de fil n’avait rien à voir avec un coup de pression du ministère de la Justice. Ce n’était pas le « ministre » qui a appelé Jacques Monin, mais le « citoyen ». Cette distinction ne fut pas jugée acceptable par son premier ministre, Édouard Philippe: « Quand on est ministre on ne peut plus réagir comme quand on est un simple citoyen », a lancé le premier ministre  sur France info.

Peu de jours après, il persiste: « Chaque fois qu’il y aura quelque chose à dire à des Français, à des responsables, qu’ils soient politiques, qu’ils soient journalistiques, qu’ils soient médiatiques, chaque fois qu’il y aura quelque chose à dire, je le dirai » dit-il, en marge d’un déplacement à Lens (Pas-de-Calais) pour soutenir un candidat de son parti aux législatives.

L’intervention de Christophe Castaner

C’est cette intervention, sur le plateau de BFMTV, le 11 juin 2017,  qui rend cette affaire caractéristique du rapport entre les journalistes et les politiques. En effet, Christophe Castaner déclare: « Je vais vous faire une confidence mais chacun le sait ici : nous passons notre vie à échanger, entre journalistes et politiques, ça s’appelle le off, c’est un grand sport national et on en fait tous. »

C’est alors que Julien Dray lui répond: « Non ça c’est pas la même chose. Le off, je sais ce que c’est. Là c’est appeler des journalistes pour leur dire ‘vous devez pas parler de ça’. »

Position des acteurs:

Position des Journalistes:

On tient là la racine de la différente position des acteurs:  si les journalistes ne rechignent pas à se faire inviter au restaurant par les politiques, à se faire payer leurs déplacements en profitant des « pools » organisés par l’état, à copiner avec les politiques pour tisser une relation de confiance qui leur permettra d’obtenir de précieuses informations, ils tiennent avant tout à leur indépendance. Interrogé par Hugo Clément de Quotidien, Nicolas Domenach  refuse d’abord de répondre, avant d’avancer:  « C’est une technique de journalisme de combat rapproché, L’art du journalisme, c’est d’entrer en contact, en résonance, en sympathie, et de prendre des distances ensuite pour arriver à trouver une vérité. […] Vous sous-entendez qu’il y a une connivence, voire une corruption ? » Pour Richard Sénéjoux , la position de Nicolas Domenach est contradictoire, même si le journalisme nécessite, d’après Hubert Beuve-Méry, un juste milieu entre le « contact et la distance », reconnaissant d’ailleurs que « l’équilibre est difficile ».

Position des hommes politiques

Dans un système démocratique, ce sont les élus qui détiennent le pouvoir que leur a confié le peuple. Ce sont ces mêmes élus qui doivent être en contact avec les journalistes pour exprimer leurs visions et justifier leurs choix.

Le premier point qu’il est important de noter est que la couverture d’un domaine d’activité implique la fréquentation assidue des acteurs. Dès lors s’installe facilement une certaine myopie du journaliste vis-à-vis des informations transmises pars les acteurs, voire une connivence. Certains auteurs comme le journaliste Albert du Roy soulignent aussi le fait que les journalistes et politiques français sont majoritairement issus des mêmes milieux, des mêmes écoles, partagent la même culture et fréquentent les mêmes endroits. Certains même deviennent politiques à la suite de leur carrière journalistique. L’attrait de certains journalistes pour la classe politique est donc important, ils sont donc très sensibles à une certaine influence qui pourrait s’exercer sur eux.

Une des méthodes utilisées pour favoriser la rencontre entre politiques et journalistes est l’invitation à déjeuner. Cette méthode est très utilisée dans les deux sens, les cabinets ministériels invitent les journalistes à venir dîner avec leurs membres et les grands journaux ont aussi des salons réservés pour recevoir les hommes politiques. Cependant de telles invitations peuvent très facilement porter atteinte à l’objectivité des hôtes reçus. Hubert Beuve-Méry, fondateur du journal Le Monde avait trouvé une parade pour ses journalistes qu’il encourageait à répondre favorablement à ses invitation « à la condition seulement de cracher dans les plats ». Ce même journaliste faisait figure d’exception lorsqu’il refusait d’assister aux conférences de presse du générale de Gaulle, écoutait la conférence à la radio, et répondait le lendemain matin avec un billet signé Sirius.

D’un autre côté, Franz-Olivier Giesbert, journaliste et PDG du magazine Le Point déclarait « Moi, je baise avec le pouvoir ». Il cherchait en disant cela à exprimer le fait que la principale source d’information du journaliste politique est les politiques eux-même. Il appartient donc au journaliste de savoir être suffisamment proche d’eux pour soutirer l’information qu’ils veulent tout en essayant de rester suffisamment neutre.

Les modes d’influence du pouvoir sur les journalistes ont, en revanche, évolué depuis le milieu du XXème siècle. A la fin de la seconde guerre mondiale, les médias notamment la télévision et la radio se sont vu de plus en plus contrôlés. Les chaines de diffusion massive grâce aux ondes sont en majoritairement public. Elles sont sous l’égide de RTF deviendra ensuite l’ORTF.

En 1958, la création par le général de Gaulle du ministère de l’information avait pour mission la réforme de l’organisation de la radiotélévision d’Etat. Par conséquent, en 1960 Alain Peyrefitte, alors ministre de l’information pouvait, depuis son ministère convoquer les différents responsables de ces médias pour passer ses consignes. La création de l’ORTF, en 1964, bien qu’ayant encore le monopole du service public donne plus de liberté à ce service et par conséquent à l’information. Récemment l’état a repris une partie de son pouvoir sur la presse audiovisuel pendant les années Sarkozy. En effet, en 2009 lors de la réforme de l’audiovisuel public, le président a fait voter une loi l’autorisant à nommer les différents présidents des chaines publiques. Cette loi très controversé a depuis été rectifiée en 2013 avec la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de l’audiovisuel public. Les responsables des chaines télévisées étant dorénavant nommés par le CSA.

 

Sources:

  • Castaner justifie le coup de fil de pression de Bayrou à Radio France : « Ça s’appelle le off », article de Etienne Baldit, publié le 11 Juin 2017 cliquez ici pour le lien
  • François Bayrou : tout comprendre de l’affaire qui vise le MoDem, article de Ludovic Galtier, publié le 14 juin 2017, cliquez ici pour le lien

  • L’étonnant coup de fil de François Bayrou à Radio France, article de Olivier Bénis, publié le 9 juin 2017, cliquez ici pour le lien
  • Journalistes et politiques, des liaisons pernicieuses, article de Richard Sénéjoux, publié le 10 mars 2017 dans Télérama, cliquez ici pour le lien

  • Site officiel du syndicat national des journalistes: lien