Des critères d’évaluation discutés

Quels sont les critères susceptibles de rendre compte de la qualité de l’éducation prioritaire ?

Au-delà des prises de positions sur la réussite ou non de la politique menée en termes d’éducation prioritaire avec les ZEP ou les REP, les avis divergent dans cette controverse sur la question de l’évaluation des ZEP.

Sur quels critères doit-on se baser pour être en mesure de qualifier l’impact qu’ont pu avoir les ZEP ?

Illustration créée par le groupe

Beaucoup de critères entrent en compte dans ce débat public, d’où naissent la difficulté et la complexité d’une telle controverse.

Nombre d’élèves par classe

Plus le nombre d’élèves par classe est faible, plus la politique mise en place est considérée comme efficace car le professeur aurait plus de temps à accorder à chacun de ses élèves. Ainsi, la progression rapide de ces derniers serait facilitée.

Le rapport Moisan-Simon de 1997 évoque ce critère : « En tout état de cause, la baisse ultime du nombre d’élèves par classe dans les ZEP de 1989 ou de 1990 reste très modeste. ». Lors de l’entretien qu’ils nous ont accordé, Marc Douaire et Didier Bargas, de l’OZP, expliquent que l’augmentation du nombre de professeurs en classe est plus importante et bénéfique que ce critère-là, notamment via le lancement de la mesure « plus de maîtres que de classes ».

Concernant les politiques à présent, tous suggèrent de diminuer le nombre d’élèves par classe et en font la référence absolue en matière de réussite dans l’éducation prioritaire. Par exemple Emmanuel Macron proposait pendant la campagne présidentielle de diviser par deux le nombre d’élèves dans les classes de CP et CE1, situées en zone d’éducation prioritaire (ZEP), soit environ 12 000 instituteurs en plus (en savoir plus sur les liens entre politique et éducation prioritaire).

« Ils seront pour partie des créations nouvelles de postes et pour partie des embauches qui restent à faire sur les 60 000 programmées pour le quinquennat Hollande » déclare le candidat.
Jean-Luc Mélenchon souhaite également réduire les effectifs par classe sans se focaliser sur l’éducation prioritaire il souhaite limiter à 20 par classe le nombre des élèves à l’école et au collège. Enfin Benoit Hamon discute également de ce critère. Il envisage la création de 40 000 postes d’enseignants supplémentaires, dont la moitié pour limiter le nombre des élèves à 25 par classe en éducation prioritaire. On s’aperçoit que les politiques se focalisent sur cet aspect tandis que les experts s’attachent à prendre en compte de nombreux autres critères pour évaluer les effets de l’éducation prioritaire. Il est également à noter que la création de postes supplémentaires remet en cause les primes alloués à ces mêmes enseignants. Ces primes sont-elles efficaces ? (en savoir plus…)

Critères de réussite scolaire uniquement

Le président de l’OZP Marc Douaire nous explique que pour certains acteurs, il est indispensable de prendre en compte les mentions au brevet, l’orientation de chacun après le collège, ainsi que le taux de réussite au DNB (Diplôme National du Brevet). Dès la première circulaire de juin 1981 par Savary, le taux d’élèves en classe de 3ème est comparé à celui en classe de 6ème.

Selon l’article scientifique rédigé par Catherine Moisan en 2001 : Les ZEP – Bientôt vingt ans, la circulaire de février 1990 est la première « relance » des ZEP au niveau national.Elle définit comme objectif central :

   L’amélioration significative des résultats scolaires des élèves

Concernant l’orientation scolaire, Marc Gurgand critique ce critère dans le commentaire de ce rapport Moisan-Simon :

    Les accès en quatrième ou en seconde sont observés peu après le passage en ZEP de l’élève, mais les pratiques d’orientation des différents établissements ne sont pas comparables et il semble qu’elles soient moins sélectives dans les ZEP (Kherroubi et Rochex, 2004). Dans ce cas, on aurait tendance à surestimer l’effet des ZEP

Graphique tiré de la note d’information gouvernementale « L’éducation prioritaire – État des lieux », publiée en mai 2013

Nombre d’heures d’enseignement

Plus ce chiffre est élevé, plus on considère que l’élève a bénéficié de meilleures conditions d’apprentissage et donc est plus apte à réussir par la suite. Ainsi, le rapport Moisan-Simon analyse ce chiffre pour avancer un argument :

   Le nombre d’heures par élève augmente lorsque le collège passe en ZEP : il croît de 1,1 heure par an dans les ZEP de 1989 et de 1,5 heure par an dans les ZEP de 1990. Là encore, cette hausse est très progressive.

Absentéisme et décrochage

Marc Douaire, accompagné de Didier Bargas, rend compte de différents critères dont celui de la réduction de l’absentéisme et du décrochage. Il passe de 140 000 élèves par an il y a 5 ans, à environ 100 000 aujourd’hui. Une grande partie de ces sorties sont dues à des conflits inhérents à l’éducation.

Stabilité du personnel éducatif

Elle témoigne des bonnes conditions d’apprentissage. En effet, selon le rapport Moisan-Simon, une des conditions de réussite des ZEP serait, en particulier, la stabilité du personnel éducatif. Ainsi un autre critère intervient, indiquant que plus longtemps les membres du personnel éducatif et en particulier les professeurs restent, plus les élèves évoluent dans un cadre stable et continu, aidant à leur apprentissage. Notons que Jean-Luc Mélenchon évoquait ce critère souhaitable dans son programme présidentiel de 2017 (en savoir plus sur les liens entre politique et éducation prioritaire).

Graphique tiré de la note d’information « L’éducation prioritaire – État des lieux » du gouvernement de mai 2013

La stabilité du personnel enseignant peut-elle être garantie par l’instauration des primes attirant les jeunes professeurs ? (en savoir plus…)

Climat scolaire

Ce critère est le plus abstrait et plus qualitatif mais reste un des facteurs pris en compte pour mesurer l’efficacité de la politique menée dans les ZEP. Il faut des critères à la fois scolaires et sociaux comme le soulignent Marc Douaire et Didier Bargas lors de notre entretien réalisé en mai 2017.

Il faut comprendre que l’évaluation des ZEP à partir de différents critères nourrit la controverse, tant l’interprétation peut en être floue. Nous ajouterons à cela quelques éléments de contexte catégorisant les ZEP et justifiant la difficulté d’un avis unanime. Le rapport souligne ce contexte délicat : « Cependant, comme le remarque Meuret, toutes ces études évaluent le fait d’appartenir à une ZEP plutôt que la politique ZEP en elle-même. Ainsi, il pouvait exister, avant la création des ZEP, un effet contextuel négatif dans ces zones, celui-ci pouvant justement constituer une des justifications de la mise en place d’une politique de différenciation des moyens. De fait, les études citées ne permettent pas de dire si la politique ZEP a réduit ou accru cet effet contextuel. » De plus, un effet de stigmatisation des zones prioritaires a pu démotiver à la fois enseignants et élèves, entraînant une détérioration des performances scolaires. (en savoir plus sur la question de la stigmatisation supposée du label « éducation prioritaire »)

Le rapport Moisan-Simon indique par ailleurs une hétérogénéité certaine entre les différentes ZEP et il devient donc encore plus improbable d’établir une analyse et un constat commun pour la totalité des politiques d’éducation prioritaire menées sur ces zones. Devient alors intéressante la question du pilotage de la politique d’éducation prioritaire et notamment la question suivante : Quelles sont les institutions actrices de la réussite scolaire réduisant les inégalités qui doivent bénéficier de moyens ? (en savoir plus…)

Critères nationaux ou locaux ?

A la question de l’efficacité ou non des ZEP, durant l’entretien qu’elle nous a accordé, Lydie Heurdier, chercheuse en sciences de l’éducation, nous répond :

 En fait, personne n’est en mesure de répondre à la question. C’est une politique qui a 35 ans, quand on fait des résumés de ce types, on globalise, on fait une moyenne. L’éducation prioritaire cible des établissement extrêmement disparates sur des territoires eux-mêmes disparates . On finit par agglomérer des résultats radicalement différents. Au niveau des moyennes, on peut toujours dire des choses mais ça ne représente pas l’intégralité de la situation réelle. Si vous prenez un établissement lambda d’un département et que vous comparez avec un établissement d’un autre académie, bon… l’idée même de faire une moyenne, de dire efficace/inefficace, de raisonner de manière binaire, n’est pas du tout satisfaisant scientifiquement parlant.

Même en s’intéressant à un territoire en particulier, il est extrêmement difficile de faire un bilan de l’efficacité, car il faudrait suivre une cohorte dans la durée, dans la mesure où sont classées en ZEP maternelle primaire collège. Il faudrait prendre 1000 à 2000 élèves depuis la maternelle, les suivre, et qu’ils restent en ZEP, toute leur scolarité, alors qu’on sait très bien qu’il y a beaucoup de mouvement. Il faudrait que les populations d’élèves soient stables. Personne n’a jamais fait ce travail là.

[…] dire globalement, « c’est efficace », « ça n’est pas efficace », ça ne fonctionne pas à une échelle générale.

Ses propos semblent sous-entendre l’inutilité des critères d’évaluation à l’échelle nationale, aujourd’hui bels et bien utilisés (entre autres) par le ministère de l’Education pour analyser l’action des REP.