En septembre 2016, le CNESCO a publié son rapport de synthèse annuel sur la politique de l’éducation prioritaire. Ce rapport repose sur un travail de recherche conséquent (22 équipes de chercheurs françaises et étrangères mobilisées sur deux ans) et est sans appel : le label d’éducation prioritaire serait vecteur de stigmatisation.
Le label “éducation prioritaire” est-il réellement vecteur de stigmatisation ?
Un débat qui ne date pas d’hier
La publication du rapport du CNESCO remet sur la table ce sujet sensible. D’autres avaient déjà émis l’idée, comme le Gisti en 1999 qui soulignait déjà qu’
« Une partie non négligeable des acteurs locaux – enseignants, chefs d’établissement, élus, parents d’élèves – ont plutôt tendance à refuser le classement en ZEP. Ils redoutent les assimilations du type ZEP = élèves en difficulté ou en échec, ZEP = écoles en difficulté ou en échec, ZEP = écoles de « la zone » ou de « seconde zone ». Ils craignent que la désignation publique et officielle des quartiers et des établissements ZEP comme lieux « sensibles, défavorisés, en difficulté, difficiles, à problèmes, à risques » renforce la stigmatisation et la marginalisation informelles dont ils sont victimes. » (Education prioritaire : l’ambiguïté du « Donner plus à ceux qui ont moins », par Gérard Chauveau (article de « Plein Droit », Gisti, 1999))
Selon Jean-Yves Rochex, c’était loin d’être le cas à l’origine : « On a eu des demandes de collèges qui avaient des résultats bien supérieurs aux moyennes nationales et aux moyennes académiques. Donc le label ZEP était connoté positivement en 81. »
La vision du CNESCO
Selon le rapport du CNESCO, l’Ecole française amplifierait les inégalités sociales et migratoires, tout comme l’indiqueraient les résultats des enquêtes PISA. Les politiques auraient été poursuivies contrairement à ce qui devait être fait : « conçue à ses débuts pour être temporaire et ciblée massivement sur les établissements les plus défavorisés, l’éducation prioritaire a vu ses publics s’élargir au fil du temps : elle a ainsi perdu de son efficacité ». Conséquence de tout cela selon le CNESCO :
«Les effets pervers sont venus contrebalancer progressivement les effets positifs de la politique, au point de conduire à des phénomènes que l’on peut définir en 2016 comme de la « discrimination négative ». »
En effet, le rapport fait le constat d’une connotation négative associée à ces zones. Ainsi les personnes plus aisées les évitent, ce qui fait chuter la mixité sociale. Les enseignants finissent également par les éviter et à partir de là c’est une spirale infernale : « temps d’enseignement plus courts, méthodes pédagogiques moins efficaces pour les apprentissages complexes, enseignants moins expérimentés, davantage de non-titulaires, climat scolaire moins favorable, entourages des pairs peu porteurs : sur un ensemble large de facteurs cruciaux réellement liés aux apprentissages, les élèves socialement défavorisés et issus de l’immigration sont victimes de «discrimination négative». On est loin du mythe de l’égalité de chances, qui suppose une égalité de traitement et, plus encore, de la promesse de 1982 de «donner plus à ceux qui ont moins».
La réponse de l’OZP
Selon Marc Douaire et Didier Bargas, le rapport du CNESCO ne reflète en rien les discussions et travaux sur lequel il s’appuie.
En 2012 a eu lieu une concertation nationale sur l’école. Dans ce cadre, l’OZP a participé très activement à un atelier qui s’appelait « pour une école plus juste » regroupant de nombreux représentants de collectivités (des associations de maires, des associations éducatives et pédagogiques, des organisations syndicales enseignantes, et un certain nombre d’universitaires).
« Tout le monde a fait consensus au bout de x heures de réunions pour dire : « il faut maintenir la labellisation, ce n’est pas la labellisation qui stigmatise » »
nous a confié Marc Douaire lors de notre entretien. Ce à quoi il a ajouté :
« Quelle ne fut pas notre surprise qu’à la tribune, une des quatre rapporteurs de cette concertation, en l’occurrence Nathalie Mons, ait dit publiquement que le travail avait exigé la délabellisation […] On s’est dit : il y a un certain nombre de forces hostiles à l’éducation prioritaire et qui avancent un peu masquées […] Pour nous c’est une entreprise de déstabilisation de l’éducation prioritaire […] Depuis, Nathalie Mons a bénéficié de beaucoup d’écho médiatique. Ça a fait le buzz au point que le jour où le rapport est sorti à 8h15 le matin, sur lemonde.fr, en rouge, il y avait écrit « l’éducation prioritaire est responsable des inégalités sociales » […] Ça a été retiré mais c’est dévastateur. Imaginez toutes les équipes de réseau en école et collège qui sont engagées dans un travail qui n’est pas facile tous les jours… Quand on lit ça, quand on entend ça… […] Donc on a fait une prise de position qui était sèche mais finalement on s’aperçoit qu’on a eu raison de le faire et ça a permis d’arrêter cette espèce de mouvement. »
Au cours de notre échange, Didier Bargas a complété ainsi « L’effet de stigmatisation, ça ne tient pas debout. Aucune étude sérieuse n’a montré que les phénomènes d’évitement de la part d’une couche moyenne supérieure par rapport à certains collèges étaient dus à l’étiquette, au label. Alors qu’à l’évidence, ces phénomènes on le sait très bien, ils sont d’ailleurs moins dus au faible niveau scolaire, qui est incontestable des collèges les plus en difficulté. Ils sont dus effectivement à la vie scolaire, c’est-à-dire à la violence, au harcèlement, au bizutage, aux luttes de bande. C’est ça qui est insupportable pour une partie des parents d’élèves et on les comprend tout à fait. Ils n’ont pas d’autre solution de leur point de vue que de choisir un autre collège public ou un collège privé. »
Pour terminer, Didier Bargas nous a donné une image assez parlante :
« Donc encore une fois c’est le contenu du flacon qui pose problème mais pas l’étiquette. »
Et la recherche dans tout ça ?
Nous avons interrogé Lydie Heurdier à ce sujet : « J’ai montré que le label n’était pas cause de stigmatisation, du moins jusqu’aux années 2000. […] Les établissements qui ont été classés étaient déjà en extrêmement difficulté et évités précédemment. Donc dire que c’est le label qui crée l’évitement, c’est faux. »
Selon elle la stigmatisation porte plus sur l’établissement en lui-même que sur le label qu’on lui donne : « Ce dont on se rend compte, c’est que les parents ne changent pas leur enfant d’établissement lorsque la direction fonctionne, le service vie scolaire fonctionne et que les profs font leur travail et ne sont pas absents. La vérité, c’est que souvent les parents consultent les instituteurs avant la rentrée en sixième par exemple. Cela arrive donc que la réputation des écoles soit un peu usurpée. Mais la réputation, ça se modifie très bien grâce à un chef d’établissement qui est resté longtemps par, exemple. C’était le cas à Romain Rolland à Clichy (deux directeurs exceptionnels) et il en est resté quelque chose, l’équipe pédagogique se stabilise et la réputation remonte. »
Ainsi selon elle, chaque établissement a sa propre identité, qu’il soit labellisé éducation prioritaire ou non :
« La suppression du label ne permet pas de redorer le blason d’un établissement déserté. »