Après un peu moins de dix ans d’existence, la carte de l’éducation prioritaire est redéfinie par la circulaire de février 1990. D’après l’article intitulé « Les ZEP : bientôt vingt ans« , paru en décembre 2001 dans le 61e numéro de la revue Education & formation, cette circulaire propose une corrélation forte entre la géographie de l’éducation prioritaire et les développements sociaux des quartiers (DSQ).
La faible attractivité des milieux défavorisés pour les enseignants explique, alors, l’instabilité des équipes pédagogiques, sans laquelle la politique des ZEP semble perdre de sa pertinence.
Comment augmenter l’efficacité de l’intervention des professeurs et instituteurs dans les réseaux d’éducation prioritaire ?
Les incitations financières
La volonté de fidéliser les équipes enseignantes de l’éducation prioritaire a conduit à l’introduction d’une indemnité de sujétion spéciale (ISS ZEP). Instaurée par le décret n°90-806 du 11 septembre 1990, elle concerne les personnels enseignants des écoles, collèges, lycées et établissements d’éducation spéciale, des personnels de direction d’établissement et des personnels d’éducation, et s’élève à 1155,60€. La même année, près de 96000 enseignants touchent cette indemnité.
On pourrait penser que cette indemnisation a été mise en place pour compenser les écarts concernant la victimation des enseignants (cf. graphe ci-dessous).
Néanmoins, ce n’est pas, en réalité, une demande émanant du « terrain ». Et de fait, cette forme d’incitation, ne semble pourtant pas avoir porté ses fruits. Un article intitulé «Zones d’Education Prioritaire : Quels moyens pour quels résultats ? », publié dans Economie et Statistique, n°380, pp. 3-30, 2004, affirme notamment que « la hausse sensible des dépenses en personnel, suite au versement de primes ad hoc (dites indemnités de sujétion), n’a réussi ni à stabiliser le personnel enseignant ni à augmenter l’efficacité de son intervention. »
Cette déclaration s’appuie sur une étude de l’INSEE présentant l’évolution de quatre indicateurs de réussite scolaire : le taux de réussite au brevet, de passage en 4e, en 2nde et le taux de réussite au baccalauréat. Entre 1990 et 2004, aucune amélioration de ces indicateurs n’a été observée, ce qui reflète pour la majorité l’échec de la politique des ZEP depuis leur création en 1981. (en savoir plus sur les critères d’évaluation de l’éducation prioritaire)
D’après Jean-Yves Rochex, chercheur et professeur de science de l’éducation à l’Université de Paris 8, l’échec de l’indemnité de sujétion spéciale était prévisible. Il semblerait que cette mesure ne soit le résultat d’aucune manifestation de quelconque syndicat d’enseignants.
« Lorsque cette mesure a été prise, à peu près tous les chercheurs consultés ont dit de ne surtout pas faire ça. D’ailleurs, aucun syndicat enseignant n’avait demandé cette mesure. »
Jean Yves Rochex (propos recueillis par Guillaume Le Moing, Rayane Beddek et Victor Courtehoux)
Paradoxalement, entre 1990 et 2004, le taux de décrochage des élèves dont les parents sont ouvriers est passé de 30% à 20% d’après l’étude de l’INSEE publiée en 2011. En réalité, cette tendance est aussi observée chez les enfants de cadre ou professions intermédiaires et ne peut donc pas prouver une amélioration des résultats des ZEP.
L’échec de la politique des ZEP menée jusque-là est résumée par l’assertion présente dans le compte-rendu de l’enquête PISA de l’OCDE paru en 2013 :
« La France est le pays développé où les déterminismes sociaux sont les plus forts. »
Et du point de vue des enseignants ?
Depuis 2014, il est question au sein du gouvernement de recentrer les moyens autour du cycle primaire et du collège : Najat Vallaud-Belkacem indique que la « refondation de l’éducation prioritaire est axée sur la scolarité obligatoire, c’est-à-dire l’école et le collège » dans une lettre datant du 27 avril 2014, adressée à Sébastien Pietrasanta, élu du Parti Socialiste. A ce moment, la volonté est de supprimer le label ZEP pour le lycée et, avec lui, les indemnités de sujétion spéciale.
Jusqu’à la fin du quinquennat de François Hollande en 2017, l’ISS ZEP a fait l’objet d’une « clause de sauvegarde. » Un article paru le 19 mai 2016, dans la rubrique Education du site lemonde.fr, intitulé « Les syndicats d’enseignants craignent que les lycées sortent de l’éducation prioritaire » recueille les témoignages de professeurs rassemblés la veille devant le ministère de l’éducation nationale et fait état de leurs sentiments. « On comprend qu’en 2017, on nous enlève tout : plus de prime, plus de bonification et plus de moyens supplémentaires pour assurer la réussite de nos élèves. Comme si les difficultés scolaires et sociales s’arrêtent après le collège ! », déclare l’un des enseignants présents. Les syndicats CGT, SUD ou encore SNUEP-FSU qui n’avaient, a priori, pas demandé l’instauration d’indemnités étaient à l’origine de ce mouvement de protestation.
Moins que l’inquiétude de la perte de leurs indemnités, les équipes pédagogiques des lycées jusqu’ici classés en ZEP semblent d’avantage ressentir à leur égard un sentiment d’abandon de la part du gouvernement. Cependant, les primes et bonifications semblent tout de même rentrer en ligne de compte.
Quelles autres mesures ?
En 2014, réformer totalement l’éducation prioritaire apparaît comme nécessaire et Vincent Peillon, membre dirigeant du Parti Socialiste, ministre de l’Education nationale du 16 mai 2012 au 31 mars 2014, modifie la géographie de l’éducation prioritaire. Jusqu’alors, il n’existait pas de pilotage national des réseaux d’éducation prioritaire (en savoir plus sur l’évolution du pilotage de l’éducation prioritaire au cours du temps). Le dossier de présentation des réformes de l’Education nationale du 16 janvier 2014 rassemble de nouvelles mesures derrière l’intitulé « Des équipes pédagogiques formées, stables et soutenues ».
Les réformes engagées :
- La mise en place de tutorat et de formations complémentaires pour les enseignants.
- Les mutations facilitées si l’équipe pédagogique veut continuer à travailler dans les réseaux d’éducation prioritaire.
- La présence d’un assistant social et d’un infirmier en plus pour les REP+.
- Le renforcement des indemnités de sujétion spéciale.
L’indemnité de sujétion spéciale introduite en 1990 a été augmentée de 50% pour les enseignants en REP et doublée pour les équipes pédagogiques des réseaux les plus en difficulté (REP+) en août 2015.
Le but est donc de renforcer la stabilité des enseignants tout en augmentant la qualité de leur intervention. Depuis 2016, ces mesures sont mises en place dans tout l’hexagone.
Historiquement, la carte de l’éducation prioritaire a sans cesse été redessinée et aujourd’hui près de 20% des collégiens sont en REP ou REP+. Certains acteurs doutent alors de la pertinence de la politique menée et parlent d’une dilution des moyens pouvant être à l’origine de l’inefficacité des mesures précédemment citées.