SÉGRÉGATION
Carte scolaire
La carte scolaire : un élément central dans la programmation des algorithmes de répartition
La carte scolaire fait partie des critères d’affectation dans les algorithmes d’allocation des élèves, que ce soit pour APB mais en particulier pour Affelnet. Comme l’indiquent Gabrielle Fack et Julien Grenet dans un article de 2014 :
“Le principe de sectorisation, communément appelé «carte scolaire », désigne le découpage géographique qui permet d’allouer les élèves à l’établissement d’enseignement public correspondant à leur lieu de résidence" [1].
Julien Grenet, Gabrielle Fack, Asma Benhenda
Cette carte définit le critère de proximité. Celui-ci est le critère primordial pour APB dans le cas des filières sous tension, et est proéminent dans le cas d’Affelnet.
La France est découpée en 17 régions académiques, dirigées par un recteur. Depuis la réforme mise en place en janvier 2016 sur les régions françaises [2], neuf régions comprennent maintenant plusieurs académies à savoir les académies d'Aix-Marseille, Besançon, Bordeaux, Caen, Lille, Lyon, Montpellier, Nancy-Metz et Paris.
Dans le cas d’Affelnet par exemple, certaines académies peuvent être redécoupées en districts, comme en témoigne le découpage de l’académie de Paris.
Créés en 1963, à la suite de l’allongement de la scolarité jusqu’à 16 ans décidé par la réforme Berthoin, les nouveaux collèges, construits en prenant en compte le nombre d’enfants à scolariser par commune et par quartier, devaient être pleinement utilisés. Cette carte scolaire faisait, au bout de quelques années, l’objet de contestations de plus en plus vives dans le débat public, dans la mesure où elle était à la fois “accusée de favoriser la ségrégation sociale des établissements scolaires et d’entraver la liberté de choix des familles."[3]
Contestations montantes et assouplissement de la carte scolaire
Nous voulons « donner une liberté nouvelle aux familles tout en renforçant la diversité sociale et géo-graphique au niveau de chaque établissement »
Xavier Darcos
Afin de répondre aux critiques, et pour « donner une liberté nouvelle aux familles tout en renforçant la diversité sociale et géo-graphique au niveau de chaque établissement »[4], la carte scolaire a été assouplie à la rentrée 2007 [5]. Cette réforme visait notamment à augmenter le nombre de dérogations possibles afin de permettre à plus d’élèves d’être acceptés dans des établissements situés en dehors de leur secteur, tout en maintenant le principe de sectorisation. Les critères de dérogation ont ainsi été clarifiés et hiérarchisés au niveau national.
" Tout élève doit être scolarisé dans l’établissement de sa zone résidentielle i.e. du secteur où sa famille est domiciliée."[6]
Victor Hiller, Olivier Tercieux
La carte scolaire, comme le montrent Victor Hiller et Olivier Tercieux dans leur article "Choix d’écoles en France : une évaluation de la procédure Affelnet", a tendance à reproduire des inégalités. En effet, dans la mesure où la répartition des élèves est organisée selon leur lieu d'habitation, c'est-à-dire que le lieu de résidence détermine pour partie l'établissement dans lequel l'élève sera affecté, et ce, dès le collège, par voie de conséquence, si le quartier où habite l'enfant n'est lui-même pas socialement diversifié, il y a de fortes chances pour que le collège soit à l'image de la faible diversité sociale du quartier [7]. L'émission de radio “L’école est-elle vraiment de plus en plus inégalitaire ?”[8] revient aussi sur ce phénomène de ségrégation : comme l’offre scolaire est différente entre les établissements parce qu’elle s’adapte à son secteur (ex : les écoles privées, plus coûteuses, ont plutôt intérêt à s’installer dans les secteurs favorisés, or elles proposent souvent un enseignement privilégié), les différents publics n’ont pas les mêmes chances. Il y a donc un effet pervers de la carte scolaire : les populations des quartiers défavorisés restent entre elles (justifiant par exemple l’expérimentation des secteurs multi-collèges).
La carte scolaire « renforce les inégalités » [et] « pénalise les plus démunis en les cantonnant trop souvent dans des établissements ghettos et protège les plus riches d’une trop grande mixité sociale et ethnique »
Georges Felouzis [9]
Julien Grenet dans son rapport L’impact des procédures de sectorisation et d’affectation sur la mixité sociale et scolaire dans les lycées d’Île-de-France[10], souligne néanmoins le fait que de 2007 (au moment de la mise en place de l'assouplissement de la carte scolaire) à 2011, le nombre de boursiers est passé de 7% à 14% dans les lycées du groupe 1 - ceux qui ont les meilleurs résultats au bac -, de 17% à 22% dans le groupe 2 , de 27% à 19% dans le groupe 3. A première vue, cette réforme a donc permis une plus grande mixité sociale et au des effets positifs à l’échelle nationale. Cependant, à l’échelle locale, il n’en n’est rien, du fait de la capacité d'accueil limitée des établissements.
Interrogée en 2012 par le journal Le Monde, Françoise Cartron, sénatrice de Gironde (PS) et rapporteur de la mission d'information sur la carte scolaire au Sénat, dresse un bilan décapant du quinquennat écoulé sur cette question de l’assouplissement de la carte scolaire[11] :
“Au final, la réforme profite encore une fois à ceux qui maîtrisent les usages et les codes, ceux qui savent remplir les dossiers, savent se débrouiller dans le maquis de l'éducation nationale. L'assouplissement était fait pour remédier aux "stratégies de contournement" des classes supérieures, en particulier – ne nous en cachons-pas – d'enseignants. Quand vous observez l'évolution des effectifs des établissements, les conclusions qui s'imposent sont terribles : ce sont bien les milieux plus favorisés qui se sont emparés de la réforme, amplifiant l'effet ségrégation" dans les collèges et lycées.”
Françoise Cartron
De même, dans son article, ”Admission post-bac : un « libre choix » sous contrainte algorithmique”, Leila Frouillou interroge les injustices spatiales produites par les systèmes d’affectation scolaire, à partir du cas particulier de l’enseignement universitaire francilien.
"[L'algorithme d'APB] produit des inégalités d’accès territoriales en constituant comme prioritaires, face à une offre de formation symboliquement hiérarchisée, les bacheliers de la région puis de chacune des trois académies."
Leïla Frouillou
Il est notamment mis en avant dans son article, qu’il existe une inégale appropriation de la procédure d’APB en elle-même, qui contribue, en plus des éléments auparavant cités, à une répartition plus ou moins égalitaire. Ainsi, à l’entrée au supérieur, le capital scolaire conserve une place prépondérante.
Toutefois, si la carte scolaire est décriée, certains croient tout de même en son intérêt et pense qu'elle devrait seulement faire l'objet d'une réforme. C'est notamment ce qu'affirment Yves Duran et Rudy Salles dans leur rapport d'information[12].
"Sans supprimer la carte scolaire mais sans se satisfaire de son fonctionnement imparfait, il existe selon les rapporteurs un espace pour actionner cet outil de manière précise, mesurée et pragmatique ; non pas tant au service d’une mixité sociale parfois hors d’atteinte et d’ailleurs tributaire de bien d’autres déterminants que l’école, qu’au service d’une mixité scolaire plus directement corrélée avec l’amélioration des performances du système."
Yves Durand, Rudy Salles
Si vous voulez en savoir plus sur l’assouplissement de la carte scolaire, n’hésitez pas à regarder ce reportage du Sénat sur cette problématique.
"Mission d'information sur la carte scolaire de la Commission de la Culture", 27 juin 2012
Ce qu’il faut donc principalement retenir de cet assouplissement, c’est qu’il a finalement permis une stigmatisation plus importante des lycées et collèges dits de “banlieue”[13] et qu'il n'y a pas de consensus sur le fait que son objectif de mixité scolaire et sociale ait été atteint [14]. De plus, consécutivement à l'existence de cette carte, sont apparues des stratégies d’évitement. Par exemple, de plus en plus de familles aisées n’hésitent pas à acheter un appartement dans un secteur ultra privilégié pour avoir plus de “chances” d’intégrer le collège (et donc par la suite le lycée) de leur choix. D'autres vont vers le privé, qui a d'ailleurs largement profité de cette réforme. Si vous voulez en savoir plus sur cette problématique, nous vous invitons à cliquer sur le bouton en bas à droite.
[1] FACK, G., GRENET, J., BENHENDA, A., Institut des Politiques Publiques [2014] ,L’impact des procédures de sectorisation et d’affectation sur la mixité sociale et scolaire dans les lycées d’Île-de-France, 196 pages. Disponible sur http://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2014/07/impact-sectorisation-affectation-mixite-lycees-idf-rapport-IPP-juin-2014.pdf [Consulté le 2 avril 2016 ]
[2] FACK, G., GRENET, J., (2012). Rapport d’évaluation de l’assouplissement de la carte scolaire. 177 pages. École d’économie de Paris
[3] Oihana G., (2016, 7 septembre). Ces initiatives pour favoriser la mixité sociale à l’école, 20 minutes, [Consulté le 13/04/2017]
[4] Canopé, Une carte scolaire aux exigences variables [en ligne]. Site institutionnel. Disponible sur https://www.reseau-canope.fr/mixite-sociale/des-reponses-partielles-un-phenomene-de-segregation-qui-se-developpe/une-carte-scolaire-aux-exigences-variables.html [Consulté le 23/05/2017]
[5] Rollot C., (2007, 4 juillet), Le nombre de demandes de dérogation à la carte scolaire n'a pas explosé, Le Monde, [Consulté le 23/04/2017]
[6] Hiller V., Tercieux, O. (2014). Choix d’écoles en France : une évaluation de la procédure Affelnet. Revue économique 65, n°3, 619-656.
[7] Anonyme. (2012, 6 décembre). Education : trop de collèges et lycées ghettos, Le Parisien. Disponible sur : http://www.leparisien.fr/societe/education-trop-de-colleges-et-lycees-ghettos-06-12-2012-2384731.php. [Consulté le 29/05/2017]
[8] TOURRET, L. (journaliste) et FAILLET, V., FELOUZIS, G., MAURIN, L., MONS, N. (intervenants). (19/02/2017). L’école est-elle vraiment de plus en plus inégalitaire ? [Hebdomadaire sur l’éducation]. In Rue des Écoles. France Culture. [58 minutes]. Disponible sur : https://www.franceculture.fr/emissions/rue-des-ecoles/lecole-est-elle-vraiment-de-plus-en-plus-inegalitaire. [Consulté le 10/03/2017].
[9] FELOUZIS, G., « De l’école à la ville : comment se forment les ʺcollèges ghettosʺ ? », Informations sociales de la CNAF, 2005/5 n° 125, p. 41.
[10] FACK, G., GRENET, J., BENHENDA, A., Institut des Politiques Publiques [2014], L’impact des procédures de sectorisation et d’affectation sur la mixité sociale et scolaire dans les lycées d’Île-de-France, 196 pages. Disponible sur http://www.ipp.eu/wp-content/uploads/2014/07/impact-sectorisation-affectation-mixite-lycees-idf-rapport-IPP-juin-2014.pdf [Consulté le 02/04/2016 ]
[11] Battaglia, M. (2012, 2§ juin). Carte scolaire : "Il y a bien une discrimination sociale, territoriale mais aussi scolaire, ne le nions pas". Le Monde
[12] DURAND, Y., SALLES, R., Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques [2015] , Rapport d’information sur l’évaluation des politiques publiques en faveur de la mixité sociale dans l’éducation nationale, 155 pages. Disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i3292.asp [Consulté le 16/03/2017]
[13] OBERTI, PRÉTECEILLE, RIVIÈRE, Rapport final de la recherche réalisée pour la HALDE, [Janvier 2012], Disponible sur http://www.sciencespo.fr/osc/fr/node/701, « Les effets de l’assouplissement de la carte scolaire dans la banlieue parisienne »,
[13] Chesnel S., (2015, 6 février), Carte scolaire: la mixité sociale forcée, ce n'est pas gagné, L'Express