GAFA : un monopole de détention des données

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Depuis 2017, les éditeurs de presse en ligne œuvrent à la mise en place des systèmes de mutualisation des données pour pallier l’influence grandissante des géants du web, qui remettent en cause leur modèle économique. C’est dans ce cadre que nous avons pu rencontrer Bertrand Gié, Geoffrey Fossier et Alexis Marcombe du Figaro et de Geste (voir leurs profils dans  nos entretiens).

Les GAFA : ces géants qui ne cessent de croître

Les GAFA sont les leaders du monde numérique. L’acronyme vient d’ailleurs de la fusion des noms de Google, Apple, Facebook et Amazon, même si l’on peut y ajouter à ce jour d’autres géants du web comme Alibaba, Netflix ou encore Uber. Selon Alexis Macombe (Media Figaro), leur emprise est incontournable sur tous les marchés, et leur capacité à contrôler les masses est considérable, bien qu’elle soit souvent méconnue de la plupart des personnes. Google et Facebook sont aujourd’hui les leaders de la publicité sur Internet, détenant 80% du marché de la publicité en ligne (Jean-Baptiste Rouet, entretien avec Publicis). Grâce à la commercialisation de leurs services, ils disposent d’une quantité formidable d’argent, même si elle reste inégalement répartie. De même, leur connaissance de nos informations personnelles pose des problèmes sociologiques importants, d’autant que ces derniers se lancent dans des projets irréalisables pour n’importe quel Etat, comme le séquençage du génome, qui  pourrait à lui seul être l’objet d’une nouvelle controverse.

« Google et Facebook, les ogres de de la publicité en ligne », Challenges, Janvier 2017

La relation entre les GAFA et la publicité sur Internet ne date pas d’hier :  dès 1999 les moteurs de recherche ont commencé à percevoir des rémunérations sur le placement des sites. Ce n’est cependant qu’à partir de 2006 que la publicité sur Internet prend des proportions considérables, alors que les géants du web commencent à utiliser les données récoltées (sous forme de cookies par exemple) pour cibler les individus et obtenir des données démographiques plus convenables. L’idée est en fait d’augmenter la qualité des publicités, mais aussi et avant tout d’améliorer leur efficacité. C’est ainsi qu’en 2017 la vente d’espace publicitaire aurait rapporté à Alphabet (société mère de Google) près de 27,2 milliards de dollars, en nette hausse de +21% par rapport à l’année précédente, suivie de près par Facebook (1).

Pour s’opposer à cette tendance générale au ciblage, la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) a publié dès 2009 un rapport sur les dangers de la publicité ciblée et sur les règles à suivre quant à l’utilisation des données personnelles. Ce rapport visait non seulement à se confronter aux GAFA, mais aussi à éduquer les internautes sur les bonnes pratiques à adopter.

 

Des nouvelles contraintes pour les éditeurs de presse

D’après Bertrand Gié, la question de la publicité sur Internet est une question complexe, qui astreint les médias traditionnels (presse, télévision et radio) à pallier trois problèmes fondamentaux, dont le premier concerne le déséquilibre entre l’offre et la demande. Pour les médias traditionnels, pour lesquels l’offre est soumise à des restrictions (temps maximum de bannières publicitaires sur un journal), la demande est plus importante que l’offre. Cependant, dans le cadre d’Internet, devenu récemment le premier média en terme d’investissement, cette demande en publicité est incroyablement plus faible que l’offre, qui est infinie. Ainsi, cette différence structurelle fait nettement baisser les prix, ce que résume Bertrand Gié :

« C’est le premier problème de la publicité sur Internet : il y a un déséquilibre entre l’inventaire potentiel d’un côté et l’élément d’achat […] ce qui fait baisser les prix. »

Bertrand Gié, entretien avec le Geste

Le deuxième problème est celui de la performance puisque :

« Nous sommes tombés dans un domaine ou l’efficacité n’est plus calculée que selon des critères de transformation, alors qu’historiquement la publicité a pleins de vertus et de fonctions. »

Bertrand Gié, entretien avec le Geste

Ces performances peuvent être appréhendées de diverses manières, selon qu’elles sont ramenées à un temps d’affichage de bannières ou à un nombre de clics. Finalement, on ne retient donc plus de la publicité sur Internet que sa fonction ultime, délaissant ainsi le système qui a fait la valeur publicitaire des médias traditionnels : l’association de contenu. L’objectif de cette méthode était pourtant simple : faire paraître une « belle marque » en l’insérant dans une page au contenu la mettant en valeur.

Le troisième problème concerne plus spécifiquement les GAFA, ces « champions internationaux » avec lesquels les médias traditionnels peinent à rivaliser. Les accords que Google et Facebook passent avec les grands annonceurs ont des conséquences globales, au point de priver la presse de ses revenus traditionnels.

« Publicité digitale : le pré carré des Gafa sous pression », Décideurs magazine, Octobre 2017

L’instauration d’un login unique

Le Geste est une association fédérant plusieurs médias traditionnels qui, de par l’émergence de ces nouveaux enjeux, sont contraints à revoir leurs modèles économiques. L’avènement d’Internet les a en effet amenés à diversifier leurs services numériques, dans un univers avec plus de rivalité. L’initiative est née de la proximité des médias pourtant concurrents contre les mêmes « ennemis » communs : Google et Facebook. Comme le souligne l’article des Echos du 7 mars 2018 : « Login commun des sites Internet français : décision avant l’été », le Geste devrait définir une position qu’ils feront valider par les différents patrons des agences médiatiques.

L’objectif est clair : promouvoir la centralisation des données par l’intermédiaire d’un login unique. Plutôt que de vendre un emplacement, il s’agit de vendre un profil  :

« Plus on arrivera à avoir des gens « logués », plus on arrivera à savoir qui est derrière l’écran, et plus on pourra non plus vendre un emplacement publicitaire mais un individu, une cible, une audience. On passe de la diffusion à l’audience : c’est toute la différence. »

Bertrand Gié, entretien avec le Geste

Toutefois, Alexis Marcombe (Media Figaro) met en garde : il ne faut pas confondre la vente et la revente. Le Geste ne vendra jamais de data sec (données de navigation et identité personnelle), mais des aides sur l’identification de centre d’intérêts ou de besoins. Dans ce sens, ces mesures vont de paire avec les mesures de protection des utilisateurs, remontées même jusqu’à Bruxelles.

L’objectif est donc de défendre les éditeurs traditionnels contre les GAFA par l’intermédiaire d’un login unique pour unifier les différentes sociétés.

« [Le login unique permet de disposer de] volumes de données compétitifs avec ceux de Google ou Facebook. »

Laure Debos, entretien avec Publicis

Cependant, cette entreprise n’est pas exempte de risques économiques. D’une part, identifier un individu derrière l’écran revêt une grande part de hasard, puisqu’on  n’a qu’une « probabilité » d’identifier correctement la personne : ce n’est pas parce qu’une personne consulte le Figaro Madame et la rubrique Golf du Figaro Magazine qu’elle est forcément une golfeuse ! Jean-Baptiste Rouet (entretien avec Publicis) met ainsi en garde contre l’hyper-ciblage. D’autre part, l’audience propre de chaque éditeur diminue. Cette initiative étant synonyme de duplication de données à propos d’une même personne, elle n’intéressera pas outre mesure les grandes sociétés, qui paieront moins cher les annonceurs.

De même, comment faire en sorte que les utilisateurs soient logués ? Plusieurs options s’offrent au Geste selon Bertrand Gié : la première est de proposer un contenu exclusif, ou un contenu supplémentaire. Le risque est bien sûr que le lecteur rejette ce contenu. Toutefois, ce login étant unique, il pourrait être stocké en mémoire pour tous les médias du groupe Geste. En somme, la publicité devient personnalisée, et donc immédiatement moins intrusive.

Quel environnement législatif pour le Geste ?

Le Geste doit encore se prémunir de certaines problématiques gouvernementales, ainsi que de certaines lois qui vont passer dans les années qui vont suivre parmi lesquelles ePrivacy, qui a pour but d’interdire ou de limiter l’utilisation des cookies, rendant plus difficile l’identification des utilisateurs. De même le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) va redéfinir le cadre légal européen quant à l’utilisation des données personnelles.

Des initiatives similaires

Le Geste n’est pas la seule initiative visant à se défendre contre l’importance grandissante des GAFA. GRAVITY, coalition lancée en juin 2017 regroupant des acteurs de la presse, de la télévision et des télécoms, et dirigée principalement par le groupe Les Echos – Le Parisien et Lagardère, poursuit un objectif similaire. L’article publié dans le Figaro le 7 mars 2018 intitulé « Contre les GAFA, les médias unissent leurs forces » détaille cette volonté de centraliser les données.

 

Comment fonctionne le ciblage ?

 

Pour découvrir l’autre nœud de la controverse

Pollution et intrusion

 

(1) : « Alphabet passe la barre des 100 milliards de chiffre d’affaire, mais ses résultats déçoivent », Figaro