Interview : Madame d'Huart, orthophoniste

Introduction à l’interview de Madame d’Huart :

 

Orthophoniste formée il y a 25 ans, elle redécouvre son métier après une assez longue période durant laquelle elle n’a pas pratiqué. Son point de vue est intéressant, car elle parle de l’évolution de son métier, notamment de la part de plus en plus importante des neurosciences dans la recherche en orthophonie ; les techniques de rééducation restent pour leur part inchangées.

 

 

V : Pour commencer, avez-vous un avis sur les méthodes de lecture ?

M : En ce moment je suis en train de me reformer avec une dame qui a 80 ans et qui a été formée à la naissance de l’orthophonie ; l’orthophonie n’est pas un métier si vieux que ça ! Sa pratique est une pratique à l’ancienne, assez réfractaire aux neurosciences. Ce que j’apprends d’elle me rappelle tout à fait ce que j’ai appris pendant mes études, mais ne correspond pas tout à fait à ce qu’on enseigne aux orthophonistes aujourd’hui à la faculté. La méthode que l’on met en œuvre avec les enfants en difficultés, c’est une méthode de lecture qui est inspirée de Madame Borel-Mesoni. Elle est à l’origine de l’orthophonie en France, et sa méthode allie des gestes, les sons et les lettres. Les gestes ont pour but à la fois de rappeler une forme écrite et d’aider dans les gestes phonatoires. On voit très bien avec certains enfants, c’est un peu une forme de conditionnement même si le terme est malheureux : on présente les trois choses en même temps, c’est-à-dire on va montrer la lettre, on va faire un geste, et on va prononcer la son. Le « son » n’est pas le mot qui convient, on parle de phonème, c’est l’unité de son. C’est une méthode qui extrêmement analytique

 

V : Ce qui est curieux c’est qu’aujourd’hui la méthode globale est dite analytique (et la méthode syllabique est dite synthétique). Qu’entendez vous quand vous parlez de méthode analytique ?

M : Pour moi, notre méthode, on ne dit pas méthode syllabique. Nous on se fonde sur le phonème. Bon bien sûr après le phonème vient la syllabe. On va être au plus près, nous on se rapproche des réalisations phonatoires.

 

V : Pourquoi la dame avec qui vous réapprenez l’orthophonie est-elle suspicieuse à l’encontre des neurosciences ?

M : C’est une chose qui m’a frappée trente ans après avoir fait mes études : j’ai eu le sentiment, quand j’ai recommencé à lire des revues d’orthophonie, que je ne pouvais plus rien comprendre. C’est-à-dire que le vocabulaire avait changé et que c’était devenu quelque chose d’extrêmement complexe. Et donc j’ai l’impression que c’est comme si l’on avait fait un complexe, et que du coup on avait voulu rendre notre métier encore plus scientifique. Et c’est vrai ; par exemple, cet après-midi, j’ai lu un article sur la dyslexie ; on fait beaucoup de recherche pour savoir quels sont les liens avec les caractéristiques du cerveau. C’est toutes ces questions dont l’investigation était difficile par le passé, qui sont aujourd’hui étudiée grâce aux techniques d’IRM, sur des personnes dyslexiques vivantes. Il se trouve que dans les neurosciences, on a un peu tendance à mettre des étiquettes, à quantifier, alors que finalement ce qui est important, c’est davantage le qualitatif ; on s’intéresse à la personne, comment elle vit son problème. Ce n’est pas seulement un résultat de test.

 

V : Cela veut dire que les enfants qui ont des difficultés, ça ne le aide pas plus qu’il y ait les neurosciences ?

M : L’approche des neurosciences est importante car elle permet de faire avancer les connaissances sur ces sujets. Mais je pense, que, lorsqu’il y a trente ans, on ne parlait pas trop de particularités au niveau du cerveau du dyslexique par exemple, les soins étaient néanmoins de qualité. Les neurosciences indiquent de possibles ouvertures, mais dont l’efficacité devra être éprouvée par la pratique.

 

V : Lors de votre formation d’orthophoniste, aviez-vous suivi des cours de neurosciences et de pédagogie, ou de toute autre formation en rapport avec l’apprentissage de la lecture ?

M : Oui, j’ai reçu des enseignements de neurologie, mais davantage en rapport avec la partie qui concernait la rééducation des aphasiques, c'est-à-dire des personnes qui ont perdu l’usage de la parole suite à un accident vasculaire, un traumatisme… Sinon, en ce qui concerne la pédagogie, j’ai suivi des cours sur l’apprentissage scolaire, les programmes. Mais les connaissances et les programmes ont beaucoup évolué depuis trente ans.

 

V : Oui, on s’en rend compte rien qu’en lisant les journaux. Les neuroscientifiques, par exemple, on ne les entendait pas il y a trente ans !

M : Oui, oui. Je dois dire que moi je suis vraiment, de par ma formation initiale, et de par ma formation actuelle pour me remettre un peu dans le bain, dans l’orthophonie d’il y a 20, 25 ans, ou en tout cas qui n’est pas influencée par tout ça.

 

V : Accordez-vous de la crédibilité aux arguments des neuroscientifiques quant aux problèmes de lecture ? Dans quelle mesure pensez-vous que les troubles de la lecture peuvent venir de la méthode d’apprentissage, globale ou syllabique ?

M : Je cherche à me documenter, mais dans la pratique, ça ne va pas vraiment changer, je vais peut-être mieux comprendre les difficultés de mes patients en liaison avec les particularités neurologiques. Je vais m’en servir parce que ça m’explique pourquoi ; alors auparavant, quand on était face à un enfant dyslexique, on se rendait compte des phénomènes : il y avait pas mal de dyslexiques dans une même famille, un facteur d’hérédité. On notait des choses mais il n’y avait rien de scientifique. Maintenant on se pose des questions sur les particularités du cerveau. Mais pour le moment, moi, ça ne change pas ma façon de pratiquer. Mais je sais, on avait évoquer le problème pendant un de mes cours, il y a tout un tas de choses révolutionnaires, sur des questions de vue, qui influencerait dans des problèmes de lecture, des questions d’équilibre, (il y a des gens qui prétendent qu’en mettant des semelles, les choses pourraient mieux se passer) … Pour le moment, je m’intéresse à ces développements, mais cela ne modifie pas fondamentalement ma manière de pratiquer.

 

V : Votre travail consiste en effet à la rééducation, et non au diagnostic ?

M : Oui en fait je suis face à un enfant en difficultés et j’essaie de le remettre dans une situation de réussite. Compte tenu du fait que la dyslexie par exemple, c’est quelque chose dont entre guillemets on ne guérit pas. On peut améliorer la situation, la rendre assez confortable, mais le problème ne peut pas s’évanouir.

 

V : Il y a des orthophonistes, par exemple Catherine Toste, pour qui les difficultés de lecture proviennent clairement de la méthode globale. Qu’en pensez-vous ?

M : Je ne sais pas si on peut affirmer ça complètement. C’est sûr que la méthode globale c’est comme une photo que tu prends. J’avoue que je ne saurai pas vraiment donner d’arguments contre elle. Mais la méthode qu’on utilise en orthophonie, je trouve qu’elle est extrêmement logique : on part vraiment du plus simple pour aller au plus compliqué. Je trouve qu’elle a une progression qui est très logique. Elle a une progression qui est aussi en rapport avec les capacités phonatoires. Elle reprend les sons qui sont les plus faciles à prononcer, à prolonger, et du coup ce sont les premiers qu’on va choisir d’apprendre à l’enfant, parce que ce qui est difficile pour l’enfant qui apprend les phonèmes, c’est d’accrocher les phonèmes ensemble. Et donc, quand tu veux accrocher les phonèmes ensemble, c’est plus facile de le faire si tu choisis les phonèmes qui peuvent être prolongés. Je te prends un exemple : nous on ne donne pas le nom des lettres, on ne va jamais dire ça c’est un « p » [pé], on va dire ça c’est un « ‘peuhhh ». Une fois que tu l’as dis il est parti, c’est fini : si tu prends un « ffff » tu peux le continuer indéfiniment et donc si tu mets une voyelle derrière, l’enfant a du temps pour la coller. L’idée c’est vraiment de commencer par les choses qui sont les plus faciles à réaliser de façon à ce que petit à petit un mécanisme se fasse, et après on va vers la complexité. C’est pour ça que je trouve que c’est une méthode imparable, moi je n’ai pas vu d’enfants avec qui ça ne fonctionnait pas, mais il y en a peut-être avec qui ça ne fonctionne pas.

J’ai l’impression de rester beaucoup dans le vague dans ce que je te dis, et c’est vrai que tout ce qui est neuroscience, ça m’a vraiment dans un premier temps un peu fait peur, parce que j’ai eu l’impression que c’était plus mon métier, que ça devenait un peu autre chose ; j’ai eu peur que l’orthophonie soit devenue ça. Mais je me rends compte que la façon de rééduquer reste la même. Maintenant, tu as certainement des gens qui se sont positionnés différemment et qui, du coup rééduquent différemment.

 

V : Connaissez-vous des noms d’orthophonistes qui prennent la parole dans le débat sur les méthodes de lecture ?

M : J’ai acheté un livre, écrit par le docteur Weinstein-Badour, qui se positionne dans le débat en tant qu’orthophoniste.

 

V : Pour conclure, la chose nouvelle c’est le rapprochement entre orthophonie et neuroscience ?

M : Oui ; par exemple moi je suis frappée, dans la revue à laquelle je suis abonnée, qui s’appelle Orthophonie et Education, sur les dix articles il y en a deux qui sont écrits par des orthophonistes. Le reste ce sont des chercheurs, ce sont des scientifiques… Certainement, ils ont une démarche différente, qui se rapproche davantage d’une démarche de recherche plutôt que d’une approche de clinicien.

 

V : Et de la même manière, y a-t-il un rapprochement entre linguistes ou pédagogues et orthophonistes ?

M : Alors là, … Je ne peux trop te dire… mais quand j’avais fait mes études je me souviens qu’on avait vu quelles étaient les façons de découper la langue pour les grammairiens, on avait vu Grévisse et Gallichet, c’est plus vraiment d’actualité… là aujourd’hui je ne sais pas. Enfin, au niveau de mes cours je n’entends pas parler des grammairiens ni des linguistes.

 

FIN

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