Les fonds souverains au service de l'agriculture vivrière
La
thèse suivante est a été développée par Jean Matouk, professeur
des universités honoraire. Il ne s'agit pour l'instant que d'une idée
originale d'alternative d'aide au développement qui fait appel aux
disponibilités massives des fonds souverains. Associé à des aides
internationales, ces fonds pourraient trouver un intérêt à financer le
développement de l’agriculture vivrière des PMA et permettre à ces pays
de faire face à la crise alimentaire actuelle.
L’idée de demander à certains fonds souverains de s'investir dans
l'agriculture mérite d'être creusée. Voici en effet un stock massif de
disponibilités : les sept fonds principaux disposent de plus de 2 000
milliards de dollars. Ils se sont jusqu'à présent investis, comme les
fonds privés, dans l'industrie et les banques, y compris celles qui se
sont imprudemment engagées dans les dérivés des subprimes.
Mais ces fonds n'ont aucune raison d'aller s'investir dans
l'agriculture. Les grandes exploitations ne sont toujours guère
demandeuses. De plus, viser la relance de la production mondiale à
travers l'extension de ce type d'exploitation ne résoudrait en rien les
pénuries locales permanentes décrites plus haut, pas plus qu'elle
n'enrichirait la masse de petits paysans qui, dans le monde, vivent
encore en milieu rural. Or c'est cela qu'il faut chercher, non
seulement pour augmenter la production agricole, mais aussi pour
freiner la "bidonvillisation" du monde.
Il faut
donc offrir à ces fonds un rendement financier normal dans un autre
système agricole. Comment ? La relance de l'agriculture vivrière,
adaptée aux conditions pédologiques et climatiques locales diverses,
passe d'abord par de grands investissements d'amendement des sols et
d'irrigation. Mais ces travaux ne peuvent offrir le rendement actuel du
marché. Il faut donc ne prévoir qu'un petit rendement en provenance de
la future production, et le compléter par un apport que les organismes
financiers internationaux, dans le cadre de l'aide usuelle au
développement, négocieraient avec les fonds souverains bénéficiaires.
En second lieu, c'est par la multiplication d'opérations de microcrédit
que l'argent des fonds souverains doit aller aux exploitants agricoles
locaux organisés en coopératives et assistés de techniciens coordonnés
par la FAO, afin d'intégrer les données les plus récentes de
l'agronomie. On sait, à partir de l'expérience de Muhammad Yunus
(fondateur de la Grameen Bank et Prix Nobel de la paix en 2006) que le
microcrédit offre un rendement financier au moins égal à celui du
marché. A travers ce rendement, les petits agriculteurs ou leurs
coopératives payeraient leur part des investissements d'infrastructure
et rembourseraient les investissements courants en matériel agricole,
produits phytosanitaires et semences. Enfin, le PAM pourrait s'engager,
comme il l'a déjà fait au Congo, à racheter les éventuels surplus des
années de vaches grasses pour équilibrer le marché et continuer son
oeuvre de secours immédiat. Au-delà, l'appel à l'épargne éthique des
pays développés, ou au souci éthique des dirigeants des fonds
souverains peut éventuellement constituer un utile complément. Mais on
ne peut bâtir sur eux la relance durable d'une production agricole
capable de nourrir le monde et de faire vivre un ou deux milliards de
paysans.
Extrait du Monde du 23 Mai 2008